P L A N È T E  G A Ï A 
 
   
   
 Index ASTRONOMIE -> ÉTOILES -> TROUS NOIRS 
   
 
On va pouvoir Photographier le Trou noir Galactique

Absorbant tout ce qui passe à leur portée, les trous noirs sont les objets les plus denses de l'Univers. Ultimes monstres cosmiques, ils constituent pour les scientifiques un défi observationnel et théorique : à ce jour, seuls des indices indirects démontrent leur existence. Mais voici que deux astronomes ont trouvé un moyen aussi judicieux qu'efficace de parvenir à observer le trou noir qui trône au centre de notre galaxie...

Mon premier est un dieu invisible autour duquel tourne toute la Voie lactée. Mon second est un roi qui, à 27.000 années-lumière de distance, trône au centre exact de notre galaxie. Mon troisième est un ogre qui dévore tout ce qui s'approche un peu trop près de lui, la matière comme la lumière. Mon quatrième est un abîme d'interrogations pour les astronomes depuis près d'un demi-siècle ! Mon tout est... un trou noir, bien sûr, dont le concept a plus de 200 ans (encadré) mais la découverte effective seulement 40 ans. Et le problème, c'est que personne n'a jamais vu, de ses yeux vu, un tel astre, considéré comme l'une des plus étranges et fascinantes manifestations de la nature. Or, observer un trou noir, un exploit réputé jusqu'ici impossible, c'est ce que les astronomes s'apprêtent à réaliser !

200 ANS DE QUÊTE - C'est en 1796 que le mathématicien Pierre Simon Laplace imagine le concept du trou noir : il calcule qu'un astre assez dense et massif aurait un pouvoir d'attraction si fort qu'il piégerait la lumière. L'idée stagne jusqu'à la théorie de la relativité générale d'Albert Einstein, en 1915, qui permet de réinterpréter la notion de trou noir comme une courbure de l'espace-temps. Les équations décrivant les trous noirs sont écrites par Karl Schwarzschild en 1916, et, en 1939, Robert Oppenheimer parle d'effondrement d'une étoile massive. En 1971, Cygnus X-1 est le premier candidat trou noir, et l'astronome anglais Martin Rees prédit l'existence d'un trou noir massif au centre de la Voie lactée. Une grande partie de la communauté scientifique est sceptique... Dans les années 1990, des preuves indirectes s'accumulant, la réalité de tels astres n'est plus mise en doute.

UNE LIMITE IMMATÉRIELLE

L'idée ? Utiliser en réseau les plus sensibles des télescopes actuels, afin de synthétiser un télescope virtuel grand comme... la Terre ! Pour comprendre la difficulté, il faut d'abord présenter ces fameux trous noirs. Dire qu'ils sont les objets les plus denses de l'Univers, l'état ultime de la matière. Ajouter que leur champ d'attraction est si intense qu'ils courbent littéralement l'espace autour d'eux, au point d'y creuser une sorte de "puits d'attraction sans fond" où tout s'abîme et d'où rien ne peut ressortir. Ainsi, les trous noirs doivent-ils leur nom à leur capacité d'emprisonner la lumière elle-même ! Et, plus fascinant encore, il n'existe pas de modèle théorique des trous noirs : on peut observer leur emprise sur le monde, mais pas ce qui se passe derrière leur "horizon", cette limite immatérielle, au-delà de laquelle plus aucune information ne passe de l'intérieur vers l'extérieur. De l'autre côté de cet horizon, nul ne sait ce qui se passe. Une seule chose est certaine : la matière, que rien ne peut freiner, chute indéfiniment vers la "singularité" centrale, aux caractéristiques inconnues, faute d'une théorie capable d'englober dans le même formalisme l'espace-temps de la relativité générale et les particules élémentaires de la mécanique quantique.

UN MILLIARD DE TROUS NOIRS

Pour les astronomes, les trous noirs se résument donc à la formidable et invisible attraction qu'ils exercent sur leur environnement. Au centre de notre galaxie, par exemple, des milliards d'étoiles tournent à une vitesse folle autour d'un point minuscule mais d'une masse formidable : notre trou noir galactique "pèse" près de quatre millions de fois la masse du Soleil ! Autour de ce point d'attraction invisible, un disque de plasma porté à une température de plusieurs millions de degrés érnet épisodiquement une bouffée de rayons X. Ce gaz brûlant chute, à une vitesse proche de celle de la lumière, vers le centre...
On sait aujourd'hui qu'il existe dans la Voie lactée environ un milliard de trous noirs, formés lors de l'effondrement sur elles-mêmes d'étoiles supergéantes mortes. Ces astres, situés à une très grande distance - 3300 années-lumière pour GRO J1655-40, le plus proche d'entre eux - mais ne mesurant que quelques kilomètres de diamètre, sont hors de portée des télescopes pour des décennies encore... En revanche, le trou noir du centre galactique - formé au cours des âges par l'engloutissement successif de millions d'étoiles... -; apparaît, malgré sa distance de 27.000 années-lumière, désormais accessible ! En effet, sa masse lui confere un horizon (une empreinte visuelle) de taille respectable : environ 15 millions de kilomètres de diamètre, soit la taille d'une étoile supergéante. En pointant un télescope suffisamment puissant vers le centre galactique, on devrait donc voir cet horizon, sous l'aspect d'un minuscule disque noir, entouré par des volutes de gaz brûlant !
Le problème, c'est que ce disque obscur est mille fois plus petit que le plus petit détail discernable avec les plus puissantes longues-vues jamais mises au point que sont le télescope spatial Hubble ou, au Chili, le Very Large Telescope (VLT) européen ! De plus, des milliers d'années-lumière de gaz et de poussières interstellaires masquent la région centrale de la Voie lactée... La cause est entendue : aucun télescope classique ne peut donc, et ne pourra jamais, observer le trou noir géant qui trône au centre de notre galaxie...
Pourtant, deux astronomes de l'Observatoire astronomique national du Japon sont en passe de relever le défi. Depuis près de dix ans, inlassablement, Makoto Miyoshi et Rohta Takahashi mobilisent en effet la communauté internationale afin qu'elle rallie leur projet. Un projet en deux temps. D'abord, il s'agirait d'observer la Galaxie dans une gamme de longueurs d'onde qui la rendent presque transparente, telles les ondes infrarouges et submillimétriques, entre autres, qui peuvent traverser sans sourciller les plus épais nuages de gaz et de poussières. Ensuite, il faudrait un télescope capable de percevoir des détails mille fois plus fins que Hubble... Ce qui serait possible via un interféromètre, c'est-à-dire un réseau de plusieurs télescopes, qui, synthétisant artificiellement un miroir géant, permettrait d'atteindre la précision requise.
L'ennui, c'est que, selon les rigoureuses lois de l'optique, plus on augmente la longueur d'onde observée, plus on doit augmenter la taille du télescope ! Ainsi, dans le domaine infrarouge, détecter le trou noir du centre galactique relève actuellement de la science-fiction : le réseau interférométrique nécessaire devrait mesurer 25 km, au moins... Sachant que les plus grands interféromètres actuels mesurent 100 à 400 m, et que les astronomes rêvent de réseaux de 1 à 2 km pour les décennies 2020 ou 2030, on est très, très loin du compte. Exit l'infrarouge. C'est dans le domaine des ondes submillimétriques que Makoto Miyoshi et Rohta Takahashi ont trouvé la solution. Ces ondes sont cent à mille fois plus longues que la lumière visible ou que le rayonnement infrarouge. Pour les percevoir, il faut des instruments de très grande taille, dont la communauté scientifique, depuis une dizaine d'années, commence justement à s'équiper ! Il s'agit d'antennes, à la surface en aluminium extrêmement lisse mesurant de 6 à 15 m de diamètre, utilisées en réseaux.
Makoto Miyoshi dresse son inventaire : "À Hawaï ; nous avons déjà le réseau SMA, qui compte huit antennes de 6 mètres de diamètre. Au Chili, Américains, Européens et Japonais mettent au point le géant Alma, qui comptera en 2012 soixante antennes de 12 mètres. Il existe d'autres antennes dans le sud des États-Unis, en Australie, etc. Bien sûr, individuellement, ces réseaux, qui ne mesurent 'que' quelques centaines de mètres de diamètre, sont incapables de percevoir le trou noir central. C'est leur puissance réunie que nous nous proposons d'utiliser, en créant un réseau que nous avons baptisé 'télescope Horizon'." Le calcul des astronomes japonais est précis : en combinant les signaux enregistrés par tous les télescopes réquisitionnés, c'est un interféromètre de près de 10.000 km de diamètre, pratiquement celui de la Terre, qui serait synthétisé. Suffisant pour photographier le trou noir en gros plan !
"Ce n'est pas pour tout de suite, tempère cependant Frédéric Gueth, astronome de l'Institut de radioastronomie millimétrique (Iram). Nous sommes déjà capables aujourd'hui, c'est vrai, de coupler des antennes submillimétriques situées à des milliers de kilomètres l'une de l'autre, mais il s'agit encore de programmes de recherche et développement. La technique dite 'VLBI' (Very Long Baseline Interferometry) est utilisée depuis une quarantaine d'années pour les grands domaines de longueurs d'onde, disons entre 1 cm et 1 m : il suffit d'équiper chaque station d'observation d'une horloge atomique, qui 'date' avec une extrême précision les observations, puis de combiner les données obtenues dans chaque observatoire à l'aide d'un 'corrélateur', c'est-à-dire un puissant ordinateur qui reconstitue l'image finale prise par le réseau entier... Mais si 'faire du VLBI' est facile à 10 cm de longueur d'onde, utiliser cette technique au-dessous d'un millimètre de longueur d'onde reste une gageure." En effet, la précision des mesures est fonction de la longueur d'onde que l'on observe : un télescope observant à 0,1 mm de longueur d'onde doit être... cent fois plus précis qu'un télescope observant à 1 cm de longueur d'onde ! Pour autant, Miyoshi et Takahashi sont confiants : dans cinq à dix ans, assurent-ils, leur télescope Horizon prouvera définitivement l'existence des trous noirs... Car si, aujourd'hui, plus aucun astronome ne doute de l'existence des trous noirs, depuis un demi-siècle, à chaque nouvelle découverte, des équipes rivalisaient, non sans un brin de perversité, pour proposer une alternative : amas d'étoiles ultracompact, condensation de matière froide et hyperdense, etc. L'observation directe d'un trou noir sera donc une formidable victoire de l'astronomie théorique mais aussi, plus particulièrement, de la théorie de la relativité générale.

UNE NOUVELLE PHYSIQUE ?

"Ce qu'on observera, continue Makoto Miyoshi, c'est l'horizon du trou noir, qui, vu de l'extérieur, ressemble à une sphère noire. Autour de l'horizon, apparaîtra un disque de gaz brûlant, tournant à très grande vitesse... "Ce disque de gaz est le reliquat de matière tournant autour du trou noir mais n'ayant pas encore chuté dedans. Avant de s'abîmer dans le "monstre", en effet, les étoiles sont littéralement déchiquetées sous l'effet de son énorme attraction. Une partie de leur gaz demeure plus ou moins longtemps en orbite autour du trou noir. "Etudier une image de ce trou noir sera passionnant, confirme Alain Riazuelo, astronome à l'Institut d'astrophysique de Paris (IAP), spécialiste de la modélisation numérique des trous noirs. Nous saurons comment il tourne, nous verrons comment l'espace fortement courbé autour de lui déforrne les images. Il sera possible de tester des prédictions de la relativité générale, par exemple l'effet Lense-Thirring, qui prédit que l'espace est entraîné par la rotation du trou noir sur lui-même..."
Une fois l'existence de ces astres prouvée de visu, il restera à vérifier soigneusement que les modèles calculés par ordinateur correspondent à la réalité. Nombre d'astronomes, en effet, comme Alain Riazuelo, représentent l'aspect des trous noir à partir des équations de la relativité générale qui les décrivent. L'observation directe apportera-t-elle des correctifs ? Jusqu'où la nature obéit-elle à la théorie ? Les images de notre trou noir galactique serviront de tests fondamentaux pour les théories physiques. Si elles correspondent aux simulations calculées par ordinateur, il s'agira d'une nouvelle et éclatante confirmation de la validité de la théorie de la relativité générale. Mais si ce n'est pas le cas, une nouvelle physique pourrait voir le jour, mise en lumière, si l'on ose dire, par les trous noirs.

S.B. - SCIENCE & VIE > Octobre > 2009
 

   
 C.S. - Maréva Inc. © 2000 
 charlyjo@laposte.net 
¯