P L A N È T E  G A Ï A 
 
   
   
 Index ASTRONOMIE -> ASTROPHYSIQUE -> MATIÈRE NOIRE 
   
 
Et si la Matière Noire n'Existait pas...

Et si la Matière Noire n'Existait pas...

N.W. - POUR LA SCIENCE HS N°107 > Mai-Juin > 2020

Et si la Matière Noire n'Existait pas...

Si aucun instrument n'a jamais réussi à détecter cette mystérieuse matière censée former un quart de l'Univers, c'est peut-être qu'elle n'est que pure invention ! Baptisée MOND, cette théorie en vogue pourrait bien bouleverser la cosmologie. Sur cette image prise par Hubble, certains astrophysisciens ont déduit la présence d'un gigantesque anneau de matière noire (en bleu nuit).

Selon la théorie, elle représenterait près d'un quart du contenu matériel de l'Univers... alors même qu'elle n'a jusqu'ici jamais livré d'indices formels de sa présence dans le ciel. Un mystère qui passionne les scientifiques depuis 80 ans (repère). Et voici qu'en Janvier 2008, une occasion de résoudre l'énigme s'est enfin présentée. Le satellite européen Intégral qui, braqué en direction du centre de notre galaxie, devait fournir la preuve de l'existence de cette matière noire. Selon certains, celle-ci serait à l'origine d'un mystérieux rayon gamma repéré dans les années 1970 au centre de la Voie Lactée. L'hypothèse était solide : niché au centre de notre galaxie, un nuage de particules légères de matière noire se désintégrerait petit à petit, constituant ainsi une véritable fabrique d'antimatière (plus précisément des positrons, ces particules jumelles des électrons qui possèdent une charge électrique opposée). En se rencontrant, les particules de matière noire se désintégreraient, donnant naissance à des positrons et des électrons qui, en se rencontrant à leur tour, s'annihileraient, ce qui produirait le fameux rayonnement gamma observé.
Las, Intégral vient de livrer une tout autre explication ! Car selon une étude menée par Jurgen Knodlesder, astrophysicien au Centre d'étude spatiale des rayonnements (Toulouse) qui s'est basé sur les données recueillies par le satellite pendant quatre ans, ce sont plus prosaïquement des cadavres d'étoiles qui seraient responsables de la mystérieuse émission gamma.

UNE THÉORIE PLUS AUDACIEUSE ?

Et même des cadavres de "binaires X", c'est-à-dire d'étoiles en fin de vie qui dévorent la matière d'une étoile voisine et, ce faisant, émettent des électrons et des positrons. Un mélange de matière et d'antimatière qui s'annihile pour dégager des rayons gamma, sans qu'il y ait besoin de la présence d'une quelconque matière noire. "Nous avons repéré que le rayonnement n'était pas tout à fait symétrique par rapport au centre de la Galaxie. Et sa répartition correspond exactement à celle des binaires X", raconte le chercheur. Coïncidence ? C'est peu probable. "Selon toute vraisemblance, les binaires X doivent être responsables de l'émission", conclut-il.
Exit, donc, l'hypothèse de la matière noire au centre de la Galaxie... Et la preuve de son existence d'échapper une fois de plus aux physiciens. Un échec d'autant plus rageant que depuis maintenant vingt ans, les physiciens expérimentateurs essaient de coincer dans leurs détecteurs les particules censées constituer cette matière fantôme, les Wimps... en vain. Du coup, une question se pose : et si la matière noire n'existait tout simplement pas ? Pour une poignée de physiciens, le doute est aujourd'hui de mise. Comme ces chercheurs le rappellent, tant qu'aucune preuve formelle de son existence n'a été trouvée, cette fameuse matière noire reste une simple hypothèse, élaborée pour rendre cohérent le mouvement des étoiles et des galaxies.
Du coup, difficile, sans elle, d'expliquer l'Univers... Difficile, mais pas impossible ! Car il existe des théories cosmologiques alternatives qui ne recourent à aucune matière noire. Et l'une d'elles en particulier revient aujourd'hui sur le devant de la scène scientifique : la théorie MOND (pour MOdified Newtonian Dynamics, ou dynamique de Newton modifiée), formulée en 1983 par l'astrophysicien israélien Mordehai Milgrom. Un modèle particulièrement audacieux puisqu'il n'hésite pas à mettre en question les fameuses lois de Newton ! Tout part de l'équation de ses lois de la gravitation. En effet, Mordehai Milgrom a découvert qu'une toute petite modification de l'équation de Newton suffisait à résoudre l'un des problèmes fondamentaux de la cosmologie : la rotation trop rapide des étoiles et des galaxies. Il serait donc inutile, selon lui, d'invoquer la présence de matière noire dans les galaxies, contrairement à ce que font la majorité des cosmologistes aujourd'hui pour justifier cet excès de vitesse. "Si les objets astronomiques tournent aussi vite, ce n'est pas parce qu'ils sont sous l'emprise d'une masse invisible, mais parce qu'à cette échelle, la gravitation universelle n'est pas celle que l'on croit", martèle Mordehai Milgrom depuis plus de vingt ans. Et le chercheur de proposer de modifier la loi de la gravitation, comme l'explique Olivier Tiret, qui travaille sur MOND à l'Observatoire de Paris : "Au lieu de laisser la force d'attraction entre les objets décroître suivant le carré de leur distance (comme le prévoit l'équation de la gravité universelle de Newton F= G [(mlm2)/d²]), il imagine qu'en dessous d'une accélération de 1010m.s², la gravitation diminue beaucoup moins rapidement, suivant l'inverse de la distance seulement. "En clair, la gravitation sur les bords des galaxies comme sur les bords des amas de galaxies est plus forte que dans la théorie de Newton. Et là, c'est magique ! Tout rentre dans l'ordre. Les vitesses des galaxies et des étoiles s'accordent avec les observations.

Gravitation : la loi de la gravitation (deux corps s'attirent en fonction de la distance qui les sépare) a été formulée par Newton en 1687, puis étendue par Einstein en 1905, dans sa théorie de la relativité.
Structure de matière noire ou simple variation de gravité autour de matière visible ? ->

LE MODÈLE STANDARD FAILLIT

Séduisante par sa simplicité, la théorie restait néanmoins à consolider. "Au départ, personne n'y croyait, car il s'agissait d'une réflexion purement empirique, relate Olivier Tiret. C'est en changeant un terme dans l'équation qu'il s'est aperçu que ça marchait". Il faut dire qu'à l'époque, non seulement MOND remet en question le monument de la physique qu'est Newton, mais en plus, elle ne s'accorde pas avec un autre monument : la relativité d'Einstein. Or, depuis 2004, tout a changé : un aurre chercheur israélien, Jacob Bekenstein, a publié une version de MOND plus globale qui s'accorde cette fois avec la théorie d'Einstein. Résultat : MOND a gagné en crédibilité, et un vif débat s'est engagé dans la communauté scientifique entre les tenants de cette théorie et ceux de la matière noire.
Quatre ans plus tard, quelques dizaines d'équipes travaillent sur MOND, qui remporte suffisamment de succès pour êrre prise au sérieux. Des succès qui coïncident avec les faiblesses de plus en plus patentes du fameux "modèle standard", qui est depuis vingt ans le modèle dominant pour expliquer l'Univers, ses forces et les particules qui composent la matière. Car la matière noire est loin de tout résoudre, comme de plus en plus de scientifiques le constatent : "Le modèle standard marche mal, avoue sans détour Françoise Combes, spécialiste française de la simulation des galaxies à l'observatoire de Paris. Dans les programmes informatiques qui simulent la formation de l'Univers, la présence de matière noire pose problème. Sous l'influence de sa masse, les particules se concentrent beaucoup trop. En découlent des prédictions qui semblent erronées, comme la formation de plusieurs centaines de satellites autour de notre galaxie, alors que l'on en observe seulement quelques dizaines." Bizarre... En revanche, dans les simulations intégrant la gravité modifiée de MOND, les nuages de molécules s'effondrent pour former les étoiles et les galaxies dans des proportions qui, cette fois, correspondent avec les observations des astrophysiciens.
Son dernier succès en date, MOND le doit à deux amas de galaxies qui sont en train de se percuter dans le super-amas Abell 520. Publiés en octobre dernier, les résultats des observations des télescopes Chandra, installé dans l'espace, et CFHT, situé à Hawaï, s'accordent avec la théorie de gravité modifiée et mettent à malle modèle standard de la cosmologie. Selon ce dernier, lors de la collision de deux amas de galaxies, la matière noire, qui interagit très peu avec la matière, devrait traverser sans les voir les nuages de gaz et les étoiles de l'amas. Après la collision, le gaz resterait seul au milieu, tandis que la matière noire formerait un halo autour de la zone de collision. Or, dans Abell 520, la matière noire se trouve justement... au centre de la collision ! Les chercheurs y détectent en effet la présence d'une masse inconnue. Côté MOND, l'observation s'explique tout à fait : puisque le champ de gravité régnant dans la collision est plus intense que la physique de Newton ne le laissait entrevoir, la matière fantôme observée par les astrophysiciens est en fait un champ de gravité plus intense que prévu.
Reste qu'en mai 2007, une autre collision d'amas a bien failli reléguer MOND au placard. En accord avec le modèle standard de la cosmologie cette fois, les astrophysiciens ont en effet déduit la présence, tout autour de CI 0024+17, d'un gigantesque anneau de matière noire. Les anti-MOND étaient à deux doigts de crier victoire... Oui, mais c'était sans compter sur les neutrinos. Car grâce à ces petites particules, MOND explique sans problème la localisation du champ de gravité. Dans le cas d'Abell 520, peu de neutrinos sont présents : le champ de gravité intense est au centre de la collision ; dans celui de CI 0024+17, une quantité importante de neutrinos déplace le champ de gravité en périphérie, dotant l'amas d'une jolie couronne.

UN DÉBAT BIENTÔT TRANCHÉ

Pas de doute, MOND fonctionne... "Nos simulations marchent aussi bien que celles du modèle cosmologique standard, aime à répéter Olivier Tiret. Mais le jeune chercheur concède que cette voie reste marginale. "90 % des chercheurs travaillent encore sur la matière noire ! "Ce que confirme Michel Cassé, chercheur à l'Institut d'astrophysique de Paris et à l'origine de l'idée d'une présence de matière noire au centre de la Galaxie : "Le sujet est épineux, et MOND reste minoritaire." Pour l'instant, pas moyen de trancher entre les deux théories... mais sans doute plus pour longtemps. Car de nombreux projets en cours entretiennent l'espoir de savoir enfin si l'Univers est plein de cette matière invisible, ou plein de... vide. Le LHC d'abord, l'accélérateur de particules géant du Cern, près de Genève, dont la mise en service est prévue pour cet automne : qu'il détecte une seule particule de matière noire (un Wimp), et il signera l'arrêt de mort de MOND. Le satellite européen Planck ensuite, dont le lancement est prévu fin 2008, pourrait aussi s'avérer décisif, parce qu'il doit mesurer finement le rayonnement cosmologique fossile, cette première lumière de l'Univers qui baigne encore aujourd'hui tout le ciel. Or, les astrophysiciens observent que ce rayonnement est imperceptiblement inhomogène. Mais dans les simulations avec la matière noire, cette inhomogénéité est plus importante qu'avec MOND. Enfin, en 2009, le détecteur Katrin en Allemagne, dédié à la mesure de la masse des neutrinos, pourrait lui aussi trancher. Car pour que MOND fonctionne, ces particules doivent avoir une masse de 2 électronvolts (eV), valeur très proche de la limite supérieure théorique du neutrino, évaluée à 2,5 eV.
La science est donc à un moment charnière, car le dogme de la cosmologie pourrait bien tomber de son piédestal. Un cataclysme ? Françoise Combes relativise : "De la même manière que la relativité d'Einstein a étendu la gravitation de Newton, MOND serait un pas de plus dans la construction d'une théorie de l'Univers. C'est ça, la science ! Mais les physiciens des particules qui traquent la matière noire devront se recycler !

M.F. - SCIENCE & VIE > Juillet > 2008
 

   
 C.S. - Maréva Inc. © 2000 
 charlyjo@laposte.net