Monde ANIMAL - Eucaryotes - Vertébrés, Tetrapoda, Mammalia
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Langage des Chimpanzés (Pan troglodytes)

Les Vocalises du Chimpanzé

E.D. - POUR LA SCIENCE N°538 > Août > 2022

Et en plus ils Parlent

Au Centre de recherche sur le langage d'Atlanta et à l'Institut de communication entre les humains et les chimpanzés de l'université de Washington, aux États-Unis, les chercheurs sont entrés en relation avec les primates pensants. Ils comprennent l'anglais, ils répondent grâce à un ordinateur et pratiquent le langage des signes. Que se disent-ils? Que nous disent-ils ? Jonas est allé les écouter.

À l'Université de Géorgie, à la périphérie d'Atlanta aux États-Unis, Kanzi est un étudiant averti. à l'âge de 21 ans, ce mâle bonobo, né en captivité, peut allumer un feu avec un briquet et également préparer à manger à l'aide d'une casserole. Il la remplit d'eau, ferme le robinet, la pose sur le gaz et, à l'aide d'une cuillère, remue la purée en train de chauffer. Il comprend aussi parfaitement l'anglais. Il ne lit pas sur les lèvres. Il saisit vraiment le sens des phrases, même lorsqu'on lui parle le visage dissimulé par un masque ou par l'intermédiaire d'un téléphone. Kanzi ne peut répondre directement. Il n'a pas la capacité de parler car, comme tous les singes, il n'est pas doué de parole. Mais il s'exprime par l'intermédiaire d'un ordinateur composé d'un clavier de 250 vocables. "Semblables à des idéogrammes chinois, ces symboles désignent des objets, des adjectifs, des verbes, des concepts", m'explique le docteur Sue Savage-Rumbaugh, directrice du centre de recherche sur le langage de l'université de Géorgie, à Atlanta, aux États-Unis. En appuyant sur les touches, les mots anglais sont énoncés par une voix synthétique qui formule les réponses du bonobo. Kanzi dit ainsi : "Moi gentil !", "Viens câlin", "Je veux livres, tout de suite", "Va-t'en, je ne veux pas te voir". Il saisit la signification des verbes, les adapte selon les situations et les combine avec des adverbes. Il emploie par exemple "ouvrir vite" tant pour réclamer l'ouverture rapide d'une porte que celle d'une valise ou d'un placard. Il est aussi capable de mentir, d'éprouver de l'embarras, de la honte, du plaisir, de faire preuve d'humour ou au contraire de tristesse. Il peut aussi exprimer ses pensées en dessinant, à l'aide d'une craie sur le sol du laboratoire, les symboles du lexigramme qui traduisent ses réflexions. Il les a mémorisés et s'en sert pour communiquer. Il écrit. Sans que personne le lui ait enseigné. Que dit-il ? En ce moment, il est assis par terre et il inscrit des arasbesques sur le plancher : "Ouvre la porte", "Donne-moi à manger", "Je veux aller me promener près de la grosse pierre au fond du jardin". Je suis fascinée. Et lorsqu'il commande au téléphone des M&M's, sa friandise favorite, et sourit ensuite lorsque deux heures plus tard, son interlocuteur arrive avec son cadeau, je suis interloquée. Comment est-ce possible ? Comment les singes peuvent-ils faire preuve d'autant d'intelligence ?

"Né en 1980 d'une mère non éduquée, Kanzi le bonobo a été en réalité élevé par Matata, une femelle dominante qui s'est entichée de lui dès sa naissance, m'explique le docteur Sue Savage. Peu douée pour les langues, Matata n'était pas une bonne elève. Et c'est par hasard que je me suis aperçue que le jeune et espiègle Kanzi, toujours présent lors des séances d'expérimentation, avait appris seul la signification d'une dizaine de symboles et qu'il comprenait les mots anglais que ces symboles désignaient. Je me suis rendu compte que l'essentiel pour que les bonobos acquièrent le langage, c'était de ne surtout pas le leur apprendre. Il faut simplement parler en leur présence et l'aptitude vient naturellement".
Depuis, Kanzi s'est révelé être un véritable surdoué. Il est capable de comprendre 500 mots d'anglais, agencés en phrases structurées (sujet-verbe-complément). Entendez bien ! Il a assimilé nombre de subtilités de cette langue. Un exemple entre mille : lorsqu'un ballon se trouve dans la pièce dans laquelle on lui parle, il saisit la différence entre, "Prends le ballon, va dehors" et "Va dehors, prends le ballon". Dans le second cas, il sort alors pour se saisir d'une balle dans le jardin, laissant celle qui est à sa portée à l'intérieur de la maison.
"De quoi bouleverser les théories des linguistes persuadés qu'il existait jusqu'alors une structure du langage uniquement au sein de notre espèce, dit le docteur Sue Savage-Rumbaugh. Si les grands singes sont incapables de parler comme nous le faisons, ils comprennent ce mode de communication parce que leur cerveau y est adapté". En plongeant les bonobos dans un milieu culturel humain et en étudiant leur développement, les scientifiques cherchent en fait à comprendre le rôle de la culture dans l'évolution de l'espèce humaine et comment les progrès se sont opérés. Par exemple, c'est en voyant Kanzi tailler spontanément des pierres en les frappant l'une contre l'autre que Sue Savage et ses collègues ont compris. Kanzi a ainsi obtenu des éclats effilés comme des rasoirs pour couper une corde nouée autour d'une boîte de friandises : en structurant leur cerveau, l'apprentissage du langage a développé chez les singes, au fil du temps, une aptitude plus grande à se servir de leurs mains.

Le bien et le mal selon Panbanisha
Un jour, lors d'une promenade dans les bois, Panbanisha, la sour de Kanzi, se dirige vers un berger allemand et le malmène. Sue, l'une de ses prof de langage, l'interpelle alors en la traitant de "vilaine". L'intéressée regarde d'abord ailleurs en faisant la moue puis s'approche de l'ordinateur portable et appuie sur la touche "Good", signifiant "non, je suis gentille". Sue insiste et rétorque : "Non". Panbanisha appuie à nouveau sur "Good". Sur quoi la chercheuse lui demande de s'excuser auprès de la chienne, ce qu'elle finit par faire en allant caresser l'animal.

D'autres primates ont été initiés à la communication avec les hommes, notamment par le biais de l'Ameslan, l'American Sign Language, le langage gestuel des sourds-muets américains. Allan et Beatrix Gardner et le psychologue Roger Fouts ont rendu célèbre la femelle chimpanzé Washoe, capturée en Afrique et destinée à l'origine aux expériences menées par la NASA pour préparer les voyages dans l'espace. Depuis 30 ans, Roger Fouts, fondateur de l'Institut de communication entre les humains et les chimpanzés de l'université de Washington, communique avec celle qu'il considère comme une véritable amie. Elle prend l'initiative de la conversation : "S'il te plaît, donne-moi cette fumée chaude", signe-t-elle en Ameslan pour réclamer une cigarette.

Bouillon de culture
Washoe adore feuilleter les livres. Extrait d'une conversation avec Deborah Fouts :
- Washoe : Encore livre.
(Deborah rapporte deux catalogues, l'un de vêtements d'hommes, l'autre de meubles).
- Deborah en anglais : Lequel veux-tu ? Washoe répond en langage des signes :
Livre garçon.
(Deborah lui donne le catalogue pour hommes. Washoe le feuillette un moment puis le repose.)
- Washoe : Livre fille va chercher. (Deborah cherche, mais ne trouve pas de catalogue de mode féminine.)
- Deborah en Ameslan : Je ne trouve pas livre fille.
- Washoe : Livre viande.
Deborah revient avec le catalogue d'un traiteur dont Washoe contemple les images avec fascination.

Être ou ne pas être
Washoe est en face d'un miroir, on lui demande :
- Qui est-ce ?
- Moi. Moi, Washoe.
On lui montre alors la photo d'un chimpanzé inconnu :
- Qui est-ce ?
- Sale bête noire, chat noir, chat noir.

Lorsqu'elle était enceinte et que Roger Fouts lui demandait : "Qu'y a-t-il dans ton ventre ?", elle lui répondait sans hésiter : "Bébé, bébé". "Lorsque Kat, une bénévole venue travailler quotidiennement avec Washoe tomba enceinte, raconte Roger Fouts, la guenon était fascinée. Elle adorait lui toucher le ventre en lui demandant des nouvelles de son bébé". Malheureusement, Kat fit une fausse couche et resta plusieurs jours sans venir au labo. Quand elle revint, Washoe l'accueillit joyeusement en se jettant dans ses bras, puis elle se détourna pour bien lui faire comprendre qu'elle lui en voulait de son absence. Sachant qu'à 17 ans, Washoe avait perdu deux petits, Kat décida de lui révéler la vérité.
"Mon bébé est mort", lui dit-elle en langage des signes. Les bras de Whashoe, croisés sur la poitrine comme si elle portait un enfant - ce qui signifie bebé en Ameslan - retombèrent. Elle avait compris. Elle baissa la tête puis elle regarda Kat dans les yeux et signa "pleurer" en touchant sa joue juste sous l'oil. Le soir même, au moment de son départ, Washoe voulut la retenir en signant "Câlin, s'il te plaît"... "Les singes ont conscience de la mort et peuvent être déprimés lorsqu'ils y sont confrontés, ajoute Roger Fouts. Face à un jeune singe qui refusait d'avaler son repas, je lui ai demandé de penser aux pauvres chimpanzés qui n'avaient pas assez à manger en Afrique. Et cela a marché. Exactement comme cela peut fonctionner pour un bébé humain".
Le jour où la guenon, élevée pendant des années à l'écart de ses congénères, les découvrit pour la première fois, elle les désigna comme "de sales bestioles noires", incapable de s'identifier à eux. Mais la grande découverte de Roger Fouts fut de s'apercevoir que tous les chimpanzés de l'Institut continuent de parler entre eux en Ameslan en dehors de la présence des homme ? Washoe a ainsi enseigné à son fils adoptif, Loulis, que les autres chimpanzés appelaient "Joli Garçon", le langage des signes. Les premiers mots qu'elle signa à son intention furent "Venir embrasser. Vite".

Ils nous ouvrent la porte de leur monde

Les chercheurs ont ainsi enregistré 612 conversations sans présence ni intervention humaine avec des dialogues allant jusqu'à 29 échanges consécutifs. "Une preuve décisive de l'aptitude naturelle des singes à parler, dit Roger Fouts, balayant les critiques de ceux qui soutiennent que les primates exécutent des signes sous l'impulsion d'un réflexe conditionné, devant la nourriture par exemple, et qu'il serait plus juste de parler de dressage que d'intelligence. Il faut se rendre à l'évidence : non seulement les singes se parlent entre eux mais lors de leurs échanges, ils manient le passé, le présent et l'avenir. Ils ont intégré la notion du temps"... Que se disent-ils ? "Ils s'interrogent sur leurs actions (Où vas-tu ?, Que fais-tu ?), s'inquiètent de l'heure des repas ("L'heure de manger ? - Non. Pas encore. Plus tard". "Boire quoi ? Lait ? Jus de fruits ?"), imaginent des jeux ("Poursuivre, moi ?" ; "Viens chatouille" ; "Jouer colin-maillard"), s'interpellent ("Où sont les livres ?" ; "Donne-moi boire" ; "Non, va-t'en" ; "Je veux ta glace" ; "Donne-moi ta couverture"), manifestent leur affection ("Viens m'épouiller" ; "Embrasse-moi, je t'aime" ; "Viens dans mes bras, bon" ; "Amie gentille").

Plus passionnant encore, ils se parlent souvent à eux-mêmes, signant dans l'air leurs rêveries intérieures. Ainsi, un enregistrement vidéo montre Washoe installée sur un arbre se "parler" à elle-même en signant "Tranquille" ; "Loulis, où est Loulis ?" ; "Fleur, je veux une fleur. Belle, sent bon". Comme les autres grands singes à qui l'on a enseigné l'usage d'un langage symbolique, Washoe a su, de son propre chef, inventer de nouveaux mots : "Pomme qui est orange" pour une orange dont elle ignorait le nom, "eau-oiseau" pour décrire un cygne, "eau-écouter" pour l'eau pétillante ; "métal-chaud" pour un briquet, "fruit-boire", pour un melon, "nourriture-pleurer-faire mal" pour un radis.
Et l'on est bouleversé de voir ces animaux nous ouvrir la porte de leur monde, exprimer leurs émotions, inventer leur langage et le transmettre à leur descendance. De telles expériences remettent obligatoirement en question nos rapports avec eux et l'avenir que nous leur réservons. Il y avait cinq millions de chimpanzés au début du siècle.
Depuis, leur population a été décimée tandis que les hommes détruisaient les forêts qui constituent leur habitat. Ils sont chassés pour leur viande et, dans les labos, on leur inocule le virus du sida, de l'hépatite C, de la grippe. Aujourd'hui, il n'en reste plus que 175.000. "Le jour où l'on acceptera enfin qu'il existe une pensée sans paroles chez les animaux, nous éprouverons un grand malaise à les avoir humiliés et considérés aussi longtemps comme des êtres sans émotion, sans intelligence et sans droits", dit l'éthologue Boris Cyrulnik. Ce jour-là, peut-être changerons nous d'attitude à leur égard.

K.-L.M. - JONAS > Septembre > 2001

Le Chimpanzé possède les Bases du Langage

Lorsqu'il communique, des structures similaires à celles de l'homme s'activent dans son cortex cérébral, notamment une région homologue à notre aire de Broca, l'aire de production des mots parlés.

Cette découverte réalisée grâce à l'imagerie médicale par des primatologues américains suggère que les bases neurobiologiques du langage étaient présentes chez les ancêtres communs de l'homme et du chimpanzé, il y a 10 millions d'années.

Em.H. - SCIENCE & VIE > Mai > 2008
 

   
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