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Notre Monde est-il Né d'un Trou Noir ?

Dans le Secret des Faiseurs d'Étoiles

Il y a vingt ans, le télescope spatial Hubble, mis au point par la Nasa et l'ESA, prenait son envol pour son poste d'observation orbital, à 560 kilomètres d'altitude. Depuis lors, il n'a cessé de nous surprendre, nous émerveillant d'images somptueuses et mettant parfois en lumière des scènes inédites, tel cet incroyable crash entre deux astéroïdes dévoilé en janvier.

À travers l'oil de ce télescope, nous avons pu découvrir les lueurs irréelles des aurores sur Jupiter et Saturne, observer l'arrivée du printemps sur Neptune, visualiser - enfin - un anneau de matière noire autour d'un amas de galaxies.

LE TROU NOIR PAR L'IMAGE
En 1995, Hubble dévoila l'image d'un trou noir entouré d'un disque d'accrétion, au cour de la galaxie NGC 4261 (à g.).
En mesurant la vitesse du disque, les astronomes établirent qu'il y avait au centre une masse de 1,2 milliard de soleils dans un espace grand comme le système solaire. Alors que l'existence des trous noirs était encore discutée, ce cliché fit basculer le débat. En 1998, l'étude du cour de la galaxie Centaurus A a montré comment le trou noir central déchiquetait une autre galaxie tout en allumant des étoiles (milieu). La comparaison de la masse de trous noirs géants avec la taille de leur galaxie hôte (à d.) a permis d'établir que plus une galaxie est vaste, plus massif est son trou noir.

"Mais s'il est bien un domaine où Hubble a fait de grandes découvertes, c'est celui des trous noirs galactiques", s'exclame Jean-Pierre Luminet, astrophysicien à l'observatoire de Paris-Meudon. Ces trous noirs sont des monstres, des régions de l'Univers où la matière disparaît à jamais, où même la lumière reste prisonnière tant leur puissance gravitationnelle est grande. Ces "poids lourds" invisibles peuvent concentrer une masse de plusieurs millions ou milliards de masses solaires au centre des galaxies. Mais quel est le lien qui unit si étroitement ces ogres aux galaxies qui les abritent ? Peu à peu, grâce notamment aux observations du télescope spatial Hubble, les astronomes commencent à lever le voile sur ce mystère. "On sait ainsi, grâce aux très nombreuses observations de Hubble, qu'il y a un trou noir supermassif au centre de toutes les galaxies", souligne Françoise Combes, de l'observatoire de Paris. En utilisant Hubble, les astronomes ont donc scruté longuement, il y a dix ans, une trentaine de galaxies habitées par un trou noir géant. Et là, surprise ! Les astronomes se sont aperçus que ces gloutons grossissaient en même temps que leur habitat. Mieux : "leur taille est exactement proportionnelle à la masse du bulbe galactique dans lequel il se niche, soit le millième de cette masse", détaille Françoise Combes. Comment expliquer ces proportions parfaites ? "Parce qu'ils grossissent en même temps !", s'exclame l'astrophysicienne.
De toute évidence, il y a un lien organique entre le trou noir et la galaxie. Mais qui, de la poule ou de l'ouf, était là le premier ? Le trou noir, qui aurait construit une galaxie autour de lui ? Ou la galaxie qui se serait effondrée en son centre jusqu'à former un trou noir ? La réalité est plus complexe et les scientifiques n'ont pas encore tranché. Néanmoins des observations, réalisées avec Hubble et le télescope terrestre Gemini South en 2008, ont apporté des éléments de réponse. C'est un Graal astronomique qui a en effet été détecté au sein de l'amas globulaire Oméga du Centaure : un trou noir de masse intermédiaire, de "seulement" 40.000 masses solaires, un de ces objets que les astronomes s'escrimaient à trouver depuis trente ans. Cette observation montre que les trous noirs supermassifs ne naissent pas forcément avec leur embonpoint. Ils pourraient avoir été enfantés au centre de ces colonies de millions d'étoiles que sont les amas stellaires. Nombre d'astronomes pensent que ces communautés forment les briques primitives des galaxies qui, en fusionnant les unes avec les autres, auraient constitué des germes de galaxies aux premiers temps de l'Univers. Les trous noirs eux-mêmes auraient pu fusionner, spiralant ensuite vers le centre de la nouvelle structure, où ils auraient continué d'engraisser. En 2009, une équipe internationale menée par David Elbaz, astrophysicien au Commissariat à l'énergie atomique (CEA), a écrit un nouveau chapitre de cette saga dans des circonstances particulièrement "romanesques". Durant l'été, David Elbaz se plonge en effet dans l'écriture d'une fiction. Pour son intrigue, le chercheur puise dans les connaissances scientifiques et leurs incohérences et fait germer l'idée de "galaxies spontanées" dans la tête du personnage principal. Celui-ci apporte la preuve qu'une galaxie vient de naître sous l'influence d'un objet mystérieux.

Afin d'asseoir son récit, David Elbaz reprend en main un cliché surprenant, pris en 2005 avec le télescope spatial Hubble et le VLT, le très grand télescope européen au Chili. On y voit un "quasar nu", sorte de quasar ermite qui n'est accompagné de nulle galaxie. Baptisé HE0450-2958 et situé à 5 milliards d'années-lumière de nous, cet objet est une véritable anomalie cosmique... Ses collègues du CEA ont déjà longuement analysé ce cliché. "Ils n'y avaient vu que le seul quasar. Je n'avais donc aucun espoir d'y trouver autre chose. Pourtant, pour les besoins de mon récit, je me suis interrogé sur l'existence éventuelle d'une galaxie compagnon et je me suis mis à écrire des lignes de programme informatique pour "nettoyer" l'image. Et là... eurêka ! Une galaxie compagnon est apparue, comme si elle avait été cachée par de la poussière déposée sur mon écran !" Pourquoi les chercheurs n'avaient-ils rien vu auparavant ? Parce que le quasar est si brillant que toute autre source faible dans le champ ressemble à une fluctuation du bruit. "Nous avons été comme aveuglés par une forte source de lumière en pleine nuit. Aurions-nous vu cette galaxie compagnon si je n'avais pas eu cet autre regard lié à l'écriture de mon livre ? Je ne le pense pas", s'étonne encore David Elbaz. Commence alors une autre aventure, scientifique celle-là : l'étude des propriétés de ce quasar pseudo-ermite et de sa compagne. Les chercheurs s'étonnent de l'activité stellaire effrénée qui y règne. Il s'allume cent fois plus d'étoiles en son sein que dans les galaxies proches de nous, soit l'équivalent dé 350 Soleils par an ! "Sur l'ensemble du ciel, seules quelques dizaines de galaxies ont une telle production", souligne David Elbaz. Où se cache donc la machine à fabriquer ces étoiles ? Chez le voisin, c'est-à-dire le quasar lui-même. De fait, les astrophysiciens ont repéré un pont de matière, injecté à très grande énergie du quasar vers sa compagne. Ce jet de matière agirait comme un briquet cosmique, comprimant la matière et allumant sur son passage des flambées d'étoiles. Ce phénomène de floraison lumineuse avait déjà été mis en évidence à petite échelle, dans les années 1990, au sein même de notre galaxie. Cette fois, le trou noir impliqué n'était pas un géant, mais un petit cadavre d'étoile de seulement quatorze fois la masse du Soleil. Connu sous le matricule GRS 1915+105, il est accompagné d'une étoile dont il arrache régulièrement de la matière. Tel un microquasar, cet astre en rotation rapide émet des jets à des vitesses proches de celle de la lumière. "En étudiant en rayonnement infrarouge l'environnement de ce microquasar, explique David Elbaz, nous avons découvert qu'au bout de chaque jet, s'allument des étoiles. Il y a un lien intime entre ces deux phénomènes qui, à des échelles différentes, ont des histoires parallèles". Les trous noirs seraient donc des faiseurs d'étoiles : tout en mangeant de la matière, leurs bouffées digestives agiteraient l'environnement jusqu'à allumer des étoiles. Mais les conclusions de David Elbaz et de son équipe vont plus loin. Selon eux, les trous noirs supermassifs seraient capables de contrôler la croissance de leur galaxie ! Pour comprendre, revenons 5 milliards d'années en arrière, auprès du fameux "quasar nu" (HE0450-2958) séparé de sa compagne par seulement 22.000 années-lumière. Les deux structures étant en mouvement, elles devraient, à terme, entrer en collision. La puissance gravitationnelle du quasar déchiquettera sa compagne et il pourra alors enrouler autour de lui des lambeaux de gaz et d'étoiles, qui le pareront d'un habit de lumière.
Ces observations permettent ainsi de reconstituer le roman d'une galaxie. Le personnage principal est un trou noir massif, qui exerce son pouvoir aux tout premiers temps de l'Univers. S'il dispose d'assez de "nourriture" autour de lui, ce trou noir va allumer le phénomène du quasar, qui n'est rien d'autre qu'un noyau de galaxie très actif : "Par exemple, un trou noir de 100 millions de masses solaires, avalant une masse solaire de gaz par an, libère l'énergie observée dans les quasars et les noyaux de galaxie les plus actifs de l'Univers", explique Jean-Pierre Luminet. Quant à savoir d'où vient le trou noir lui-même, la question reste ouverte. D'aucuns prétendent qu'il s'est fait tout seul, dans l'Univers primitif, par l'effondrement d'un grumeau de matière. D'autres, plus nombreux, clament qu'il n'est que le produit d'une société stellaire, qu'il a grossi par fusions-acquisitions. Reste que la fusion de deux trous noirs est tout sauf facile. Parfois, alors qu'ils sont entraînés dans une valse dangereuse, ils se donnent des coups de pieds gravitationnels qui éjectent l'un d'entre eux et le transforme en astre errant dans l'espace intergalactique. Notre personnage principal, donc, est souvent accompagné d'une cour de nuages de gaz, qu'il dévore à l'occasion. Ce dîner fait disparaître à jamais la matière, mais produit aussi une énergie colossale au moment de sa chute rapide. Tout ne tombe pas sans frémir dans l'estomac du quasar. Une partie de la matière tournoie à grande vitesse autour de lui, et est finalement éjectée à hauteur des pôles. Cela forme des jets, qui sont propulsés dans l'espace à des vitesses proches de celle de la lumière. Lorsque ces jets frappent la matière environnante, ils déclenchent des ondes de compression : déséquilibre, concentrations, effondrement, bref la bourrasque finit par allumer des grappes d'étoiles, telles des plantes qui écloraient dans une terre sèche, sur le trajet d'un jet d'eau.
À partir de là, tout n'est plus question que de festins, d'unions galactiques et de cannibalisme. Le trou noir prospère : il mange, grossit et augmente ainsi sa puissance gravitationnelle, faisant valser les étoiles autour de lui. Parfois, il voit grand. C'est le cas du trou noir central de Centaurus A, à 10 millions d'années-lumière de nous. La collision de cette galaxie avec une voisine de la taille de la Voie lactée a été fatale à cette dernière, qui est en train de se faire dévorer par le trou noir. Mais la même image montre aussi des bouquets de nouvelles étoiles et des filaments de poussières qui viennent charpenter Centaurus et augmente sa masse. Au final, toutes les violences imposées par les trous noirs géants, au cours de l'histoire de l'Univers, auront sans doute permis de forger la grande famille des galaxies qui dansent si élégamment dans notre univers actuel.

L'IMAGE MARQUANTE d'ANDRÉ BRAHIC, Astrophysicien au CEA, professeur à l'université de Paris-Diderot.
"Parmi la moisson de découvertes de Hubble, celle qui m'a frappé montre les arcs et anneaux de Neptune (->). J'avais eu la chance de les découvrir en 1984 grâce à une occultation d'étoile. J'avais eu le bonheur de les admirer en 1989, grâce aux clichés de la sonde Voyager 2. L'image de Hubble, prise en 2000, permet de voir comment ces anneaux ont évolué. Ils sont à plus de 4,5 milliards de km et on est à la limite de résolution du télescope. Ces arcs de matière, baptisés Courage, Liberté, Egalité et Fraternité, étaient toujours là, mais l'éclat de Liberté avait légèrement diminué. La liberté est toujours plus fragile... Cette observation nous a fourni des informations précieuses sur la manière dont ces arcs sont confinés par des satellites voisins. Ce confinement, mal compris, passionne de nombreux physiciens. Il peut être provoqué aussi bien par le champ magnétique, comme c'est le cas dans les tentatives de fusion de la matière, que par la gravitation comme pour les anneaux des planètes".

L'IMAGE MARQUANTE de JEAN-PIERRE LUMINET, Astrophysicien à l'observatoire de Paris-Meudon
De toutes les observations de Hubble, celle qui m'a le plus marqué est celle du noyau de la galaxie elliptique géante M87 (->). C'est l'une des plus puissantes radiosources du ciel, également remarquable par le jet qui s'échappe de son cour. En 1978, les premières mesures suggéraient déjà la présence d'un trou noir supermassif. Toutefois, le débat resta animé jusqu'au début des années 1990 : du fait des turbulences atmosphériques, les observations dans le domaine visible ne permettaient pas de trancher. Aussi, dès sa mise en opération en 1991, le télescope spatial Hubble prit le noyau de Messier 87 pour cible prioritaire. La spectroscopie à haute résolution révéla la cinématique du gaz ionisé : à moins de 65 années-lumière du centre de Messier 87, les vitesses des étoiles sont supérieures à 500 km/s, valeurs impossibles à expliquer sans un trou noir supermassif. Cerise sur le gâteau, un disque de gaz situé dans un plan perpendiculaire à la direction du jet fut découvert en 1997, et l'étude de sa rotation indique une masse de 3,2 milliards de masses solaires dans un rayon de seulement 10 années-lumière !"

L'IMAGE MARQUANTE de TRINH XUAN THUAN, Astrophysicien américain à l'université de Virginie, à Charlottesville (États-Unis).
"Je suis un fréquent utilisateur de Hubble et j'admire toujours ses images magnifiques à la fois informatives et poétiques. L'un des clichés qui m'a le plus frappé est celui de l'amas de galaxies Abell 2218 (voir ci-contre) à quelque 3 milliards d'années-lumière de la Terre : il me parle non seulement de lumière et d'ombre, mais aussi d'illusion et de réalité. "Lumière" car chacune des galaxies visibles contient des centaines de milliards de soleils ; "ombre" car 90 % de la masse de cet amas est faite de "matière noire", qui ne se manifeste que par son influence gravitationnelle. Elle dévie par sa gravité la lumière de galaxies situées derrière l'amas, provoquant la décomposition de leurs images en de nombreux arcs lumineux, dont les plus visibles sont autour de la grosse galaxie elliptique au centre. L'amas agit comme une lentille gravitationnelle car, comme la lentille de nos lunettes, il dévie la lumière, créant des "mirages gravitationnels". Ainsi, certains objets ne nous apparaissent pas tels qu'ils sont vraiment : l'Univers est parfois comme un vaste jeu d'illusions cosmiques qui peuvent conduire à la réalité".

NOTRE UNIVERS PARMI TANT D'AUTRES
Et si c'était notre univers tout entier qui était issu d'un trou noir ? Dans les années 1990, des théoriciens n'ont pas hésité à formuler l'hypothèse, avec un modèle cosmologique audacieux, baptisé "pré-Big Bang". Utilisant la théorie des cordes, théorie spéculative qui tente de marier les lois de la relativité générale avec celles de la mécanique quantique, les physiciens italiens Gabriele Veneziano et Maurizio Gasperini ont fait entrer en scène un univers avant notre univers. Dans ce monde "préhistorique" parcouru d'ondes gravitationnelles, il peut arriver qu'une région très dense s'effondre sur elle-même pour former un trou noir géant. Or, dans la théorie des cordes, lorsque la contraction s'approche de l'infini, la gravité devient répulsive. Du coup, le trou noir rebondit et entre en expansion : c'est le Big Bang, le premier cri de notre univers... ou d'un autre, d'ailleurs. Notre monde ne serait alors qu'un parmi une multitude d'autres, tous engendrés par un trou noir. En 2007, le même type de scénario a été envisagé par l'Allemand Martin Bojowald, mais avec des équations issues d'une autre théorie d'unification spéculative, la gravitation quantique à boucles (loop quantum gravity). Dans son modèle, l'Univers oscillerait périodiquement entre des étapes de Big Bang et de "Big Crunch", c'est-à-dire d'effondrement sur lui-même en trou noir. Il n'aurait ni début ni fin. Dès lors, se pose une nouvelle question : les trous noirs qui naissent dans notre propre univers pourraient-ils être les germes d'autres univers ? Certains physiciens le pensent. Les équations de la relativité générale ne l'interdisent pas, puisqu'elles décrivent le symétrique du trou noir : le trou blanc par lequel la matière avalée finit par rejaillir. Reste qu'aucun trou blanc n'a jamais été observé à ce jour.

S.R. - SCIENCES ET AVENIR > Avril > 2010
 

   
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