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Les Piliers de la Création

On les croyait nés du souffle d'étoiles naissantes, c'est en fait l'explosion d'une étoile en fin de vie qui a sculpté les célèbres piliers de gaz de la nébuleuse de l'Aigle. Pis, il s'agirait de... fantômes.

Au hit-parade des images astronomiques, les piliers de la création, immortalisés par Hubble en 1995, seraient numéro un. Toute la beauté et le mystère du cosmos réunis en un seul tableau !

Dix ans plus tard, alors que les astronomes pensaient tout savoir ou presque de la nébuleuse de l'Aigle, cette région du ciel qui, à 7.000 années-lumière de nous, abrite ces gigantesques piliers, le jeune doctorant Nicolas Flagey, fait une découverte inattendue.

Les piliers de la création n'ont pas été sculptés par le souffle d'étoiles en train de naître, comme on le pensait, mais sans doute par l'explosion d'une étoile arrivée au terme de sa vie, une supernova. Plutôt que de piliers de la création, il s'agirait de piliers de la destruction...

Les piliers de la création sont des colonnes de gaz et de poussières de 3 A-l de haut, à 7.000 a-l de nous. Cette nébuleuse est une pouponnière d'étoiles situés dans la constellation du Serpent. Ces jeunes étoiles irradient son gaz et lui donne sa couleur bleutée.

L'hiver dernier, Nicolas Flagey, alors en séjour au centre scientifique Spitzer, en Californie, avait obtenu l'autorisation de travailler sur son sujet de prédilection : les images de la nébuleuse de l'Aigle prises en infrarouge par le télescope spatial Spitzer.

Et là, surprise : il met le doigt sur un indice de taille, resté invisible sur l'image captée par Hubble. À savoir un immense nuage chaud de gaz et de poussières, d'une trentaine d'années-lumière de large, en forme de coquille, qui n'apparaît que lorsqu'on regarde le ciel à une longueur d'onde très précise de 24 micromètres. (24µm ->) Intrigué, Nicolas Flagey montre les images à son responsable de thèse, François Boulanger, de l'Institut d'astrophysique spatiale à Orsay : "J'ai vite compris que Nicolas avait pointé quelque chose d'inattendu qui méritait une explication. Une surprise car je pensais qu' il ne ferait que preciser un scénario déjà acquis".

UN SCÉNARIO INVALIDÉ

Rentré de Californie, François Boulanger réfléchit à l'origine de cette coquille, dont la longueur d'onde des émissions montre qu'elle est un peu plus chaude que les piliers (-180°C environ, au lieu de -210°C), et dont l'existence ne cadre pas du tout avec le scénario admis de la formation des piliers. Selon celui-ci, en effet, les piliers doivent leur forme si particulière au "souffle" chaud des jeunes étoiles présentes dans le voisinage, qui aurait repoussé le gaz de la nébuleuse tout autour d'elles, excepté à l'emplacement des piliers, plus denses que le milieu environnant. "Comme si les Piliers étaient des cailloux dans le désert, et que l'érosion du vent avait creusé des sillons dans le sable autour d'eux, explique François Boulanger. Le problème, c'est que si ce scénario était correct, alors rien ne devrait être plus chaud que les piliers, puisqu'ils sont restés les plus proches des jeunes étoiles."
Pendant un mois, l'astrophysicien reste perplexe. "Et puis un matin, en feuilletant des articles scientifiques sur des supernovae dans le nuage de Magellan, je me suis dit : voilà la solution !" La forme en coquille, la température élevée du nuage : ce sont les caractéristiques d'un vestige d'une supernova, étoile très massive qui a explosé et dont le souffle chaud continue de s'étendre des milliers d'années plus tard. Dès le lendemain, ses calculs lui montrent que son explication se tient : une supernova peut dégager suffisamment d'énergie pour chauffer les poussières de la nébuleuse à la température observée. Et d'après les modèles, l'étoile aurait explosé il ya mille à deux mille ans ! Autrement dit hier, à l'échelle du cosmos. Il s'agirait donc de l'une des rares supernovae, avec celles du Crabe, de Kepler ou de Tycho (voir ci-dessus) à avoir explosé en des temps historiques ! "L'explosion a dû être aussi lumineuse que Vénus pendant plusieurs mois, avance François Boulanger. Le meilleur moyen de la dater précisément est de voir si les astronomes de l'époque avaient observé quelque chose dans cette région du ciel."
C'est ainsi que Jean-Marc Bonnet-Bidaud est contacté. Chercheur au département d'astrophysique du Commissariat à l'énergie atomique (CEA) de Saclay, celui-ci travaille sur les événements cosmiques relatés par les civilisations anciennes. Or, dans les Chroniques chinoises, registres répertoriant les événements politiques et naturels ayant eu lieu au cours d'une dynastie, il trouve mention de deux "étoiles invitées", comme les appelaient les Chinois, au voisinage de la nébuleuse de l'Aigle, qui pourraient correspondre. L'une en -48 avant J.-C., à dix-huit degrés de la nébuleuse, et l'autre, en 1011, à quatorze degrés d'elle. Mais aucune n'est exactement au bon endroit. Les astronomes chinois auraient-ils pu faire une erreur de positionnement ? "Au-delà de dix degrés de différence, la coïncidence est moyennement convaincante, car le maillage du ciel des Chinois était assez fin, proche de notre système actuel de coordonnées", analyse Jean-Marc Bonnet-Bidaud. Reste que la région de la nébuleuse de l'Aigle, voisine du centre de la galaxie, est masquée par quantité de pousières. "Les conditions ne sont donc pas les plus favorables pour un bon positionnement. Il est même possible que les astronomes chinois n'aient rien vu : personne n'avait remarqué la supernova Cassiopée A, qui a pourtant bien explosé vers 1670. "Et les piliers dans tout ça ? Comment leur histoire se réécrit-elle à la lueur de cette supernova ? Pour François Boulanger, "les chercheurs avaient écrit le début de l'histoire, mais il leur manquait la fin".

Rares sont les supernovo à avoir explosé il y a moins de 2000 ans...
Cassiopée A, vestige d'une supernova qui a dû exploser vers 1670, vue dans le visible par Hubble, en infrarouge par Spitzer et aux rayons X par Chandra.
La supernova de Tycho, vestige vu aux rayons X par Chandra, observée à l'oil nu le 11 novembre 1572 par l'Astronome Tycho Brahe.
La nébuleuse du Crabe saisie par Hubble, est ce qu'il reste d'une supernova observée par les astronomes Japonais et Chinois en 1054.
C'est en 1604 que Kepler observa la supernova "Kepler", vue dans le visible par Hubble, par Spitzer et aux rayons X par Chandra.

CE N'ÉTAIT QU'UN MIRAGE...

D'après le nouveau scénario, le souffle chaud des jeunes étoiles a esquissé les piliers, en formant des sortes de grands "nuages cométaires" à la tête dense et à la queue plus diffuse, comme une comète. L'onde de choc de la supernova a ensuite écrasé la tête de ces nuages, qui se sont retrouvés comprimés de tous côtés par le gaz chaud. C'est cela qui aurait créé ces structures si contrastées et uniques que sont les piliers. Mais c'est aussi cela qui les a sans doute détruits. "Les piliers ont probablement disparu aujourd'hui, car ce processus de compression s'est poursuivi durant des milliers d'années", avance François Boulanger. Mais cela, on ne peut pas encore le voir, puisque les piliers se trouvent à 7000 années-lumière de nous : nous les voyons tels qu'ils étaient il y a 7000 ans. La plus belle image de l'astronomie n'est donc qu'un mirage...
En revanche, "on tient peut-être là une image proche du système solaire lorsqu'il s'est formé, puisqu'on pense qu'il est né dans le voisinage d'une supernova, précise François Boulanger. On va donc pouvoir explorer cette phase très précoce de son évolution". Nicolas Flagev, quant à lui, compte postuler pour un post-doctorat au centre scientifique Spitzer. Dès l'automne prochain, après avoir confirmé sa découverte, il veut partir à la recherche d'autres supernovae qui auraient explosé dans des pouponnières d'étoiles, zones où on ne les avait jamais observées auparavant, afin de découvrir les us et coutumes de cette nouvelle famille d'astres.

V.G. - SCIENCE & VIE > Mars > 2007
 

   
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