P L A N È T E  G A Ï A 
 
   
   
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Le Pire Paradoxe Cosmique

Les trous noirs relèvent à la fois de la mécanique quantique et de la relativité générale, mais ce n'est que la première de leurs étrangetés ! Pour les comprendre enfin, les astronomes n'ont d'autre choix que de déployer les grands moyens.

Ils sont d'abord apparus comme simples concepts entre les mains des théoriciens... et voilà qu'ils ne cessent de les défier depuis le ciel. Comment un objet aussi étrange que le trou noir peut-il simplement exister ? Aucun astre dans l'immensité de l'Univers ne brasse autant de paradoxes... Qu'un objet s'approche de son horizon, et son temps semble geler pour un observateur extérieur. Avec les corps qu'il avale, il engloutit aussi les informations qu'ils contiennent, au mépris des règles de base du savoir-vivre quantique. On sait aussi que plus sa masse est grande, plus sa densité diminue. Un trou noir stellaire (de quelques dizaines de fois la masse du Soleil tout au plus) pèsera plusieurs milliards de tonnes par centimètre cube, tandis qu'un trou noir supermassif de plusieurs milliards de masses solaires aura en moyenne la densité de l'eau ou de l'air ! Surtout, sa mise en équation conduit à des quantités infinies qui font très mauvais ménage avec le calcul.
En fait, le vrai problème avec les trous noirs, c'est qu'en tant qu'objets extrêmement massifs, ils sont placés d'emblée sous l'autorité de la relativité générale, qui est une théorie de la gravitation (autrement dit de l'attraction entre les masses) ; mais en tant qu'objets très petits (et même infiniment petits, puisqu'en théorie leur matière se concentre en un point), ils sont impérativement tenus de se plier aux lois de la mécanique quantique, qui régit le comportement des particules...

UNE INCOMPATIBILITÉ THÉORIQUE

Cette double allégeance est-elle vraiment problématique ? Oui. C'est même le grand, l'immense, le vertigineux problème de la physique du siècle, dont le XXIè siècle a hérité. Car la mécanique quantique et la relativité générale, les deux grands piliers de la physique théorique moderne, sont incompatibles. L'une stipule que les forces fondamentales sont véhiculées par des particules ponctuelles (le photon pour la force électromagnétique par exemple), quand l'autre décrit la force de gravité comme une modification de la trame de l'espace-temps. Depuis un siècle, pourtant, chacune confronte systématiquement avec succès ses prédictions à la réalité. Et personne n'a encore jamais réussi a les prendre en défaut de manière convaincante...

LA RÉALITÉ QUI SE DÉROBE

La fameuse "théorie du tout", but ultime des théoriciens, qui permettrait d'englober les deux autres sous un même concept, émergera peut-être justement du combat qu'elles se livreront sur le terrain des trous noirs. Car le trou noir est, avec le big bang (qui concentre en un point toute l'énergie de l'Univers), le seul objet qu'elles devraient être capables de décrire toutes les deux. Or, pour l'heure, aucune ne peut expliquer ce qui se passe à l'intérieur d'un trou noir. Quelle est sa structure ? Une masse énorme réduite à un point au milieu de cet immense puits d'où rien ne ressort ? La chose semble inconcevable...
Mais il y a plus grave. Même lorsque l'on se décide à les étudier comme des astres parmi d'autres et d'abandonner la pure théorie, la réalité se dérobe. Une question, par exemple, surgit immédiatement : comment naissent-ils ?
La naissance des trous noirs supermassifs reste mystérieuse. Ils pourraient s'être formés à partir de trous noirs de masse intermédiaire, comme ceux que l'on pense détecter dans les amas M15 et G1 sur ces images de Hubble (->).
Certes, pour les trous noirs stellaires, la chose est claire : ils se forment lorsque des étoiles très massives s'effondrent sur elles mêmes enfin de vie. Mais quid des trous noirs supermassifs, ceux qui trônent très probablement au centre des galaxies ? Sont-ils d'anciens trous noirs stellaires qui ont acquis ces tailles monstrueuses en dévorant continuellement du gaz au fil des âges ? Impossible : multiplier des millions de fois sa taille initiale par ce mécanisme nécessiterait, selon les simulations, un temps approximativement égal à l'âge de l'Univers. Or, on observe des quasars (ces astres très brillants qui signalent la présence d'un trou noir actif) très loin de nous, si loin que leur lumière a mis environ 13 milliards d'années avant de nous parvenir ! Ils se sont donc formés dans un tout jeune Univers, de quelques centaines de millions d'années. Trop court, donc, pour qu'un trou noir stellaire tel que nous les connaissons puisse grossir à ce point. Seul espoir : des simulations réalisées par des chercheurs de l'Institut Max-Planck ont montré que le problème disparaît si le trou noir originel pèse un millier de masses solaires environ. Or, ces trous noirs dits "intermédiaires" semblent bel et bien exister dans la réalité. Le télescope XMM-Newton a observé en 2009 une source X dans la galaxie ESO 243-49 qui pourrait correspondre à un trou noir de 500 masses solaires. Et, quelques années plus tôt, des images de Hubble tendaient à indiquer que les amas d'étoiles M15 et G1 en abriteraient.
Mais d'où viendraient de tels astres ? Peut-être du cour d'un amas ultraconcentré en étoiles, d'une turbulence infernale, qui très vite s'effondrerait en des trous noirs de 1000 masses solaires. "Deux autres hypothèses existent, indique David Elbaz du Commissariat à l'énergie atomique, qui reposent sur la différence de densité et de composition de l'Univers à sa naissance. Le gaz ambiant était alors si concentré que des trous noirs intermédiaires pourraient s'être formés spontanément sans passer par le stade d'étoile, ce qui est tout à fait exclu dans l'Univers actuel. Ou bien, et c'est l'hypothèse qui a la faveur des astronomes, des étoiles géantes pourraient avoir mesuré jusqu'à 1000 fois la masse du Soleil, même si c'est impossible aujourd'hui". Malheureusement, les moyens actuels ne permettent pas de distinguer des étoiles si lointaines, aussi gigantesques soient-elles. "À la rigueur, leurs explosions en supernovae, si elles existent, pourraient être détectées par le futur James Webb Space Telescope, estime Patrick Petitjean de l'Institut d'astrophysique de Paris. Mais à son lancement, la modélisation va devoir progresser, car on ne sait pas quel signal lumineux elles émettraient. Même si on les voyait, on ne saurait probablement pas les reconnaître". Difficile donc de savoir comment sont nés les trous noirs supermassifs.

DE NOUVELLES INTERROGATIONS

Et les progrès de l'observationont apporte d'autres interrogations. Ils ont notamment permis de distinguer, malgré les centaines de millions d'années-lumière de distance, le trou noir et son disque d'accrétion, d'une part, et d'autre part, les milliers d'étoiles qui dansent autour de lui en formant une gigantesque bulle : le bulbe galactique. Surprise : on observe que celui-ci est toujours 700 fois plus massif que le trou noir. Que ce soit dans notre environnement proche ou dans les profondeurs de l'espace (et donc du passé), leurs tailles sont systématiquement enchaînées par ce nombre. Trois solutions : soit le bulbe exerce une influence sur le trou noir supermassif et le façonne à son image ; soit le trou noir sculpte lui-même son environnement de l'intérieur ; soit un phénomène qui les transcende tous les deux contrôle leur croissance, conservant leurs proportions au fil du temps...
Ce phénomène, ce pourrait être les collisions de galaxies. Car les grandes quantités de gaz qu'elles renferment sont alors si agitées qu'elles déclenchent la formation de centaines d'étoiles d'un côté, tout en venant nourrir le trou noir de l'autre. Bulbe et trou noir sont donc alimentés par une même source, ce qui expliquerait cette proportion constante entre les deux. Les observations corroborent cette idée, car les trous noirs les plus actifs sont souvent au cour des galaxies qui produisent le plus d'étoiles. "L'idée est intéressante, mais elle ne suffit plus, objecte Françoise Combes, de l'observatoire de Paris. Car on observe désormais des quasars qui, comme Perseus A, ne présentent aucune cicatrice de collision, et où pourtant naissent de nombreuses étoiles".
En revanche, le rapport de masse constant entre le bulbe d'une galaxie et son trou noir reste inexpliqué. Les collisions galactiques ont été un temps soupçonnées, mais Perseus A (->) invalide cette hypothèse.
Mais une autre piste est explorée par les astronomes, qui nécessite de se placer à bien plus grande échelle. À une échelle gigantesque, où les galaxies ne sont plus que de simples points et les quelques particules qui forment le vide spatial, un brouillard gazeux. Or, celui-ci ne serait pas homogène, mais tissé en forme de toile, comme les mailles d'un immense réseau. Quadrillant le cosmos, ces filaments "froids" se deverseraient dans les galaxies, entretenant le feu du quasar et provoquant simultanément l'allumage de nouvelles étoiles. Mais à ces échelles, l'hypothèse est difficile à éprouver par l'observation. D'autant que ces filaments sont extrêmement fins, un dixième de la largeur des galaxies environ, et peu consistants : pas plus de un atome par centimètre cube. "On se sert des quasars lointains comme de phares pour détecter l'absorption de leur lumière par les filaments se trouvant entre eux et la Terre, explique Patrick Petitjean. On a déjà détecté du gaz à l'embranchement des galaxies, mais il est encore difficile de le distinguer de celui, plus chaud, de la galaxie elle-même". On devrait être fixés grâce à Muse (pour Multi Unit Spectroscopic Explorer), lorsqu'il sera installé sur le Very Large Telescope de l'ESO au Chili en 2013.
Enfin, les quasars (Centaurus A ->) sont suspectés de sculpter eux-mèmes leur bulbe galactique grâce aux fantastiques jets de matière brûlante qui s'en échappent, et qui flirtent avec la vitesse de la lumière. Leur mécanisme est encore un casse-tête. "On pense qu'au bord du trou noir la matière est si chaude que des électrons sont arrachés de leurs atomes, explique David Elbaz. Liberés, ils forment comme un courant électrique dans le disque, et donc un champ magnétique capable de propulser d'autres particules chargées". Or, ces jets sont soupçonnés d'être les créateurs des galaxies. Ils limiteraient la croissance du trou noir et de celle du bulbe en dispersant au loin le gaz qui, sans ça, se concentrerait lentement vers le centre, et formerait des étoiles ou nourrirait le trou noir. À l'inverse, en balayant le gaz intergalactique, les jets brûlants pourraient créer à la chaîne des flambées d'étoiles à plusieurs milliers d'années-lumière à la ronde. Le trou noir serait lui-même le créateur de sa propre galaxie. Une théorie qui peut rendre compte du fameux rapport de 700 entre le bulbe et son trou noir. Mais qui n'est pas encore confirmée. Leur naissance, leur vie, leur influence sur les galaxies... tout ceci demeure donc bien mystérieux.

DES DURÉES DÉPASSANT L'ENTENDEMENT

Mais il reste une question fondamentale : peuvent-ils mourir ? Et celle-ci de nous replonger dans les vertiges théoriques. Car dans les années 1970, le physicien britannique Stephen Hawking est parvenu à un résultatstupéfiant. Malgré leur incroyable force d'attraction, les trous noirs pourraient peu a peu s'évaporer ! En effet, les fluctuations quantiques du vide (des paires de particules matiere/antimatiere qui surgissent du néant et s'annihilent aussitôt), lorsqu'elles se produisent précisément à cheval sur l'horizon du trou noir, pourraient peu à peu le vider de sa matière. Le phénomène est associé à une radiation dite "radiation Hawking" qu'émettraient les trous noirs (eux qui absorbent tout défiant, là encore, l'intuition). Cette radiation constitue-telle un potentiel indice à détecter ? Hélas, non. Si elle existe, elle est si faible qu'elle restera à jamais noyée dans le bruit de fond cosmique.
Le seul espoir vient des laboratoires de mécanique des fluides d'optique (ci-contre en Ecosse ->, des physiciens tentent de créer des analogues de trous noirs) ou de recherche sur les atomes froids, dans lesquels des physiciens ont réussi à reproduire certaines caractéristiques des trous noirs dans de l'eau, de la lumière ou des condensats d'atomes. Fin 2010, une équipe de l'université Heriot-Watt, à Edimbourg, a ainsi reussi à observer l'équivalent d'une radiation Hawking ! Les implications de ce premier pas restent à comprendre. Mais quoi qu'il en soit, les trous noirs ne sont pas près de disparaître : l'échelle de temps à laquelle ces monstres devraient s'évaporer dépasse l'entendement (et notre capacité à l'écrire en toutes lettres : 1067 années pour un trou noir stellaire). Quant à savoir ce que cache l'horizon d'un trou noir... on ne le saura probablement jamais. Sont-ils des passages vers d'autres trous noirs ? Vers d'autres endroits de l'Univers ? Vers d'autres dimensions ? Vers d'autres Univers ? Devant l'impossibilité ontologique des trous noirs à se laisser observer dans leur intimité, les théoriciens ont tout le loisir d'imaginer les scénarios les plus surprenants !

B.R. - SCIENCE & VIE Hors Série > Juin > 2012
 

   
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