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Le Temps s'Arrêtera-t-il dans 3,5 Milliards d'Années ?

Un Jour, Le Temps va s'Arrêter



S.B. et M.F. - SCIENCE & VIE N°1200 > Septembre > 2017

Le Temps va-t-il s'Arrêter dans 3,5 Milliards d'Années ?

En poussant à l'extrême la logique des modèles cosmologiques, des théoriciens ont abouti à cette conclusion : le temps va s'arrêter et les calculs disent même quand. Imparable ? Dans la communauté des physiciens, cette prédiction ne laisse pas insensible. Tout au contraire...

Voilà une prédiction cosmologique pour le moins étrange : selon les calculs de Raphael Bousso et ses collègues de l'université de Californie, à Berkeley, d'ici environ 3,5 milliards d'années, le temps devrait s'arrêter. Attention, les équations mises au point par ces théoriciens ne décrivent pas une énième version de l'Armageddon impliquant un cataclysme qui ravagerait l'Univers mettant du même coup un terme au temps. Non, leur travail est plus subtil et plus... inquiétant. Leurs calculs montrent que le temps est condamné à se figer pour l'éternité, comme un clic sur la touche pause arrête le cours d'un film. Ce sera la fin des temps, au sens propre du terme. Une pause sans fin. Une apocalypse de glace.
Voilà qui a de quoi surprendre. Les observations ne montrent-elles pas que l'Univers est actuellement dans une phase d'expansion qui va s'accélérant ? Autrement dit, s'il continue sur cette lancée, ni l'espace ni le temps ne pourront avoir de fin. Exit donc, la prédiction. Sauf que les chercheurs qui la présentent sont des théoriciens respectés. Et ils sont formels : si on part des modèles physiques et cosmologiques les plus pointus, et si on va au bout des calculs mathématiques, alors, un jour, tout doit s'arrêter. C'est le froid verdict d'un raisonnement conduit à son terme.
Leur point de départ est solide : ils se fondent sur la théorie des multivers, introduite par Leonard Susskind notamnent, qui fait référence au sein d'une partie de la communauté scientifique. Que dit cette théorie ? Que notre Univers ne serait qu'une petite bulle au sein d'un méta-Univers plus vaste contenant une infinité d'univers, chacun possédant ses lois physiques. "Cela paraît étrange, indique Aurélien Barrau, du Laboratoire de physique sub-atomique et de cosmologie, à Grenoble. Mais les multivers sont une conséquence incontournable de la théorie des cordes et de l'inflation".

REPÈRES : Selon les modèles actuels, notre Univers, né il y a 13,7 milliards d'années, ne connaîtrait pas de fin. Le Soleil, forgé il y a 4,6 milliards d'années, devrait s'éteindre dans 12 milliards d'années. La Terre, elle, serait "vaporisée" dans 6,6 milliards d'années par l'emballement de notre étoile.

PARFAITEMENT LOGIQUE

La première est la spéculation actuellement la plus aboutie pour unifier toutes les forces fondamentales (gravité, électromagnétisme...), et la seconde, qui prévoit que l'Univers a connu dans sa jeunesse une phase d'expansion ultrarapide, est un ingrédient sans lequel la théorie du big bang s'écroule comme un château de cartes. L'architecture des multivers a beau être audacieuse, elle est parfaitement crédible une fois admis ces deux monuments de la physique moderne. Sur cette base solide, Raphael Bousso et ses collègues ont poussé jusqu'à son comble la logique des calculs de probabilités qu'il est possible de mener sur ces multivers. C'est que depuis que les cosmologistes ont découvert cette théorie, ils se sont demandé comment répondre à des questions telles : "Quelle est la probabilité qu'une partie du multivers possède exactement les lois physiques de notre Univers ?" ou "Quelle est la probabilité qu'un univers soit propice à l'émergence de la vie ?" Le souci est que le multivers contient une infinité d'univers potentiellement différents. Or, mathématiquement, il est impossible de calculer des probabilités dans un espace infini. En pratique, on n'y parvient qu'à condition de sélectionner une fraction représentative mais finie de cet espace, dans laquelle le calcul est possible, avant d'étendre le résultat à tout l'espace (une procédure appelée "cutoff").
C'est ce que font les spécialistes du multivers : plutôt que d'estimer les probabilités en considérant l'infinité des possibles, ils en sélectionnent une fraction dans laquelle ils savent faire parler leurs équations. Ce faisant - c'est là l'argument des théoriciens américains -, ils affublent le multivers d'une limite spatiale, mais aussi temporelle. Et justement : l'équipe de Berkeley propose de tirer toutes les conséquences physiques de cette exigence issue des calculs mathématiques.

UN CLIMAT DE DOUTE

Leur raisonnement peut se résumer ainsi : une théorie physique n'est valable que si elle donne la possibilité de calculer les probabilités d'événements futurs. Or, les spécialistes de la théorie du multivers ne peuvent faire ces calculs qu'à la condition de supposer que le temps ait une fin ; donc, si la théorie des multivers est valable, alors, un jour, le temps doit s'arrêter. Raphael Bousso et ses collègues vont même plus loin. Il est en fait possible de considérer différents cutoffs pour mener des calculs dans le multivers, chacun conduisant à une date différente pour l'arrêt du temps. Mais seuls les cutoffs respectant la causalité (c'est-à-dire comprenant l'intégralité du passé d'un point de l'espace-temps choisi comme point de référence) ont un sens physique. Et ce sont ces derniers qui conduisent à prédire l'arrêt du temps dans notre Univers dans, en moyenne, 3,5 milliards d'années. CQFD.
Déroutant, non ? "Notre prédiction n'est pas très standard, admet Raphael Bousso. Ainsi, d'aucuns nous disent qu'elle n'est fondée que sur les mathématiques et aucunement sur un mécanisme physique. Pour autant, si elle pose un problème à quelqu'un, il n'a pas d'autre solution que de rejeter une des prémisses qui y conduisent. C'est-à-dire, soit la théorie des cordes, soit l'inflation, soit la façon dont il est admis que l'on calcule des probabilités dans un espace infini". L'enjeu prend ici une autre tournure... Après tout, si on refuse de croire à cette froide apocalypse, pourquoi, en effet, ne pas remettre en question la théorie des cordes. Loin de faire consensus, celle-ci est aujourd'hui un monstre théorique dont personne ne peut dire s'il en sortira un jour cette fameuse "théorie du tout" tant recherchée. De même, la théorie de l'inflation, si chère au modèle cosmologique standard, n'est en réalité assise sur aucun principe physique qui la rende indispensable. Sans parler du fait que la première n'a jamais reçu une once de confirmation expérimentale et que la seconde fait toujours débat !
Pour Aurélien Barrau, là n'est pas la question : "L'argument de Bousso est un peu faible. Sa prédiction de l'arrêt du temps repose sur une astuce de calcul qu'il utilise pour estimer les probabilités dans un espace infini. Or, pourquoi les limites de cette astuce renverraient-elles à une frontière physique ? On peut arguer que lorsque les mathématiciens sauront précisément définir une probabilité dans un espace infini, ces artifices disparaîtront d'eux-mêmes. Les limites de notre esprit ne sont pas à confondre avec celles de la nature !" Carlo Rovelli, du Centre de physique théorique de Luminy, à Marseille, déplore lui aussi ce qu'il entrevoit comme une confusion entre les rôles de la physique et des mathématiques : "Cette prédiction ne repose que sur un 'truc' de calcul, par nature arbitraire ! Aussi, on ne peut lui accorder aucun crédit. Sauf à conclure, comme le remarque Bousso lui-même, qu'elle exclut une de ses prémisses. Une véritable prédiction physique doit être déduite d'une connaissance supportée par l'expérience. Ou par extrapolation directe de ces connaissances. Ce type de spéculation est le signe d'une science qui a perdu son cheminé".

PROVOCATION STIMULANTE

La charge est lourde, mais révélatrice du climat de doute qui s'est emparé de la physique théorique depuis une dizaine d'années. Un climat qui résulte de l'impossibilité de répondre à des questions pourtant posées depuis des décennies : "Comment décrire les interactions fondamentales au sein d'une théorie testable et cohérente ?" "Comment dépasser la singularité mathématique associée au big bang ?" Les spéculations vont tous azimuts sans que se dégage une direction claire. Dans cette communauté un peu déboussolée, la prédiction de Bousso trouve ainsi des défenseurs. Pour Jean-Paul Delahaye, au Laboratoire d'informatique fondamentale, à Lille, "le lien entre le réel et les modèles théoriques proposés par la cosmologie est délicat. Peut-être est-il problématique de déduire une prédiction physique d'un 'truc' mathématique, mais c'est toujours ce que l'on fait en physique théorique". Rappelons que c'est en regardant une équation que Paul Dirac a prédit, dès 1928, quatre ans avant, l'existence de l'antimatière. "Je ne crois pas que l'attitude de ces auteurs soit ici différente".
Au point que cette théorie est même jugée par certains particulièrement stimulante. "Ce résultat est provocateur, mais je l'interprète comme le signe éventuel de quelque chose de plus profond qu'un simple problème de probabilités mal définies, explique Pierre Binétruy, directeur du Laboratoire astroparticules et cosmologie, à Paris. Enphysique des particules, il existe aussi une procédure qui consiste à couper arbitrairement l'échelle des énergies, sans quoi les résultats deviennent mathématiquement aberrants. Cette procédure, utilisée depuis des décennies sans que personne n'ait à y redire, indique que la théorie des particules doit être supplantée à haute énergie par une autre théorie. De la même façon, le résultat de Bousso pourrait indiquer qu'au-delà d'un certain temps, notre description de l'Univers n'est plus la bonne. Ce serait un indicateur qu'une autre cosmologie reste à inventer pour décrire l'Univers au-delà de 3,5 milliards d'années".
Le débat illustre bien la confusion qui règne dans la physique fondamentale. Cette prédiction nous parle-t-elle vraiment de l'avenir du monde ? Doit-elle être interprétée comme une porte ouvrant sur une nouvelle physique de l'évolution du cosmos ? Est-elle la conséquence absurde des théories contemporaines défaillantes ? Dérive-t-elle d'une méprise entre physique et mathématiques ? Ou n'est-elle qu'une facétie de théoriciens ? Le débat n'a pas fini de stimuler les physiciens. Quelle que soit la réponse, il leur reste un peu de temps pour la trouver...

M.G. - SCIENCE & VIE > Mars > 2011
 

   
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