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Megacam, la Machine à Remonter le Temps

Si, à Hawaï, les astronomes profitent d'un site d'observation exceptionnel pour scruter le ciel, ils arpentent désormais l'Univers avec un champ de vision inédit. Cela grâce à MegaCam, sorte d'appareil photo géant qui, couplé à l'un des meilleurs télescope du monde, dévoile l'Univers le plus lointain, dans l'espace... et le temps.

La nuit est tombée sur le volcan Mauna Kea, point culminant de l'île d'Hawaï, perdue au beau milieu de l'océan Pacifique. Le panorama nocturne du volcan éteint, immense dôme couvert de cendre grise et grège, est impressionnant, presque irréel. Très loin, au-dessus de l'océan, des éclairs illuminent par instant d'énormes cumulus bourgeonnants. Cent kilomètres vers le sud, une lueur rouge rappelle que le volcan voisin, le Mauna Loa, est en constante activité : l'un de ses évents, appelé Pu'u'O'O, vient de se réveiller et les coulées de lave qu'il déverse plongent dans l'océan. 18 heures, la montagne est silencieuse et glaciale, la station météo, un moment hésitante, se décide à afficher une température négative. Difficile d'imaginer que nous sommes sous les tropiques, sur le "spot" des riders de vagues géantes et des pêcheurs au gros ; à cette heure-ci, 4200 mètres plus bas, dans tous les pubs de la côte, les uns et les autres, casquette de baseball vissée à l'envers sur la tête, content leurs exploits devant une Budweiser glacée.
Nous sommes à l'observatoire d'Hawaï, une île improbable, flottant au-dessus de la mer de nuages. Sur ce belvédère sublime, les chercheurs ont découvert, il ya une quarantaine d'années, les meilleures conditions astronomiques de la planète, à égalité avec les Andes chiliennes : un "spot", encore, mais pour astronomes cette fois. Le ciel, ici, est d'une pureté exceptionnelle. L'altitude, proche de celle du mont Blanc, offre une transparence et une stabilité hors normes ; pour trouver mieux, il faut aller dans l'espace... C'est possible, comme l'a brillamment prouvé le télescope spatial Hubble, mais c'est cent fois plus cher !

DES CHAMPS CÉLESTES PRESQUE VIDES D'ÉTOILES

Isolé au sommet du volcan, le télescope franco-canadien d'Hawaï (CFHT : Au cour de Megacam, la plus grande caméra CCD au monde, un pavage de silicium compte 340 millions de pixels, 28 fois plus que les meilleurs appareils photo numériques) est tourné vers la constellation de la Baleine. L'énorme machine de 330 tonnes, haute de 20 mètres, pointe un coin de ciel obscur, situé entre les étoiles Mira Ceti et Kaffaljidhma. Depuis 3 ans, une nuit sur trois, le télescope vise, pendant six heures d'affilée, les mêmes régions du ciel, au fil des saisons. Soit quatre champs célestes, dans la Baleine, le Sextant, le Bouvier et le Verseau, tous choisis pour cette étonnante propriété : ils sont presque vides d'étoiles ! Evidemment, ce choix ne doit rien au hasard. Notre système solaire est plongé dans une galaxie spirale, la Voie lactée, qui compte plusieurs centaines de milliards d'étoiles et dont la forme est celle d'un disque, renflé en son centre. Lorsque les plus puissants télescopes du monde sont orientés en direction de ce disque galactique, ils sont littéralement aveuglés : leurs images ne montrent que des étoiles par millions. Autrement dit, pour étudier l'Univers à plus grande échelle, tester la théorie du big bang, comprendre comment le cosmos s'est structuré, quand et comment sont apparues les étoiles et les galaxies, en un mot, reconstituer l'évolution cosmique, il faut s'affranchir des étoiles de notre Voie lactée qui, par leur éclat, éclipsent les astres situés derrière elles...
Depuis quelques années, les astronomes cherchent donc des "fenêtres" ouvertes sur l'Univers lointain. Pour cela, ils disposent leurs télescopes perpendiculairement à la Voie lactée, visant des régions dénuées d'étoiles. C'est seulement via ces fenêtres ouvertes sur l'infini - appelées "champs profonds" - que les plus puissants télescopes du monde peuvent plonger dans l'abîme du temps, reconstituer à rebours le fil de l'histoire cosmique, explorer le cosmos au-delà de dix milliards d'années-lumière.
Le seul problème, c'est que ces engins, comme Hubble dans l'espace, ou les géants de 8 à 10 mètres de diamètre installés à Hawaï, ont un champ de vision extrêmement limité, comme un téléobjectif de photographe qui peut voir en détailles branches de l'arbre, mais ne perçoit pas la forêt qui l'entoure. En outre, les plus puissants télescopes sont sollicités pour l'étude de toutes sortes d'astres - planètes, étoiles, nébuleuses, galaxies, quasars, trous noirs, etc. Or, la cosmologie, cette branche de l'astronomie qui ambitionne d'étudier l'Univers dans son ensemble, exige de grands champs et de très longs temps d'observation, les astres qu'elle jauge - essentiellement des galaxies lointaines - présentant un éclat jusqu'à un milliard de fois plus faible que la plus pâle étoile visible à l'oil nu ! L'équipe scientifique du CFHT a donc décidé, à l'orée du XXIe siècle, de faire de son télescope une véritable "machine cosmologique". L'idée est simple, et d'une redoutable efficacité : plutôt que de "picorer les astres" un peu partout sur la voûte céleste, comme les télescopes géants, il s'agit de vouer le CFHT à un nombre plus restreint de recherches, mais auxquelles est consacré un temps d'observation exceptionnel. Et pour décupler la puissance du télescope, on a construit à son unique usage "MegaCam", la plus grancle caméra CCD (Charge Coupled Device) du monde ! Et surtout, la plus formidable machine à remonter le temps.

QUATRE FOIS LA SURFACE DE LA PLEINE LUNE

Le couple CFHT-MegaCam offre aux chercheurs un champ exceptionnel, d'un degré carré, ce qui représente quatre fois la surface de la pleine Lune. A l'échelle du ciel entier, c'est minuscule - 1/40000 de la surface céleste - mais pour les télescopes géants, c'est énorme... Par exemple, la Advanced Camera (ACS), dite caméra "à grand champ" du télescope spatial Hubble, offre un champ de vision... quatre cents fois plus réduit que celui de MegaCam !
Bref, MegaCam est un "appareil photo" géant. Mesurant 1,8 m de haut et pesant 350 kg, l'engin, construit par le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) à Saclay, est installé depuis 2003 au bout du tube du télescope, au foyer de son miroir. Au coeur de MegaCam, son capteur CCD, une mosaïque de silicium de 30 cm de côté, est refroidi à -120°C. Ce capteur CCD compte 340 millions de pixels, un chiffre à comparer aux 8 à 12 millions de pixels que comptent les meilleurs appareils photo numériques actuels ou, mieux encore, aux 16 millions de pixels de la toute dernière caméra CCD de Hubble ! MegaCam, bijou technologique à 7 millions d'euros, n'a actuellement pas d'équivalent au monde. Christian Veillet, directeur de l'observatoire CFHT explique : "MegaCam nous a confrontés à un problème inédit, celui de la quantité d'informations à traiter. Une seule image de MegaCam "pèse" 770 méga-octets. En une seule nuit, le télescope et sa caméra enregistrent une centaine de giga-octets de données, qu'il faut traiter et transmettre pratiquement en temps réel aux utilisateurs du télescope, un peu partout dans le monde... Le CNRS français et le Conseil national de recherches canadien (CNRC), qui gèrent le télescope avec l'université d'Hawaï, ont donc décidé de créer un centre de traitement de données de la caméra MegaCam, Terapix, qui emploie une douzaine de personnes, à l'Institut d'astrophysique de Paris. Ce ne sera pas de trop, comme l'explique Yannick Mellier, patron de Terapix : "Au rythme actuel d'acquisition de données par le télescope et sa caméra, nous aurons engrangé en 2008 quelque 100 téraoctets de données, soit 100 000 gigaoctets... "

DES OBSERVATIONS COMMANDÉES À DISTANCE

Au sommet du Mauna Kea, à l'aube, le CFHT s'arrête, penché vers l'ouest. Les étoiles pâlissent, la Baleine s'apprête à plonger vers l'horizon. Les deux "pilotes de nuit" du télescope, Mary Beth Laychak et David Woodworth, terminent leur "check-list" et ferment la boutique. Puis ils suivent la piste de 25 km qui les emmène au camp de base de l'observatoire, sur le flanc sud du volcan, à l'altitude plus raisonnable de 2800 m. Ils y dormiront jusqu'à 15 heures, avant de remonter pour une nouvelle nuit de confrontation avec la constellation de la Baleine...
Presque entièrement automatisé, comme un satellite dans l'espace, l'observatoire franco-canadien effectue les programmes de recherche demandés par des astronomes, qui, souvent, ne sont jamais venus à Hawaï. Comme le précise Christian Veillet, "nous effectuons environ 85 % des observations planifiées par les chercheurs qui n'ont donc plus besoin de se déplacer jusqu'ici. Nous traitons les données et les leur transmettons via des lignes à haut débit. En fait, nous sommes une société de service scientifique, les astronomes sont nos clients ; nous les choyons pour qu'ils plébiscitent notre télescope ! "La petite entreprise compte une cinquantaine de personnes, et a un budget de 6 millions d'euros par an, avec un succès certain : "Nous recevons quatre fois plus de demandes que nous ne pouvons en accepter, souligne Christian Veillet. Le télescope est à l'origine d'une cinquantaine de publications scientifiques par an. "Depuis quelques années par exemple, le CFHT monopolise les observations des Transneptuniens, ces astres glacés, mi-astéroïdes, mi-planètes, qui gravitent au-delà de Neptune et Pluton : la plupart d'entre eux ont d'ailleurs été découverts grâce à MegaCam. L'engin est aussi sollicité pour observer Mars, les planètes extrasolaires, les atmosphères stellaires, les étoiles et nébuleuses situées dans d'autres galaxies... Mais la recherche la plus spectaculaire menée par le CFHT et MegaCam, celle qui impressionne la communauté astronomique intemationale, est certainement la chasse aux supernovæ. D'ailleurs, "cette nuit, une supernova va exploser dans la constellation de la Baleine", prophétise Reynald Pain. Comment cet astronome de l'université Paris-VI peut-il prévoir un événement aussi exceptionnel que l'explosion d'une étoile ? Dans notre galaxie, la Voie lactée, les dernières observations de supernovæ remontent à 1572 et 1604 ! Et on sait qu'il explose en moyenne une supernova par siècle dans une galaxie.

DES MILLIERS DE SUPERNOVA

Si Reynald Pain, l'un des chercheurs responsables du Supernova Legacy Survey (SNLS), programme mené avec le CFHT et MegaCam, est si affirmatif, c'est que sa recherche embrasse des centaines de milliers de galaxies... statistiquement, il est donc sûr que l'événement surviendra quelque part cette nuit, puis encore la nuit suivante et celle d'après, dans la portion de ciel qu'observe continuellement le CFHT. De fait, depuis la mise en service de MegaCam, le SNLS a découvert plusieurs milliers de supernova. Ces astres servent de balises aux astronomes car leur éclat intrinsèque - environ dix milliards de fois supérieur à celui du Soleil- permet de calculer très précisément leur distance. En croisant cette distance avec leur vitesse de fuite - due à l'expansion de l'Univers - les astrophysiciens peuvent mesurer très précisément les paramètres cosmologiques qui définissent l'architecture et l'évolution de l'Univers.

UN PIONNIER PARMI LES GRANDS TÉLESCOPES
A ses débuts en 1980, le télescope canada France Hawaï (CFHD, équipé d'un miroir de 3,6 mètres de diamètre, était considéré comme le meilleur télescope du monde. Installé sur le meilleur site de la montagne, face au vent dominant, dans une tour haute de 40 mètres le libérant de toute turbulence atmosphérique, le CFHT procurait aux astronomes des images d'une netteté inédite : les astronomes s'offraient l'espace, dix ans avant la mise en orbite de Hubble ! Le télescope est géré par la société internationale CFHT, financée à 42,5 % par le Centre national de la recherche scientifique, (CNRS) français, à 42,5 % par le Conseil national de recherches du Canada (CNRC) et à 15 % par la University of Hawaï (UH). Les trois institutions se partagent selon le même pourcentage le temps d'observation avec le télescope. Le CFHT a permis aux astronomes français de développer une véritable école de cosmologie, spécialisée dans l'étude des effets relativistes sur l'observation des astres ultra-lointains. Avant sa mise en service, les spécialistes s'exilaient aux Etats-Unis pour bénéficier de l'avance technologique américaine. Le CFHT a réalisé quelques-unes des observations cosmologiques les plus importantes des années 90, entre autres, la découverte des arcs gravitationnels dans les amas de galaxies, les premières mesures de la désormais célèbre "énergie sombre" et la première carte tridimensionnelle de l'Univers lointain...

Parallèlement au programme de recherche de supernova, l'équipe du CFHT s'est lancée dans un arpentage de l'Univers lointain. Les images sont les mêmes que celles du SNLS, sauf que, au lieu d'être séquencées pour que le "film" des explosions d'étoiles puisse être suivi et analysé en temps réel par les spécialistes, elles sont superposées, afin de cumuler un temps de pose considérable. Ce sera l'ouvre principale du CFHT. Christian Veillet raconte : "Nous avons alloué à cette étude cinq cents nuits entre 2003 et 2008, soit la moitié du temps disponible du télescope ; sachant que chaque nuit d'observation ici coûte 20 000 euros, il s'agit clairement d'une priorité de la communauté astronomique."
Alors, demain soir, comme hier, le CFHT se tournera vers la constellation de la Baleine, puis vers les autres champs profonds, du Sextant, du Verseau et du Bouvier. Heure après heure, nuit après nuit, mois après mois, les astronomes du centre de données Terapix superposent les images et reconstituent une fantastique plongée dans le temps : un voyage spatio-temporel de douze milliards d'années... Car plus le temps de pose augmente, plus l'image enregistrée est "profonde". En clair, elle montre des astres de plus en plus faibles, de plus en plus lointains. A ce jour, chacun des quatre champs d'un degré carré a été enregistré avec un temps de pose de 120 heures !
Le paysage cosmologique dévoilé par le CFHT dans ces quatre champs profonds présente une fresque impossible, mêlant l'espace et le temps, avec comme thème unique les galaxies, comme ligne de fuite l'horizon cosmologique et comme source d'inspiration l'infini. Ainsi, la Baleine montre près d'un million de galaxies. Les plus proches, à moins d'un milliard d'années-lumière, sont les plus grandes et les plus nettes : on reconnaît facilement la forme oblongue ou sphérique des géantes elliptiques, le dessin délicat des spirales.
Plus loin, plus petites et plus pâles, les galaxies se fondent en amas gigantesques, puis, au-delà de 10 milliards d'années-lumière, se perdent dans le fond de ciel, indistinctes, déformées par la courbure de l'espace, rougies, affaiblies par l'expansion de l'Univers. Jamais autant de galaxies n'avaient été enregistrées dans un seul champ. Si le CFHT photographiait le ciel entier à un tel niveau de sensibilité, il enregistrerait près de cinquante milliards de galaxies... mais cela exigerait un millénaire d'observation !
L'arpentage de l'Univers lointain cessera lorsque le temps de pose aura atteint 330 heures par champ, soit près de deux semaines de temps de pose ininterrompu. Un record ! Limité par sa puissance optique, MegaCam s'arrêtera là. Mais la relève est prête... Ce mois-ci, la nouvelle caméra à grand champ du CFHT, Wircam, a commencé à son tour à arpenter le ciel. "Wircam" est sensible à l'infrarouge, le rayonnement émis par les plus lointaines galaxies de l'Univers : la plongée dans l'abîme du temps des astronomes d'Hawaï ne fait donc que commencer.

LA CONFIRMATION DE L'ÉNERGIE SOMBRE
Ce sont surtout les grandes lois physiques qui gouvernent l'architecture et l'évolution de l'Univers que les astronomes d'Hawaï veulent mettre en évidence, mesurer et comprendre. Selon Yannick Mellier, responsable de Terapix, centre d'analyse des données de MegaCam, "le paradoxe de la cosmologie actuelle, c'est que les modèles théoriques qui fonctionnent le mieux sont basés sur des inconnues : la matière sombre, l'énergie noire et l'inflation. Les observations menées avec notre télescope et sa caméra nous permettent déjà de mesurer quantitativement les paramètres cosmologiques. Yannick Mellier ; responsable du centre d'analyse Terapix. Nous pouvons confirmer, avec l'équipe américaine du satellite wmap, que nous vivons dans un Univers dominé par l'énergie sombre à 70 % et par la matière noire à 25 %. L'énergie et la matière 'normales' correspondent aux derniers 5 %. Reste à percer le secret de l'énergie sombre et de la matière noire..."

Serge Brunier - SCIENCE & VIE > Août > 2006
 

   
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