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Aux Origines de la Lumière

Un Télescope a vu Naître les Étoiles

Comment sont nés notre soleil et les milliards d'étoiles qui illuminent le ciel depuis la nuit des temps ? Faute d'instrument capable de percer ce mystère, les scientifiques en étaient réduits aux conjectures. Or, voilà que le surpuissant télescope spatial Herschel vient de livrer des images inédites, spectaculaires... Et décisives : avec elles se dévoile enfin la genèse des étoiles ! Et cette révélation augure déjà d'une nouvelle vision du cosmos. Plongée aux origines de la lumière universelle.
Photo à g. : Étoile de la Licorne ; à d. : embryon d'étoile massive.

Au début, il n'y avait que du gaz. Puis, les étoiles sont nées. Ce fut le grand point de départ, le phénomène clé à l'origine de tous les autres, celui qui a fait sortir l'Univers des ténèbres, qui a formé les éléments chimiques, agrégé les planètes. Un point de départ... en forme de grand point d'interrogation. Car jusque-là, cet instant originel restait l'un des plus sombres mystères de l'astronomie. Alors que les spécialistes ne cessent de scruter la lumière des astres, d'étudier leur cycle de vie, qu'ils ont compris comment ils se consument jusqu'à s'éteindre doucement ou comment ils agissent dans des explosions formidables, qu'ils ont analysé la manière dont ces astres s'organisent en cortège pour former des galaxies et comment ils façonnent des anneaux de poussières pour donner naissance aux planètes... ils échouent à décrire leur naissance. "Le début de l'histoire demeure inaccessible : on ne sait pas comment se forment les étoiles", résume brutalement François Hammer, à l'Observatoire de Paris-Meudon.
La raison est simple : les soleils vivent en pleine lumière mais ils naissent cachés. Ils s'allument loin des regards, dissimulés derrière des cocons de poussière. Cette zone d'ombre dans la connaissance est même observable à l'oil nu ! Il suffit d'attendre la nuit et de regarder la traînée lumineuse de la Voie lactée pour distinguer, en son centre, un gouffre noir : les nuages de poussière qui abritent les embryons d'étoiles. "Les grains de poussière absorbent tout ce qui éclaire car certains mesurent entre 0,1 et 1 micro-mètre : c'est pile la longueur d'onde de la lumière visible, qui est donc totalement absorbée", explique Vincent Minier, astrophysicien au CEA à Saclay. Conséquence : les astronomes ont beau braquer leurs télescopes sur les nuages de gaz interstellaires, ils se heurtent à un mur et en sont réduits à deviner ce qu'il se passe derrière à l'aide de modèles et de simulations. À la clé ? Une ébauche de scénario de la naissance des étoiles, reconstitué vaille que vaille dans ses grandes lignes. Lesquelles décrivent, au départ, de petits nuages de gaz et de poussière qui se condensent, puis s'effondrent sous l'effet de leur propre poids jusqu'à ce que la température atteigne plusieurs millions de degrés et enclenche des réactions thermonucléaires : une étoile est née. Mais sans observation, impossible de rentrer plus dans les détails... "Dans toute simulation, il y a une part d'interprétation. Sans allers-retours fréquents entre les modèles et les observations, on a vite tendance à s'égarer", prévient Edouard Audit, astrophysicien au CEA. Pis, la tâche des modélisateurs est ici d'autant plus délicate que les processus qui président à la naissance des étoiles sont là la fois minuscules et très longs... La condensation des gaz pour former des étoiles se joue en effet sur des distances de quelques dixièmes d'année-lumière - ce qui, pour les astronomes, est microscopique ! - en même temps qu'elle s'étale sur des centaines de milliers d'années, voire un million !" Même le plus puissant des ordinateurs ne peut zoomer sur un si petit phénomène sur une telle durée", regrette Christopher McKee, spécialiste du sujet à l'université de Berkeley. Pour percer les mystères de la naissance des étoiles, il n'y avait donc qu'un seul moyen : envoyer dans l'espace un télescope doté d'une résolution exceptionnelle et dont les détecteurs soient capables de "voir" dans des longueurs d'ondes très grandes, au-delà de l'infrarouge lointain, "une gamme de longueur d'onde dans laquelle la lumière traverse la poussière sans être absorbée", précise Vincent Minier.
Les astronomes ont longtemps attendu l'outil idéal avant de voir leur patience récompensée ! Car ça y est ! Leur sauveur, conçu par l'Agence spatiale européenne (ESA), s'est envolé en mai 2009 depuis Kourou, en Guyane. Son nom ? Herschel. Devenu, avec son diamètre de 3,5 m, le plus grand télescope jamais envoyé dans l'espace, ce satellite capable de voir à travers la gangue poussiéreuse des cocons stellaires change la donne.

Herschel : un Télescope fin prêt pour l'exploit.

Concevoir un détecteur capable de percer les nuages de poussière froids était un véritable défi. "Ces nuages font parti des objets les plus difficiles à voir dans l'univers", souligne Vincent Minier, du CEA de Saclay.

Les caméras du satellite ont dû être couplées à un cryogénérateur qui les maintient à 0,3° au-dessus du zéro absolu. "À cette température, les propriétés électroniques des semi-conducteurs des détecteurs des caméras sont optimales, précise Vincent Minier. Il a notamment fallu isoler thermiquement chacun des composants par des fils de kevlar".

Car depuis deux ans, Herschel ne cesse d'envoyer des images aussi spectaculaires qu'inédites. Le moment est historique ! "Ces images sont une mine d'or. Pour la première fois, on entre dans les pouponnières d'étoiles. On distingue les gaz en train de se condenser et les embryons stellaires", s'émerveille Philippe André, au CEA de Saclay. "Nous pouvons mettre nos modèles à l'épreuve avec des mesures", réagit Edwin Bergin, à l'université du Michigan. "Ces données vont nous permettre de trancher entre les scénarios joués dans nos simulations", renchérit Paolo Padoan, astrophysicien à l'université de Californie. Nous sommes en train d'invalider certaines hypothèses, de comprendre les détails..."

DES TENTACULES POUSSIÉREUX D'OÙ A JAILLI LA LUMIÈRE

Le Cour des Piliers de la Création mis à nu.
Depuis que les Piliers de la Création (1) ont été immortalisé en 1995, on pensait avoir dressé un portrait détaillé du berceau de l'univers. Et pourtant, Hubble n'avait montré que la surface des choses. L'oil d'Herschel a révélé des nuages interstellaires (2). Devenues transparentes, les parois poussiéreuses dévoilent les entrailles des nuages - de leurs zones les moins denses, en bleu, aux plus denses, en rouge (3). Et les étoiles naissantes apparaissent enfin - la tache jaune orangée (4).

Pas de doute, le satellite a ouvert les portes d'un nouveau monde. Déjà les publications pleuvent. Vincent Minier et son équipe viennent ainsi de percer au jour le plus mythique de tous les nuages de poussière : les Piliers de la Création. Depuis qu'elles avaient été immortalisées en 1995 par le télescope spatial Hubble, ces splendides colonnes qui semblent sculptées par une main divine sont en effet devenues le berceau symbolique de l'Univers. Car les astrophysiciens soupçonnent ces panaches chamarrés d'abriter des générations d'étoiles naissantes. Seulement, si fantasmatiques soient ces images, elles n'avaient révélé que les contours du monument de poussière. Herschel, lui, vient de plonger à l'intérieur. Et d'y dévoiler des tornades brumeuses parées de myriades de points brillants... de petits soleils en train de s'embraser (voir photo). Mais il y a plus impressionnant encore. Car en scrutant d'autres nuages, Philippe André et son équipe viennent de provoquer une véritable révolution : l'analyse des entrailles des discrets Aquila, Polaris et IC5146 a mis au jour une incroyable pelote de filaments de gaz et de poussières. Les chercheurs ont décrypté les mécanismes qui leur ont donné naissance : les filaments sont les couffins de poussières dans lesquels naissent les étoiles. De quoi écrire, enfin, la genèse des étoiles, en trois étapes (voir ci-après). Et de quoi réinterpréter la vraie nature des Piliers de la Création : ce sont des vestiges, les morceaux érodés de ces tentacules poussiéreux d'où a jailli la lumière. On ne s'était donc pas trompé : ils sont des créateurs.

Mathilde Fontez - SCIENCE & VIE > Juillet > 2011

La Génèse des Étoiles en 3 Étapes

1/ AU COUR DES GALAXIES, UN INCROYABLE RÉSEAU DE FILAMENTS...

Première plongée dans un nuage interstellaire, première surprise : pointant le Cirrus Polaris (->), les chercheurs découvrent un réseau structuré de filaments.

La poussière et les gaz semblaient s'être entièrement ramassés pour former des fils qui s'entremêlent à l'infini ! "Lorsque les premières images sont arrivées, on n'en est pas revenu, se souvient Doris Arzoumanian, du CEA Saclay. Bien sûr, on savait que les poussières et les gaz pouvaient se condenser sous la forme de filaments. Sur les images d'autres télescope, on distinguait bien quelques traînées noires qui avait pu être laissées par des structures de ce type... Mais ce n'était que la partie émergée de l'iceberg. Là, nous avions sous les yeux une forêt de filaments !" De fait, sur les clichés c'est toute la matière qui semble avoir été sculptée en filaments ! Vus de l'intérieur, même les Piliers de la Création se révèlent être des morceaux de ces tentacules de gaz... Pour tenter de découvrir quel mystérieux mécanismes est l'auteur de cette ouvre, les chercheurs épluchent les données : grâce à des logiciels, ils dressent des cartographies (ci-dessus un algorithme détecte la zone la plus dense en poussière, au centre d'filaments, pour en tracer le chemin) ; mesurent la densité des gaz, leur température, la longueur des filaments, leur épaisseur... Et tombent des nues une seconde fois découvrant que les filaments ont tous la même largeur : denses et évaporés, courts ou étalés sur des dizaines d'années-lumière... Tous mesurent invariablement 0,3 année-lumière de large. "Personne n'avait jamais mesuré ça avant !" Cela ne peut être une coïncidence... Mais reste à dénicher un phénomène physique capable d'une telle régularité.

2/ ...SE FORME À PARTIR DE TURBULENCES COSMIQUES...

Les astronomes ont beau explorer de nouveaux nuages de gaz (ici, Aquila ->) avec Herschel, le paysage reste le même : des filaments par centaines, tous larges de 0,3 année-lumière.

"Cette valeur a fini par nous mettre la puce à l'oreille", se rappelle Philippe André. Car le chercheur, en effet, l'avait déjà rencontrée dans des modèles voués à étudier l'impact de la turbulence interstellaire sur la matière dans les nuages de gaz. "Dans l'univers, tous les nuages de gaz sont agités de mouvements désordonnés, les turbulences, explique le chercheur. Leur vitesse varie suivant les échelles : sur la centaine d'années-lumière de certains complexes interstellaires les turbulences dépassent les 10.000 km/h, mais celles qui troublent le calme des petits nuages de gaz sont de l'ordre de quelques centaines de kilomètres heure seulement. Quant à la longueur de 0,3 année-lumière, elle correspond exactement à l'échelle à laquelle les turbulences atteignent 700 km/h, soit la vitesse du son dans les nuages de gaz !" Avec ce nombre, Philippe André et Doris Arzoumanian pensent tenir une piste pour expliquer la formation des filaments. Ils reprennent les simulations et rapidement, tous leurs espoirs sont comblés : lorsqu'elles passent le mur du son, les turbulences créent une onde de choc semblable à celle provoquée par les avions dans l'air qui comprime brutalement les gaz et les poussières, agrège la matière en quelques centaines de milliers d'années et forment... de longs filaments larges de 0,3 année-lumière (ci-dessus, l'une des simulations). "L'organisation systématique de la matière en filaments, leur largeur constante, tout cela s'explique parfaitement avec la turbulence, se félicite Philippe André. On a enfin compris comment s'organisent les gaz et les poussières dans les nuages interstellaires !"

3/ ...ET RÉVÈLE LE BERCEAU DES ÉTOILES !

Elles se font discrètes, leur rayonnement est encore ténu mais elles sont pourtant là : les futures étoiles nichent dans les filaments (dans le nuage IC5146, elles côtoient le halo bleuté d'une étoile massive tout juste former ->) !

Dès l'arrivée des images d'Herschel, les chercheurs entreprennent de recenser les embryons stellaire : ci-contre, ils ont comparé pas moins de 45 bébés étoiles dans les filaments d'ICS146. Surprise : tous les filaments ne sont pas fertiles... "Peut-être parce que dans ces filaments, les gaz ne sont pas suffisamment denses pour s'effondrer sur eux-mêmes et donner naissance à des étoiles", avance Philippe André. Rapidement, l'idée se révèle exacte : seuls les filaments de plus de cinq masses solaires par année-lumière donnent naissance à des étoiles. "Cinq masses solaires par année-lumière"... Une fois de plus, la valeur interpelle les chercheurs. Cette densité de gaz est justement le seuil au-dessus duquel on commence à observer la formation d'étoiles, quand on regarde les galaxies ! "À l'échelle minuscule des filaments comme à celle, 1000 à 10.000 fois plus grandes, des galaxies, on observe que le taux de formation d'étoiles ne devient important qu'au-dessus d'une même valeur limite. Cette correspondance est très intéressante car elle suggère carrément que la grande majorité des étoiles se forment dans les filaments, s'enthousiasme Philippe André. Il est possible que nous ayons trouvé l'élément-clé d'un mécanisme universel de formation stellaire !" Aussitôt l'astronome s'empresse de modérer ses propos : ces résultats devront être confirmés et bien d'autres nuages devront être scannés par Herschel avant que l'on ne puisse annoncer avoir percé le mystère de la naissance des étoiles. Mais qu'importe, l'idée est là : des turbulences naissent les filaments qui a leur tour engendrent les étoiles... La genèse des étoiles peut enfin être racontée.

Mathilde Fontez - SCIENCE & VIE > Juillet > 2011

Les Derniers Secrets des Astres en vue

Écrire le scénario complet de la naissance des étoiles : tel est l'ultime défi des chercheurs. Et ce défi est enfin à leur portée !

"Nous en sommes arrivés à un moment clé : nombre de questions concernant la naissance des étoiles devraient trouver des réponses dans les dix prochaines années", s'exclame Christopher McKee, spécialiste du sujet à l'université de Berkeley. Le petit monde de l'astrophysique stellaire est fébrile. Enfin, le télescope spatial Herschel a percé le voile des pouponnières stellaires. Il a déniché leurs berceaux, les images qu'il a fournies ont permis de comprendre comment ils se structurent... Et les chercheurs sentent qu'ils sont sur le point de comprendre l'essentiel, de percer l'un des grands mystères de l'Univers : comment les étoiles, elles-mêmes, se forment. Derrière cette grande interrogation qui taraude les scientifiques depuis un siècle s'embusquent trois énigmes. Pourquoi l'immense majorité des étoiles a-t-elle la même masse (proche de celle de notre Soleil) ? Quelle force pousse les gaz à se condenser jusqu'à s'embraser pour former des étoiles ? Et enfin, comment les gaz qui s'enroulent en écharpe autour des étoiles naissantes finissent-ils par disparaître, laissant derrière eux l'anneau de poussière qui engendrera les planètes ? Jusqu'ici, les astrophysiciens affûtaient leurs idées à coups de simulations, mais la porte des pouponnières d'étoiles vient de s'ouvrir et c'est tout un pan de la connaissance qui semble tout à coup à portée de main. La plongée dans le cour des astres a commencé.
Déjà, avec les images d'Herschel, la première énigme, celle de la distribution de la masse des étoiles, est en passe d'être résolue. Jusque-là, les chercheurs se trouvaient face à une loi qu'ils étaient incapables d'expliquer. Toutes les observations montrent en effet que la démographie stellaire suit une loi immuable : très peu d'étoiles naines affichant 0,01 masse solaire, aussi peu d'hypermassives qui tutoient les 100 masses solaires et une grande majorité d'étoiles de type solaire (voir courbe). "Amas après amas, les recensements ont détecté une masse caractéristique : les nuages donnent naissance préférentiellement à des astres de 0,2 masse solaire", précise Catherine Dougados, chercheuse à l'Observatoire de Grenoble. Cette courbe de démographie stellaire semble universelle, mais les mécanismes qui en sont responsables demeuraient un mystère. "Certains défendent l'idée selon laquelle il s'agirait d'un processus stochastique : cette valeur de 0,2 masse solaire serait le produit d'une infinité de phénomènes aléatoires qu'il serait vain de chercher à détailler et qui tous contribueraient de manière égale...", explique la chercheuse. Mais les astrophysiciens ne se satisfaisaient pas de cette justification et restaient persuadés qu'un phénomène physique se cachait derrière cette masse caractéristique. Et depuis qu'Herschel a dévoilé les entrailles des nuages de gaz et les filaments qui les constituent, ils sont enfin sur une piste. Cette piste tient en une valeur : 0,6 masse solaire. "Les observations que nous avons réalisées dans les filaments montrent que la grande majorité des cours préstellaires font 0,6 fois la masse du Soleil", remarque Philippe André. Une valeur qui découle directement de la fameuse densité de 5 masses solaires par année-lumière observée dans les filaments, et donc des turbulences qui leur donnent naissance. Or, justement, les modèles montrent que ce type de cour, 5 fois massif comme le Soleil, donne systématiquement naissance à des étoiles de 0,2 masse solaire ! "Nous avons déjà dressé une première courbe avec les 500 premiers globules préstellaires observés par Herschel et, effectivement, elle ressemble à la fameuse distribution...", se félicite Philippe André.

DES IMAGES 100 FOIS PLUS PRÉCISES

Le mystère est-il alors résolu ? La masse caractéristique des étoiles serait-elle le résultat des turbulences à l'origine des filaments de gaz et de poussières qui viennent d'être décryptés par Herschel ? Non, les chercheurs sont prudents. En aucun cas, selon eux, 500 futures étoiles, aussi précisément alignées sur une courbe soient-elles, ne peuvent suffire pour statuer sur une loi universelle. De longues heures d'observation seront encore nécessaires avant de pouvoir trancher... "Pour l'instant, nous n'avons étudié la masse des cours préstellaires que dans trois petits nuages, précise Philippe André. Cette hypothèse reste donc très controversée et il nous faudra recenser beaucoup plus d'étoiles en formation pour disposer d'une réelle étude statistique."
Les chercheurs devront également comparer ces données avec des observations dans des régions plus lointaines... ce qui veut dire poursuivre la plongée pour voir avec les mêmes détails, mais plus loin. Ça tombe bien ! Un nouveau réseau de télescopes devrait fournir ses premières images à la fin de l'été, qui offrira cette possibilité. L'interféromètre international ALMA (Atacama Large Millimeter Array), dont les gigantesques antennes sont en train d'être montées sur le plateau de Chajnantor, au Chili, sera en effet capable de regarder dans le submillimétrique, c'est-à-dire dans les mêmes gammes de longueurs d'ondes que celles couvertes par Herschel et qui donnent accès aux entrailles des pouponnières d'étoiles," mais avec une bien meilleure résolution. Avec Herschel, les astrophysiciens disposent d'une résolution de 10 secondes d'arc au mieux, ce qui veut dire que si le télescope était sur la Terre, il pourrait distinguer des détails de l'ordre de la dizaine de kilomètres sur la Lune. "Tandis qu'avec ALMA, on va passer au-dessous du dixième de seconde d'arc dans cette gamme de longueur d'onde, précise Christopher McKee. On verra avec cent fois plus de précision !" De quoi poursuivre plus avant la plongée dans les profondeurs des nuages de gaz... et résoudre les énigmes suivantes sur leur liste.
De fait, les chercheurs attendent de pied ferme le nouveau télescope pour passer à l'étape suivante : zoomer sur le cour de l'étoile naissante. Car les simulations sur ce sujet ont pris une large avance sur les observations et, une fois de plus, les astrophysiciens achoppent sur une énigme. Qu'ils ont baptisée sobrement "problème du moment cinétique" et qui tient en une contradiction : "Naïvement, si l'on regarde le phénomène d'effondrement d'un nuage interstellaire, les étoiles ne devraient pas se former", lance, laconique, Philippe André.

À CHAQUE NOUVELLE ÉCHELLE, UNE DIFFICULTÉ QUI LUI EST PROPRE

En effet, les simulations qui ne tiennent compte que des forces de gravitation montrent qu'au fur et à mesure de l'effondrement du globe préstellaire, l'effet centrifuge - qui découle de la conservation du moment cinétique - augmente jusqu'à compenser l'attraction gravitationnelle du cour. Les gaz s'arrêtent alors de tourbillonner vers le cour, restent suspendus sous la forme d'un disque épais et aucune réaction nucléaire ne s'enclenche...
"Or, les étoiles se forment", s'amuse le chercheur. Comment alors, forcer les gaz et les poussières du nuage à s'effondrer sur eux-mêmes ? Les chercheurs ont, là encore, envisagé plusieurs possibilités pour résoudre ce problème et la plus crédible est d'éjecter un peu de matière sous la forme d'un jet... "On s'est aperçu dans les années 1980 que les étoiles jeunes expulsaient des jets de matière par leurs pôles, ce qui n'était pas prédit par les simulations, relate Philippe André. Dix pour cent de la masse du nuage en train de s'effondrer pourraient s'échapper de cette manière, réduisant de ce fait l'impact de l'effet centrifuge, et permettant au reste de la matière de tomber vers le centre et donc à l'étoile de se former." Limpide ! Seulement le sujet est encore largement débattu... Car comprendre la formation de ces jets oblige les chercheurs à tenir compte d'un nouveau phénomène physique : la présence d'un champ magnétique dans le nuage de gaz et de poussière. "On sait grâce aux observations qu'il existe un champ magnétique résiduel dans les nuages de gaz et de poussière qui donnent naissance aux étoiles. Les modèles montrent que ce champ devient plus intense lorsque le nuage s'effondre, récapitule Patrick Hennebelle qui travaille sur les modèles au Laboratoire d'étude du rayonnement et de la matière en astrophysique de Paris. Et on a pu remarquer que sans lui, les simulations ne parviennent pas à produire les jets de matière !" Seulement, simuler la manière dont le champ magnétique s'y prend pour donner naissance à un jet de matière dans les détails reste encore un défi... "Il sera difficile de trancher sans observation, confirme Catherine Dougados. C'est là tout le problème : il s'agit de mesurer à distance le champ magnétique..." ALMA permettra ici d'en savoir plus, mais, comme le souligne Patrick Hennebelle, "dans les simulations comme dans les observations, gagner en résolution ne suffit pas. Il nous faut aussi nous intéresser à de nouveaux phénomènes physiques... Cela se complique sacrément !" Chaque nouvelle échelle explorée a ainsi son mystère à résoudre et son phénomène physique dominant. Au niveau des filaments de gaz, la turbulence et la gravitation suffisent pour expliquer le déclenchement de l'effondrement du cour et la démographie des étoiles ; à l'échelle du cour préstellaire, il faut invoquer la rotation des gaz et des poussières et le champ magnétique et, enfin, pour continuer la plongée et zoomer cette fois au cour des poussières tourbillonnantes et de l'étoile en formation, "il faut prendre en compte l'interaction des poussières avec le champ magnétique et avec le rayonnement de l'étoile naissante, les mécanismes de chauffage des poussières et des gaz, énumère Catherine Dougados. On commence seulement à disposer des capacités de calcul nécessaires pour le faire !" "L'idée, à terme, est de comprendre le couplage de tous ces phénomènes : le champ magnétique semble par exemple avoir un impact sur le chauffage du disque de gaz qui entoure l'étoile naissante, ajoute Patrick Hennebelle. Seulement ces phénomènes dépendent de la physique des gaz à l'échelle microscopique : il nous faut donc évaluer combien d'électrons, combien d'ions participent aux phénomènes pour pouvoir se faire une idée de leur impact au niveau macroscopique. Ça, c'est un défi !"
Les chercheurs sont d'autant plus motivés pour le relever qu'il permettrait d'aborder la dernière énigme. Il s'agit cette fois de comprendre comment se forme le disque de poussière et de gaz qui s'enroule autour du cour préstellaire et qui donnera naissance, une fois l'étoile formée, aux planètes. "C'est le grand rêve ! Faire le lien avec la formation planétaire, s'enflamme Catherine Dougados. Mais ici, les chercheurs se heurtent à une contradiction entre modèles et observations : ils ne parviennent pas à comprendre comment le disque qui entoure les étoiles naissantes se débarrasse de son gaz pour se métamorphoser en un banal nuage de poussières.

LE GRAAL À PORTÉE DE TÉLESCOPE

"Dans les modèles, le gaz ne s'agglomère pas, explique Catherine Dougados. Et pourtant, il semble qu'il ait disparu avant la formation des premières planètes." Là encore, les hypothèses vont bon train. "Le modèle à la mode met en jeu le rayonnement ultraviolet de l'étoile qui chaufferait suffisamment les particules du disque pour que leur vitesse d'agitation thermique devienne supérieure à la vitesse d'échappement du gaz", détaille la chercheuse. Ainsi, l'étoile, en se formant, évaporerait son disque jusqu'à ce qu'il ne reste plus autour d'elle qu'un anneau de poussières... celui-là même qui engendrera les planètes ! Là encore, pour trancher, tous les espoirs se tournent vers le futur télescope ALMA. "Avec lui nous pourrons, pour la première fois, scruter les détails les disques de poussières protoplanétaires !", précise Catherine Dougados. Pas de doute : la première plongée dans le berceau des astres a ouvert la voie, un mur vient de s'effondrer qui donne accès à un nouveau pan de connaissance. Le Graal de l'astronomie - écrire toute l'histoire du monde, depuis la naissance du nuage de gaz en passant par la genèse de l'étoile jusqu'à la première planète - semble à portée de télescope.

Le Mystère des Premières Étoiles prend une nouvelle tournure.
Malgré la multiplication des simulations (ici, un système de cinq étoiles) l'énigme de la naissance des premiers astres reste entière. "On pensait que les toutes premières étoiles étaient monstrueuses, massives comme sans soleil. Mais on commence à en douter !" Daniel Schaerer, astrophysicien à l'observatoire de Genève, résume la situation : les premières étoiles sont un problème qui n'en finit pas d'être épineux. Pour comprendre, il faut revenir à leur naissance, quelques millions d'années après le big-bang, lorsque l'univers était composé d'un gaz dense d'hydrogène et d'hélium, sans aucun métal lourd. "Or, plus un atome est complexe, mieux il évacue la chaleur ont la transformant en rayonnement, précise Daniel Schaerer. Les modèles de formation stellaire ont donc vite montré qu'à cause de cette composition, les nuages de gaz chauffaient plus on se condensant qu'il ne le ferait dans un environnement normal. Ils se fragmentent donc moins et donnent naissance à des étoiles très massives". Sauf que les chercheurs n'ont pu observer ses étoiles qui, à cause de leur masse, ont subi une mort prématurée d'un million d'années après leur naissance. Mais ils ont traqué sans relâche les traces qu'elles ont laissées. "Normalement, en étudiant la composition détaillée des étoiles actuelles, on aurait dû détecter la signature des explosions dans lesquelles ses étoiles massives sont mortes, précise Daniel Schaerer. Seulement on n'a rien trouvé !" Le doute s'installe d'autant plus que de nouvelles simulations fournissent des résultats contradictoires, engendrant des étoiles d'une dizaine de masses solaires, ou des cortèges de 3, 4... Jusqu'à une dizaine d'étoiles de taille solaire. Le rôle de la matière noire a même été évoqué. Bref, toutes les hypothèses sont de nouveau permise.

Mathilde Fontez - SCIENCE & VIE > Juillet > 2011
 

   
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