P L A N È T E  G A Ï A 
 
   
   
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Théorie du Tout : Enfin l'Unification ?

Unifier les 4 forces fondamentales de la nature : ce Graal de la physique, un chercheur californien de 39 ans, Garett LISI, affirme l'avoir trouvé. Coup de génie... ou coup d'épée dans l'eau ? En tout cas, sa "théorie du tout", publiée en ligne en novembre 2007, fait des vagues parmis les physiciens... En attendant que ses équations soient vérifiées, nous avons rencontré celui qui vient peut-être de sortir la physique de l'impasse.

Enfin une Théorie du Tout ?

Parvenir à unifier les quatre forces de la nature : ce rêve ultime de la physique, un jeune chercheur affirme l'avoir réalisé via une théorie du tout qui n'en finit plus de faire des vagues. Explications.

Est-ce une bombe qui vient d'enflammer le monde de la physique théorique ? Un pétard mouillé ? L'article scientifique de 34 pages qu'Antony Garrett Lisi a mis en ligne sur le site arxiv.org, le 6 novembre dernier, sous le titre retentissant "Une théorie du tout exceptionnellement simple", fait en tout cas beaucoup de bruit. Il faut dire qu'une telle audace fait généralement vite la réputation définitive de son auteur. Souvent en le couvrant de ridicule, parfois en l'honorant d'un prix Nobel ! Car c'est réellement le Graal que cherche désespérément la physique depuis un siècle, le procédé qui permettrait enfin de faire tenir l'ensemble de l'Univers et de la matière dans une seule équation, en un mot, une théorie du tout en bonne et due forme que prétend avoir découvert ce Californien de 39 ans, physicien free-lance de son état, et surfeur émérite. Une ambition a priori démesurée pour un inconnu travaillant hors de tout organisme scientifique... Pour comprendre de quoi il retoume, il faut d'abord revenir sur le rêve suprême des physiciens : parvenir à tout résumer dans une seule et même théorie. En effet, ils disposent pour l'instant, et ce depuis quasiment un siècle, de deux grandes théories qui, entre leurs mains, sont deux outils fantastiques pour étudier tous les objets de l'Univers.

UN MICROSCOPE ET DES JUMELLES

D'un côté, ils ont un fabuleux microscope qui leur permet d'observer les particules élémentaires et de sonder la matière dans ses plus minuscules recoins : c'est la mécanique quantique. De l'autre, ils ont une paire de jumelles remarquable, qui leur permet de décrypter la valse des astres et l'évolution de l'Univers : c'est la gravitation, régie par la théorie de la relativité générale. Mais voilà : il est certains objets physiques pour lesquels ces deux outils ne sont pas adaptés. Un trou noir, par exemple, a tout autant besoin d'être examiné au microscope (puisqu'il se concentre, en théorie, dans un point infiniment petit) qu'aux jumelles (car il est infiniment lourd, donc soumis aux lois de la gravitation). Certes, on pourrait se résoudre à ne pas écrire de théorie sur les trous noirs. Mais on voit mal un physicien digne de sa discipline renoncer à percer le mystère du centre des galaxies, de ces monstres qui dévorent tout ce qui s'approche d'eux.

MISER SUR LA GÉOMÉTRIE

Autre mystère dont les actuels outils théoriques ne viennent pas à bout : le big bang ! Et pour cause : à l'origine, notre Univers était extrêmement petit (puisqu'il est visiblement en expansion accélérée depuis 13,7 milliards d'années) et extrêmement massif (puisqu'il contenait déjà toute la matière et l'énergie en puissance). De plus, dans les premiers instants de l'Univers, toutes les forces connues n'en étaient qu'une seule et même.
On retrouve donc le même problème que pour les trous noirs : un outil qui puisse manipuler les quatre forces, et soit à la fois microscope et jumelles, fait défaut. Un outil auquel les physiciens ne cessent de rêver. Or, ce que Lisi pense tenir avec sa "théorie du tout", c'est tout bonnement les plans qui permettraient de construire cet outil.
Quels plans ? Ici, il faut savoir que depuis le début du XXè siècle, les plus grands théoriciens (Einstein compris) se sont usés en vain sur ce chantier éreintant qui revient en fait à relever deux défis : intégrer la gravitation dans la mécanique quantique (c'est-à-dire parvenir à quantifier celle force), et unifier les quatre forces connues de l'Univers au sein d'un même formalisme. Or, les trois premières, décrites par la mécanique quantique, ont déjà pu être regroupées dans un même formalisme, baptisé le "modèle standard de la physique des particules". Il s'agit de la force forte, qui assure la cohérence des noyaux des atomes ; de la force électromagnétique, qui produit la lumière ; et de la force faible, responsable de la radioactivité. Dans cette idée d'une théorie du tout, il ne manque donc que la quatrième force : la gravitation, qui, elle, prévaut aux grandes échelles (la nôtre et celle des astres) et que régit la relativité générale d'Einstein. Or, impossible jusqu'à présent de l'unifier comme les trois autres l'ont été. C'est-à-dire que, pour celles-ci, les physiciens sont parvenus à leur faire parler le même langage, en l'occurrence à les exprimer sous forme d'un échange de particules (la force électromagnétique est un échange de photons, la force forte un échange de gluons, etc). Or, la gravitation s'exprime, elle, d'une tout autre manière : elle est une manifestation de la courbure de l'espace-temps.

Reste un espoir : les trois premières forces ont, malgré leurs particularités, pu finalement être unifiées. Comment ? Grâce à d'étranges objets mathématiques appelés "groupes de Lie". Soit, en résumé, des objets qui permettent de classer les théories physiques selon les symétries qui les caractérisent. En physique fondamentale, une théorie est en effet un répertoire d'équations ; mais elle peut aussi être vue comme une figure géométrique (un cube, un hexagone...). Chaque équation est alors une partie de cette figure (un carré pour un cube, un triangle pour un hexagone...). Et le signe égal placé entre les termes de chaque équation peut alors être regardé comme une symétrie de la figure (une translation entre les carrés pour le cube, une rotation des triangles pour l'hexagone). Ainsi, en connaissant toutes les symétries de la figure, on connaît toutes les équations de la théorie. L'intérêt ? Les physiciens peuvent ainsi fonder une théorie physique en n'exhibant que ses symétries. Et c'est précisément ce mode de traitement qu'ils ont utilisé pour regrouper les trois premières forces dans un même cadre. Pour donner une image, on peut se représenter les trois premières forces sous la forme de trois figures géométriques telles qu'un cube, une sphère et un cylindre ; trois figures qui ont pu être fondues en une seule et même figure géométrique plus complexe, comme un superpolygone, les incluant toutes trois. Mais ils ont dû renoncer à en faire autant avec la gravitation, car la figure géométrique dans laquelle elle s'inscrit est incompatible avec les autres. Ils ont donc jeté l'éponge, et tentent plutôt, depuis les années 1970, de secouer leurs hypothèses de départ... La théorie des cordes, par exemple, qui est la plus fameuse des tentatives de théorie "unificatrice", part de l'hypothèse que les particules et les quatre forces qu'elles véhiculent (gravité comprise) ne sont pas assimilables à des points, mais à des petites lignes, des cordelettes dotées de différents modes de vibration. Le formalisme très complexe qui en découle permet en partie de rapprocher les forces, mais n'aboutit pas encore à un ensemble satisfaisant. Notamment, elle impose une conception de l'espace-temps assez peu intuitive, et contraire à toutes les observations : il serait constitué non pas de trois dimensions spatiales, mais d'au moins dix !

 E8 : LE GROUPE DE LIE SALVATEUR

Un oil gauche, un oil droit. Une oreille gauche, une oreille droite. La bouche et le nez au milieu. Qu'un visage humain soit symétrique par rapport à un plan imaginaire ne surprend pas : chacun en fait l'expérience immédiate. Que nombre de figures géométriques (triangles, cercles, pyramides...), possédent des symétries ne surprend guère plus... même si, pour se les représenter, il faut faire appel à des souvenirs de collégiens, à ces moments où dessiner la translation d'un carré selon une droite, par exemple, demandait concentration et application. Mais qui sait que les théories mêmes de la physique, ces équations qui décrivent le monde en langage mathématique, possèdent elles aussi des symétries ? Car c'est un fait : une loi physique peut être symétrique par translation, par rotation, par effet miroir, par dilatation ou par contraction de l'espace-temps... Ces symétries-là dépassent vite nos capacités à nous les représenter, mais elles ont une valeur théorique inestimable. Elles sont la quintessence des lois physiques : quasiment chaque loi ou ensemble de lois est associé à un groupe de symétries qui la définit totalement... On retrouve ce type de phénomène en géométrie : une sphère peut aussi bien être décrite par l'équation mathématique définissant les points qui la composent que par ses symétries, axiale et en "miroir". Evoquer l'équation ou énumérer ses symétries, c'est dire "sphère" dans deux langages équivalents.
Cette identification des théories de la physique à différents types de symétries est née durant l'hiver 1873-1874 de l'imagination du Suédois Sophus Lie (1842-1899), inventeur de la théorie des groupes de Lie. Elle est elle-même basée sur les travaux fondateurs du Français Evariste Galois (1811-1832), qui avait étudié et classé les groupes de symétries des figures mathématiques (sphères, courbes, etc.). Lie a alors transposé cette classification à des équations propres à la physique : les équations différentielles. Différentielles, parce qu'elles expriment les relations entre des mesures (de longueur, de température, de fréquence, etc.), des variations de ces mesures, des variations des variations de ces mesures, et ainsi de suite. Peu à peu, Lie et ses successeurs du XXè siècle sont arrivés à classer toutes les équations différentielles possibles dans seulement 9 grandes catégories, ce qui a rendu un fier service aux physiciens : ils disposaient dès lors d'un classement mathématique à seulement 9 échelons pour ranger toutes les lois décrivant notre Univers. Rien d'étonnant donc que ces 9 classes mathématiques, les groupes de Lie, soient devenues des objets conceptuels essentiels de la physique. A tel point que, dans les années 1950, le physicien américain Murray Gell-Mann a postulé l'existence d'une particule uniquernent parce que celle-ci était nécessaire pour réaliser les symétries d'un certain groupe de Lie (dit SU(3)). La confirmation expérimentale de l'existence de cette particule, le quark, liée à l'une des forces fondamentales de l'infiniment petit, comblera d'honneurs Gell-Mann... et les groupes de Lie. Puis, dans les années 1970, c'est la théorie électro-faible (unification des deux autres forces) qui trouve son groupe de Lie, noté SU(2) x U(1). Ce qui permet de fondre les trois forces dans le groupe de Lie noté SU(3) x SU(2) x U(1)...
Dans les années 1980, un groupe de Lie d'une taille spectaculaire appelé E8 fait une apparition sous la main des spécialistes de la "théorie des cordes". Ces derniers ont remplacé les particules fondamentales chères à la mécanique quantique par de minuscules cordes dont les différents modes de vibration sont censés rendre compte de la diversité des états de la matière, aussi bien que de la structure de l'espace-temps. Que vient faire E8 dans les cordes ? Tenir un second rôle ; il intervient comme intermédiaire de calcul sous plusieurs formes (E8, E8 x E8, etc.). En particulier, il sert à réduire le nombre de dimensions spatiales des cordes, de 26 à 10, ce qui n'est pas négligeable. Mais on sait par ailleurs qu'il contient les groupes de Lie correspondant aux trois forces fondamentales de l'infiniment petit... En 2004, surprise : des physiciens réussissent à rendre SO (3,1), le groupe de Lie décrivant la gravitation, compatible avec les autres. Et peuvent alors l'inclure dans E8. E8 héberge donc l'infinirnent petit et l'infiniment grand... Mais, concrètement, à quoi "ressemble" ce groupe de symétries ? C'est un monstre mathématique. Formellement, il se déploie sur... 248 dimensions ! Et les équations qui le composent dépeignent toutes les symétries d'un objet "existant" dans 57 dimensions... E8 contient ainsi rien moins que 60 gigaoctets d'instructions mathématiques. L'équivalent de l'information de 10 ADN humains, ou de 45 jours de musique archivée au format MP3... S'il fallait exprimer chaque équation contenue dans E8 par un nombre, cela demanderait de construire un tableau de 453.060 lignes et autant de colonnes. Au total, quelque 205.263.363.600 nombres - qu'on peut ramener à 13 milliards, du fait des répétitions. Un tel mastodonte n'est pas aisément manipulable. Et, à vrai dire, aucun scientifique ne peut jongler avec l'intégralité de ses composantes. Pour autant, le 19 mars 2007, un groupe international de 18 mathématiciens et informaticiens, associés à l'American institute for Mathematics (Etats-Unis), a annoncé avoir conçu un méga-algorithme de calcul des milliards de coefficients de E8. Pour "tourner", cet algorithme a nécessité un super-calculateur avec 500 Go de mémoire vive... Mais l'exploit à surtout été informatique. Car en pratique, mathématiciens et physiciens ne se servent pas des coefficients de E8 mais de ses propriétés géométriques et algébriques. Comme l'a fait avec brio Garrett Lisi.

IL Y A SIX MOIS, C'EST LE DÉCLIC

À contre-courant de cette théorie dominante, Garrett Lisi a préféré persister dans la voie "historique" de l'unification qui avait si bien marché pour les trois premières forces : celle de l'assimilation des théories physiques à des "figures géométriques" symétriques. Concrètement, après dix ans de recherches, Lisi s'est appuyé sur des travaux déjà existants : "Les choses ont commencé à se débloquer il y a deux ans, lorsque j'ai pris connaissance d'une formulation particulière de la relativité générale datant de 1977 et remise au goût du jour dans deux papiers datant de 2003 et 2005. "Il s'agit d'une formulation qui permet, si l'on y regarde de près, de contourner un théorème qui interdit à la figure géométrique représentant la gravitation d'être rapprochée des autres ! En 1977, tout le monde était passé à côté de cette formulation ! Lisi a donc commencé par lier ce groupe avec celui de l'interaction faible dans une figure englobant les deux, pour y ajouter ensuite l'interaction forte. Mais sans obtenir quelque chose de très élégant. Il y a six mois, c'est le déclic : "La véritable avancée a été de me rendre compte que l'échafaudage que j'avais élaboré pour mixer le modèle standard avec la gravitation était en réalité inclus dans une structure bien plus importante, le groupe de Lie E8. Cela permet de décrire toutes les propriétés des particules de matière et de force en termes d'une unique structure. Autrement dit, les équations algébriques qui décrivent le comportement de toutes les particules sont la conséquence de la géométrie d'un seul objet. Tout le contenu de l'Univers n'est donc que pure géométrie !"
Garrett Lisi a en fait utilisé la figure géométrique SRE8 (le système de racines de E8), soit un gigantesque polyèdre en 8 dimensions, doté de 240 sommets. Son procédé comporte deux étapes. Premièrement, il a identifié chaque sommet à une particule ou force connue, autant de la physique quantique que de la gravitation. Deuxième étape : il effectue une opération mathématique qu'on pourrait assimiler, métaphore oblige, à la rotation de SRE8 dans l'espace à 8 dimensions et à sa projection dans notre espace-temps à 4 dimensions. Comme si, pour revenir dans nos familières trois dimensions, on éclairait une construction en Meccano pour obtenir sur un écran une ombre dessinant la figure géométrique correspondant aux lois de la mécanique quantique. Et qu'en faisant pivoter adroitement la structure devant la lampe, c'était la figure des lois de la gravitation qui finissait par apparaître à son tour sur l'écran !
Un véritable tour de magie d'où émerge pour la première fois les quatre forces unies dans un même ensemble ! Car grâce à cette manipulation, "l'image projetée" de la structure montre, quasiment comme dans un film d'animation, comment se mêlent les "particules-sommets" de la mécanique quantique et celles de la gravitation. Ce film, sorte de diagramme animé des relations qu'entretiennent toutes les particules au sein d'un unique réseau, prouve autant qu'il décrit comment les deux théories sont bel et bien regroupées dans une plus large, via l'objet SRE8. C'est en tout cas ce qu'affirme son réalisateur...

THÉORIE NAÏVE OU GÉNIALE ?

Cerise sur le gâteau : une vingtaine de sommets du polyèdre à 8 dimensions s'étant retrouvés sans particule attribuée, Lisi en a déduit qu'il existe donc des particules prêtes à être encore découvertes ! Au nombre de 20 exactement, elles pourraient venir confirmer sa théorie si elles étaient un jour observées... Mais si ce n'est pas le cas, tout son édifice s'écroule...
On imagine aisément la satisfaction intellectuelle procurée par une telle découverte. Et la curiosité qu'elle suscite chez les physiciens réceptifs. Certes, d'aucuns moquent Lisi, dénonçant une certaine naïveté à croire que la géométrie peut suffire à expliquer le monde. Mais la relativité générale d'Einstein ne disait-elle pas cela elle aussi ? "Je n'ai jamais travaillé aussi dur de ma vie, et j'ai acquis un grand respect pour les mathématiques, dont j'avais pensé jusqu'à présent, dans ma légèreté d'esprit, que la partie la plus subtile n'était qu'un luxe", écrit Einstein en 1912.
Reste maintenant à voir, si la théorie de Lisi s'avère solide, ce qu'elle dira de plus sur notre Univers. Et si les plans qu'elle fournit pour finaliser la théorie du tout, c'est-à-dire l'outil manquant pour pouvoir "tout" observer, trous noirs et big bang y compris, s'avèrent féconds.

R.I. - SCIENCE & VIE > Janvier > 2008

Interview de Garrett Lisi

"Ma théorie du tout, j'ai mis 10 ans à l'élaborer en solitaire, loin des pressions académiques."

Garrett Lisi ouvre la porte de son "laboratoire". Nous ne sommes ni à Harvard ni à Princeton, mais à Incline, un paisible village en bordure du lac Tahoe, dans les montagnes de la Sierra Nevada, dans l'ouest des Etats-Unis. C'est là, dans une petite maison rouge cachée entre les sapins, que ce physicien de 39 ans a élu domicile. Là qu'il vit sa notoriété soudaine. Le personnage est atypique : loin du chercheur besogneux, il partage sa vie entre sports de glisse et physique des interactions fondamentales. "J'ai fait le choix de ne subir aucune pression académique afin de me consacrer, à mon rythme, aux seules questions qui m'intéressaient", explique celui qui, depuis 1999 et sa thèse de doctorat en poche, est devenu un scientifique nomade freelance. Résultat : pendant près de dix ans, entre Hawaï et la Califomie, Lisi a développé en solitaire une théorie d'unification du modèle standard de la physique des particules et de la relativité générale. Pour vivre, il s'est fait consultant, guide de randonnée ou moniteur de surf. L'essentiel pour lui étant de préserver un équilibre entre intenses périodes de cogitation intellectuelle et virées au grand air : "Passer toutes mes journées dans un laboratoire m'aurait rendu fou." Mais depuis la publication en ligne de sa théorie, il est au centre d'un tourbillon scientifico-médiatique dont il ne revient pas encore. Avant, j'avais une conversation par semaine. Là, j'ai reçu des centaines de mails en quelques jours !" Comment intégrer l'élément célébrité dans son "équilibre" ? C'est l'une des nombreuses questions que nous lui avons posées. En exclusivité.

Science & Vie : Il y a encore quelques mois vous étiez un parfait inconnu vivant à l'écart des circuits académiques. Que s'est-il passé depuis ?
Garrett Lisi : Cela fait dix ans que je cherche une façon d'unifier formellement le modèle standard de la physique des particules et la gravitation. Or, il y a six mois, j'ai été très frappé de constater que la structure que j'avais élaborée s'intégrait paffaitement avec celle du groupe de Lie exceptionnel E8. Quelque temps auparavant, j'avais bénéficié d'un financement de la part d'une institution philanthropique privée (l'Institut pour les questions fondamentales, FQXi). J'ai alors pensé que ce serait une bonne idée de communiquer un peu plus sur mon travail. Je me suis donc rendu à la conférence organisée l'été dernier sur la gravité quantique à boucles, au cours de laquelle ma théorie a réellement reçu un très bon accueil. Dans la foulée, j'ai été invité plusieurs semaines à l'Institut Perimeter, où j'ai rencontré beaucoup de physiciens de la communauté des boucles. A la fin de l'été, je me suis rendu en Islande pour une conférence organisée par FQXi. Il y avait des physiciens, mais aussi des joumalistes. C'est à cette occasion que le New Scientist a décidé de publier un papier sur mon travail. Enfin, début novembre, j'ai mis mon article en ligne.

S & V : Pour quelles raisons votre travail a-t-il soulevé un tel enthousiasme ?
G. L. : Cela tient à deux choses. Il y a d'abord une raison esthétique, liée au fait que la structure avec laquelle je décris l'ensemble des interactions fondamentales est très élégante. De surcroît, on peut la représenter de façon très visuelle, ce qui rend le cour de mon travail compréhensible par tout le monde. Et puis il y a une raison historique. La quête de l'unification est en effet une problématique ancienne. Elle conceme évidemment les physiciens. Mais là encore, l'idée d'un schéma unique permettant de décrire tout ce qui existe a des résonances évidentes dans l'esprit de tout un chacun.

S & V : Par quel cheminement êtes-vous parvenu à votre théorie du tout ?
G. L. : Le point de départ de mon travail, c'est la volonté de comprendre ce qu'est une particule. Pourquoi les propriétés d'un électron ou d'un quark sont-elles décrites par telle ou telle équation ? Quant à ma démarche, elle est fondée sur la conviction que la géométrie est le langage adéquat pour décrire les propriétés des constituants élémentaires de la matière. En montrant que la gravitation n'est que le reflet de la géométrie de l'espace-temps, Einstein a dévoilé cette relation entre physique et géométrie. C'est ainsi qu'il y a 6 mois, les choses se sont tout à coup débloquées pour moi : j'ai réalisé que l'échafaudage que j'avais élaboré pour mixer le modèle standard avec la gravitation, cela à partir d'une formulation particulière de la relativité générale datant des années 1970 et remise au goût du jour dans deux papiers datant de 2003 et 2005, était en réalité inclus dans une structure bien plus importante : le groupe E8. Cela permet non seulement de prédire l'existence de nouvelles particules encore inconnues, mais surtout de décrire toutes les propriétés des particules de matière et de force en termes d'une unique structure. Autrement dit, les équations algébriques qui décrivent le comportement de toutes les particules sont la conséquence de la géométrie d'un seul objet. Tout le contenu de l'Univers n'est donc que pure géométrie !

S & V : Plusieurs physiciens pensent que votre succès est dù au fait que vous soyez un... surfeur !
G. L. : C'est faux ! Lors de la présentation de ma théorie à la conférence sur la gravité quantique à boucles, mon travail a reçu un écho très favorable de la part de physiciens parfaitement respectables. Idem lors de mon séjour à l'Institut Perimeter. Et ces gens se fichent pas mal de savoir si je vis à Hawaï ou si je fais du surf ! Cela dit, j'admets qu'une partie de mon succès médiatique soit liée à mon profil singulier. Sans cela, mon travail n'aurait peut-être pas dépassé les frontières de la communauté de la gravité quantique à boucles, ce qui en un sens aurait été très bien pour moi. Mais cette question n'a rien à voir avec le contenu de ma théorie.

S & V : Néanmoins, votre travail a suscité des réactions très virulentes. Notamment de physiciens travaillant sur la théorie des cordes.
G. L. : Les gens ne devraient jamais réagir de façon émotionnelle face au contenu mathématique ou physique d'un travail scientifique. S'ils le font, c'est qu'en plus de la problématique scientifique se greffent des questions politiques. Le simple fait que ma théorie puisse être incompatible avec la théorie des cordes est jugé par certains comme une attaque contre la position dominante de cette théorie dans le monde académique. Pour autant, sur le fond, ma théorie est parfaitement critiquable. J'ai d'ailleurs conscience de ses lacunes et des épreuves qui l'attendent, tant sur le plan théorique qu'expérimental.

S & V : Certains vous reprochent d'être aveuglé par l'harmonie mathématique. A la maniène de Kepler qui était persuadé que le mouvement des planètes était descriptible via les propriétés géométriques des solides de Platon.
G. L. : Kepler avait pour point de départ les solides platoniciens. Moi, je suis parti du modèle standard et de la relativité générale. Ce n'est que récemment que j'ai compris que ma construction était descriptible dans les termes de la géométrie de E8. Ma démarche est donc inverse de celle de Kepler. Du reste, la seule question qui compte est de savoir si une théorie décrit ou non la réalité physique. Dans le cas de Kepler, sa construction a été disqualifiée par les observations. De même, ma théorie sera jugée à l'aune de l'expérience.

S & V : Au-delà de votre théorie ou de votre style de vie, le fait de ne pas publier vos travaux dans des revues à comité de lecture vous rend suspect aux yeux d'une partie de la communauté...
G. L. : Très franchement, je pense que ce système est à bout de souffle. Avant, ces revues étaient le seul canal de distribution des articles scientifiques vers la communauté. Avec le développement d'Internet, ce n'est plus le cas, et de nouveaux modes de transmission du savoir sont à imaginer et à développer. Evidemment, la question du filtre permettant de mettre de côté les articles farfelus ne doit pas être escamotée. Mais à y bien regarder, le système des "referees", qui consiste à faire juger par les pairs le contenu d'un article scientifique avant sa publication, n'est pas optimal. Le plus souvent, faute de temps, les referees fondent leur opinion sur une lecture approximative d'un papier. C'est ainsi que les frères Bogdanov ont été publiés dans des revues réputées sérieuses ! Nous devrions explorer des systèmes de filtrage coopératifs, impliquant l'ensemble des membres d'une communauté scientifique.

S & V : Vous avez travaillé pendant 10 ans hors du système académique. Comment envisagez-vous le futur ?
G. L. : Après mon doctorat, deux raisons m'ont incité à m'extraire du système académique. Tout d'abord, en 1999, la seule possibilité qui s'offrait à un jeune physicien intéressé par la question de l'unification des forces était de travailler sur la théorie des cordes. Or, celle-ci ne m'a jamais semblé naturelle : beaucoup de paramètres et une construction mathématique trop complexe eu égard à mon idéal de simplicité. Par ailleurs, travailler sur l'unification est difficile et souvent frustrant. Ainsi, je suis passé par de nombreuses tentatives infructueuses avant de formaliser ma théorie. Du fait de mon style de vie, lorsque la physique ne marche pas, rien ne m'empêche de mettre la clé sous la porte et d'aller surfer une semaine ! Cela m'a non seulement permis de travailler exclusivement sur les questions qui m'intéressaient, et au rythme qui me convenait, mais aussi de maintenir un équilibre entre travail et détente. Pour autant, j'ai conscience que si je veux développer ma théorie, cela pourrait être intéressant de fédérer des physiciens autour de moi. J'y travaille actuellement au travers des possibilités offertes par le Net. Quant à fonder un groupe au sein d'une université, je pense que je le ferais si l'opportunité se présentait... à condition de pouvoir m'échapper le plus souvent possible pour faire du snowboard. En fait, mon idéal serait ce que j'appelle un "hôtel scientiflque". Un lieu situé dans un environnement agréable, où des physiciens pourraient venir travailler, échanger, mais aussi se livrer à toutes sortes d'activités extraprofessionnelles ! Et surtout, sans subir aucune pression liée à telle ou telle responsabilité.

MATHIEU GROUSSON - SCIENCE & VIE > Janvier > 2008

Ce qu'il faut Maintenant : Vérifier

Pour valider cette théorie, il faudra reprendre les calculs de Garrett Lisi, et vérifier qu'elle s'accorde avec tous les aspects de la physique théorique et appliquée. Un travail colossal, souhaité autant par ses admirateurs que par ses contradicteurs.

Avec la trouvaille de Carrett Lisi, le rêve de tous les physiciens de parvenir à une théorie du tout vient-il enfin de se réaliser ? Pour l'heure, rien ne permet de l'affirmer et la prudence reste de mise. D'autant que les réactions de la communauté scientifique après la publication en ligne de cette "exceptionnellement simple" théorie du tout sont particulièrement passionnées : elles vont du franc mépris au bel enthousiasme. Difficile dans ces conditions de s'y retrouver. Des exemples ? "Je n'ai pas lu ses travaux, mais cela me fait penser à l'affaire Bogdanov", confie, radical, un physicien du CEA, en référence à la prétendue "théorie de la singularité initiale" des télégéniques jumeaux. "Lisi a cru qu'il avait entre les mains quelque chose de nouveau alors que ce n'est pas le cas. Il édiatique que d'un travail exceptionnel", avance pour sa par Thibault Damour, célèbre théoricien de l'Institut des hautes études scientifiques, tout en reconnaissant que du point de vue mathématique, Garrett Lisi "n'est pas nul et sait de quoi il parle". Alvaro De Rujula, chercheur au Cern, le grand accélérateur de particules européen, n'est pas plus tendre : "Peut-être Lisi a-t-il trouvé une façon astucieuse de réaliser une unification des deux théories, et peut-être y a-t-il quelque chose de sérieux dans ce qu'il affirme. Mais c'est loin d'être démontré. La vraie particularité de ce travail, c'est qu'il n'a pas été réalisé par un physicien qui gagne sa vie comme physicien". On le voit, pour nombre de spécialistes, la chose paraît entendue : l'article n'est pas publié dans une revue classique, il n'a donc pas étéévalué par des pairs, comme l'exige le code de bonne conduite scientifique...
Car d'autres physiciens sont, eux, enthousiastes. "Je pense que c'est sérieux, et l'aime beaucoup ce travail. Mais il faut maintenant du temps pour le digérer et arriver à des conclusions plus solides. Quoi qu'en pensent ses détracteurs, il est pour moi remarquable qu'une personne hors de la communauté arrive à susciter cet intérêt. Beaucoup de gens dans cette situation écrivent des choses qui ne sont jamais discutées ; à l'inverse, des physiciens installés dans les plus prestigieuses institutions réalisent des travaux dont on débat partout alors qu'ils ne le meritent pas. En l'occurrence, le travail de Lisi est intéressant. Si cela fonctionne, c'est un pas considérable. Et quel que soit son profil privé, c'est quelqu'un de sérieux", estime Carlo Rovelli, du Centre de physique théorique de Luminy, près de Marseille, qui admet même regretter de ne pas avoir eu plus tôt l'idée de procéder comme Lisi ! D'aùtres encore, après une première réaction épidermique de rejet, reviennent sur leur avis. Après tout, l'enjeu est d'importance... Si ces réactions, pour le moins contrastées, surprennent de la part d'une communauté dont on attend un avis empreint d'une totale rationalité, elles sont en fait révélatrices de la période de trouble dans laquelle se trouve la physique théorique moderne. Car depuis près d'un siècle, les physiciens sont perdus. La théorie de la relativité générale, élaborée en 1915 par Einstein, décrit à merveille la gravitation, pendant que la mécanique quantique décrit, elle, parfaitement les lois qui gouvernent l'infiniment petit. Et impossible de prendre l'une ou l'autre en défaut. Mais voilà : elles sont incompatibles entre elles, les lois de l'une ne s'appliquant pas à l'autre, et vice versa. Jusqu'à la fin de sa vie, Einstein lui-même tenta bien de les marier par tous les moyens. En vain.

DES ARRIÈRE-PENSÉES

Ouverte il y a presque un siècle, cette crise théorique s'est franchement intensifiée ces dernières années. Car dans la course à une théorie qui serait enfin unificatrice, une théorie s'est imposée : celle des cordes, où les particules ne sont plus les éléments premiers de la physique, mais procèdent de minuscules cordes vibrantes, d'où la possibilité de résoudre certaines contradictions. Selon ses zélateurs, largement majoritaires dans la communauté scientifique, cette théorie serait la seule vraie tentative de "théorie du tout" digne de ce nom. Développée à partir des années 1970, cette théorie domine même tellement le monde des physiciens qu'elle est devenue la voie académique obligée pour tout titulaire d'un doctorat se piquant de vouloir "dépasser Einstein" et de réunir enfin les deux physiques incompatibles. Mais elle est de plus en plus attaquée. Non seulement par les tenants d'une autre théorie, dite des boucles, mais plus largement parce que certains lui reprochent de n'avoir obtenu aucun résultat concret depuis trente ans, d'autres d'être devenue si multiforme qu'elle pourrait rendre compte de tous les univers possibles. Lee Smolin, ancien cordiste devenu boucliste, a même écrit l'année dernière un livre intitulé "Rien ne va plus en physique", pour dénoncer l'hégémonie stérile de la théorie des cordes et l'impasse dans laquelle elle a mené la physique. C'est dans ce contexte que débarque la théorie de Lisi. Et plutôt comme un élément perturbateur : dès le début de son parcours, Lisi a pris parti contre le clan dominant. S'il a refusé d'entrer dans le système institutionnel, c'est qu'il voulait travailler sur l'unification des forces tout en rejetant la théorie des cordes. Quelques jours après la diffusion de sa théorie, n'admettait-il pas lui-même que son rêve est de "découvrir une belle théorie du tout qui botterait les fesses de la théorie des cordes" ! Ce qui explique en partie la virulence des réactions : les plus véhémentes protestations émanent des cordistes, et les avis enthousiastes des bouclistes. Mais ce n'est pas la seule cause. La résonance que ses travaux connaissent dans les médias grands publics, due à la personnalité atypique de Lisi, adepte du snowboard et sorte d'électron libre de la physique, en irrite plus d'un. Bref, les avis des spécialistes ne sont pas dénués d'arrière-pensées qui, in fine, rendent difficiles une appréciation sereine de son travail.

La théorie du tout à l'épreuve du Lagrangien

En montrant que les structures du modèle standard et de la relativité générale se déduisent de la seule géométrie de E8, Garrett Lisi est parvenu à classer toutes les particules existantes et à en prédire de nouvelles. Ce faisant, il a également décrit tous les mécanismes d'interaction possibles entre elles. Pour autant, une telle construction ne dit rien sur les mécanismes qui sont effectivement observés dans la nature. Pour ce faire, il faut écrire ce que les physiciens appellent un Lagrangien. Soit une certaine fonction des champs décrivant les particules et les forces auxquelles elles sont soumises, à partir de laquelle on peut décrire la dynamique d'un système physique. Dans le cas d'une particule classique dans le champ de pesanteur par exemple, le Lagrangien est une combinaison des énergie cinétique et gravitationnelle de la particule, d'où l'on déduit les équations du mouvement. Dans l'état actuel de sa théorie, Lisi est parvenu à écrire un Lagrangien "à la main", en tenant compte des contraintes imposées par le modéle standard des particules et la relativité générale. Mais il serait beaucoup plus satisfaisant de dériver ce même objet mathématique en se fondant directement sur les symétries fondamentales de E8.

UN EXEMPLE ILLUSTRE

Pour autant, même parmi les opposants, on s'accorde peu à peu à reconnaître que Lisi maîtrise ce dont il parle. Et l'on note que si son article n'a pas été amendé par un canal officiel, il n'en est pas moins écrit d'une manière cohérente avec la norme académique. Quant à sa démarche, qui place au cour de sa théorie un objet mathématique (le groupe de Lie E8), l'histoire de la physique offre un beau précédent : Murray Gell-Mann, le père des quarks, "inventa" ces particules sensibles à la force forte en utilisant lui aussi un groupe de Lie. Et s'il se vit dans un premier temps refuser la publication de ses travaux dans Physical Review Letters, qui aujourd'hui encore fait autorité, cela ne l'a pas empêché d'obtenir le prix Nobel de physique pour ces mêmes résultats en 1969 !

UNE LONGUE VÉRIFICATION

Garrett Lisi est-il lui aussi un futur prix Nobel de physique ? On est très, très loin d'en être là. Mais les éléments n'en sont pas moins suffisants pour prendre ses travaux au sérieux. Et tenter de vérifier sa théorie, en toute impartialité. Ce qui va prendre un certain temps. Car, comme pour tout nouveau formalisme, il va falloir reprendre ses calculs, vérifier ligne après ligne la logique de son article. Ensuite, il s'agira de vérifier que sa théorie s'accorde bien avec tous les aspects de la physique théorique connue et éprouvée. Un travail énorme ! C'est d'ailleurs l'une des raisons qui a poussé le chercheur à faire connaître sa théorie : il a besoin d'aide ! Il en trouvera parmi les bouclistes, qui ont bien l'intention de s'y pencher sérieusement, dans l'espoir de faire avancer leur propre théorie. Tandis que les théoriciens des cordes auront probablement à cour de décortiquer l'article afin de trouver l'erreur qui renverrait son auteur au rang de mystificateur. Mais au final, on saura enfin ce que vaut la prometteuse théorie. "Il faudra six mois ou un an pour savoir si ce papier a ouvert une voie. Même si les polémiques persisteront, on saura alors clairement s'il y a une direction à suivre ou si son idée recèle une erreur grossiere, estime Carlo Rovelli.
Et si Garrett Lisi franchit cet obstacle déterminant, quelles seront les étapes suivantes? L'auteur lui-même ne rechigne pas à révéler les faiblesses majeures que sa théorie devra dépasser : "Il y a dans le modèle standard trois générations de particules, dont les masses vont croissantes. Ma théorie décrit très bien les propriétés de la première génération, mais elle achoppe pour le moment sur les deux autres. En outre, elle prédit pour l'instant une constante cosmologique [un paramètre de la relativité générale lié à la courbure de l'espace-temps] gigantesque, alors que les observations la donnent très petite." En outre, il doit encore obtenir un Lagrangien, c'est-à-dire une équation sans laquelle une théorie n'est qu'une coquille vide. Pas question pour Lisi de passer ces questions sous le tapis. Après quoi, restera l'ultime étape : la confrontation à la réalité. "Si ma théorie parvient à contourner tous ces écueils théoriques, elle ne survivra que si elle est confirmée par l'expérience. Or, comme elle ne contient aucun paramètre ajustable, toute déviation entre ses prédictions et l'expérience suffirait à la remiser dans la catégorie des tentatives avortées !" Et ce n'est là le moindre de ses mérites sur la théorie des cordes qui, elle, semble impossible à prendre en défaut tant elle est "adaptable". Car la théorie de Lisi permet de prédire, en plus des particules déjà connues, d'autres particules, vingt précisément, encore jamais détectées. Les particules élémentaires sont en effet généralement "inventées" par une théorie avant d'être réellement observées. Ici, les expérimentateurs attendent justement la mise en service au Cern, près de Genève, d'un futur accélérateur, le Large Hadron Collider (LHC) en 2008. En projetant les unes contre les autres des particules à des vitesses encore jamais atteintes, il devrait permettre de voir plus loin, plus profond dans la matière. Et, peut-être, révéler ses composants intimes encore invisibles. Si la théorie de Lisi a fait des prédictions correctes que l'expérience pourra révéler, alors le plus gros du travail sera fait. Et une seule figure géométrique rendra compte de l'Univers tout entier...

M.G. et C.B. - SCIENCE & VIE > Janvier > 2008

La "Théorie du Tout" Contestée

En janvier 2008, Science & Vie accordait une large place aux travaux de Garrett Lisi, un surfeur physicien proposant rien de moins qu'une "théorie du tout" à même d'unifier les quatre interactions fondamentales : la gravitation, l'électromagnétisme, et les forces nucléaires faible et forte.

Plus précisément, dans un article jamais soumis à publication dans une revue spécialisée, ce chercheur indépendant montrait que les structures mathématiques qui décrivent les symétries des quatre forces de la nature, ainsi que les particules de matière, sont en réalité des sous-groupes d'une superstructure à 248 dimensions appelée E8. Manifestement, la trouvaille était trop belle. Dans un récent papier publié dans Communications in Mathematical Physics, Skip Garibaldi, de l'université Emory, à Atlanta, et Jacques Distler, de l'université du Texas, à Austin, montrent que la construction proposée par Lisi ne tient pas. En effet, dès son origine, celle-ci était confrontée à un problème admis par son auteur : en l'état, elle ne rend compte que d'une seule génération de particules de matière (électron, neutrino et deux quarks). Or, la nature en compte trois. Pire, selon les deux scientifiques, cette première génération ne posséderait même pas certaines des propriétés élémentaires connues des particules du modèle standard. Or, comme l'écrit Skip Garibaldi sur son blog : "Ce qu'il y a de beau avec les mathématiques et la physique, c'est que ce n'est pas subjectif". Autrement dit, fermez le ban. "Je suis fatigué de répondre aux questions sur cette 'théorie du tout'. Et je suis content de pouvoir renvoyer désormais vers un article scientifique publié dans une revue avec comité de lecture qui la réfute clairement", conclut-il. Sauf que Garrett Lisi ne l'entend pas de cette oreille. Pour lui, "quiconque croit ces déclarations trompeuses au lieu de penser par soi-même ne mérite pas de s'intéresser à E8". Et de faire remarquer que les problèmes soulevés par les deux chercheurs d'une part existent dans d'autres théories physiques, d'autre part ne sont peut-être pas insurmontables. Bref, loin d'avoir été réfutée, sa théorie serait simplement toujours en construction. Et l'objet de travaux en collaboration avec d'autres scientifiques. Pas sûr, donc, que la controverse soit close...

M.G. - SCIENCE & VIE > Juin > 2010
 

   
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