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VIRGO et les Ondes Gravitationnelles

La chasse aux frissons de l'espace est ouverte. Au beau milieu de la Toscane, près de Pise, un extraordinaire instrument déploie ses deux gigantesques bras de 3 km de long à angle droit. Cet "interféromètre" à ondes gravitationnelles est à l'affut d'infimes vibrations de l'Univers qui, si elles étaient détectées, ouvriraient la porte à une nouvelle astronomie.

D'après la légende, c'est du haut de la tour de Pise que Gaulilée s'amusa à lâcher des balles de plomb, de bois et de papier pour établir sa loi de la chute des corps. Quatre cents ans plus tard, à une quinzaine de kilomètres de là, dans la magnifique province toscane, au beau milieu des troupeaux de moutons, une centaine de scientifiques et de techniciens italiens et français s'essaient encore à tester les lois de la gravitation, en dignes héritiers du grand savant toscan. Sauf qu'il ne s'agit plus d'observer des balles tombant d'une tour. Mais de parvenir à enregistrer de mystérieuses "ondes gravitationnelles".

LES ONDES GRAVITATIONNELLES ? PERSONNE NE LES A JAMAIS VUES NI ENTENDUES

Pour cela, ils ont construit Virgo, un instrument complètement atypique que Galilée n'aurait pas osé imaginer, et qui entre enfin dans sa phase opérationnelle, après quatre longues années de réglages. En cette belle journée du mois de mai, tous les instigateurs et les responsables du projet, venus pour l'occasion, arborent un large sourire tandis qu'un bus nous conduit sur le site. "Nous sommes au moment où les pères fondateurs et ceux qui feront la science de Virgo vont travailler ensemble. C'est une période fantastique", lance d'un ton solennel Sergio Bertolucci, le vice-président de l'Istituto Nazionale di Fisica Nucleare (INFN), l'institut national de physique nucléaire italien. De la route, on ne voit pourtant qu'un simple tunnel bleu en tôle ondulée. Pour un peu, on croirait un entrepôt agricole. Sauf que lorsqu'on essaie d'en voir le bout, le regard finit par se perdre à l'horizon. Et pour cause : Virgo, ce sont en fait deux gigantesques "bras" de 3 kilomètres de long, placés à angle droit ! Un immense "intefféromètre" à ondes gravitationnelles...
Les ondes gravitationnelles ? Personne ne les a jamais vues ni entendues. Filles naturelles de la théorie de la gravitation d'Einstein, la relativité générale, elles n'existent, depuis 1916, que sur le papier. D'où viennent-elles ? Comment sont-elles créées ? Pour reconstituer leur histoire, il faut quitter un instant la Terre et se projeter dans le ciel : selon Einstein, planètes et étoiles courbent l'espace autour d'elles par leur simple présence. Et c'est parce qu'elles suivent cette "courbure de l'espace" que les planètes tournent autour du Soleil ; et les satellites autour de la Terre. Imaginons maintenant qu'il se produise un événement violent, comme l'explosion d'une étoile très massive arrivée au terme de sa vie - une supernova - ou la fusion de deux étoiles à neutrons, des astres particulièrement denses, voire... de deux trous noirs. Les puissantes accélérations de matière qui en découlent vont alors perturber le champ gravitationnel alentour. Perturbations qui, à la manière d'un caillou lancé dans un lac, vont créer des vaguelettes déformant l'espace, comme les rides déforment la surface de l'eau. Si ce scénario est correct, alors nous devrions détecter ces vaguelettes, les fameuses ondes gravitationnelles, au moment même où elles atteignent la Terre, après avoir vogué jusqu'à nous à la vitesse de la lumière.
Déjà, les astrophysiciens américains Joseph Taylor et Russel Hulse avaient recueilli en 1974 des indices indirects de leur existence, en observant la valse de deux étoiles à neutrons : le ralentissement des deux astres correspondait parfaitement à l'énergie qu'ils devaient théoriquement perdre en émettant des ondes gravitationnelles. Une découverte de premier ordre, qui fut d'ailleurs récompensée par le prix Nobel de physique 1993. Mais il s'agit maintenant de détecter directement ces fameuses ondes, pour avoir la preuve irréfutable de leur existence. "Cela validerait une prédiction théorique faite il y a plus de 90 ans", commente le responsable du projet Benoît Mours, physicien au Laboratoire d'Annecy-le-Vieux de physique des particules (LAPP), qui partage son temps entre la Haute-Savoie et la Toscane. "Cela permettrait aussi de tester la relativité générale dans des régions où la gravitation est très forte, c'est-à-dire dans des conditions très différentes que celles que l'on connait dans le système solaire."

L'ESPOIR FOU DE REMONTER PRESQUE AU BIG BANG

Surtout, une fois ces tests théoriques réalisés, les astrophysiciens devraient disposer d'un instrument inédit pour sonder les objets les plus violents de l'Univers, et les étudier à loisir. "Avec les ondes gravitationnelles, nous allons commencer une nouvelle astronomie !", se réjouît Adalberto Giazotto, de l'Istituto Nazionale di Fisica Nucleare (INFN) de Pise, l'instigateur du projet Virgo côté italien. Une nouvelle astronomie où il ne s'agit plus de voir les astres, comme dans l'astronomie optique, ni même de les entendre, comme dans l'astronomie radio : avec l'astronomie gravitationnelle, il s'agit désormais de les "sentir". Avec, à terme, l'espoir d'en apprendre un peu plus sur la dynamique de l'Univers, en particulier sur l'effet de "l'énergie noire", cette mystérieuse composante cosmique qui semble accélérer l'expansion de l'Univers. Sans parler de l'espoir, plus fou encore, de remonter pratiquement à l'époque du big bang, en arrivant à capter le "fond d'ondes gravîtationnelles" émis par les premiers grumeaux de matière s'agitant en tous sens. Alors qu'aujourd'hui, le plus vieux témoignage de l'Univers, le rayonnement cosmologique fossile, date de 300 000 ans après le big bang, on disposerait d'un instantané du cosmos qui montrerait à quoi il ressemblait à peine... 10-24 seconde après le big bang !
Il n'en fallait pas plus pour qu'une poignée de physiciens italiens et français, sous l'impulsion d'Adalberto Giazotto et d'Alain Brillet, les deux scientifiques à l'origine du projet Virgo, se piquent au jeu. Et parviennent à convaincre le CNRS français et l'INFN italien de financer ce projet fou, pour 150 millions d'euros. Un projet qui prend enfin corps aujourd'hui, près de vingt ans après la première rencontre entre Adalberto Giazotto et Alain Brillet. Vingt années pendant lesquelles il a fallu argumenter auprès des décideurs, concevoir puis réaliser de toutes pièces l'instrument imaginé, régler les questions d'expropriation des terrains convoités, composer avec les retards de chantier, et enfin tester les réactions "grandeur nature" de la bête, ultime phase qui vient donc tout juste de s'achever. Pourquoi "Virgo" ? "Parce que c'est le nom de l'amas de galaxies de la Vierge, à environ 60 millions d'années-lumière de nous, distance jusqu'à laquelle l'instrument devait à l'origine entendre les supernovae exploser", précise Benoît Mours. Pourquoi la campagne toscane ? "Parce c'est l'une des régions les plus plates et les moins habitées d'Italie, et que l'INFN de Pise n'est pas loin", commente Carlo Bradaschia, lui-même physicien à l'institut italien. "L'inconvénient de la région, c'est bien sûr son sol qui s'affaisse à chaque fois que l'on pompe de l'eau souterraine pour les cultures". Il suffit de regarder la silhouette de la Tour de Pise pour s'en faire une idée ! Et, tout comme la célèbre tour s'incline dangereusement depuis 800 ans, les tunnels de Virgo s'affaissent petit à petit : jusqu'à 1 millimètre par mois dans certains endroits !

LE MILLIARDIÈME DE LA TAILLE D'UN ATOME

Mais il s'agit bien d'un projet fou. Car avec cet instrument de plusieurs kilomètres de long, qui s'affaisse de plusieurs millimètres par an, sans compter les marées qui le font bouger deux fois par jour de quelques fractions de millimètre, ce que les physiciens doivent mesurer "est de l'ordre du milliardième de la taille d'un atome", précise Benoît Mours. Ce qui revient à essayer de mesurer la distance de l'étoile la plus proche avec la précision d'un cheveu ! À l'intérieur des tunnels, isolés dans une enceinte à vide, des faisceaux laser de haute puissance, réfléchis par de multiples miroirs, font d'incessants allers-retours en phase. L'objectif des physiciens : détecter un infime déphasage entre ces lasers. Ce qui voudra dire que la longueur des bras aura varié, l'espace d'un instant, d'un milliardième de la taille d'un atome : une onde gravitationnelle aura traversé le dispositif.
Pour parvenir à leurs fins, les physiciens ont tout optimisé. À commencer par le système optique, fabriqué en France. Ainsi, les faisceaux laser de Virgo ont une fréquence 100.000 fois plus stable que celles des horloges atomiques actuelles qui servent à définir la seconde. Ils se propagent dans le plus gros système à vide d'Europe : 6000 m³ de quasi-vide, puisque la pression n'y dépasse pas le dix milliardième de la pression atmosphérique.

LA DIFFICULTÉ D'ÉLIMINER LES SIGNAUX PARASITES

Les miroirs possèdent une réflectivité parmi les plus élevées au monde (99,995 %), et leurs défauts de surface n'excèdent pas quelques atomes. Chacun d'eux est suspendu à un super atténuateur", un système d'isolation sismique ultraperfectionné, dont la conception a été confiée aux Italiens. À l'intérieur d'une tour de 10 mètres de haut, une chaîne de sept pendules successifs diminuent les mouvements du sol d'un facteur mille milliards, et préservent ainsi les miroirs de la plupart des vibrations ambiantes. Le problème, c'est que tout ou presque est plus fort qu'une onde gravitationnelle : un avion qui s'envole dans le ciel (l'aéroport de Pise est tout proche), un orage, un tremblement de terre à l'autre bout de l'Italie, un bus qui passe un peu trop près dés miroirs... "On va peut-être même être obligé d'empêcher le gardien de nuit de faire ses rondes en voiture !", sourit Carlo Bradaschia. Car à chaque fois, l'instrument est submergé de bruits parasites. Quand il ne s'arrête pas purement et simplement sous l'effet de trop fortes vibrations. Il faut alors compter une bonne demi-heure de réglages pour qu'il soit de nouveau opérationnel. Au final, c'est en moyenne 10 % du temps d'observation qui est ainsi perdu à cause de régulières, et nécessaires, remises à zéro.
Dans la salle de contrôle, remplie d'ordinateurs, trônent des écrans en noir et blanc sur lesquels, un scientifique et un opérateur technique surveillent, jour et nuit, la bonne focalisation des faisceaux laser tout le long du dispositif. Si jamais une explosion cosmique nous envovait ses ondes gravitationnelles, que verrait-on sur ces écrans ? Rien. Pour le savoir, il faudrait aftendre que les données (il s'amoncelle l'équivalent d'un CD de données toutes les trente secondes) soient analysées par le centre de calcul local, ou l'un des deux gros centres de calculs utilisés par Virgo, installés l'un à Bologne et l'autre à Lyon. Si nous avions de la chance et que le signal était assez fort, par exemple s'il se produisait une frision d'étoiles à neutrons assez proche de nous, alors nous pourrions être avertis dans les heures qui suivent, estime Carlo Bradaschia. Sinon, il est plus probable que nous devions attendre plusieurs mois d'analyses avant de savoir ce qui s'est passé." Et de la chance, les astrophysiciens devront en avoir beaucoup pour détecter quelque chose avec Virgo, en tout cas dans sa configuration actuelle. Non que l'instrument soit finalement moins performant que prévu, comme tient à le souligner Benoît Mours : "Nous avons atteint aujourd'hui avec Virgo la sensibilité de détection que nous avions prévue il y a quinze ans, lorsque le projet a été approuvé". Mais parce que depuis quinze ans, les astrophysiciens se sont aperçus, en perfectionnant leurs modèles théoriques, que les étoilesmourantes envoyaient probablement bien moins d'ondes gravitationnelles qu'ils ne l'avaient pensé. Et aujourd'hui, les physiciens de Virgo avouent volontiers qu'ils n'ont presque aucune chance de surprendre une supernova en train d'exploser, qu'elle soit dans l'amas de la Vierge, ou même à notre porte, c'est-à-dire dans notre propre galaxie... D'autant qu'il n'en explose, statistiquement, que 2 ou 3 par siècle et par galaxie ! Ils placent donc leurs espoirs dans les fusions d'étoiles à neutrons ou de trous noirs, théoriquement plus généreuses en ondes gravitationnelles, et repérables normalement bien au-delà de l'amas de la Vierge. Mais là encore, la récolte s'annonce incertaine, du moins en l'état actuel des choses : "Aujourd'hui, nous estimons avoir quelques pour cent de chance de détecter un événement intéressant en un an de prise de données", précise Carlo Bradaschia.

DES DÉCOUVERTE ASSURÉES APRÈS 2014... Les deux bras de l'interféromètre VIGO s'étendent chacun sur 3 km à travers les champs de la campagne toscane.

"LISA" ou la traque des ondes gravitationnelles dans l'espace
Un interféromètre flottant dans l'espace, bien loin des bruits et des secousses terrestres, capable de suivre pendant des années la danse de trous noirs supermassifs et, peut-être même, de sentir des ondes gravitationnelles en provenance du big bang ? Les astrophysiciens en ont rêvé... et sont en train de le faire ! LISA (Laser Interferometer Space Antenna) est un projet des agences spatiales européenne et américaine, qui pourrait décoller vers 2018. L'idée : il s'agit de placer 3 satellites en orbite autour du Soleil, sur la même trajectoire que la Terre, à 50 miullions de km derrière elle. Ensemble, ils formeront les 3 sommets d'un gigantesque interféromètre de 5 millions de km de côté, soit 13 fois la distance Terre-Lune ! Au cour de chaque satellites, un cube d'or et de platine sera placé en subtentation. Les infimes mouvements de ces cubes, inférieurs au milliardième de millimètre, seront mesurés grâce à des faisceaux laser reliant les satellites, et renseigneront sur le passage d'ondes gravitationnelles. La plus grosse difficulté technique à surmonter ? Isoler les cubes de toutes force autre que la gravitation. Pour cela, les satellites agiront avant tout comme des boucliers contre, par exemple, le vent solaire. Et, grâce à un système de micromoteurs ioniques qui les pilotera en douceur, ils maintiendront les cubes sur leur trajectoire purement gravitationnelle autour du soleil. Un dispositif d'extrême précision qui devra toutefois résister aux énormes vibrations d'un décollage de fusée ! C'est d'ailleurs por le tester que LISAPathfinder, un satellite d'essai contenant 2 cubes ainsi qu'un système de mesure laser, devrait être lancé début 2010.

V.G. - SCIENCE & VIE > Septembre > 2007

 

   
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