Où est passé le Lithium des Étoiles ? |
L'Étoile qui défie le Modèle du Big Bang |


D.F. - CIEL & ESPACE N°568 > Décembre > 2019 |
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Les Planètes Absorberaient le Lithium Stellaire |
Le mystère laissait les astrophysiciens perplexes depuis plusieurs décennies : puisque la quasi-totalité du lithium présent dans l'espace a été produite lors du big bang, chaque étoile devrait en renfermer la même quantité. Or, ce n'est pas le cas.
Le Soleil, par exemple, en présente des taux très bas. La faute aux ondes gravitationnelles, aux scénarios d'évolution ou au modèle standard de la physique ? Peut-être pas. En s'appuyant sur les données récoltées par le spectrographe HARPS (de l'observatoire européen de La Silla), l'équipe de Garik Israelian a comparé 84 étoiles de 1 à 9 milliards d'années. Les résultats sont formels : 90 % des étoiles autour desquelles tournent des planètes ont des taux de lithium au moins cent fois inférieurs à ce que prévoit la théorie, et la moitié des astres solitaires en renferme 10 % de plus. Le voisinage de planètes ferait donc chuter la quantité de lithium dans les étoiles. Reste à savoir comment... En attendant, le taux de lithium d'une étoile pourrait déterminer si elle est digne d'une recherche d'exoplanète plus poussée.
A.O. - SCIENCE & VIE > Janvier > 2010 |
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Où est passé le Lithium des Étoiles du Halo ? |
Le faible taux de lithium observé dans les plus vieilles étoiles de la Voie lactée contredit la théorie. Un casse-tête pour les astrophysiciens, qui produisent trois scénarios. (NGC 4565, galaxie semblable à la notre, halo au centre ->)
Rougeâtres, petites et sans éclat, les étoiles du halo semblent vouées au destin morne des corps délaissés. Perdues dans cette vaste région sphéroïdale qui entoure notre galaxie, ces vieilles dames de 14 milliards d'années, représentantes de la première génération d'étoiles encore visible dans la Voie lactée, finissent leurs jours dans un environnement quasi inerte, loin de l'activité grouillante de la pouponnière stellaire centrale. C'est pourtant dans cette zone reculée qu'est apparue ce que Nicolas Prantzos, à l'Institut d'astrophysique de Paris, n'hésite pas à qualifier "d'une des plus importantes questions que les spécialistes de la nucléosynthèse aient à résoudre aujourd'hui." Cela fait en effet vingt-cinq ans que la composition atomique de ces étoiles étonne les astrophysiciens. Mais ce qui n'était qu'une bizarrerie est devenue depuis quelques années un véritable casse-tête.
TOUT REMONTE AUX ANNÉES 80
Le fait qui dérange est la quantité d'atomes de lithium observée à leur surface. Comme toutes leurs congénères, les étoiles du halo sont essentiellement constituées d'hydrogène, qu'elles dégradent en hélium dans des réactions de fusion nucléaire. Mais, dans les années 80, Monique et François Spite, à l'Observatoire de Paris, remarquent, qu'elles contiennent aussi du lithium. Du lithium-7 en particulier, l'isotope le plus courant, dont le noyau est constitué de trois protons et de quatre neutrons. Et cela surprend : "À l'époque, selon le paradigme dominant, on n'aurait pas dû en observer", souligne François Spite. L'observation est d'autant plus surprenante que toutes ces étoiles du halo, quels que soient leur masse ou leur profil de température, contiennent la même proportion de cet élément. Les spécialistes de la nucléosynthèse ne tardent cependant pas à trouver une interprétation relativement simple à cette fraction constante de lithium-7 dans l'ensemble du halo galactique : cela doit correspondre à la proportion synthétisée quelques minutes après le big bang. Avec le deutérium, l'hélium-3 et l'hélium-4, le lithium-7 fait en effet partie de la poignée d'éléments créés lors de cette phase de nucléosynthèse primordiale. Et c'est il partir de cette "soupe" que se sont formées les premières étoiles, comme celles du halo. Comme leur température de surface est trop faible pour que le lithium participe à des réactions nucléaires susceptibles de le transmuter, il est tentant de considérer que la proportion de lithium observée à leur surface est simplement celle fixée par les conditions de la nucléosynthèse primordiale.
Mais patatras ! En 2003, le satellite WMAP, lancé par la Nasa, cartographie avec une précision jamais atteinte les fluctuations du rayonnement émis par l'Univers environ 400.000 ans après le big bang, au moment où les noyaux atomiques ont capturé leurs électrons. Des mesures qui permettent de calculer, une bonne fois pour toutes, les proportions dans lesquelles l'Univers a synthétisé les premiers éléments atomiques. Et le cas du lithium s'avère une catastrophe : la quantité déduite des mesures de WMAP par les modèles de nucléosynthèse primordiale est de deux il trois fois supérieure à ce qu'elle est à la surface des étoiles du halo ! Avec un tel écart, pas question d'invoquer les marges d'erreur. Et ce résultat rend les astrophysiciens d'autant plus perplexes que les cas du deutérium et de l'hélium ne posent, eux, pas de problème. L'affaire du lithium devient un scandale. Pourquoi en trouve-t-on si peu dans les étoiles du halo ? S'agit-il d'un problème de modélisation de l'évolution stellaire ? Ou bien les astrophysiciens se sont-ils leurrés sur l'origine de la matière dont les étoiles du halo sont constituées ? À moins qu'il ne faille carrément mettre au pilori les modèles de nucléosynthèse primordiale, fondés tout de même sur la théorie du big bang et le modèle standard de la physique des particules...
LA COMMUNAUTÉ SE MOBILISE
Pour ne pas faire vaciller les bases de ce qu'elle croyait savoir, la communauté astrophysique doit trouver une explication à ce mystérieux déficit. Et elle ne manque pas d'imagination...
Pour une bonne partie des spécialistes, nul besoin d'aller chercher midi à quatorze heures. La clé de l'énigme est tout simplement à chercher dans les étoiles du halo elles-mêmes. Selon eux, le big bang a bel et bien synthétisé trois fois plus de lithium que la quantité actuellement observée à la surface de ces étoiles, mais une partie a été dégradée au cour de la fournaise stellaire. De fait, les astrophysiciens connaissent depuis longtemps un mécanisme appelé diffusion atomique, qui entraîne les éléments lourds présents à la surface d'une étoile vers son centre. Ainsi en serait-il du lithium qui, une fois atteint une couche interne où la température dépasse 2,5 millions de degrés, est détruit. Cette explication pose cependant un problème : si elle permet d'expliquer une diminution de la quantité de lithium à la surface des étoiles du halo, elle n'est pas suffisante pour se reproduire dans des proportions constantes. "Toutes les étoiles du halo ne devraient pas présenter aujourd'hui la même quantité de lithium à leur surface, car plus une étoile est massive, plus la diffusion du lithium est efficace", explique Corinne Charbonnel, qui travaille à l'Observatoire de Genève et au CNRS. Pour s'en sortir, il faut donc raffiner le modèle de l'évolution stellaire en prenant en compte des mécanismes qui pourraient influencer la vitesse de diffusion atomique. Les spécialistes de la question ont en effet constaté que plus une étoile tourne vite, moins la diffusion atomique est efficace. Ainsi, il suffit d'ajuster pour chaque étoile sa vitesse de rotation au moment de sa formation pour parvenir tant bien que mal à reproduire l'abondance constante du lithium. Un procédé aux forceps qui n'est guère satisfaisant.
Corinne Charbonnel et Suzanne Talon, du département de physique de l'université de Montréal, ont néanmoins proposé en 2005 un modèle d'évolution stellaire beaucoup moins lourd et plus élégant. "En nous intéressant aux ondes de gravité générées par l'enveloppe turbulente du Soleil qui tapent sur sa zone interne, nous nous sommes rendus compte qu'elles modifiaient la vitesse de rotation interne de l'astre, ce qui nous a pennis, entre autres, de reproduire pour la première fois l'abondance en lithium de notre étoile", explique Corinne Charbonnel.
UNE PHYSIQUE SPÉCULATIVE ?
Les deux chercheuses ont depuis montré que les étoiles du halo sont aussi le siège d'ondes internes de ce type et tentent actuellement d'en étudier les conséquences. Avec un grand optimisme : "Je crois dur comme fer que la prise en compte des ondes de gravité permettra de reproduire la fraction constante du lithium dans les étoiles du halo, sans introduction de paramètres ad hoc." Pour certains collègues néanmoins, ces scénarios, dits "astrophysiques", présentent quelques lacunes. Laurent Piau, à l'université de Chicago, ne remet pas en cause ces scénarios d'évolution stellaire mais pense qu'ils resteront insuffisants à eux seuls pour expliquer l'intégralité du lithium disparu et résoudre la totalité de l'énigme. Et le physicien français exilé aux États-Unis de proposer une théorie complémentaire et originale : d'après lui, une fraction du lithium aurait plutôt été détruite dans une génération d'étoiles antérieure à celle du halo, et aujourd'hui complètement disparue. De fait, s'il n'existe plus de traces de ces étoiles primordiales, probablement nées entre 200 et 300 millions d'années après le big bang, elles apparaissent indispensables pour expliquer la présence, à la surface d'astres anciens, d'éléments lourds, comme le fer, qui n'ont pas été produits au moment du big bang. Ainsi, la matière à partir de laquelle les étoiles du halo se sont formées ne serait que partiellement issue du big bang. Une fraction importante provenant des restes riches en métaux, mais pauvres en lithium, des premières étoiles. "Il suffit qu'entre un tiers et la moitié de la matière aujourd'hui présente dans le halo ga lactique soit passée par cette première génération d'étoiles pour expliquer, en complément des scénarios astrophysiques, où est passé le lithium", indique Laurent Piau. Une possibilité qui, reconnaît Corinne Charbonnel, "est à la fois simple et très intéressante." Reste, bien sûr, à en savoir plus sur cette mystérieuse génération d'étoiles...
Il existe cependant une troisième piste, radicalement différente, pour élucider la mystérieuse disparition du lithium du halo : faire appel à une nouvelle physique. C'est ce que propose Karsten Jedamzik, au Laboratoire de physique théorique et astroparticules de Montpellier. D'après lui, le lithium manquant est à chercher beaucoup plus loin, au cour de la "supersymétrie", une théorie candidate à l'unification des interactions électromagnétique et nucléaires, qui prétend que chaque particule du modèle standard est associée à une autre particule, trop lourde pour avoir encore été observée. Selon cette théorie, juste après le big bang, l'Univers contenait aussi bien les particules du modèle standard que leurs partenaires supersymétriques, l'une d'elles, le s-tau, ayant survécu mille secondes après l'explosion initiale. "J'ai calculé que durant cette courte période, l'interaction du s-tau avec la soupe primitive a pour conséquence une destruction d'au moins la moitié du lithium-7 synthétisé durant la phase de nucléosynthèse primordiale", explique Karsten Jedamzik. S'en remettre ainsi à une physique que d'aucuns qualifient de spéculative présente un avantage : "Les autres scénarios se focalisent exclusivement sur le lithium-7. Ce faisant, ils laissent de côté l'autre facette de l'énigme : celle du lithium-6, un isotope plus fragile de cet élément et qui pose aussi problème", souligne Karsten Jedamzik. Car le lithium semble décidément prendre plaisir à jouer avec nos nerfs : très récemment observée dans les étoiles du halo, la quantité de l'isotope numéro 6 (doté de trois protons et trois neutrons), bien qu'infimes, apparaît très au-delà de tout ce que le big bang a produit... Or, toutes les solutions permettant d'expliquer la disparition du lithium-7 dans les étoiles entraînent aussi, dans des proportions plus importantes, celle du lithium-6.
LA VALIDATION D'UN SCÉNARIO ATTENDUE AVEC IMPATIENCE
Bref : si du lithium-7 a disparu, les astrophysiciens ne savent pas quoi faire d'un trop-plein de lithium-6 ! Pour la plupart des spécialistes, il faut résoudre chaque problème l'un après l'autre. Mais, comme l'indique Karsten Jedamzik, "la supersymétrie, elle, résout les deux problèmes à la fois. En même temps qu'elle détruit du lithium-7, on voit apparaître des quantités de lithium-6 compatibles avec ce qui est observé dans les étoiles du halo. Je fais donc d'une pierre deux coups sans autre recours que quelques principes fondamentaux de la physique !"
Le destin du lithium du halo disparu tient-il à une particule supersymétrique, à une génération d'étoiles aujourd'hui oubliée ou à un processus d'évolution stellaire longtemps ignoré ? Nul ne le sait, mais les théoriciens ont déjà l'embarras du choix...
Nicolas Prantzos s'amuse de la situation : "Chaque théoricien propose une solution en fonction des outils dont il dispose. Prenez un marteau, et tout vous semblera un clou !" Signe qu'avec le lithium du halo, les astrophysiciens s'aventurent à la frontière qui délimite leur savoir. Signe aussi qu'ils ont ici une occasion rare de faire de nouvelles conquêtes, en colmatant les brèches de leur modèle, en actualisant leur bestiaire d'étoiles ou en bouleversant leur physique fondamentale. Tout le monde attend donc avec impatience les tests qui permettront de valider ou pas l'un de ces scénarios. Et le moment venu, le halo sera alors l'un des recoins les plus chauds de notre galaxie !
COMMENT RETROUVERA-T-ON LE LITHIUM ?
De l'avis général, seule une moisson patiente d'observations, avec les instruments les plus puissants qui existent, ou ceux encore en projet, permettra de résoudre l'énigme du lithium. Sur Terre, le VLT (Very Large Telescope), au Chili, est déjà à pied d'ouvre. Son spectrographe dernier cri, le FLAMES, passe actuellement au crible les étoiles d'un amas globulaire, afin de tester les scénarios de destruction du lithium au sein même des étoiles. De leur côté, les partisans d'une destruction du lithium des étoiles du halo dans une première génération d'étoiles géantes aujourd'hui disparue attendent avec impatience l'observation de la lumière de tels astres dans l'Univers lointain. En novembre dernier, la caméra infrarouge du télescope spatial Spitzer a peut-être détecté le précieux signal dans la constellation Draco, à 14 milliards d'années-lumière de notre galaxie. Mais il faudra probablement attendre l'envoi du télescope spatial James Webb, en 2013, pour prouver l'existence passée de ces monstres. Quant aux adeptes de la "supersymétrie", la consolidation de leur scénario de destruction du lithium dans les 1000 premières secondes après le big bang, dépend des propriétés de la matière noire. Pour les démêler, là encore, le VLT est déjà mis à contribution. Néanmoins, seul le renfort de l'interféromètre néerlandais LOFAR, vers 2007-2008, voire du radiotélescope SKA, d'ici à quinze ans, permettront d'être fixé. D'ici là, les théoriciens ont de beaux jours devant eux pour laisser libre cours à leur imagination débordante ! |
M.G. - SCIENCE & VIE > Aout > 2006 |
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