Aller récupérer l'énergie du Soleil là où elle rayonne sans limite et en tirer une fantastique manne électrique : loin d'être délirante, l'idée est étudiée très sérieusement. À la clé ? Des centrales solaires qui orbiteraient autour de la Terre ! Là-haut dans l'espace, au-dessus de l'équateur, un gigantesque vaisseau déploie majestueusement ses panneaux solaires : 4000 m² de gréement lumineux, une voilure 1600 fois plus étendue que celle de la Station spatiale internationale... Sous cette ombrelle pharaonique, une batterie de télescopes pointe vers la Terre. Mission : délivrer aux Terriens, à 36 000 km de là, un gigawatt de puissance électrique, l'équivalent d'un réacteur nucléaire moyen. Un rêve digne de Stanley Kubrick ? Nullement. Il s'agit d'un projet des plus sérieux, présenté en septembre 2009 par l'agence spatiale japonaise, la Jaxa, et ses partenaires industriels, Mitsubishi et IHI. D'ailleurs, l'année de lancement prévue est 2030, c'est-à-dire demain. Et le Japon n'est pas seul dans cette conquête de l'énergie dans l'espace. En janvier dernier, EADS Astrium, constructeur européen d'Ariane, s'est dit intéressé par la construction d'un démonstrateur de 20 kilowatts pour 2020. D'autres initiatives naissent aussi aux Etats-Unis. Après des décennies de projets inaboutis, le ciel de l'énergie solaire spatiale semble donc se dégager. UNE ÉNERGIE DISPONIBLE EN PERMANENCE Pourquoi cette actualité soudaine ? "On se rend compte que le pétrole bon marché appartiendra bientôt au passé, que le nucléaire produit des déchets toxiques, que le charbon émet du CO2 et que les éoliennes et le solaire n'offrent qu'une électricité intermittente qu'on ne sait pas stocker", énumère Marty Hoffert, professeur de physique à l'université de New York Face à cette impasse, souligne ce partisan des centrales orbitales, le solaire spatial a toutes les qualités. Cette source est inépuisable : chaque année, le Soleil distribue gracieusement 7700 fois les besoins énergétiques de l'humanité. Or, le potentiel de ce gisement est sept fois plus grand dans l'espace : 1371 watts/m², contre 200 W/m² en moyenne au sol. Parce que la lumière du soleil ne serait pas filtrée par l'atmosphère et ses nuages. Ce retrait est d'autant plus dommage que les impasses technologiques n'en sont plus, affirme John Mankins : "Le solaire spatial n'exige aucune percée fondamentale en physique, tout est à la portée des ingénieurs". Concrètement, deux solutions pratiques s'affrontent (voir infographies). Les deux faisant appel à des panneaux photovoltaïques, c'est dans la transmission vers le sol qu'elles divergent. La première, héritée de Peter Glaser, consiste à convertir l'énergie du soleil en ondes radio (longueur d'onde de 15 cm, soit à peu près celle d'un four à micro-ondes), qui sont ensuite collectées au sol par un réseau d'antennes. La seconde se fonde sur un faisceau laser choisi dans une longueur d'onde infrarouge (1,5 micromètre) sans danger pour la vision (voir encadré).
Avec une longueur d'onde 100 000 fois plus petite, le laser n'exige pas d'antennes démesurées. Et les technologies sont, là aussi, à portée de main. "Bien sûr, un faisceau d'une puissance supérieure au kilowatt, en technologie spatiale, reste à faire, note Robert Lainé, directeur technique d'Astrium. Mais nous progressons, grâce aux travaux de l'université de Limoges et de notre filiale Cilas. Côté optique, nous avons démontré, avec le télescope scientifique Herschel (lancé en 2009 ->), que nous maîtrisions la fabrication de miroirs de 3,5 m de diamètre, nécessaires pour focaliser le rayon". Côté sol, pour retransformer la lumière laser en électricité, il suffit d'installer des panneaux photovoltaïques. Bonne nouvelle : destinés à capter une longueur d'onde unique - et non la totalité du spectre visible comme les panneaux classiques -, ils sont plus simples et performants que les panneaux standard. "Alors que le rendement - soit la quantité de lumière transformée en énergie - des meilleurs capteurs traditionnels dépasse à peine 40 % (<-), notre marge théorique va jusqu'à 80 %", se réjouit Stephen Sweeney, chercheur à l'université britannique du Surrey et partenaire d'Astrium. Mais le laser souffre d'un défaut majeur : sa lumière ne perce pas les nuages. Il faut donc installer les stations de réception dans des régions ensoleillées. "Mais c'est là que se concentrent les besoins, excepté l'Europe du Nord, facile à raccorder au Maghreb", argumente Robert Lainé. LA BARRIÈRE DU PRIX On l'a compris, la technique n'est plus vraiment un problème. Reste la barrière du prix, autrement plus difficile à franchir. Simple problème de logistique : le coût du lancement en orbite géostationnaire s'établit à environ 4 euros du gramme. Or, la masse d'une centrale solaire spatiale de quelques gigawatts frise les... 10 000 tonnes ! Un seul lancement reviendrait à 40 milliards d'euros, auxquels s'ajoute le prix de la station. Sur ce point, les chiffrages varient, mais une étude réalisée en 2004 par le centre aérospatial allemand (Deutsches Zentrum fur Luft und Raumfahrt) établissait le coût d'une centrale laser de 22 GW à environ 120 milliards d'euros. Soit 5,5 milliards du GW, ou encore deux fois le prix du nucléaire, mais pour trente ans seulement. "Ce coût élevé correspond à une estimation grossière mais pas irréaliste, concède l'énergéticien Norbert Geuder, coauteur de l'étude. Dans l'espace, tout est plus compliqué. Tant qu'à installer des centrales solaires, autant le faire au sol !" Didier Vassaux, ingénieur chargé de la prospective au Centre national d'études spatiales, pense, lui, "qu'il faudrait abaisser dix ou cent fois le coût du lancement pour que l'équation économique du solaire spatial fonctionne. En outre, lancer 10 000 tonnes requiert d'envoyer un millier de fusées Ariane V, l'engin le plus puissant disponible, en deux ans. Or, on en a lancé sept en 2009... Et quid de la pollution liée à cette activité ? On ne sait tout simplement pas faire et je doute qu'on y parvienne avant trente ans". N'en déplaise à John Mankins, ces arguments n'ont sans doute pas été étrangers au retrait de la Nasa. PASSER DE L'ARTISANAT AU STADE INDUSTRIEL Pour le Japon, la motivation est autre : dépourvu de ressources énergétiques, dépassé sur le front nucléaire, l'archipel voit dans le solaire spatial une opportunité de revenir au premier plan des technologies de l'énergie, mais aussi d'améliorer ses chances de survie économique. Et ce pari n'a rien d'absurde, affirme John Mankins, à condition de changer les mentalités : "Si le solaire orbital est trop cher, c'est que l'espace reste une activité artisanale. Il faut tout repenser à l'échelle industrielle, comme on l'a fait pour l'informatique en passant des gros ordinateurs centralisés au PC. Il faut des éléments modulaires, des lanceurs réutilisables, des robots produits en série". Le physicien américain Marty Hoffert réclame pour sa part un investissement public massif : "Si l'on avait compté sur le seul marché, ni l'industrie nucléaire, ni le solaire terrestre, ni l'Intemet n'existeraient." C'est indéniable. L'empire du Soleil-Levant aura-t-il les moyens de devenir l'empire du solaire spatial ? Rendez-vous dans 20 ans pour avoir la réponse.
|