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Les Gorilles du Gabon (Gorilla beringei)

Des Gorilles au plus près des Forestiers

Pour la première fois, une expédition scientifique soutenue par "Sciences et Avenir" a suivi des gorilles qui prospèrent an cour d'une concession "durable" au Gabon. Un espoir pour les primates ?

Ces gorilles des plaines de l'Ouest vivant dans la concession de la CEB (->), au Gabon, ont été repérés lors de l'expédition scientifique soutenue par S.et A. en avril 2008.

Treize nids de gorilles, encore tout chauds, au bord d'une piste fréquentée par des camions grumiers de 30 tonnes ! Mètre en main pour mesurer l'envergure de ces entrelacs de feuilles, le primatologue espagnol de l'université de Barcelone Alex Barroso Pujol n'en revient pas. Il est venu vérifier la présence de ces primates dans une forêt gabonaise. C'est la première fois qu'un scientifique découvre une colonie installée si près des activités humaines. "Apparemment, les grands singes ne sont guère incommodés par le passage des bûcherons, ni par le bruit des camions", s'étonne-t-il, enthousiaste. Au contraire, les gorilles semblent privilégier ces trouées artificielles.
Lors de cette expédition menée en avril 2008, et soutenue dès sa conception par Sciences et Avenir, Alex Barroso Pujol tente une explication de cette observation inédite : "L'ouverture des pistes permet à la lumière d'arriver au sol. Et cela favorise la pousse des buissons de marantacées (<-), des herbacées dont les gorilles raffolent pour se nourir et se construire de confortables matelas pour la nuit". La découvelte est d'autant plus exceptionnelle que nous sommes au cour d'une concession de la Compagnie équatoriale des bois (CEB), soit 600.000 hectares de forêt dense, humide et tropicale, exploitée par les forestiers à 20 kilomètres de Lastourville (voir carte). Alex Barroso Pujol ne cache pas sa joie d'avoir atteint son but après des semaines de doute : trouver des colonies de grands singes là où on les attend le moins !

Accompagné de pisteurs gabonais, le chercheur s'est donné 2 mois pour suivre des gorilles à la trace (->) à travers une forêt tropicale infestée de fourmis et d'abeilles de printemps. Relevant leurs empreintes, collectant leurs excréments, notant les plantes mâchonnées, les écorces des fruits engloutis. Pour cette première mission au Gabon, il a choisi d'explorer trois zones au centre de la concession, allant de 4000 à 8000 ha. Bien que leur exploitation soit terminée depuis près de dix ans, elles sont quotidiennement sillonnées par les camions grumiers et les bûcherons, sous le contrôle de gardes-barrières. Toutes ont été sélectionnées après que des forestiers ont attesté y avoir vu des gorilles.

Au cours de sa mission sur le terrain, le primatologue doit estimer le nombre d'animaux potentiels, pratiquer des coupes botaniques transversales, identifier les lieux favorables aux primates, évaluer s'il sera facile de les observer et même évaluer s'ils se montreront tolérants à ces incursions humaines. Puis l'expédition s'est mise en route pour des semaines de recherches indécises. Traces, cris, indices laissés au sol... Tout est passé au crible. La progression en forêt s'avère pénible et fastidieuse. Il faut ouvrir les chemins à coups de sécateurs. Pas de machettes, jugées trop bruyantes à cause du sifflement et de l'impact des coups portés. Après 10 jours de marche et de campements, enfin un espoir : le premier contact visuel est établi dans la pénombre avec quelques individus aux dos argentés. Le chercheur et les pisteurs ne vont plus lâcher leur filature. Pendant plusieurs jours, ils suivent le groupe pas à pas avant de s'apercevoir qu'il s'agit de chimpanzés et non de gorilles. Tout est à recommencer...
Un matin, vers 6 h 30, on entend le "cloc-cloc" caractéristique du gorille juvénile qui se frappe la poitrine. Patience. Chacun retient son souffle. Comme souvent, ce martèlement, signe de courage et d'inquiétude, précède la traversée de la piste d'exploitation. Soudain, un arbre fruitier se met à trembler, une tête rousse puis six sortent des feuilles pour nous observer avec curiosité. Le contact est établi ! Le mâle dominant, lui, reste invisible. Il se tient sans doute à l'écart, pour surveiller les intrus et protéger ainsi son harem et sa cohorte de juvéniles. Mais pour Alex Barroso Pujol, le succès est à la hauteur des espérances, car cette première rencontre en annoncera une quarantaine d'autres. Les contacts ne sont pas toujours faciles pour autant. Dans 20 % des cas, les gorilles snobent leurs visiteurs. Dans 30 % des cas, ils se montrent curieux, observateurs et ne manifestent aucune agressivité. "Mais la moitié du temps, ils ont peur, crient et s'enfuient, ce qui laisse supposer qu'ils ont déjà eu un mauvais contact avec l'homme", note Alex Barroso Pujol. Peut-être avec ces braconniers, dont l'équipe scientifique a trouvé deux campements ? Pourtant, la viande de gorille n'est pas très prisée dans la région, où l'on consomme plutôt de plus petits singes comme les colobes et les cercopithèques.

Au final, sur deux mois et sur 16.000 ha, la mission a croisé régulièrement quatre groupes d'une dizaine de gorilles - certains ornés de flamboyantes crêtes rouges. 300 nids ont été recensés, un ensemble en comportant jusqu'à 22, à 700 m d'une piste principale très bruyante ! Seule une analyse génétique des poils d'animaux ramassés à cet effet pourra préciser dans les mois à venir le nombre d'individus et leurs liens de parenté. Les gorilles pourraient curieusement être aussi nombreux que dans les zones vierges de la concession, où le WWF, le Fonds mondial pour la nature, a réalisé des études préalables à l'aménagement de la CEB, il y a une dizaine d'années. Il faudrait y retourner pour un nouveau décompte.
Autre satisfaction pour Alex Barosso Pujol : les animaux observés semblent en bon état sanitaire, au vu notamment de leur fécondité. "Après 10 années d'exploitation, une concession avec une bonne gestion peut accueillir des populations de gorilles avec des familles stables et bien constituées", conclut-il, optimiste, dans son rapport. Il pense à un écotourisme futur : "L'observation des animaux est grandement favorisée par l'accessibilité aux différentes zones grâce aux pistes. Les gorilles des zones étudiées ne montrent pas de signes d'arversion envers les nécessités du travail forestier comme les camions ou le débardage". Afin de préserver ces populations, le chercheur recommande cependant un contrôle accru du transit des véhicules pour faire barrage au transport illégal de viande de brousse et la fermeture des pistes non utilisées.
Il plaide surtout pour que les études se poursuivent en s'étendant à l'ensemble de la concession de la CEB, et en se préoccupant des autres espèces, d'améliorer la gestion de la faune. Les Américains l'ont bien compris qui ont déjà pris pied sur place : ils poursuivent un programme sur la communication chez les éléphants avec le concours - et les importants moyens financiers - de la World Conservation Society (WCS) et du magazine National Geographic. Espérons que les universités et les instances européennes poursuivront cette étude inédite sur les gorilles et financeront l'expérience : "Car on ne peut multiplier les zones protégées à l'infini. C'est ici, aussi, que se joue l'avenir de cette espèce en danger critique d'extinction".

Texte et photos de Max Hurdebourcq, envoyé spécial au Gabon, avec Rachel Mulot.

SCIENCES ET AVENIR N°743 > Janvier > 2009
 

   
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