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Surgi des profondeurs du golfe du Mexique, un dauphin glisse vers moi. Trois mètres de long, une masse de muscles sous la peau grise, un rostre capable d'assommer un requin. Mais aucune agressivité. Craignant sans doute que sa grande taille puisse m'effrayer, il se dresse à la verticale, adoptant une attitude typiquement humaine et me gratifie de quelques vocalises, comme s'il m'adressait la parole. Son petit oil noisette m'épie, mais je sais que c'est à son ouïe qu'il se fie pour m'observer, "scannant" de bas en haut mon front, ma poitrine et mon ventre de fines piqûres ultrasoniques. Que cherche-t-il à me dire ? Que me veut-il ? Une rencontre avec un dauphin est toujours un moment intense, mais frustrant : comment établir vraiment le contact ? PROTÉGÉS DES DIEUX CHEZ LES GRECS Depuis des siècles, les hommes rêvent d'ouvrir le dialogue avec ces créatures apparentées aux dieux, à tel point que les anciens Grecs punissaient de mort ceux qui tuaient ces protégés d'Apollon. Car les cétacés ne sont pas des animaux comme les autres. Les observer en liberté a depuis longtemps fait comprendre que ces êtres, dotés d'un cerveau complexe et d'une vie sociale sophistiquée, devaient logiquement disposer de moyens tout aussi sophistiqués pour communiquer entre eux. Explorer le langage des dauphins, c'est l'aventure dans laquelle se sont lancées, à partir des années soixante, des équipes de scientifiques... et de militaires. Quarante ans après, certains chercheurs n'hésitent pas à annoncer le véritable contact entre hommes et dauphins avant la fin de cette décennie. DES DÉCOUVERTES CLASSÉES TOP SECRET Étrangement, l'US Navy, qui, depuis la mort assez mystérieuse du Dr Batteau, finance aujourd'hui les recherches de Louis Herman, a toujours feint de n'accorder que peu de valeur à ces expériences... mais n'a jamais voulu en publier les résultats, classés Top Secret. LES JEUNES MÂLES SONT INSÉPARABLES Avant dix ans, affirment-ils, les deux espèces seront capables de dialoguer librement. élémentaire, mon cher dauphin ? Pas si simple. Comment rendre le "delphinien" entièrement accessible aux humains ? Il est conçu pour le monde aquatique, où le son circule cinq fois plus vite que sur la terre ferme, et l'oreille des dauphins est d'une finesse incomparable à celle des hommes. En outre, tenter d'apprendre le "delphinien" en mettant en parallèle les sons émis et les comportements, peut amener à des analyses trop simplistes. Si nombre d'attitudes - menaces, appels, colères, parades amoureuses - s'accompagnent bien évidemment de sons de natures diverses, tout est excessivement difficile à interpréter, faute, comme le rappelle le Dr Bel'kovich à propos de la langue des bélougas, d'une grille d'analyse suffisamment large. Enfin, il ne faut pas oublier que ces espèces marines vivent au sein d'un monde mental infiniment différent du nôtre, même s'il est en même temps fort proche sur le plan émotionnel ou social. Ce qui amène à aborder les aspects psychiques. Le "soi", le "centre de la personne", comme le rappelait à ce propos le neurologue Harry J. Jerison, est sans doute construit de façon plus fluide chez le dauphin que chez l'homme. Une mise à l'unisson de deux, trois, ou cinq individus (les "gangs" de jeunes mâles associés pour la vie) ou même de plusieurs centaines de dauphins chassant ensemble pour former une "ligne de front" s'étendant sur des kilomètres, n'a pas d'équivalent chez les humains et suppose un fonctionnement mental totalement différent. UN ÉGO À GÉOMÉTRIE VARIABLE Cette vision commune, qui peut faire croire à de la télépathie, n'est pas sans conséquence sur le contenu mental de chaque dauphin du groupe. Ceci explique sans doute leur fidélité "jusqu'à la mort" quand il s'agit de suivre un compagnon qui s'échoue.
Les dauphins se reconnaissent en s'annonçant par un cri propre à chaque individu. C'est ce qu'a montré Vincent Janik, de l'université de St Andrews, en Ecosse. Résultat : ils se retournent lorsqu'il entendent la version synthétisée d'un sifflement émis par un proche. Même lorsque l'intonation a été retirée ! Preuve qu'ils reconnaissent une signature, une sorte de prénom.
Après avoir capturé des grands dauphins dans la baie-de-Sarasota, au large de la Floride, enregistré et synthétisé leurs sifflements en isolant la modulation de fréquence, les expérimentateurs ont diffusé ces enregistrements et constaté que les dauphins y répondaient, comme s'ils entendaient un sifflement correspondant au nom d'un membre de leur famille. "J'avoue ne pas partager tout à fait les conclusions de cette collègue, commente Michel André. La théorie d'un 'signal signature' que ces espèces utifiseraient date des années 60, mais elle n'a jamais été démontrée. Les expériences que reprend cet article montreraient que les dauphins 'reconnaissent' certains signaux au travers de leurs composantes fréquentielles. Rien de vraiment nouveau au vu de leur extrême capacité à reproduire exactement des signaux produits artificiellement ou par d'autres animaux. Mais de là à leur attribuer le concept de 'nom', il y a un monde. D'autant que si toute communication passe par l'identification de l'interlocuteur, le concept anthropomorphique de nom réduirait ces espèces à 'prononcer leurs noms' à tout bout de champ. De plus, la distorsion subie par le signal lors de sa propagation fimiterait l'identification de ce nom à courte distance". L'interprétation que propose Laela Sayigh demande donc à être vérifiée par d'autres expériences. Le débat reste ouvert...
Les dauphins du delphinarium de Port-Saint-Père (Loire-Atlantique) émettent la nuit des sons similaires à ceux de la baleine à bosse. D'où leur vient cette imitation d'un animal que ces animaux nés en captivité n'ont jamais rencontré ? De l'enregistrement sonore qui accompagne leur spectacle dans la journée, avance Martine Hausberger, de l'université Rennes-I.
Mais on était loin de se douter que cette signature vocale est aussi un moyen de se faire appeler. Deux biologistes de l'université de Saint-Andrews au Royaume-Uni, Stephanie King et Vincent Janik, ont enregistré les signatures vocales de 200 grands dauphins sauvages vivant au large de la côte est de l'Écosse. Puis ils leur ont retransmis chaque signature en modifiant légèrement l'enregistrement pour faire croire qu'elle était émise par un autre cétacé. Résultat : les dauphins ont répondu à leur signature en sifflant à plusieurs reprises, montrant qu'ils reconnaissaient leur "nom" à l'appel d'un ami. Les chercheurs pensent donc qu'ils peuvent non seulement apprendre à émettre d'autres sons, mais aussi à s'appeler les uns les autres par leur nom. Ce qui, en dehors de l'homnme, est unique dans le monde animal. Mieux encore : selon un autre biologiste de l'université de Chicago aux États-Unis, Jason Bruck, qui a étudié des dauphins captifs cette fois, les cétacés peuvent non seulement retenir la signature vocale d'un de leurs congénères, mais ils sont aussi capables de s'en rappeler après plus de 20 ans passés sans se voir. Sacrée mémoire !
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De même que nous nous appelons par nos noms et prénoms, les dauphins se reconnaîtraient entre eux en annonçant leur identité par un cri. Telle est la thèse défendue par la chercheuse américaine Laela Sayigh, du département de biologie marine de l'université de Caroline du Nord.