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Le Vide est Plein d'Énergie

Tout devient possible à partir de rien. Si la physique savait que le vide n'est pas inerte, elle vérifie aujourd'hui qu'il s'agit d'un étrange "éther" recélant de formidables fluctuations électromagnétiques. Lesquelles seraient source d'une énergie infinie qui fait déjà rêver pour révolutionner les nanotechnologies ou propulser des engins spatiaux ! Mieux, l'énergie du vide serait cette "force sombre" qui accélère actuellement l'expansion de l'Univers. Et même la théorie pourrait être unifié par le vide, ce nouveau défi de la science.
Par Hervé Poirier et Valérie Greffoz, Avec Bertrand Villeret

 La Physique se Jette enfin dans le Vide

Cette boule vide représente l'un des problemes théoriques les plus complexes jamais posés à la physique : ce petit espace à l'énergie minimale contient-il vraiment une énergie infinie ?

Depuis toujours, le vide embarrasse la physique, qui préfère le considérer comme un mllieu inerte, passif... bref, un néant. Or, la théorie quantique le décrit comme un milieu vivant, agité d'incroyables fluctuations électromagnétiques. Lesquelles commencent à livrer leurs secrets. Du coup, le vide ne serait pas un problème, mais au contraire une solution...

Prenez une boule creuse. Enlevez toute matière à l'intérieur de ce volume, protégez-le de tout rayonnement extérieur et baissez la température au zéro absolu pour éviter tout rayonnement de chaleur. L'énergie de la boule est alors minimale. Autrement dit, la boule est vide. Imaginez maintenant ce qui se passe à l'intérieur de cette boule vide. Rien ? Vous pensez que tout y est calme et figé, silencieux, apaisé ? Détrompez-vous ! Abandonnez cette image classique d'un vide impassible.
Toute vacuité abrite un maelström ! Une preuve ? Mesurez le champ électromagnétique en tout point à l'intérieur de la boule : eh bien, il fluctue de façon chaotique et spontanée autour de zero. L'électroencéphalogramme n'est jamais totalement plat. Le vide est vivant. Pourtant, jusqu'à présent, ce milieu a principalement été exploité pour ses qualités inertes. C'est parce que l'on considère qu'il ne s'y passe rien que le vide est dans les emballages, les ampoules ou dans les enceintes de fabrication des circuits intégrés. C'est pour son caractère passif qu'Einstein l'a intégré dans sa théorie. Et c'est au néant que nous nous référons lorsque nous l'invoquons dans nos pensées. Mais depuis quelques années, les choses sont en train de changer.
Les physiciens savent en fait depuis 80 ans que le vide, ce n'est pas rien : l'existence de ces fluctuations électromagnétiques du vide à l'intérieur de la boule est parfaitement prévue par la théorie quantique, qui décrit le comportement des phénomènes microscopiques. C'est même une conséquence directe d'un des piliers de cette théorie, le fameux principe d'incertitude d'Heisenberg, énoncé en 1925 par le célèbre physicien allemand. Appliqué à une particule, ce principe stipule que la position et la vitesse de celle-ci ne peuvent être précisément et simultanément connues. Et, appliqué au champ électromagnétique dans le vide, il interdit d'annuler totalement et simultanément les champs électrique et magnétique. D'où les fluctuations.
Oui, mais un gros problème survient dès que l'on cherche à savoir combien d'énergie électromagnétique est contenue dans notre petite boule vide, une question bien naturelle pour un physicien. Pour cela, il faut décomposer l'électroencéphalogramme du champ en une somme infinie de vibrations régulières aux longueurs d'onde de plus en plus petites, l'énergie totale s'obtenant en ajoutant les énergies de chacune de ces pulsations de base (méthode de calcul traditionnelle appelée "décomposition en série de Fourier").

LE VIDE : UN DÉFI POUR LA PENSÉE
Albert Einstein a débarrassé la physique de son "éther". Pour autant, selon lui, "le vide ne jouit pas d'une existence indépendante vis-à-vis de ce qui remplit l'espace".

Suivant les lieux et les époques, il renvoie à l'absence, à la vacuité, mais aussi à la vanité et à la liberté. Dès l'Antiquité, il est l'objet de vives controverses entre ceux que l'on appellera les "vacuistes" (parmi lesquels atomistes et épicuriens) et les "pleinistes" (incarnés par Aristote). Essentiellement philosophique, l'enjeu du vide et de son hypothétique existence deviendra progressivement métaphysique et théologique. Il faudra attendre le XVIIème siècle de Galilée, de ses prédécesseurs et de ses disciples, pour que la science expérimentale y voit ce qui s'oppose au mouvement. Deux siècles plus tard, le vide s'illustre par ses capacités d'absorption (à la suite de la découverte de rayonnements jusqu'alors inconnus observés au sein d'enceintes "vides"). Afin de pouvoir rendre compte des propriétés des champs électromagnétiques et de la gravité qui s'exercent en son sein, les physiciens l'ont imaginé rempli d'un "éther" dont la physique fut affranchie par Einstein au début du XXè siècle. Depuis, le vide apparaît comme l'une des questions les plus complexes de la physique théorique.

UNE IMPASSE ARITHMÉTIQUE...

Or, en vertu des lois quantiques, plus ces vibrations régulières ont une petite longueur d'onde, plus leur énergie est grande. L'impasse arithmétique est alors inévitable alors qu'elle est censée, par principe, contenir une énergie minimale, la boule contient, d'après le calcul, une énergie infinie ! Peut-on imaginer plus grand paradoxe.
Les physiciens ont bien une méthode pour supprimer cet impensable infini. Une méthode radicale sachant que les lois quantiques ne sont plus valables en dessous d'une certaine longueur, environ dix millionièmes de milliardième de milliardième de milliardième de centimètre (longueur de Planck), ils éliminent dans la décomposition du champ toutes les vibrations aux longueurs d'onde inférieures à ce seuil, réduisant, de ce fait, la somme infinie à une somme finie. Mais même ainsi, leur problème n'est pas résolu pour autant les calculs montrent que l'introduction de ce seuil laisse encore au vide une énergie colossale de l'ordre de 1094 g/cm3 !

...DEVENUE UNE RÉALITÉ PHYSIQUE INDÉNIABLE

Notre petite boule vide contiendrait alors beaucoup plus d'énergie que des milliards de milliards de galaxies réunies... Cela est en totale contradiction avec la théorie de la relativité générale d'Einstein, l'autre grand pilier de la physique théorique, qui stipule que toute énergie manifeste sa présence en courbant la structure de l'espace-temps. Or, il n'y a rien de tel autour de la boule. Tel est le problème de l'énergie du vide. "Du point de vue théorique, c'est le problème numéro un depuis les débuts de la physique quantique", souligne Thibaut Damour, physicien au très prestigieux Institut des hautes études scientifiques, à Bures-sur-Yvette.

Un nombre croissant de physiciens osent ainsi se pencher dessus, en s'intéressant non plus à ses qualités inertes, mais à ses qualités actives, créatrices et dynamiques. Mieux : au lieu de considérer le vide comme un problème, certains commencent à l'envisager comme une solution. Et si notre petite boule vide était la clé pour contrôler le comportement de la matière dans la nanotechnologie... voire pour résoudre nos problèmes énergétiques ? Et si elle permettait aux astrophysiciens de démêler les paradoxes actuels de leurs observations et de comprendre le destin de l'Univers ? Et si elle était l'élément central pour unifier les deux grands piliers de la physique moderne, la mécanique quantique et la théorie de la relativité générale d'Einstein ? De nombreuses pistes sont lancées. Certaines ingénieuses, innovantes ou révolutionnaires. D'autres farfelues, irréalisables ou carrément fausses. Mais une chose est certaine les physiciens sont en train de se jeter dans le vide.

H.P. - SCIENCE & VIE > Juin > 2003

 A la Poursuite d'une Énergie Sans Limite

Electricité inépuisable, révolution nanotechnologique, vols interstellaires : l'énergie qui, selon la mécanique quantique, se cache dans les fluctuations du vide fait déjà rêver les ingénieurs. A condition qu'ils maîtrisent cette nouvelle fée.

De l'avis de tous, en effet, l'avenir est à la nanotechnologie. Demain, nous promet-on, des machines de taille moléculaire, avec engrenages, roues et capteurs microscropiques, envahiront notre quotidien. A condition d'avoir parfaitement compris le comportement de la matière à une échelle encore largement inexplorée par la physique. Non pas à l'échelle microscopique de l'atome, ni à l'échelle macroscopique de notre quotidien, mais, coincée entre les deux, à l'échelle "mésoscopique" entre le micro et le nanomètre. Or, à cette échelle, la force dominante vient du... vide ! Son nom ? La force de Casimir.
Son existence a été imaginée en 1948 par Hendrik Casimir alors qu'il travaillait dans les laboratoires de Philips à Heindoven. En jonglant avec les équations de la mécanique quantique, ce physicien néerlandais a montré qu'un effet attractif émerge entre deux miroirs lorsqu'ils sont placés face à face dans le vide. Comme dans un tunnel, ces miroirs créent une résonance, qui déforme les fluctuations du vide, principalement de type électromagnétique : seules les vibrations ayant une longueur d'onde divisant la distance entre les plaques peuvent être présentes dans l'interstice. La pression due aux fluctuations du vide à l'extérieur est alors supérieure à celle qui règne à l'intérieur. D'où l'effet d'attraction entre les plaques. Cette force née du vide n'est pas que théorique, même s'il a fallu attendre 1958 pour qu'elle soit, pour la première fois, réellement mesurée.

 Et si le Vide était le Maître de l'Univers

Il y a peu, l'observation de supernovae à révélé qu'une force, dans le cosmos, contrait les effets de la gravitation. Une force invisible, dite "sombre", qui pourrait bien être cette fameuse énergie du vide prévue par la théorie, mais jusque-là jamais vérifiée. Et elle accélérerait actuellement l'expansion de l'Univers ! Après le big bang et l'ère de la matière, le vide est-il en train de prendre le pouvoir ?

L'idée que l'énergie contenue dans le vide pourrait avoir un effet à l'échelle cosmologique et pourrait forcer l'Univers à s'étendre n'est pas nouvelle. Dès 1917, Einstein l'avait introduite dans ses équations en l'appelant la "constante cosmologique". Il cherchait alors à contrebalancer les effets de la gravitation (qui tend à contracter l'espace) pour obtenir un modèle d'univers éternel et statique, le seul satisfaisant à ses yeux. Depuis, on sait que l'univers est en expansion, mais l'énergie du vide est plus que jamais au centre des préoccupations des cosmologistes.

L'Univers est plein de vide. Levez les veux au ciel : entre les étoiles, il y a du vide, du vide, et encore du vide. A en avoir le vertige. Certes, nos veux ne voient pas tout. Au-delà de ce que l'on peut distinguer, il y a une multitude d'autres étoiles, d'immenses nuages de gaz, et sans doute beaucoup de planètes lointaines, de vieux astres morts et autres trous noirs. Sans oublier la mystérieuse "matière sombre", probablement faite de particules "exotiques", dont l'existence ne fait aujourd'hui plus guère de doute, quand bien même elle reste invisible pour les télescopes. Mais, même en tenant compte de toutes les formes de matière qu'il pourrait abriter, l'Univers reste un gigantesque désert : toutes les mesures montrent que la densité de matière qu'il renferme vaut à peine 10-29 g/cm3. Ce qui revient à dire qu'en moyenne, une portion d'Univers grande comme la Terre contient dix milligrammes de matière... Autrement dit, pas grand-chose. Jusqu'ici, à part plonger les promeneurs nocturnes dans des abîmes de rêveries, ce vide n'empêchait pas les spécialistes du cosmos de dormir. Contrairement à leurs collègues de physique théorique qui, eux, en étaient bien embarrassés, et cela depuis près de 80 ans. Car tout ce vide n'est pas réellement "vide" de tout. Même en admettant qu'il ne contienne aucune matière ni aucun rayonnement, il devrait tout de même, d'après les principes de la physique quantique, contenir une énergie infinie, ou du moins gigantesque !

LE VIDE EN PLEINE INFLATION

Tout a commencé en 1998, lorsque deux équipes internationales d'astrophysiciens, à la recherche de supernovae lointaines (des explosions d'étoiles extrêmement lumineuses datant de plusieurs milliards d'années), ont fait une découverte complètement inattendue : ces supernovae étaient bien moins lumineuses, et donc bien plus éloignées que la théorie ne le prévoyait. En d'autres termes, l'espace entre elles et nous était beaucoup plus grand que prévu : non seulement l'expansion naturelle de l'Univers n'était pas en train de ralentir sous l'effet de la gravitation, qui tend à contracter l'espace et à rapprocher les galaxies, mais cette expansion était même en train de s'accélérer ! Comme si une nouvelle période d'inflation, semblable à celle que l'Univers a connue à ses débuts, avait déjà commencé ! Une énergie invisible, contrant les effets de la gravitation et les surpassant, était-elle en train de prendre le contrôle de l'Univers ? Reynald Pain, qui travaillait alors au sein de l'une des deux équipes, au Berkeley National Laboratory (Californie), se souvient de la perplexité de ses collègues : "Au début, nous avons cru que nous nous étions trompés dans nos mesures. Et puis nous avons pensé à cette énergie sombre qu'Einstein avait appelée la 'constante cosmologique', et que tout le monde avait laissée de côté. Plusieurs autres observations cosmologiques ont ensuite confirmé qu'il s'agissait bien de cela."

L'ÉNERGIE SOMBRE NE SERAIT-ELLE PAS L'ÉNERGIE DU VIDE ?

Aujourd'hui, les cosmologistes en sont donc certains : l'Univers contient bel et bien une mystérieuse "énergie sombre", que l'on ne voit pas, mais qui est vraisemblablement présente partout dans l'espace. Une énergie dont les physiciens trouvent qu'elle ressemble furieusement... à l'énergie du vide. Comme elle, ses effets passent pratiquement inaperçus à notre échelle, mais à l'échelle cosmologique, elle peut accélérer l'expansion de l'Univers. Car ses propriétés sont tout à fait étonnantes : pour forcer l'espace à s'étendre, elle produit des forces gravitationnelles répulsives, à l'inverse de la matière que l'on connaît, qui, elle, produit des forces gravitationnelles attractives ! Ainsi, le vide serait en train de prendre le pas sur la matière.

L'histoire de l'Univers se découperait donc en trois grandes ères :
- l'ère de la radiation, qui a suivi le big bang, lorsque l'Univers était encore très chaud ;
- l'ère de la matière, pendant laquelle étoiles et galaxies se sont formées ;
- enfin l'ère du vide (ou du moins celle de l'énergie sombre), dans laquelle nous viendrions d'entrer, et qui devrait emporter l'Univers dans une expansion frénétique, éloignant irrémédiablement toutes les galaxies les unes des autres.

Mais encore faut-il que les cosmologistes parviennent à expliquer le gigantesque écart entre la valeur de l'énergie qu'ils observent, et celle de l'énergie du vide telle que la physique quantique la prévoit, qui est au moins de 120 ordres de grandeur plus grande ! Il s'agit tout de même du plus grand écart jamais constaté en physique entre observation et théorie... Et cela les plonge dans un profond embarras. C'est pourquoi certains d'entre eux envisagent d'autres pistes pour expliquer l'énergie sombre, comme par exemple l'existence d'une nouvelle sorte de matière, la "quintessence". Ce terme évoque le cinquième élément qui, avec la terre, l'air, l'eau et le feu, composait l'Univers selon les Grecs. Mais, pour Paul Steinhardt (université de Princeton), la quintessence serait une cinquième sorte de matière, un "champ scalaire", présent partout dans l'Univers. La quintessence serait dynamique et ne serait pas un phénomène quantique.

V.G. - SCIENCE & VIE > Juin > 2003
 

   
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