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Le Big Bang à 10-38 Seconde près

 On a Vu le Big Bang à 10-38 Seconde près

L'exploit est venu d'une simple lunette astronomique installée au pôle Sud. Après 3 ans d'observation, Bicep2 a capté la trace des ondes gravitationnelles émises par le big bang, apportant non seulement la preuve qu'il eut lieu, mais dévoilant l'Univers à sa naissance. Jamais l'homme n'avait vu aussi loin dans le temps... Retour en détail sur un événement historique.

Elaborée dans la seconde moitié du siècle, la théorie du big bang décrit la genèse de notre Univers. Si elle a connu plusieurs succès observationnels, les cosmologistes attendaient confirmation de ce qui s'est passé dans les toutes premières fractions de seconde. Installé au pôle Sud, le télescope de la collaboration américaine Bicep2 vient d'en fournir la toute première observation.

On ne le croirait pas, mais l'image restera dans les annales. À cause de la multitude de petits traits noirs qui s'orientent dans un sens ou dans un autre (voir ci-contre), un peu à la manière d'une carte des vents, dessinant dans ce petit rectangle céleste (environ 2 % du ciel) des tourbillons. Ce que signifient ces tourbillons ? Rien de moins que les traces laissées dans le ciel par les tout premiers soubresauts de notre Univers, survenus un centième de milliardième de milliardième de milliardième de seconde après sa naissance !
Jamais l'homme n'était remonté aussi loin dans le temps. Jamais il n'avait vu le big bang d'aussi près ! Grâce à cette incroyable image, issue des observations réalisées depuis le pôle Sud par les chercheurs de la collaboration américaine Bicep2 rendues publiques le 17 mars dernier, c'est maintenant une certitude : les scientifiques savent comment est né l'Univers. Ils savent qu'une fraction de seconds après l'étincelle initiale, il y a 13,8 milliards d'années, le cosmos a bien été un minuscule corps brûlant, dense et agité. Et que l'instant d'après, en une nouvelle fraction de seconde, cette petite bulle spatio-temporelle a connu une phase d'expansion à nulle autre comparable, durant laquelle ses dimensions ont été multipliées par un facteur plus grand encore que celui qui separe la taille d'un atome de celui de l'Univers observable.
Les cosmologistes le savaient déjà ? Oui, sur le papier. Elaborée au cours de la seconde moitié du XXe siècle, la théorie du big bang affirme en effet que l'Univers, dans ses premiers instants, a subi une fantastique phase d'inflation. Ce scénario, imaginé dans les années 1980 par le cosmologiste Andreï Linde, est le seul à même d'expliquer que, quelques centaines de millions d'années plus tard, soient nées les premières étoiles, puis les galaxies, et tout ce qui compose notre monde. Mais ce "modèle cosmologique standard" avait beau s'être imposé au fil des ans comme la seule alternative pour raconter l'histoire de l'Univers, il manquait des preuves plus tangibles pour la muer en un fait scientifique avéré. Il fallait que l'inflation ne soit pas seulement une exigence théorique, mais que ses traces soient directement observées. Avec cette image, c'est désormais chose faite. Les spécialistes du monde entier sont sous le choc, tous émerveillés, enthousiastes (voir encadré). L'émotion est d'autant plus grande que l'annonce des résultats de Bicep2 les a totalement pris par surprise.

"ON A D'ABORD CRU À UNE ERREUR" : DENIS BARKATS, Astronome, membre de la collaboration Bicep2, base antarctique américaine de Amundsen Scott, Pôle Sud.
S&V : Comment avez-vous réagi lorsque vous avez découvert ce signal ?
Denis Barkats : Lorsque nous avons pris conscience, au mois d'avril 2013, que le signal des ondes gravitationnelles primordiales se trouvait dans nos données, nous étions intensément sceptiques. Notre première réaction a été de nous dire que quelque chose clochait. C'était tellement... hallucinant, inhumain, intangible ! Il nous a fallu un an de travail pour nous persuader qu'il ne s'agissait pas d'une erreur.
S&V : Quelles pouvaient être selon vous les sources d'erreurs ?
D.B. : Durant les huit premiers mois, nous avons envisagé toutes les sources de contaminations instrumentales possibles, afin de nous persuader que le signal provenait bien du ciel. Après quoi, nous nous sommes assuré qu'il ne provenait ni de l'émission des électrons de la galaxie, lorsqu'ils sont accélérés dans un champ magnétique, ni de celle de la poussière galactique. La première hypothèse a rapidement été écartée grâce aux données du satellite WMAP. Et la seconde en utilisant les cartes de cette émission établies par le satellite Planck, ainsi que d'autres modèles. Enfin, nous avons corrélé nos données avec celles de l'expérience Bicep1 et les données préliminaires du Keck Array, deux expériences dédiées à l'étude des ondes gravitationnelles primordiales dont les sources possibles d'erreurs instrumentales sont différentes.
S&V : Aujourd'hui, êtes-vous sûr de la validité de vos données ?
D.B. : Cela parait insensé, mais c'est la solution qui explique le mieux notre observation : nous avons bien détecté le signal à l'origine de notre Univers.

PLUS LOIN QUE PLANCK

Certes, la théorie du big bang prévoyait l'existence d'un processus qui pouvait permettre aux astronomes de remonter le temps jusqu'à voir les premiers instants du cosmos. Mais rien, dans la théorie, ne garantissait que ces empreintes soient suffisamment marquées pour être visibles. Et peu de gens pensaient que les membres de l'équipe de Bicep2 pourraient être les premiers à les voir. Pour comprendre, il faut revenir un an en arrière, en mars 2013, lors de la publication retentissante de la photographie du fond diffus cosmologique réalisée par le télescope spatial Planck.
Les cosmologistes avaient enfin devant eux l'image de la plus ancienne lumière de l'Univers, émise 380.000 ans après le big bang. Jusqu'à cette date - lointaine, mais déjà très éloignée de la fameuse phase censée s'être déroulée au tout début de la première seconde, les particules étaient tellement agitées que chaque grain de lumière émis par l'une d'elles était instantanément réabsorbé par une voisine : tout était opaque. À la faveur du refroidissement qui accompagna la lente expansion de l'Univers, la lumière s'est subitement libérée de l'emprise de la matière : en chaque point, le cosmos a émis un véritable flash dans toutes les directions. C'est ce flash qui baigne encore tout l'Univers. Et c'est cette lumière qui vient d'être photographiée par Planck sur l'intégralité de ciel, avec une précision maximale.

L'EMPREINTE DU CHAOS

Depuis, le suspens régnait : tous les cosmologistes attendaient les résultats des analyses approfondies de l'image de ce flash ancestral. En particulier l'analyse de la direction d'oscillation des champs électrique et magnétique des grains de lumière qui le composent, c'est-à-dire leur polarisation. Car tous savaient que cela pouvait les mener jusqu'aux tout premiers instants du monde...
Les équations indiquent en effet que cette polarisation porte l'empreinte du chaos qui secoua le cosmos durant la première fraction de seconde. L'espace-temps lui-même se serait alors mis à osciller, cette agitation engendrant l'émission d'ondes qui ont déformé la structure spatio-temporelle, se propageant comme une onde sur la surface d'un lac. Or, les ondes dites "gravitationnelles" ont dû perturber la polarisation de la lumière - plus précisément une partie de cette polarisation que les spécialistes appellent les modes B. Jusqu'à s'imprimer dans le premier flash lumineux libéré 380.000 ans plus tard. Seulement la théorie ne présageait en rien l'intensité de ces modes B. La plupart des scientifiques s'étaient même résignés à ce que ce signal soit si faible qu'il demeure à jamais noyé dans le bruit de fond de l'Univers. Patrick Peter, de l'Institut d'astrophysique de Paris, nous confiait ainsi il y a peu : "Une mise en évidence des ondes gravitationnelles primordiales serait extraordinaire. Mais ce n'est probablement pas pour demain". Quelques optimistes espéraient toutefois que la découverte viendrait de l'analyse des données de Planck, dont les résultals complets devraient être livrés à l'automne prochain. C'était sans compter sur la lunette de Bicep2. "Pour une fois, la nature a été sympa", plaisante Aurélien Barrau, du Laboratoire de physique subatomique et de cosmologie, à Grenoble. En tout cas, suffisamment pour mettre le précieux signal à portée d'une petite lunette déployée sur le site de la base antarctique américaine Amundsen-Scott, à quelques kilomètres du pôle Sud. "Bicep2 n'est pas une expérience très coûteuse, explique Denis Barkats, astronome à l'observatoire Alma, au Chili, et cosignataire de la découverte. Mais elle a été optimisée dans un but unique : détecter la tame des ondes gravitationnelles primordiales".

L'INFLATION ENFIN DEMONTRÉE

À l'opposé du télescope spatial qui regarde tout le ciel à la fois, Bicep2 est lui, focalisé sur une petite fraction de seulement 2 % environ, sélectionnée parce qu'elle se trouve à distance de la lumière éblouissante de la Voie lactée. Armé de 512 détecteurs ultrasensibles opérant à 150 GHZ, soit la longueur d'onde où le fond diffus est le plus intense et la pollution galactique la plus faible, il a capturé de 2010 à 2012 une image toutes les 9 heures. Le but : mesurer les polarisations des photons, de détecter d'éventuels effets causés par les ondes gravitationnelles primordiales.
Effets que la théorie prévoyait formellement. La polarisation des particules de lumières venant du fond diffus cosmologique devait en effet se trouver orientée de telle sorte que des tourbillons surgissent, avec une taille angulaire caractéristique : autour de 2° sur le ciel. Et ce sont bien ces volutes cosmiques que Bicep2 a mesurées. Sur l'image finale qu'il a livrée, chacun des 4000 pixels est représenté par un trait noir indiquant la polarisation moyenne de milliards de milliards de photons enregistrés en ce point. Qui décrivent bien des tourbillons de la taille attendue ! Les conséquences de cette confirmation observationnelle sont multiples. D'abord, ces ondes gravitationnelles sont une prédiction majeure du scénario de l'inflation, cette phase durant laquelle l'Univers a gonflé de manière exponentielle. Or, l'inflation était le point faible de la théorie du big bang. "Nous n'aurons de preuve de l'existence de l'inflation qu'à condition de détecter les ondes gravitationnelles censées avoir pris corps en son sein", prévenait ainsi, il y a un an, Jean-Loup Puget, de l'Institut d'astrophysique, à Orsay, responsable scientifique de Planck. Ce scénario que d'aucuns qualifiaient de "pure folie" est aujourd'hui magistralement confirmé.

ENFIN UNE BASE CHIFFRÉE

Ensuite, et surtout, en permettant de remonter plus loin dans le temps, jusqu'aux soubresauts qui les ont engendrés, au début de l'inflation et même avant, les petits traits noirs de Bicep2 apportent une information capitale : "La preuve frappante que la gravité peut être fusionnée avec la mécanique quantique", s'enthousiasme Liam McAllister, spécialiste du sujet, à l'université Cornell, États-Unis. Car le phénomène qui a provoqué l'émission d'ondes gravitationnelles est d'origine purement quantique : l'Univers lui-même se trouvait dans une superposition simultanée de plusieurs états, une étrangeté caractéristique des lois du monde microscopique.
Avec l'image de Bicep2, il est pour la première fois possible d'observer directement cette dimension quantique de la gravité. Alors que les plus brillants théoriciens tantaient en vain depuis un siècle de réconcilier relativité générale et théorie quantique, ils savent aujourd'hui que ces deux mondes ont bien été unis, à l'origine. "Peu d'entre nous rêvaient d'en contempler la preuve", admet Liam McAllister. Voilà qui donne aux physiciens, pour la première fois, des mesures chiffrées à mettre en face de leurs idées. "Bicep2 change le sens de la démarche théorique, se réjouit Aurélien Barrau. Jusqu'alors, il y avait quelque chose d'un peu désespérant à faire des calculs dont on se disait que leurs prédictions resteraient à jamais inaccessibles". Désormais, c'est sur des bases certaines et chiffrées que les chercheurs vont pouvoir s'appuyer. Et ça change tout. Qu'il s'agisse de la théorie du tout, de l'existence de la matière noire, de l'exploration d'autres univers... les grandes questions de la cosmologie et de la physique fondamentale sont en passe d'être renouvelées [voir encadré ci-contre).
Toute la communauté attend maintenant les analyses de la polarisation sur l'intégralité du ciel observé par Planck, cet automne. Pour confirmer, avec des observations indépendantes, que la cosmologie est bien entrée dans une nouvelle ère.

CE QUE CHANGENT DÉJÀ LES RÉSULTATS DE BICEP2

Voici relancées les théories de grande unification.
Les observations de Bicep2 offrent une coincidence frappante : lorsque le cosmos a amorcé sa phase d'inflation, sa densité d'énergie était exactement celle requise pour que, selon les théories de grande unification élaborées dans les années 1970, et restées spéculatives, les deux forces nucléaires (la faible et la forte) et la force électromagnétique qui régissent l'univers microscopique n'en fassent plus qu'une. "Cela n'indique rien de précis, mais incite à se pencher à nouveau sur ces théories", prévient Patrick Peter, de l'Institut d'astrophysique de Paris. Matthew Kleban, de l'université de New York s'enthousiasme déjà : "Avec Bicep2, nous avons au moins une chance d'apprendre quelque chose sur une physique opérant à des énergies inaccessibles sur Terre, mille milliards de fois supérieures à celles mises en ouvre au LHC, l'accélérateur géant de particules du Cern, près de Genève.

La matière noire perd un candidat.
Les ondes gravitationnelles primordiales mesurées renseignent sur leur éventuelle interaction avec la matière noire censée représenter 85 % du contenu matériel de l'Univers. Plusieurs groupes de théoriciens ont déjà étudié leurs conséquences sur une particule candidate au statut de matière noire : l'axion, imaginé dans les années 1970. Résultat : cette particule, si tant est qu'elle existe, ne peut représenter qu'une infime fraction de la matière noire...

D'autres univers sont bien plausibles.
Les données de Bicep2 permettent de faire le tri entre les très nombreux modèles d'inflation proposés depuis 30 ans. Comme le précise Andreï Linde, de l'université Stanford, "Bicep2 élimine 99 % des modèles d'inflation, et montre que le modèle d'inflation chaotique que j'ai proposé en 1983 satisfait à toutes les contraintes observationnelles". Or, ce modèle dit que des bouffées d'inflation peuvent survenir à tout moment dans chaque recoin d'un univers infiniment plus vaste que le nôtre. "Les observations de Bicep2 ne constituent pas une preuve du scenario du multivers, mais elles y apportent du credit", souligne Raphael Bousso, de l'université de Californie, à Berkeley. Elles font en tout cas entrer la question d'un "au-delà" dans le champ scientifique. La preuve ? L'invalidation par Bicep2 du scenario proposé en 2001 par Neil Turok, directeur de l'Institut Perimeter, au Canada, et Paul Steinhardt, de l'université de Princeton, selon lequel l'Univers serait né de la collision de deux "branes" évoluant dans un espace de dimension supérieure. Un scénario qui ne prévoyait l'émission d'aucune onde gravitationnelle primordiale !

M.G. - SCIENCE & VIE N°1160 > Mai > 2014
 

   
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