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Gravité : Sa Mesure rend Fous les Physiciens

La constante de gravitation, appelée constante de Newton ou G, est la doyenne des constantes fondamentales de la physique. Paradoxalement elle est aussi la moins connue de toutes. Alors que la constante de Planck ou celle de la charge électrique élémentaire sont mesurées avec 6 chiffres après la virgule, on n'en connaît avec exactitude que 2 pour G. Un casse-tête que les dernières expériences ne font que compliquer...

La fameuse constante universelle de la gravitation - notée G - a-t-elle encore sa place parmi les constantes fondamentales de la physique ? La question peut surprendre ceux qui, depuis le lycée, ont eu affaire à G... et pourtant. Si G est une constante, c'est qu'elle possède, par définition, une valeur inaltérable, à l'instar des autres constantes de la physique, comme la vitesse de la lumière ou la constante de Planck. Voilà justement où le bât blesse : malgré tous leurs efforts, ceux qui pensent que G est une constante ne parviennent pas à lui donner une valeur exacte ou, pour le moins, de plus en plus précise. Faut-il alors considérer que la valeur de G change dans le temps et dans l'espace ? Las, ceux qui ont tenté de le prouver ont, là aussi, fait chou blanc. L'affaire a pris de telles proportions que depuis quelques années, cette constante G, introduite au XVII' siècle par Isaac Newton et conservée au XX' siècle par Albert Einstein, est devenue une véritable épine fichée dans la cervelle des théoriciens et des expérimentateurs. Ni totalement constante ni véritablement variable, elle inaugure, en quelque sorte, une nouvelle espèce en physique fondamentale : la constante inconstante.
Le problème n'est pas nouveau. Le Britannique Henry Cavendish, qui fut le premier à tenter la mesure directe de l'attraction gravitationnelle en 1798, avait obtenu une valeur de G égale à 6,74 x 10-11 m³.kg-1.s-2 à plus ou moins 1 % près, en exploitant une balance à torsion, où l'attraction entre des boules massives fait pivoter un pendule d'un angle mesurable. Depuis, chaque nouvelle génération de scientifiques a cru qu'elle pourrait grignoter l'incertitude qui entachait les estimations des générations précédentes. Force est d'admettre que les résultats obtenus ont longtemps donné raison à cette belle confiance dans le progrès. En deux cents ans, la précision a gagné deux ordres de grandeur, passant de 0,01 pour Cavendish à 0,0001 à la fin des années 1980. Mais depuis, rien ne va plus. Chaque nouvelle expérience donne une nouvelle valeur de G qui n'a rien à voir avec les autres. Si bien que le Codata, l'organisme international qui fixe les valeurs officielles des constantes fondamentales, a été obligé, en 1986, en 1990, et à nouveau en 1998, d'augmenter l'incertitude liée à cette valeur. Ainsi est-on passé d'une précision de 0,013 % à 0,15 % ! Nous nous faisions l'écho de ces tergiversations expérimentales en 2003.

UN SOUFFLE PEUT TOUT FAUSSER

Depuis, les choses ne se sont pas arrangées, au contraire. Les deux dernières tentatives, publiées en 2009 et en 2010, ne s'accordent pas plus entre elles que les autres. Lors de la prochaine révision des constantes qui doit avoir lieu cette année, Codata va donc devoir encore augmenter l'incertitude associée à la valeur de la plus mythique des constantes de la physique. Un véritable affront !
Comment expliquer ces contre-performances ? Les physiciens, confus, invoquent des erreurs commises dans leurs mesures. Et il est vrai que la mesure de G est particulièrement sensible à la moindre négligence. Car la constante de Newton n'intervenant que dans l'attraction gravitationnelle, sa mesure ne peut se faire qu'en mesurant l'effet de cette attraction. Or, c'est un effet très faible : la force d'attraction entre deux sphères d'un kilogramme placées au contact l'une de l'autre est équivalente au poids d'un cheveu d'une longueur de 0,2 mm ! Un souffle, une vibration... et la mesure est faussée. Il ne faudrait donc pas croire que les expérimentateurs qui se lancent à la conquête de cet "Everest de la physique", comme l'appelle James Faller, chercheur à l'université du Colorado, à Boulder (Etats-Unis) et co-auteur de la publication de 2010, sont des béotiens. Au contraire. Ils sont les héritiers d'une lignée d'experts qui connaissent par cour les pièges que leur réserve cette mesure. Seuls les meilleurs s'y frottent. Et c'est ce qui amène à poser la question avec d'autant plus d'acuité : qu'est-ce qui cloche avec la mesure de G ?
James Faller et Harold Parks, du Sandia National Laboratories à Albuquerque (Nouveau-Mexique), l'avouent : cette question, ils se la sont posée quotidiennement au cours des six longues années qui ont séparé l'obtention de leurs résultats de leur publication. Ils n'arrivaient tout simplement pas à se résoudre à publier une énième valeur de G. Six années durant, ils ont donc renouvelé la même expérience mobilisant deux petits cylindres de 780 grammes de cuivre et quatre blocs de tungstène de 120 kilogrammes (infographie ->). Résultat : la constante vaudrait (6,67234 +/-0,00014) x 10-11 m³.kg-1.s-2... Le problème, c'est que le Codata préconise actuellement d'utiliser (6,67428 +/-0,00064) x 10-11 m³.kg-1.s-2... Cherchez l'erreur !
Et justement, pour trouver cette erreur, les deux chercheurs ont tout remis à plat et fait varier chaque paramètre de l'expérience pour en mesurer l'effet sur la dispersion de leurs mesures. Ils ont envisagé l'incertitude sur le positionnement des différentes masses, sur la pureté des métaux employés pour les forger, sur la raideur des câbles maintenant le système ; ils ont remis en question la précision de leur mesure laser, mesuré l'effet de la température... Mais même grossièrement exagérés, tous ces effets cumulés ne suffisent pas à expliquer l'écart avec leur nouvelle valeur. Collègues, confrères, spécialistes des lasers, tous ont été convoqués et mis à contribution dans l'espoir de débusquer l'erreur ultime. Rien n'y a fait. Elle reste invisible, insaisissable, cruelle.
Pour James Faller, Harold Parks et certains autres, il y aurait peut-être une explication : si l'erreur reste cachée, c'est qu'elle est du type systématique et non aléatoire. Un peu comme si, à propos d'un objet défectueux, on cherchait une erreur de fabrication alors qu'il s'agit d'une erreur de conception. Du coup, il serait impossible de déceler cette erreur, qui serait systématiquement commise à chaque expérience. Tous les dispositifs expérimentaux posséderaient donc un biais et il serait dès lors impossible de connaître la valeur exacte de G, qui n'en resterait pas moins une constante fondamentale. Sauf que cette erreur de conception, personne ne l'a encore identifiée ! A moins que G ne soit finalement pas une constante... et l'erreur cachée serait de croire qu'elle en est une. Une explication simple qui a le mérite de faire disparaître le problème... pour mieux en poser un autre. Cela impliquerait de revoir la loi de la gravitation de Newton et la relativité générale d'Einstein. Impossible ? Pas sûr. Car, pour les théoriciens, il existe d'excellentes raisons de remettre en question l'une et l'autre. Du coup, d'autres scientifiques tentent de prouver que G varie. En 2002, Mikhail Gershteyn, alors au Massachusetts Institute of Technology, à Boston, a repris, avec l'aide d'un collègue russe, l'expérience du très classique pendule de torsion de Cavendish. Plusieurs jours durant, ils ont mesuré la valeur de G. Résultat : elle varierait de plus de 0,054% toutes les 23 h 55 min et 48 s !

POUR CALCULER G, IL FAUDRAIT CHANGER DE MODELE DU MONDE
Si mesurer la valeur exacte de G est difficile, pourquoi ne pas la calculer ? Connaissant toutes les autres constantes fondamentales, il suffirait alors d'exprimer G en fonction d'elles. L'idée serait alléchante s'il n'y avait un problème : dans le monde décrit par la science officielle, la gravitation et la mécanique quantique sont irréconciliables. Autrement dit, G ne s'exprime pas "naturellement" en fonction des autres constantes. Pour calculer G, il faudrait introduire un nouveau modèle du monde - comme la théorie des cordes s'y essaie -, ou modifier considérablement le modèle actuel. Ce que tentent nombre de théoriciens qui ont réussi à calculer de nouvelles valeurs de G. Mais laquelle est la bonne ? Quel modèle faut-il croire ? Impossible à dire sans validation du modèle lui-même. On sort d'une impasse pour entrer dans un cercle vicieux...

G VARIERAIT DANS L'ESPACE...

Une période qui correspond, à 16 secondes près, à la durée d'un jour sidéral. Autrement dit, chaque fois que la Terre fait un tour sur elle-même par rapport aux étoiles fixes, G passe par un maximum. Pour Gershteyn, il n'y a qu'une explication possible : G dépend de la répartition des masses (ici, les étoiles de la galaxie) dans l'environnement de la mesure et n'est donc pas une constante fondamentale. Ce qui expliquerait pourquoi personne n'arrive à en donner une mesure exacte. Sauf que, la même année, une équipe indo-américaine dirigée par Unnikrishnan et George Gillies s'est intéressée au même problème... pour aboutir à des conclusions contraires : G varierait de 0,00000001 %, et non de 0,054 %. Autrement dit, à quelques pouièmes près, G serait donc bien constante. C'est à en perdre son latin.
Mais les tenants d'un G variable n'ont pas dit leur dernier mot. Ils plaident que G pourrait aussi varier en fonction de la distance qui sépare les masses en interaction. Et comme cette distance est très différente dans les expériences de Gershteyn et de Unnikrishnan et Gillies, cela pourrait expliquer leurs conclusions si éloignées. Certains scientifiques pensent en effet qu'à très grande ou à très petite distance, la loi de Newton pourrait se compliquer. Dans les années 1990 ont ainsi fleuri les expériences réalisées sur des barrages hydrauliques afin de mesurer la force d'attraction entre deux couches d'eau séparées par plusieurs dizaines de mètres. La plupart ont donné une valeur de G très proche de celle préconisée par le Codata. Dès lors, pas de quoi envisager une réforme de la loi de Newton.
Mais il en faut plus pour arrêter un chercheur. Et c'est sur des distances "astronomiques" que la loi de Newton est aussi testée. En ce moment même, par exemple, une équipe américaine de l'université de San Diego (Californie) réalise l'expérience baptisée Apollo qui consiste, à l'aide de lasers et de réflecteurs placés sur la Lune, à mesurer très précisément les paramètres orbitaux de notre satellite afin de vérifier l'exactitude des prédictions de Newton et d'Einstein. Dans le même esprit, sont lancés des tests pour les toutes petites distances. Aujourd'hui la tendance est d'étudier les effets de la gravitation sur des distances comprises entre 1 et 100 micromètres. Reste que, pour le moment, aucun résultat ne permet de conclure à une quelconque variation de G dans l'espace pouvant expliquer pourquoi on n'arrive pas à en donner une mesure ferme et définitive.

... OU DANS LE TEMPS

Mais cherche-t-on où il faut : peut-être G ne varie-t-elle finalement pas dans l'espace... mais dans le temps. C'est en tout cas ce que pensent d'autres scientifiques qui tentent, depuis les années 1960, de montrer que G varie à l'échelle de l'année. Cependant, les nombreuses expériences menées afin de déterminer précisément les variations de cette constante indiquent qu'il s'agit d'une très, très faible variation : autour de 10-11%, voire 10-12%. L'une des expériences parmi les plus récentes, publiée en 2008 par deux physiciens italiens, estime cette variation plus faible encore : autour de 10-17%. Insuffisant pour expliquer pourquoi G diffère tant d'une expérience à l'autre.
D'autres travaux ont également tenté de montrer que G pouvait dépendre de la température, de la chimie... Sans succès. Au final, selon James Faller, il faudrait pour sortir de ce!te impasse, "réaliser une expérience sur plusieurs décennies avec les mêmes appareils dans les mêmes conditions. Là, on saurait une fois pour toutes si G est une constante ou non". Mais qui voudrait consacrer trente années de sa vie à mesurer la même constante en prenant le risque de ne produire qu'une valeur de plus parmi tant d'autres ? Une chose est sûre : si personne ne sait pour l'instant comment sortir de l'impasse, les scientifiques ne vont pas pouvoir s'accommoder longtemps d'une telle incertitude au sujet d'une des constantes les plus emblématiques de la physique !

Eric Hamonou - SCIENCE & VIE > Février > 2011
 

   
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