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Le Chant des Baleines Décodé |

C.W. - NATIONAL GEOGRAPHIC N°260 > Mai > 2021 |
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Bavarde comme une Baleine |


A.S.-T. - SCIENCES ET AVENIR N°845 > Juillet > 2017 |
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SCIENCE & VIE > Juin > 2006 |
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La Portée du Chant des Baleines est Infinie |
Étonnant ! Les signaux que s'envoient les cétacés se propagent sur des milliers de kilomètres. Une découverte qui en appelle d'autres...
On connaîssait l'envoûtante beauté du chant des baleines, dont les vocalises, couvrant huit octaves (la voix humaine en couvre en moyenne de 2 à 3), vont du grave si bas qu'il est inaudible pour l'oreille humaine à un magnifique soprano. On savait depuis 30 millions d'années, ces familiers des abysses sont immergés dans un monde purement acoustique, quand nous autres, bipèdes terrestres, baignont dans un environnement peuplés d'images 3D. Mais on sait moins comment fonctionne ce système de communication subaquatique. A quoi sert-il exactement ? Plusieurs études viennent lever le voile sur les exploits sonores des baleines à fanons (voir "Faits et chiffres") et sur la phénoménale puissance vocale de ces grands mammifères marins.
FAITS & CHIFFRES :
L'ordre des cétacés se divise en deux sous-ordres : les mysticètes (baleines à fanons) et les odontocètes (baleines à dents).
Il y a 12 espèces de mysticètes : 4 baleines franches, 6 rorquals et une baleine grise. La baleine bleue appartient aux mysticètes. Avec 33 m de longueur et 190 t maximum, c'est le plus grand de tous les animaux ayant existé sur notre planète.
Les odontocètes regroupent 33 espèces de dauphins vrais, 2 dauphins blancs, 6 marsouins, 3 cachalots, 5 dauphins d'eau douce, 19 baleines à bec.
Si les 80 espèces de cétacés officiellement recensées produisent toutes ces émissions acoustiques dans une très large bande de fréquence. les scientifiques réservent le verbe "chanter" à la seule baleine à bosse. |
Premier expert à se frotter les mains : le Dr Christopher W. Clark, chef du Programme de recherche bioacoustique à l'université Cornell. Grâce au tentaculaire réseau Sosus (Sound Surveillance System), un régiment d'hydrophones installés durant la guerre froide dans l'Atlantique et le Pacifique par l'US Navy pour espionner le déplacement des sous-marins et des navires de surface affrétés par le bloc soviétique, lui et son équipe ont pu dépouiller des milliers d'heures d'enregistrement ciblant les baleines bleues dans l'Atlantique nord. Et mis au jour un phénomène dont l'ampleur était insoupçonnée. Rendues publiques en février 2005 à la réunion annuelle de l'American Association for the Advancement of Science à Washington, leurs conclusions révèlent que les baleines "communiquent entre elles sur de très grandes distances". Ce n'est pas peu dire : les relevés prouvent qu'un spécimen de Terre-Neuve est capable de se faire entendre 5/5 par un collègue localisé dans... les eaux des Bermudes. À des milliers de kilomètres au sud ! En rouge, le trajet suivi par une baleine bleue, reconstitué à partir de l'enregistrement de ses signaux acoustiques durant 43 jours, au moyen d'hydrophones.
DES AUTOROUTES SONORES
C'est donc à l'échelle d'un bassin océanique que le système de communication des baleines doit désonnais être envisagé. Mieux : pour Michel André, directeur du Laboratoire d'applications bioacoustiques de l'université Polytechnique de Catalogne, il n'existe pas de limites à la propagation de ces ondes sonores. Les seuls obstacles physiques pouvant bloquer leur course sont les continents. "Une impulsion acoustique produite par un cétacé peut en théorie parvenir à un destinataire situé à 10.000 kilomètres !"
Certes, le son se propage plus vite dans l'eau : à environ 1500 m/s, contre 340 m seulement dans l'air. Mais ce "détail technique" ne suffit pas à expliquer l'exploit du chant des baleines. Celui-ci profite d'une autre propriété du milieu marin pour avaler les kilomètres : la présence, dans toutes les mers, de "tunnels" mis en évidence par le physicien américain Maurice Ewing durant la Seconde Guerre mondiale. Situées, selon la latitude, entre quelques centaines de mètres et 1200 m de fond, ces "tranches d'eau" ont la particularité de bien guider les ondes. C'est la différence de densité des masses d'eau océaniques qui fait de ces canaux de véritables autoroutes sonores. Mais seuls les sons de basse fréquence peuvent les emprunter : les baleines sont donc les seuls usagers à grande échelle de ces canaux. Ainsi, une "bleue" des Açores peut converser avec un spécimen de la même espèce immergé dans le golfe du Mexique. Pour communiquer sur de telles distances, les baleines auraient-elles des choses importantes à se dire ? Pour le savoir, Ryuji Suzuki, physicien rattaché au Howard Hughes Medical Institute et au MIT, a réalisé en mars 2006 l'analyse mathématique, via des outils empruntés à la théorie de l'information, du chant de baleines à bosse mâles croisant au large des côtes hawaïennes. Or, après avoir élaboré un programme informatique pour décortiquer 16 enregistrements, réalisés entre 1976 et 1978, le chercheur a vérifié expérimentalement que les roucoulades de ces "Sinatra des grands fonds" n'ont rien de mécanique et sont même parmi les plus complexes du règne animal.
UNE GRAMMAIRE ÉLABORÉE
Après avoir découpé ces signaux acoustiques en centaines de séquences élémentaires et affecté un symbole à chacune de ces unités de base, Suznki a en effet constaté qu'aucun dispositif automatique n'est en mesure de reproduire la structure de ces sérénades reposant sur une grammaire élaborée. Rien à voir, donc, entre une baleine à bosse et un limonaire dévidant perpétuellement la même rengaine. Mais prudence ! Aussi sophistiqués que soient ces signaux acoustiques, pas question de les assimiler au langage humain, prévient Suzuki. Car impossible, pour l'heure, de savoir si les variations de structure de ces émissions observées au fil des années correspondent à des changements de sens ou à des évolutions propres à des critères encore inconnus. Autrement dit, ces animaux poussent-ils intentionnellement la chansonnette ?
À CHAQUE BALEINE SON TEMPO ?
S'agissant de la quantité d'informations transmises, le verdict, lui, est tombé : moins de 1 bit par seconde, soit, en moyenne, 130 bits par chant. Un score a priori modeste (dans une conversation humaine, chaque mot comprend en moyenne 10 bits d'information), mais qui ne permet pas d'en déduire la moindre conclusion. Un moulin à paroles peut parfaitement brasser du vent et un locuteur économe de sa salive délivrer des informations capitales. Pour l'heure, le sens des messages échangés entre cétacés reste donc un mystère. Autant que l'on sache, le gros des conversations concerne la sélection de partenaires sexuels à la saison des amours, la localisation des ressources alimentaires et le signalement de prédateurs. Mais plusieurs dizaines de millions d'années d'évolution et d'adaptation au milieu marin incitent à penser que ce système de communication ne se réduit pas à des échanges basiques autour des thèmes de la nourriture et de la reproduction. Et justement, les révélations sur la puissance du chant des baleines ouvrent de nouvelles perspectives pour percer enfin le contenu de ces communications qui mettent en échec les biologistes marins depuis un demi-siècle.
"Nous avons jusqu'à présent commis l'erreur d'étudier les signaux acoustiques tels qu'ils sont émis, 'à la source', dans l'intégralité de leur spectre, et non tels que leurs destinataires les reçoivent, c'est-à-dire dans les basses fréquences, concède Michel André. Or, la pression, la température et la salinité de l'eau déforment en particulier les hautes fréquences. Pour communiquer entre elles à plusieurs milliers de kilomètres de distance, les baleines utilisent donc des basses fréquences."
Où chercher la solution de l'énigme ? Sans doute du côté du seul paramètre à ne pas subir d'altération d'un bout à l'autre d'un océan : le rythme. Autrement dit, chaque baleine posséderait son propre "tempo", reconnaissable entre tous. L'information serait encodée dans une structure rythmique singulière que les autres membres de l'espèce apprendraient à reconnaître, comme Michel André a pu le démontrer chez les cachalots en 2000 : "Chaque cachalot produit des clics à une cadence donnée, comme tout joueur de tam-tam joue de son instrument non de manière aléatoire, mais en élaborant des combinaisons de rythme originales, qui permettent aux autres musiciens de l'identifier". Une hypothèse de travail, s'agissant des baleines à fanons, qui reste à valider expérimentalement. Idem pour les ondes acoustiques qu'utiliseraient ces géantes à la manière d'un sonar. "À l'instar des dauphins et des cachalots, elles semblent émettre des signaux sonores en direction d'une cible, en capter l'écho, et en déduire des informations sur sa forme et sa nature", commente le chercheur. Une écholocalisation qui expliquerait les impressionnants "slaloms" qu'effectuent ces grands animaux entre les montagnes sous-marines éloignées les unes des autres de plusieurs centaines de kilomètres. Ainsi, les baleines, pour naviguer au long cours et arriver à bon port, se situeraient-elles sur le fond des océans en construisant une image mentale de leur environnement.
P.T-V. - SCIENCE & VIE > Août > 2006 |
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