P L A N È T E  G A Ï A 
 
   
   
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Antimatière : la Clé de l'Univers ?

Pour Quelques Positons de Plus

En avril dernier, des physiciens annonçaient avoir repéré dans l'espace un excès d'antimatière. Une première trace de l'insaisissable masse manquante, plus connue sous le nom de matière noire ?

Sur Terre, des phénomènes physiques comme les orages fabriquent de l'antimatière telle qu'en détecte AMS. Sur cette simulation, (1) les rayons gamma dus à l'orage (en rose) percutent les atomes de la haute armosphère (2), et libèrent (3) des électrons (en jaune) et des positons (en vert).

À 400 kilomètres au-dessus de nos têtes, arrimé à la Station spatiale internationale (ISS), le spectromètre magnétique Alpha (AMS) scrute l'espace depuis le 16 mai 2011. Il comptabilise les rayons cosmiques, ces particules - débris de noyaux atomiques - qui ne parviennent pas à franchir l'atmosphère terrestre. Après 18 mois de service et 25 milliards de particules enregistrées, ses premiers résultats, livrés en avril 2013, ont fait l'effet d'une minibombe : non seulement AMS a repéré des particules d'antimatière - ce qui correspondait à son objectif premier - mais en plus, il en a détecte bien plus que la quantité attendue. Cet exces d'antimatière est bien intriguant. Pour beaucoup, il pourrait constituer un indice de la "masse manquante" que l'on cherche depuis plus de 50 ans... AMS serait-il sur le point de résoudre le mystère ? Cette perspective a poussé le responsable de l'expérience, Samuel Ting, prix Nobel 1976 et chercheur au Massachusetts Institute of Technology, à parcourir les colloques pour présenter ces résultats préliminaires avec beaucoup d'enthousiasme.

Pure énergie : Le projet AMS est né au début des années 1990 : Samuel Ting voulait étudier les rayons cosmiques dans l'espoir de dénicher enfin de l'antimatière. Car depuis que le physicien Paul Dirac, prix Nobel en 1933, a formulé l'hypothèse de son existence, indispensable pour bâtir une théorie cohérente de la matière, l'antimatière était introuvable. Si l'on suit le modèle du Big Bang, tout semble indiquer qu'au cours des premières fractions de seconde de son existence, l'Univers contenait autant de matière que d'antimatière. Ainsi, chacune des particules de matière aurait son double d'antimatière. Celui de l'électron s'appelle le positon (positron en anglais) ou anti-Électron : de même masse que son jumeau, il est porteur d'une charge positive là où l'électron a une charge négative. Le proton est, lui, associé à l'antiproton, et ainsi de suite... Dès que grains de matière et d'antimatière se rapprochent, ils se transforment en pure énergie. La particule et son antiparticule "s'annihilent" en rayons gamma. À l'inverse, dans certaines conditions, des rayons gamma "se matérialisent" en une paire particule-antiparticule.
Les hypothèses de Dirac ont été confirmées dès la mise en service des premiers accélérateurs de particules. Mais dans l'Univers d'aujourd'hui, seule la matière semble persister : les astronomes cherchent encore des astres faits entièrement d'antimatière. Malgré cette absence manifeste, des grains d'antimatière peuvent apparaître lors des collisions de très haute énergie, dans les accélérateurs de particules, ou lorsque les rayons cosmiques percutent avec beaucoup d'énergie les noyaux d'hydrogène du milieu interstellaire, au-dessus de nos têtes. C'est précisément là qu'AMS a été placé...

La masse manquante trahie ? Dans son escarcelle, la sonde a donc récupéré 400.000 positons en excès, dans une gamme d'énergies de 0,5 GeV à 350 GeV. "Certains phénomènes stellaires encore incompris peuvent expliquer cet excès d'antimatière", avance Marco Cirelli, chercheur à l'Institut de physique théorique du CEA, à Saclay. Les étoiles denses que sont les pulsars, par exemple, sont des générateurs d'électrons et de positons à haute energie. Mais l'hypothèse comporte trop d'inconnues pour que l'on puisse trancher en sa faveur. Une autre explication pourrait rendre compte de cet excès d'antimatière : la présence de particules encore hypothétiques formant la masse manquante de l'Univers. La masse manquante (appelée aussi matière noire) est une des énigmes les plus tenaces de l'astrophysique, fondée sur une foule d'observations. Au sein des galaxies, par exemple, les étoiles tournent bien plus vite que les calculs le prévoient, et devraient en être éjectées, emportées par la force centrifuge de leur rotation... Pour expliquer pourquoi elles ne quittent pas une à une leur berceau galactioue, les astrophysiciens ont supposé qu'une masse invisible exercait sur elles son attraction gravitationnelle, se rajoutant à celle de la matière visible. Cette masse manquante représenterait 23 % du contenu de l'Univers. Après l'avoir cherchée sans succès, les chercheurs sont aujourd'hui convaincus qu'elle se présente sous forme de particules massives... dont la désintégration produirait ces positons. Une hypothèse très séduisante pour les responsables d'AMS, qui se verraient bien annoncer la fin de la masse manquante. Ils devront s'armer de patience : la mission d'AMS est prévue pour durer aussi longtemps que l'ISS sera en orbite, soit, au bas mot, encore une décennie.

A.KH. - SCIENCES ET AVENIR HS N°176 > Octobre-Novembre > 2013

Pourquoi l'Antimatière a-t-elle Disparu ?

Selon le scénario du Big Bang : c'est parce qu'elle était un chouïa trop faiblarde.

Rappelons que l'antimatière est composée de particules jumelles de celles de la matière, sauf que leurs charges électriques sont opposées (comme le positron + opposé à l'électron -, qui transmet le courant).
En outre, ces particules s'annihilent mutuellement dans une gerbe d'énergie au moindre contact. Produits tous en même temps, dans les premiers instants du Big Bang, les milliards de particules de matière se seraient vus confrontés à autant de particules d'antimatière... moins 1 par milliard ! Du coup, après une phase apocalyptique d'annihilation mutuelle, le surplus de matière survivante a servi de matériau pour façonner notre Univers. Certains chercheurs défendent toujours l'idée que des poches d'antimatière ont pu quand même perdurer après le cataclysme initial. Voire, que cette antimatière aurait des propriétés "antigravitationnelles" au lieu de provoquer la concentration des corps massifs, elle aurait tendance à les repousser. D'où l'idée que l'antimatière pourrait être un ingrédient de la très mystérieuse énergie sombre.

O.F. - SCIENCE & VIE JUNIOR HS N°97 > Décembre > 2012

L'Antimatière Obéit-elle aux Lois de la Physique ?

Grâce à ce piège à particules, les physiciens du CERN cherchent encore à élucider le comportement des antiatomes d'hydrogène face à la force de gravitation.

Bien qu'à chaque particule de matière soit associée une particule d'antimatière, il n'est pas certain qu'elles obéissent de la même façon aux lois de la physique. Pour autant, c'est bien la même physique qui s'applique à elles indifféremment. Pour le dire autrement, matières et antimatières sont soumises aux quatre mêmes interactions fondamentales de la physique : interaction forte, faible, électromagnétique et gravitation. Oui, mais leur comportement n'est identique que pour deux d'entre elles, l'interaction forte, qui maintient la cohésion des noyaux atomiques, et l'interaction électromagnétique, à cette différence près que leur comportement dans un champ électromagnétique est inversé, la charge électrique de chaque particule d'antimatière étant opposée à celle de la particule de matière qui lui est associée (le proton est positif, l'antiproton, négatif). Une inversion qui se manifeste aussi en ce qui concerne le spin (la rotation des particules sur elle-même).

EFFETS DISSYMÉTRIQUES : Il n'en va pas de même avec l'interaction faible, responsable de la désintégration radioactive des particules. Les effets sont ici dissymétriques. En observant des kaons et leurs antiparticules, antikaons, les physiciens ont remarqué que la probabilité qu'un kaon et qu'un antikaon se désintègrent dans un temps donné n'est pas toujours égale. Même chose pour les mésons B. Cette asymétrie matière-antimatière n'est toutefois pas assez considérable pour expliquer pourquoi la matière règne en maître dans l'univers... Ce qui reste un mystère.
Le comportement des particules d'antimatière face à la force de gravitation fait encore l'objet de recherches, la difficulté étant d'étudier des particules d'antimatière électriquement neutres, qui ne subissent que la gravité et non les champs magnétiques qu'on utilise pour les manipuler. C'est l'objectif du projet AEGIS au CERN, qui prévoit d'y parvenir d'ici à 2013. Les chercheurs espèrent voir des antiatomes d'hydrogène subir un effet de répulsion plutôt que d'attraction vis-à-vis de la force gravitationnelle. En attendant, la manipulation d'atomes neutres ne cesse de progresser, comme le montre un autre projet du CERN, Alpha, parvenu en juin dernier à produire et conserver des antiatomes d'hydrogène pendant une quinzaine de minutes.

J.B. - SCIENCE & VIE > Décembre > 2011

L'ISS a Rendez-Vous avec l'Antimatière

Où est passée l'antimatière ? Le modèle standard de la physique est pourtant formel : matière et antimatière devraient se partager l'Univers à parts égales. D'ailleurs, antiélectrons et antiprotons sont presque devenus banals à force d'être fabriqués au Cern, à côté du grand anneau du LHC, près de Genève. Mais, dans l'Univers, elle demeure invisible... mais peut-être plus pour très longtemps !

Le 27 février prochain, en effet, la Station spatiale internationale (ISS) accueillera à son bord le spectromètre magnétique alpha (AMS), un instrument international (16 pays y ont participé) capable de détecter la moindre particule d'antimatière. Equipé de détecteurs similaires à ceux du LHC, il passera au peigne fin le flux de rayons cosmiques en provenance du cosmos dans le but d'y dénicher des anti-noyaux d'hélium. Un espoir de percer, enfin, l'un des mystères de la formation de l'Univers...

M.F. - SCIENCE & VIE > Janvier > 2011

Antimatière : la Clé de l'Univers ?

De quoi est fait l'Univers ? De matière ordinaire et, selon la théorie actuelle, de matière noire et d'énergie noire... dont nul ne sait rien ! Et s'il s'agissait plutôt d'antimatière ? Car elle permet de réécrire l'histoire du cocmos sans déroger à ses lois et, cette fois, sans nulle zone d'ombre. Reste à vérifier qu'elle antigravite bien...

En ce début de XXIè siècle, la cosmologie vit un véritable âge d'or. Le scénario de l'évolution de l'Univers est enfin écrit. A force de calculs, les physisciens sont parvenus à faire tenir dans un modèle dit "standard" toutes les étapes qui conduisent du big bang au cosmos tel qu'il s'offre aux télescopes. De quoi en tirer une légitime fierté, d'autant que les prédictions de ce modèle sont en excellente adéquation avec les observations toujours plus précises des astronomes, qui affinent le portrait des étoiles, des galaxies et autres nébuleuses...
Sauf que ce fabuleux succès théorique cache une double ignorance tout aussi extraordianire. Car le modèle standard de l'Univers "fonctionne" avec 2 inconnues qui pèsent pour 95 % de sa composition ! De fait la matière ordianire (celle dont sont faites les étoiles, les galaxies ou les êtres vivants) ne compte que pour 5 % du total. Quid des 95 % restant ? C'est ici que les choses se compliquent. Pour 25 %, il s'agirait d'une matière que, faute de mieux, les cosmologistes ont qualifiée de "noire" : jamais observée, cette entité s'impose dans les équations du modèle, car elle seule peut rendre compte des phénomènes gravitationnels se produisant aussi bien à l'échelle d'une galaxie qu'à celle de l'Univers tout entier. Quant aux 70 % restants, ils sont constitués d'une énergie tout aussi mystérieuse et nécessaire à lathéorie : baptisée" énergie noire", elle sert, dans le modèle standard, à expliquer l'accélération de l'expansion de l'Univers. En bref : la théorie est capable de tout nous dire de l'histoire de l'Univers, mais elle ignore 95 % de sa nature !

UNE AUTRE VISION DE L'UNIVERS : Parce que le modèle standard est si efficace, la plupart des physiciens s'accommodent de cette situation. Mais pas tous... Ainsi, Gabriel Chardin, directeur du Centre de spectroscopie nucléaire et de spectroscopie de masse, à Orsay, et son étudiant Aurélien Benoit-Lévy viennent-ils de proposer une approche radicale : matière et énergie noires apparaissent des mystères insondables ? Il n'y a qu'à les écarter de la description de l'Univers. Osé ? Oui mais les deux chercheurs ont trouvé comment, tout en respectant les principes de notre Univers, remplacer ces deux énigmatiques composantes. Et leur candidat au rôle-titre n'a rien d'une trouvaille fumeuse. Au contraire, c'est une vieille connaissance des physiciens, qui l'étudient et même la produisent dans leurs accélérateurs de particules : l'antimatière !
L'histoire de l'Univers réécrite par les deux chercheurs ne fait plus appel qu'à elle et, bien sûr, à la matière ordinaire : leur cosmos est composé à parts égales de matière et d'antimatière. Mais pour que l'histoire de ce cosmos "symétrique" rende bien compte de ce que l'on observe, il faut que l'antimatière... "antigravite". Autrement dit, qu'une pomme d'antimatière sur une planète de la même substance s'envole, au lieu de tomber, lorsqu'elle se détache de l'arbre.
Enfin, façon de parler, car dans ce scénario altematif, les particules d'antimatière ne s'effondrent pas sur elles-mêmes sous l'effet de la gravitation, comme le fait la matière pour créer des planètes ou des étoiles, mais se repoussent les unes les autres et forment de vastes régions gazeuses aux côtés des régions de matière qui nous sont familières. Une vision audacieuse. Car comme l'indique Luc Blanchet, à l'Institut d'astrophysique de Paris, "aujourd'hui, il n'y a pas beaucoup de place pour un modèle alternatif au modèle standard avec matière et énergie noires". Et l'attitude la plus consensuelle est de considérer que le plus grand chantier de la cosmologie consiste à donner un visage aux composantes sombres du cosmos. Néanmoins, d'après Bruno Mansoulié, au Service de physique des particules du CEA, "toutes les alternatives sont les bienvenues".
Celle proposée par Gabriel Chardin ne manque pas d'atouts. Son modèle d'un cosmos symétrique est compatible avec plusieurs des tests observationnels essentiels à la validation d'un modèle cosmologique. Et après tout, est-ce si étonnant ? Comme il l'explique, "contrairement à la cosmologie standard, qui introduit deux composantes noires de nature totalement indéterminée, notre approche n'est guidée que par des choses qui existent". De fait, d'après la théorie des particules, jamais mise en défaut en quarante ans d'existence, à chaque particule élémentaire de matière est associée une particule d'antimatière lui ressemblant comme deux gouttes d'eau, si ce n'est que sa chargeélectrique est opposée : ainsi, le positron (ou antiélectron), prédit en 1928 par le physicien britannique Paul Dirac et découvert quatre ans plus tard, a-t-il la même masse et le même spin que l'électron, mais une charge électrique de +1, alors que l'électron a une charge de -1. La théorie est vérifiée chaque jour avec les accélérateurs de particules. On sait aussi que, lorsqu'une particule rencontre son antiparticule, toutes deux s'annihilent, transformant leurmasse en énergie. Certes, aucune observation n'a jamais confirmé la présenced'antimatière dansl'Univers. Mais cette absence - aux yeux des détecteurs - est plus ennuyeuse qu'il y paraît. En effet, la théorie du big bang admet que matière et antimatière ont été créées dans des proportions équivalentes au moment du big bang. Les vastes espaces vides de l'Univers pourraient être occupés par l'antimatière, mais jusqu'ici, les observations (à g., collision entre amas de galaxies ->) ne l'ont pas encore montré.

EXCÈS DE MATIÈRE ORIGINEL : Ainsi, pour justifier l'absence d'antimatière observable, les astrophysiciens imaginent qu'une fraction de seconde après le big bang, matière et antimatière se seraient annihilées, jusqu'à ce que ne subsiste qu'un minuscule reliquat de matière excédentaire. Problème : aucun mécanisme satisfaisant ne peut aujourd'hui expliquer la raison d'être de ce minuscule excès de matière originel. Dans ces conditions, pour Gabriel Chardin, plutôt que de peiner pour expliquer la disparition de l'antimatière et l'étrange reliquat de matière, pourquoi ne pas considérer que l'antimatière est toujours là, quelque part, même si on ne l'a pas encore découverte...
Encore faut-il que l'antimatière antigravite bel et bien. Or, si cette hypothèse apparaît un véritable défi théorique, un élément la justifie : cela permet de répondre à un problème posé aux astrophysiciens depuis la fin des années 1990 et devenu au fil des ans la plus redoutable énigme de la cosmologie. A l'époque, deux équipes internationales indépendantes découvrent que des supernovae (explosions d'étoiles) dites "de type Ia" sont beaucoup plus éloignées de nous que prévu. Seule explication possible : l'expansion de l'Univers, plutôt que de ralentir sous l'effet de la gravitation, semble être entrée dans une phase d'emballement depuis 5 à 6 milliards d'années. Pour en tenir compte dans les équations, le plus simple consiste à ajouter un paramètre correspondant à une forme inconnue d'énergie qui, à l'inverse de la matière, accélère l'expansion. L'énergie noire était née.
Sauf que cette dernière, jamais observée directement, a tout d'un monstre théorique. Sa nature serait si étrange qu'elle exercerait autour d'elle une pression négative (placée dans un ballon, elle aspirerait sa surface !). Et voilà qui rend plausible l'idée que la composantes'opposant à la gravitation dans l'Univers ne serait autre que l'antimatière. Bruno Mansoulié confirme : "C'est très naturel, quasiment la première idée qui vient à l'esprit. Et les ordres de grandeur obtenus dans les calculs faisant appel à l'antimatière sont a priori corrects."
Du reste, avec leur modèle d'univers symétrique, Gabriel Chardin et Antoine Benoit-Lévy parviennent à interpréter les données relatives aux supernovae de type Ia (->). Celles-là même qui avaient conduit les astrophysiciens à se persuader de l'existence de l'énergie noire ! Une belle validation de leur modèle... mais pas la plus marquante. Car, parmi les épreuves imposées à toute théorie cosmologique, il en est une que les rares modèles "à antimatière" esquissés jusqu'ici n'avaientjamais réussie : expliquer les proportions dans lesquelles se sont formés les éléments atomiques légers dans le toutjeune Univers, lors de la nucléosynthèse primordiale.
Dans les années 1990, un groupe de physiciens indiens avait même montré qu'un scénario d'Univers formé d'autant de matière que d'antimatière échoue à prédire les proportions caractéristiques de deutérium, d'hélium-3 et de tritium de l'Univers naissant. En effet, d'après la cosmologie standard, la nucléosynthèse primordiale se produit quelques minutes après le big bang, assez rapidement pour que tout le deutérium (noyau composé d'un proton et d'un neutron) ne se transforme pas en hélium.
Or, comme l'explique Gabriel Chardin, "dans un univers contenant autant de matière que d'antimatière, les équations d'évolution montrent que la nucléosynthèse primordiale commence environ quarante ans après le big bang et dure pendant une période d'environ trente ans, au lieu des trois minutes de l'Univers standard". Avec de telles durées, le deutérium est censé avoir été consommé...

COMPATIBLE AVEC L'OBSERVATION : Fin de la belle hypothèse de Gabriel Chardin ? Non, car Aurélien Benoit-Lévy et lui ont remarqué la chose suivante : dans un Univers comptant autant de matière que d'antimatière, une trentaine d'années après le big bang, un peu d'annihilation entre matière et antimatière se produit encore à la frontière des domaines qu'elles occupent respectivement, ceux-ci n'étant pas encore tout à fait séparés. "Des antiprotons ypercutent des noyaux d'hélium, une réaction qui produit des noyaux de deutérium en quantité suffisante pour être compatible avec ce qui est effectivement observé dans l'univers actuel", s'enthousiasme Gabriel Chardin. Et d'ajouter : "C'est le seul modèle, outre le modèle cosmologique standard, qui soit capable de produire cette donnée." S'il est loin d'être convaincu que Gabriel Chardin est dans le vrai en troquant matière noire et énergie noire contre de l'antimatière antigravitante, Alain Riazuelo, à l'Institut d'astrophysique de Paris, admet : "Un modèle altematif au modèle standard qui engendre une nucléosynthèse primordiale (->) correcte, c'est remarquable."
Au passage, les calculs de nucléosynthèse primordiale effectués par Gabriel Chardin donnent une estimation de la quantité de matière présente dans l'Univers. Elle se révèle 15 fois plus abondante que dans le modèle standard ! Une quantité suffisante pour en faire une candidate de remplacement de la matière noire. Et si on n'en observe pas autant, en pratique... peut-être est-ce seulement parce qu'on ne la voit pas (car elle n'émet pas de lumière), mais pas, comme la matière noire, parce qu'on ignore tout de sa nature.
Troisième et dernière épreuve passée pour le modèle d'Univers à antimatière : ce que les spécialistes appellent le "pic acoustique" du rayonnement fossile. D'après le scénario cosmologique standard, environ 380.000 ans après le big bang, des photons sont émis dans toutes les directions. Encore visibles aujourd'hui, ils constituent le rayonnement fossile. Lequel n'est pas parfaitement homogène : le "pic acoustique" reflète les légères fluctuations dans la répartition de la matière originelle, les grumeaux de la soupe primordiale. Or, dans le scénario standard, la source de ces fluctuations est à rechercher au cours d'un épisode appelé inflation, survenu lorsque l'Univers était âgé de 10-35 seconde, épisode durant lequel sa taille aurait été multipliée par au moins 1026 ! De façon surprenante, dans le modèle proposé par Gabriel Chardin, rien de semblable. Si pic acoustique il doit y avoir, c'est que matière et antimatière se sont annihilées lorsqu'elles partageaient des frontières communes, provoquant des fluctuations de la densité de matière. Or, comme l'explique le physicien, "ce scénario très différent conduit à la même prédiction pour les propriétés du pic acoustique !" Sachant que, dans ce scénario, il n'y a pas de période d'inflation : l'Univers ne se déploie pas subitement, mais progressivement.
Le triomphe est-il pour autant total ? Loin de là. Car comme le fait remarquer Alain Riazuelo, "le pic acoustique n'est qu'une partie du rayonnement fossile". Et prétendre être aussi efficace que le modèle standard n'a rien d'une sinécure. Comme le souligne Alain Blanchard, au Laboratoire d'astrophysique de Toulouse-Tarbes, qui a longtemps combattu l'idée de l'énergie noire, "à l'heure actuelle, il n'existe aucun modèle autre que le modèle standard qui reproduise les observations de façon aussi fine. Mais il est positif qu'un modèle aussi exotique que celui proposé par Gabriel Chardin puisse ne pas être éliminé instantanément". Bref, si les observations futures le confirment, la vision d'un Univers constitué à 50 % de matière et à 50 % d'antimatière pourrait remplacer celle d'un cosmos où la matière n'est que peau de chagrin aux côtés des deux mystérieuses composantes noires. La science y perdrait en mystère... mais y gagnerait en simplicité ! Et le plus grand défi de la cosmologie ne serait plus de déterminer la nature d'hypothétiques composantes sombres, mais dé débusquer enfin l'antimatière. Dans tous les cas, la chasse reste ouverte.

ÉNERGIE NOIRE, LE MYSTÈRE S'ÉPAISSIT : Les astrophysiciens sont formels : l'expansion de l'Univers est entrée dans une phase d'accélération. Pour en tenir compte dans le modèle standard de la cosmologie, ils ont ajouté un paramètre, baptisé énergie noire, qui s'oppose aux effets attractifs de la gravitation. Or sa nature est un mystère. Dans sa version la plus simple, l'énergie noire est considérée constante. Ce qui signifie que sa quantité par unité de volume d'Univers est invariable. L'hypothèse est séduisante, car dans ce cas, il est possible que l'énergie noire ne soit rien d'autre que l'énergie du vide, sorte de soubresauts quantiques de l'espace-temps. Seul hic : la valeur de l'énergie du vide donnée par la théorie quantique est sans commune mesure avec celle de l'énergie noire déduite des observations astrophysiques. Mais une nouvelle analyse menée par Arman Shafieloo, à l'université d'Oxford, suggère que l'énergie noire pourrait avoir décru au cours des derniers 2,5 milliards d'années. Sa nature pourrait donc être encore plus exotique. Est-elle une substance ? N'est-elle qu'un artefact dû au fait que les lois de la gravitation sont peut-être à modifier à grande distance ? Pour la majorité des cosmologistes, cela reste l'une des plus grandes énigmes de la physique.

M.G. - SCIENCE & VIE > Octobre > 2009

L'Antimatière Chute-t-elle "vers le Haut" ?

En l'état, la physique ne prédit pas que la force gravitationnelle peut s'inverser dans le cas de l'antimatière. Mais si tel est le cas, quelle révolution ! Reste à prouver l'antigravité...

La clé du cosmos réside-t-elle dans un partage à parts égales de l'Univers entre matière et antimatière ? D'après une récente étude théorique proposée par Gabriel Chardin, du Centre de spectrométrie nucléaire et de spectrométrie de masse, à Orsay, il apparaît que cette idée, quoique très éloignée du scénario cosmologique standard, est loin de pouvoir être balayée d'un revers de main. Pourtant, elle est fondée sur l'existence d'une antimatière qui, à l'inverse de la matière, antigraviterait ! En pratique, tout objet fait d'une telle antimatière "chuterait vers le haut" ! Une hypothèse radicale qui, vérifiée, annoncerait une révolution de la physique. Mais est-ce seulement possible ? Les astronomes n'ont jamais, jusqu'ici, détecté de réservoir d'antimatière dans l'Univers. Du côté des accélérateurs, les antiparticules n'ont été produites qu'en très petite quantité, et on ne les a pas vues "décoller" vers le plafond des laboratoires. A vrai dire, personne n'a réalisé d'expérience capable de révéler leur comportement gravitationnel. Du moins, jusqu'à présent. Car l'expérience Aegis (Antimatter Experiment : Gravity, Interferometry, Spectroscopy), en cours de préparation au Cern (Organisation européenne pour la recherche nucléaire), devrait enfin apporter quelques éclaircissements...

UNE EXPÉRIENCE UNIQUE : D'ici à 2013, elle mesurera l'accélération subie par des atomes d'antihydrogène dans le champ de pesanteur créé par la matière "ordinaire", à savoir la Terre. Une expérience délicate. Car s'il est facile de lancer un boulet du haut de la tour de Pise afin de mesurer l'attraction terrestre sur la matière, c'est une tout autre affaire de le faire avec un atome d'antihydrogène. Tout simplement parce qu'il n'en existe pas sur Terre à l'état naturel. Il faut donc les fabriquer presque un à un. Ce qui ne peut se faire actuellement qu'au Cern, seul endroit au monde à délivrer une source d'antiprotons, particules qu'il faut ensuite "assembler" avec des positrons (ou antiélectrons) pour former des antiatomes. Pourquoi ne pas se simplifier la vie en mesurant cette accélération sur un positron ou un antiproton ? Parce que ces particules chargées électriquement (contrairement à un atome neutre) seraient sensibles à des champs magnétiques ou électriques résiduels, présents même dans l'enceinte la plus hermétique, ce qui masquerait les effets de la gravitation.
Certes, cela fait maintenant quinze ans que les chercheurs du Cern savent fabriquer de l'antihydrogène. Mais ils ne l'ont jamais fait sous la forme d'un faisceau unidirectionnel, soit un jet continu d'atomes bien alignés les uns derrière les autres, ce qui est nécessaire pour étudier un mouvement de chute libre. Un vrai défi. Comme le précise Michael Doser, responsable du projet Aegis au Cern, "chaque partie de l'expérience Aegis pousse les technologies associées dans leurs retranchements. Je n'ai jamais discuté avec autant d'experts provenant de tant de milieux différents. On a fait des calculs, mais personne ne peut garantir que ça va fonctionner. Plus précisément, chaque membre du groupe ne voit pas comment une telle expérience pourrait marcher, si ce n'est qu'il est sûr de son domaine. J'en conclus donc que l'expérience devrait être un succès !"
Si tel est bien le cas, et qu'Aegis enregistre la moindre différence entre matière et antimatière vis-à-vis de la gravitation, ce sera un coup de tonnerre. Et si l'antihydrogène s'envole vers le plafond, une révolution... En attendant les premières mesures, pour savoir si, oui ou non, l'antimatière peut antigraviter, c'est vers les théories existantes qu'il faut se toumer. Et là... le couperet semble tomber immédiatement. De fait, la relativité générale, qu'aucune expérience n'est encore venue remettre en question, est formelle : dans un champ de gravitation, quelle que soit leur masse ou leur nature, tous les corps sont accélérés de façon identique. Autrement dit, un kilo de plomb, une plume ou un atome de n'importe quoi, lâchés en même temps du haut de la tour de Pise, toucheraient le sol exactement au même moment, si tant est que l'on puisse faire abstraction des frottements de l'air. C'est le principe dit "d'équivalence", qui à ce jour a été vérifié expérimentalement avec une précision de douze chiffres après la virgule !
Dans ces conditions, imaginer l'antimatière "tomber" si différemment de la matière au point qu'elle "tomberait" vers le haut paraît tout simplement inconceyable. D'ailleurs, pour Alvaro de Rujula, à la division théorique du Cern, "de l'antimatière qui antigraviterait est absolument incroyable. On en sait trop sur la gravitation pour forcer cette possibilité sans aucune raison scientifique valable".

DES DEUX CÔTÉS DU TROU DE VER : Autre argument à charge : d'après les lois de la mécanique quantique, qui décrit les phénomènes physiques au niveau des particules élémentaires, un photon, un grain de lumière, peut se transformer en un électron et un antiélectron. Or, comme l'explique Bruno Mansoulié, du Service de physique des particules du CEA (Commissariat à l'énergie atomique), "dans le cas où l'antimatière antigraviterait, il faut donc admettre qu'au voisinage d'une masse l'électron serait dévié vers elle, alors que l'antiélectron s'en éloignerait. Le photon équivalent à l'électron et à l'antiélectron devrait donc aller tout droit". Une expérience de pensée démentie par les faits : on sait que les photons gravitent. Puisqu'au voisinage d'une étoile ou d'une galaxie des rayons luminéux sont déviés, donnant lieu au phénomène de mirage gravitationnel...
Alors, enterrée l'antigravité ? Pas si vite. Ce serait prendre les lois de la physique pour des lois immuables, totalement indépassables. Or ce n'est pas le cas. Ainsi, depuis son avènement dans les années 1920, la relativité générale n'a pas cessé de surprendre les physiciens. Et au même titre qu'elle a fini par les convaincre que le temps ne s'écoulait pas à la même vitesse partout, ou que temps et espace étaient une seule et même chose, elle pourrait - qui sait ? - finir par laisser une place à l'antigravité dans son formalisme. À la fin des années 1960, Brandon Carter, aujourd'hui au Laboratoire de l'Univers et de ses théories du CNRS, ouvre d'ailleurs une brèche en ce sens, en extirpant de lathéorie d'Einstein l'un des objets les plus singuliers qui soit. Le physicien, alors à l'université de Cambridge, analyse le comportement théorique de trous noirs en rotation munis d'une charge électrique. Ce qu'il découvre est étonnant. Contrairement à un trou noir "banal", qui attire tout ce qui est autour de lui pour l'engloutir en son centre, le système qu'il étudie sur le papier a la forme d'un anneau qu'un hypothétique voyageur pourrait en principe traverser.Une fois l'anneau passé, se retournant vers ce que les physiciens ont depuis baptisé le "trou de ver", il constaterait d'une part que la charge électrique du trou noir en rotation a changé de signe, mais aussi que la gravitation d'un objet s'exerce en sens inverse, repoussant tout ce qui s'en approche ! Théoriquement, une fois certains trous noirs traversés, la gravitation s'exerce en sens inverse (->).
Comme l'explique Brandon Carter, "je ne dis pas que la réalité suggère que ces objets existent, mais je ne dirais pas qu'ils sont absurdes. On peut en tout cas les concevoir dans le cadre de la relativité générale". Et d'ajouter, dans mon modèle, tous les corps sont repoussés de la même façon une fois qu'ils ont emprunté le trou de ver, de même que tous les corps sont attirés de manière identique dans un champ gravitationnel standard". Le principe d'équivalence est sauf... de part et d'autre du trou de ver. Pour Gabriel Chardin, de tels trous noirs, même théoriques, ajoutent bel et bien leur pierre à la justification de l'antigravité. Ainsi le physicien fait-il remarquer qu'" affublés d'une masse, d'une charge et d'un mouvement de rotation, les trous noirs étudiés par Carter ont tous les attributs d'une particule élémentaire, tel un électron. Lorsque l'on passe de l'autre côté, l'inversion de la charge suggère la transfomation d'un électron en antiélectron. Or, l'on constate que l'objet en question présente une masse négative..." Preuve, avec les yeux de l'esprit, qu'un antiélectron ; contrairement à un électron, antigraviterait. Preuve suffisante ? Thibault Damour, à l'Institut des hautes études scientifiques, n'est pas convaincu. Mais concède : "Les idées provocatrices sont légitimes. Au moins pour s'assurer que ce n'est pas par habitude mentale que l'on exclut certaines possibilités."
Les chances de l'antigravité ne s'arrêtent pas là. Car même dans le cas où la théorie de la relativité générale ne saurait lui trouver une place, elle pourrait se voir légitimée dans une théorie plus large. De fait, la relativité générale n'est pas une théorie définitive. Pourquoi ? Parce qu'il n'en existe pas aujourd'hui de version qui intègre de façon satisfaisante la mécanique quantique. Or, les particules élémentaires obéissant aux lois de cette dernière, seule une théorie quantique de la gravitation pourra prétendre prendre en compte l'ensemble des phénomènes gravitationnels.

UNE THÉORIE À CONSTRUIRE : Sur ce chemin, l'antimatière n'est pas une nouveauté. Déjà, dans les années 1920, le physicien Paul Dirac la faisait apparaître, dans des équations réunissant pour la première fois le formalisme de la mécanique quantique et celui de la relativité restreinte d'Einstein, qui sert de cadre à l'actuelle théorie de la gravitation. La théorie qui réunira globalement gravitation et comportement des particules reste à construire. Aujourd'hui, plusieurs tentatives (théorie des cordes, théorie quantique à boucles...) sont à l'étude. Et que disent-elles ? Que rien ne permet a Priori d'exclure une violation du principe d'équivalence pour l'antimatière. "Dans le cadre de ces approches, une différence de comportement entre matière et antimatière du point de vue de la gravitation apparaît de façon très naturelle, explique Michael Doser. L'antigravité est plus tirée par les cheveux. Mais après tout, lorsque relativité générale et mécanique quantique seront réconciliées, il est probable que quelque chose de fondamental, tel le principe de causalité ou de conservation de l'énergie, lâchera. En tout état de cause, c'est aujourd'hui une question expérimentale." Et d'ajouter : "Personnellement, je parierais une caisse de champagne que l'antimatière ne va pas s'envoler, mais j'adorerais perdre ce pari !" Le jeu est ouvert...

M.G. - SCIENCE & VIE > Octobre > 2009
 

   
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