Monde  A N I M A L - Eucaryotes - Vertébrés, Tetrapoda, Mammalia (29 ordres, 153 familles, 200 genres, 6495 espèces), MAMMIFÈRES MARINS (134 espèces), Theria, Eutheria, Cetartiodactyla, Cetacea (2 Micro-ordres, 14 familles, 90 espèces)
Céthacés Odontocètes - Dauphins (6 ou 9 familles, 34 genres, 76 espèces)

Techniques de Chasse des Orques (Orcinus orca)
Delphinidae (17 genres, 37 espèces), Orcininés (2 genres, 2 espèces)

Antarctique : En Ligne de Bataille


N.D. et B.G. - NATIONAL GEOGRAPHIC N°290 > Novembre > 2023

Afrique du Sud : La Terreur des Dents de la Mer

A.R. - SCIENCE & VIE JUNIOR N°399 > Décembre > 2022

Le Festin des Orques


P.B. et S.G. - TERRE SAUVAGE N°381 > Octobre > 2020

Orques : Des Chasseuses très Astucieuses

Les orques sont quasi absentes de la littérature occidentale. Ces delphinidés ont beau évoquer des animaux mythiques, nul roman important n'en a fait un personnage à la façon de Moby Dick, le grand cachalot blanc.

Notre image des orques se nourrit de films où elles évoluent dans des parcsaquatiques, nageant en rond à l'infini dans des bassins minuscules ou exécutant des sauts pour nous divertir. Une vie étriquée qui, selon certains, leur cause de graves traumatismes psychologiques. C'est d'autant plus navrant qu'en nageant avec des orques en liberté, on ressent ce qu'aucun spectacle ne saura jamais restituer : leur énergie et leur sagacité, leur joie et leur ruse, leur amour de la haute mer, de la chasse et de la vie.
Par une froide journée de janvier, je suis entourée de centaines d'orques (Orcinus orca) noir et blanc. Également appelées épaulards, elles ne sont pas des baleines, mais les plus grands des dauphins. En Norvège, dans les eaux d'Andfjorden, à 320 km au nord du cercle Arctique, leur dos et leur nageoire dorsale brillent dans le crépuscule arctique tandis qu'elles plongent, remontent vers la surface et travaillent en équipe pour rassembler, assommer et dévorer les harengs argentés. Parfois, une orque frappe la surface avec sa queue. Lorsqu'un coup similaire est donné sous l'eau, c'est le glas des harengs, explique Tiu Similä, biologiste spécialiste des cétacés. Précurseur de l'étude des orques en Norvège, elle est experte de leur méthode de chasse dite du "carrousel". La force des coups de queue ne tue pas toujours les harengs, précise-t-elle, mais en étourdit un grand nombre.
Ce que nous voyons à la surface de l'eau ne nous donne qu'un aperçu de ce qui se trame en dessous. Chaque cétacé joue un rôle. C'est comme un ballet, où ils se déplacent de façon très coordonnée, communiquant et décidant de ce qu'il faut faire ensuite. Quoique très nombreux, les harengs ne sont pas faciles à attraper pour les orques. Ils nagent plus vite et forment des bancs défensifs, pareils à des murailles. Les orques ne peuvent pas se jeter dessus et les engloutir avec de l'eau de mer, comme le font les baleines à fanons. Au lieu de cela, elles resserrent les bancs de harengs en groupes compacts qu'elles peuvent diriger. "Les orques doivent empêcher les poissons de plonger, dit Similä. Alors, elles les forcent à remonter vers la surface et les y maintiennent en tournant autour de la boule qu'ils forment". Les orques du groupe plongent tour à tour sous le banc de harengs et l'encerclent, tout en émettant des bulles, en poussant des cris et en montrant brièvement leur ventre blanc pour affoler les poissons. Qui, en réaction, resserrent leurs rangs. Quand ce manège tourne à plein régime, les harengs sautent en surface pour s'échapper. "On dirait que la mer bouillonne", observe Tiu Similä. Lorsque le groupe d'orques contrôle bien les harengs, l'une d'entre elles frappe le flanc du banc de sa queue et... à table !
Les orques que nous observons à Andfjorden ne forment toutefois pas le carrousel habituel. Elles nagent et plongent à l'avant et à l'arrière d'une masse de poissons, mais ne décrivent pas de cercles en des sous, et l'eau ne bouillonne pas. Ce qui ne les empêche pas de festoyer, estime Similä d'après les coups de queue, les corps estourbis ou morts de harengs et les écailles qui flottent dans l'eau telles des pièces d'argent.

Des scientifiques voient dans le carrousel et dans d'autres techniques de chasse l'un des aspects des "cultures" de l'orque. Chaque culture comporte des stratégies adaptées à des proies particulières. En Argentine, les orques se jettent sur le rivage pour s'emparer de bébés otaries. En Antarctique, les membres d'une population d'orques collaborent afin de provoquer de hautes vagues qui vont emporter les phoques postés sur les glaces flottantes. Et les jeunes orques apprennent ces techniques auprès de leurs aînées. Mais on n'a pas signalé d'orques chassant aux côtés de baleines. Il faut dire que les orques n'hésitent pas à s'attaquer à nombre d'entre elles, dont le grand cachalot, la baleine grise, le rorqual commun et la baleine à bosse. C'est bien pourquoi Tiu Similä reste perplexe. D'habitude, les groupes d'orques pêchent seuls à Andfjorden. Mais, aujourd'hui, des baleines à bosse et des rorquals communs nagent au milieu des orques et mangent aussi les harengs. Les orques passent en trombe, rassemblant des harengs. Des baleines à bosse sautent, gueule béante, avalant les poissons avant que les orques ne les tuent. Les rorquals communs montrent leurs nageoires recourbées en reprenant leur souffle, puis replongent vers les profondeurs pour festoyer. "Je n'ai jamais rien vu de tel, avoue la biologiste. Collaborent-ils tous ensemble pour attraper les poissons ?"
Les baleines à bosse utilisent une méthode proche du carrousel. Elles encerclent un banc de poissons (ou de krill), puis émettent des bulles pour forcer les poissons à former une boule. Tin Similä a donc pensé qu'elles coopéraient peut-être avec les orques. Ou que les orques et les baleines se nourrissaient au fur et à mesure de leurs déplacements, se contentant de rassembler un immense banc en un groupe plus dense, puis d'en frapper le flanc pour s'offrir une petite collation avant de poursuivre leur chemin. "Ce procédé réclame plus d'énergie que le carrousel, s'étonne Tiu Similä. Et, comme il y a énormément de harengs ici, la technique du carrousel serait plus probable". Sauf que les orques continuent à filer devant nous, en compagnie des baleines et des rorquals, ne s'arrêtant que de temps à autre pour grignoter.

Les orques appartiennent à la famille des delphinidés - les dauphins marins. Ce sont les cétacés les plus largement répandus. On les trouve dans tous les océans, souvent près des côtes, et sous toutes les latitudes, de l'Arctique à l'Antarctique. Elles conservent pourtant leur mystère. On ignore combien d'espèces et de sous-espèces existent au sein de leur population, estimée à 50.000 individus au moins. Est-ce un nombre rassurant ? Ou les orques sont-elles en danger ? On n'en sait rien. Les comptages ne remontent qu'aux années 1970, et les chercheurs ignorent les effectifs précis pour chaque écotype (population liée à un environnement particulier) connu à ce jour. Ici, dans l'Atlantique Nord, peut-être existe-t-il plusieurs écotypes.
Tin Similä et moi observons des orques spécialisées dans la pêche au hareng. Leur aire de répartition couvre les mers de Norvège et de Barents. En 1990, leur population était estimée à environ 3000 individus. Un millier d'entre eux (appelés "orques norvégiennes" par Similä et ses collègues) suivent les harengs jusque dans les fjords. Mais les harengs affichent des effectifs très variables d'une année sur l'autre, et ils ne vivent pas toute l'année dans les fjords. Où qu'ils aillent, les orques suivent. Au début des années 1960, la surpêche a perturbé ce schéma ; les orques ont disparu des fiords norvégiens. Vingt ans plus tard, les populations de harengs se sont rétablies, et les orques ont regagné les fjords du sud d'Andfjorden. Tiu Similä, native de Finlande, était alors étudiante en troisième cycle et travaillait sur le plancton des lacs du pays. Apprenant que des biologistes suédois entreprenaient des "safaris" d'observation des orques, elle s'est portée volontaire pour travailler sur leurs bateaux. Dès le premier jour, la haute nageoire dorsale d'une orque mâle a transpercé l'eau à côté du canot pneumatique où elle se trouvait. Ce spectacle l'a laissée sans voix... et a relégué le plancton aux oubliettes. Dès le lendemain, elle prenait l'orque comme sujet de thèse. Chaque hiver, pendant 2 décennies suivantes, Tiu Similä a observé les orques chasser le hareng dans les fjords. Avec ses collègues, elle en a photographié autant que possible, a plongé à leurs côtés et filmé les cétacés en train de se nourrir. "À l'époque, on ne savait vraiment rien sur ces orques, rappelle Tiu Similä. On disait aux gens qu'elles étaient nuisibles et dangereuses, qu'elles mangeaient tout notre poisson".
Les pêcheurs tiraient les orques à vue : ils en ont tué 346 entre 1978 et 1981, date de fin des abattages officiels. Nombre de Norvégiens ont continué à voir ces cétacés comme des dévoreurs de harengs jusqu'en 1992, quand une séquence de l'étude réalisée par Similä a été diffusée à la télévision : on y voyait des orques manger délicatement les poissons l'un après l'autre, au lieu d'en engloutir des bancs entiers. Les groupes d'orques dont des membres ont été abattus ou blessés semblent n'avoir jamais oublié. "On voit des cicatrices de balles sur certaines orques, affirme Similä. Il nous était impossible d'approcher ces groupes, et nous ne le pouvons toujours pas. Dès qu'ils entendent un moteur, ils se sauvent. Les groupes d'orques sont dirigés par la matriarche fondatrice. Tiu Similä pense que ces "mères pleines de sagesse" apprennent à leurs petits à éviter les navires de pêche, perpétuant ainsi la mémoire du groupe.

Un jour, nous voyons des orques souffler de l'autre côté du fjord. Nous traversons 3 km de mer en canot à moteur pour gagner un lagon tranquille. Des groupes d'orques jaillissent à proximité. Des petits s'amusent à surfer dans le sillage du bateau. Même si ces orques ne filent pas à travers mer, comme lors de notre premier jour d'observation, elles n'utilisent toujours pas la méthode du carrousel pour se nourrir. Tiu Similä admire la façon dont chaque orque joue un rôle dans la chasse. Elle a vu des adultes guider des juvéniles, et des bébés imiter les coups de queue de leur mère ; elle a vu des groupes effectuer parfois de longs déplacements pour gagner les aires de reproduction des harengs - apparemment pour les observer. Des balises satellite fixées sur des orques ont permis de cartographier plusieurs de ces missions de reconnaissance. "L'une des orques s'est déplacée si loin et si vite, couvrant des centaines de kilomètres en une seule journée, qu'on a pensé qu'un bateau la tractait, se souvient Tiu Similä. Maintenant, je me trouve ridicule d'avoir pu penser cela".
Elle raconte aussi une histoire qui démontre notre méconnaissance quant à ces cétacés. En 1996, l'équipe a repéré un jeune blessé à la colonne vertébrale et à la nageoire dorsale, sans doute à la suite d'un choc avec un bateau. "Nous l'avons baptisé Stumpy (l'estropié). Il ne peut pas chasser, et les autres s'occupent de lui". Au lieu de vivre avec un seul groupe, Stumpy nage avec au moins 5, qui le nourrissent tous. Une fois, Similä a vu deux femelles s'élancer dans les vagues pour apporter chacune un gros hareng à Stumpy. Les autres orques savent qu'il a été blessé par un bateau, pense-t-elle, car elles le tiennent à l'écart des navires. "Stumpy est un mystère pour moi. Je ne sais pas ce qui se passera quand il atteindra la maturité sexuelle. Mais les autres orques savent qu'il a besoin d'aide, et elles lui portent secours. Un groupe d'orques a des liens sociaux si étroits, selon certains chercheurs, que ses membres réagissent aux autres animaux et à leur environnement comme si tout le groupe était guidé par un cerveau unique. Voilà peut-être pourquoi des groupes entiers s'échouent lorsqu'un seul de leurs membres, malade, gagne le rivage. Et pourquoi certains mâles meurent après le décès de leur mère. Ou, aussi, pourquoi tant d'orques aident Stumpy.
Quand on a passé une bonne partie de sa vie auprès d'êtres qui vivent en sociétés fondées sur la coopération, se souviennent de leur passé et prennent soin des plus faibles d'entre eux, on apprend à ne pas s'étonner d'autres talents éventuels. Similä a donc envisagé l'idée que les orques se joignent aux baleines à bosse et aux rorquals communs pour chasser les poissons. Puis elle a changé d'avis. "Non, ils n'ouvrent pas ensemble, me dit-elle au téléphone après mon reportage. Ces baleines à bosse gâchent tout ce que font les orques. À chaque fois que les orques rassemblent une boule de harengs, les baleines à bosse fichent tout en l'air. Les rorquals communs en profitent aussi". Les orques semblent s'en moquer. Elles ne font aucun effort pour échapper à ces profiteurs, les combattre ou les chasser. Cette sérénité s'explique peut-être simplement par l'abondance de harengs à Andfjorden : cet hiver-là, il y en a largement assez pour tout le monde.

Par Virginia Morell ; Photos de Paul Nicklen

NATIONAL GEOGRAPHIC N°190 > Juillet > 2015

Comment Chasse les Orques ?

Les appeler baleines tueuses revient à les sous-estimer.

Les orques épaulards, ou baleines tueuses, ne sont pas plus des baleines (ils sont plus proches des dauphins), que des "tueuses". Il n'existe aucun cas confirmé d'attaque meurtrière sur des humains par des orgues en liberté. Ce sont néanmoins des chasseurs remarquablement intelligents, probablement les deuxièmes après les humains. Les orques nagent à 56 km/h et leur système d'écholocation leur permet de trouver leurs proies dans l'obscurité la plus totale. Toutefois, ce qui en fait des êtres vraiment à part est leur capacité à planifier, improviser et travailler en équipe.
Les orques vivent en groupe familial de cinq à sept individus, mené par la femelle dominante. En liberté, leur espérance de vie peut dépasser 60 ans, mais le taux de mortalité infantile est très élevé : jusqu'à la moitié mourront avant d'atteindre leurs sept mois. La cause principale ? La difficulté à trouver suffisamment de nourriture. Les orques épaulards sont des mammifères et leur métabolisme au sang chaud dépense énormément d'énergie. Un adulte a besoin de 230 kg de nourriture par jour. Pour combler cet appétit, certaines sous-espèces chassent les bancs de poissons en les encerclant par en dessous et en relâchant des bulles pour semer le désordre dans leurs rangs. D'autres ont appris qu'elles pouvaient attraper les requins en les retournant sur le dos afin de déclencher chez eux une transe catatonique. Les orques de la mer arctique chassent les phoques et les morses en les catapultant depuis les glaces flottantes dans l'eau (voir l'encadré Chasse en bande organisée). Ce ne sont pas des conduites purement instinctives ; les orques éduquent leurs jeunes, attrapant et libérant souvent plusieurs fois un phoque pour leur permettre de pratiquer. En 2005, un orque captif apprit à régurgiter un poisson à la surface de l'eau pour attirer des mouettes et ainsi les attraper. Quatre autres orques adoptèrent par la suite cette tactique.

Garder les orques en captivité : une bonne idée ?
Les orques sont fascinants par leur taille formidable et leur apparence. Ils sont également extrêmement intelligents et peuvent être entrainés à faire des sauts spectaculaires et un certain nombre de tours. 42 orques sont actuellement maintenus en captivité dans des aquariums et parcs aquatiques dans le monde. La quasi totalité est née en captivité depuis 1990. La plupart des animaux de zoo ont une espérance de vie plus longue que leurs confrères en liberté, excepté pour les orques. Le manque de compagnie des autres orques et la taille limitée de leur aquarium les mènent à vivre rarement au-delà de 25 ans. L'énorme aileron dorsal du mâle perd pratiquement toute sa rigidité et retombe après quelques années en captivité. Le changement structurel du cartilage est permanent, probablement du à un manque d'exercice ou trop de temps passé à nager à la surface.

COMMENT ÇA MARCHE N°45 > Mars > 2014

Apprentissage chez les Cétacés

Un autre exemple d'apprentissage entre animaux provient des orques vivant à proximité des côtes de l'archipel de Crozet, dans l'océan indien.

Ces derniers possèdent une technique de chasse particulière, connue dans seulement quelques populations de par le monde. Ils capturent leurs proies en s'échouant sur la plage. Cette technique n'est pas sans risque et exige une grande maîtrise de la part de l'épaulard, qui peut mourir s'il ne parvient pas à se remettre à l'eau. "Postés sur le rivage, nous avons pu observer comment deux jeunes du groupe ont acquis cette technique", se souvient Christophe Guinet, spécialiste des mammifères marins à la station biologique de Chizé. "La mère pousse d'abord le petit vers la plage, puis tous les deux s'échouent ensemble, ainsi l'adulte peut aider son petit s'il n'arrive pas à se remettre à l'eau". La fin de l'apprentissage est marquée par la capture du premier éléphant de mer. "Les deux jeunes ont mis respectivement quatre et cinq ans pour y parvenir". Cependant pour Robert Boyd et Johan B. Silk, des observations de ce type sont exceptionnelles : "Aucun primate n'utilise autant l'apprentissage par observation que l'homme", assurent-ils. De fait, chez Homo sapiens, il est relativement aisé de retracer le développement de certaines innovations technologiques au cours du temps à travers leurs améliorations successives. Les chercheurs en paléo-anthropologie sont par exemple capables de reconstituer par séquences successives l'avènement de la marine à moteur, depuis la mise à l'eau d'un tronc d'arbre en passant par son évidage en pirogue, à la pose d'un gouvernail, etc. Les exemples analogues de culture cumulative "linéaire" restent à trouver dans les sociétés animales ! Mais il est vrai que les scientifiques qui s'y intéressent manquent de traces écrites ou d'objets archéologiques qui témoigneraient de cultures anciennes. Et l'éthologie est une science trop jeune pour que des groupes de singes, de baleines ou d'oiseaux aient pu faire l'objet de suivis sur plusieurs générations.

M.L. - SCIENCE & VIE Hors Série > Mars > 2005
 

   
 C.S. - Maréva Inc. © 2000 
 charlyjo@laposte.net