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L'Arbre Généalogique des Galaxies

Comment classer les milliards de galaxies qui peuplent l'Univers ? Jusqu'ici les astronomes butaient sur les apparences... Un astrophysicien français vient enfin de trouver la clé : en s'inspirant des bioloqistes, il livre aujourd'hui un arbre des galaxies qui les classe selon leur destinée. Et ça change tout...

D'abord il y a l'optimisme et l'euphorie des découvertes quotidiennes. Puis le doute, diabolique, qui torture sans répit et pousse à l'abandon. Enfin la progression reprend. Laborieusement, les petites satisfactions s'eccumulent, installent les certitudes. Didier Fraix-Burnet sait raconter les affres de la cogitation solitaire. En 2001, cet astrophysicien de l'Institut de planétologie et d'astrophysique de Grenoble a délaissé les noyaux actifs de galaxies qu'il étudiait depuis quinze ans pour se consacrer, seul, à un projet colossal, digne de l'encyclopédie des Lumières : la recherche d'une classification systématique pour les milliards de galaxies peuplent l'Univers. Un effort conceptuel jamais encore mené à bien...
Comme un soldat part à la guerre, le chercheur s'est arraché aux merveilles du ciel pour plonger dans les listings poussiéreux des données accumulées par ses collègues, avec l'intention d'en trouver le logique profonde. La phase d'euphorie a duré deux ans, le doute trois longues années et, depuis quatre ans, il progressait lentement... jusqu'à ce qu'il y a quelques semaines vienne enfin la récempense ! La publication est tout juste rédigée. Elle n'a d'ailleurs pas cessé d'évoluer au cours de l'écriture de cet article, tant Didier Fraix-Burnet puise l'inspiration partout, même dans les questions d'une journaliste. Mais l'astronome a finalement atteint son but. Pour la première fois, il a vu se déployer devant ses yeux toute l'histoire des galaxies. Une histoire qui se raconte sous la forme d'un arbre. L'arbre du destin galactique. Pour Comprendre, il faut revenir au premier "Euréka" ! Didier Fraix-Burnet s'en souvient précisément : c'était le 16 mai 2001, et il lisait un article de presse décrivant la méthode de classification moderne de la biologie, la cladistique. Exit la classification selon "l'air de famille" que présenteraient entre eux les êtres vivants : cette méthode, issue de la théorie de l'évolution de Darwin, permet aux biologistes de dessiner des arbres dont chaque branche représente un groupe comprenant un ancêtre et tous ses descendants et, ainsi, de retrouver les liens de parenté entre tous les êtres vivants. De quoi chambouler toute notre vision du vivant, en rendant par exemple obselètes les classes des poissons ou des reptiles, éloignant le crocodile du lézard pour le rapprocher... des oiseaux. "Je me suis dit : c'est ça qu'il nous faut", se rappelle le chercheur.
Car Didier Fraix-Burnet s'était déjà irrité du manque de classification cohérente en astronomie. "Pour ranger les milliards de galaxies qui peuplent l'Univers, nous ne disposons que des quatre catégories définies par Edwin Hubble il y a plus de 80 ans", elliptique, spirale, lenticulaire, irrégulière : l'astronome américain a tracé les contours de quatre "boites" avec des critères uniquement basés sur la forme apparente des galaxies.

LES FAILLES DE L'ANCIENNE CLASSIFICATION
En 1936, comparant 600 clichés de galaxies, l'astronome américain Edwin Hubble avait tenté d'organiser ce qu'il appelait "le royaume des nébuleuses".
Il avait distingué trois groupes : les galaxies elliptiques, qui prennent la forme d'un ellipsoïde aplati ; les galaxies spirales, qui déploient des bras en étoile autour de leur centre ; et enfin... toutes les autres, nommées galaxies irrégulières. À ces catégories s'était rapidement ajoutée celle des galaxies lenticulaires, dotées d'un bulbe (la partie centrale, entourant le noyau) très brillant et d'un disque ténu. Mais l'histoire des galaxies, dévoilée par le tout récent arbre généalogique de Didier Fraix-Burnet, montre que cette classification est dépassée. Car elle réunit dans un même groupe des galaxies qui, bien que proches en apparence, ont connu des destins totalement différents...

Or, aujourd'hui, grâce aux bataillons de télescopes qui scrutent le ciel dans ses moindres détails, on dispose de beaucoup plus de données : la composition en gaz, l'abondanoe de certains éléments chimiques, la masse du trou noir central, le taux de formation d'étoiles... Chaque nuit, dans les observatoires astronomiques, s'accumulent des flots de mesures pour des dizaines de galaxies.

SUR LE MODÈLE DE DARWIN

"Il y a plusieurs millions de galaxies connues, et plus d'un million pour lesquelles on dispose de beaucoup d'innformations. À cela, il faut ajouter les simulations mises en ouvre par les théoriciens, qui produisent de gigantesques catalogues de galaxies virtuelles. On doit tenir compte de ces données pour donner une description des galaxies plus objective que la forme vue sur l'image. Il faut coller à la physique", argumente Didier Fraix-Burnet. Car la classification classique réunit des galaxies aux histoires totalement différentes : par exemple, une forme elliptique peut résulter de la fusion de deux galaxies spirales, comme de l'effondrement d'un simple nuage de gaz. Bien sûr, depuis Edwin Hubble, il y a eu d'autres tentatives. Des méthodes statistiques permettent d'établir des groupes homogènes de galaxies à partir d'un grand nombre de caractéristiques. Mais les astronomes peinent à donner un sens physique à ces corrélations globales... "Surtout, aucune ne tient compte de l'évolution, insiste le chercheur. On persiste à considérer chaque galaxie comme un objet indépendant, mais elles sont liées les unes aux autres par leur histoire, et possèdent des caractères qui se transmettent. Par exemple, tel type de galaxie peut se transformer en tel autre, telle elliptique peut être un instantané de ce à quoi ressemblait l'ancêtre de telle spirale". Or, justement, rendre compte des liens évolutifs, c'est tout l'objet de la cladistique.
En biologie, la méthode est simple. À partir d'une espèce et d'un jeu de paramètres (forme de la mâchoire, nombre de vertèbres...), un logiciel retrouve les liens de parenté : il classe les êtres vivants en supposant que les plus proches sont ceux qui partagent le plus de caractéristiques. Chaque innovation évolutive, comme l'apparition des pouces opposables, permet de former un groupe qui comprend un ancêtre (le premier à avoir des pouces opposables) et tous ses descendants. Ce calcul donne des arbres dont chacun représente un chemin évolutif possible pour relier toutes les espèces. À partir de là, "on applique le principe de parcimonie, détaille Didier Fraix-Burnet. Parmi les dizaines d'arbres dessinés par le logiciel, on n'en garde qu'un : le plus simple.
L'astronome a donc appliqué cette méthode aux galaxies. Considérant une multitude d'échantillons peuplés de spirales rougeâtres, d'elliptiques éthérées et de nébuleuses informes ; et jonglant avec des dizaines de paramètres, il a fait tourner le logiciel... jusqu'à ce qu'émergent les liens invisibles rapprochant des galaxies à première vue distinctes et que se dessine, enfin, l'arbre qui raconte leur histoire. Tel Darwin, qui à force de vouloir ranger les êtres vivants dans des catégories a fini par comprendre qu'ils étaient liés les uns aux autres et a vu se déployer toute l'histoire de la vie, Didier Fraix-Burnet à dévoilé les aléas du destin des galaxies, du nuage de gaz au brillant disque d'étoiles.
À partir de 424 galaxies piochées dans la littérature, le chercheur a vu se former huit groupes de galaxies apparemment disparates mais en réalité toutes reliées par une même histoire. Parmi les 23 paramètres qui décrivaient les galaxies au départ (composition en oxygène, brillance de surface...), il en a isolé six qui prédominent dans leur évolution. Dès lors, remontant les branches de l'arbre jusqu'à son origine, il a pu raconter l'histoire de ces huit groupes, décrire comment certaines galaxies sont nées paisiblement de l'effondrement d'un nuage de gaz, tandis que d'autres ont eu une histoire violente peuplée d'explosions stellaires, de collisions et de fusions (infographie ->)...

UNE DISCIPLINE EST NÉE

"La classification tient la route, se félicite-t-il. Certains groupes ont les mêmes caractéristiques que ceux que j'avais trouvés avec d'autres échantillons de galaxies. Cela montre qu'ils ont une réalité". Ce premier arbre, bien sûr, est encore imparfait. Les mécanismes qui, à chaque étape, lient les groupes entre eux doivent encore être affinés. Surtout, il va s'étoffer : l'expérience devra être reproduite avec de nouveaux échantillons afin de rendre compte de toute la diversité de l'Univers. Mais le chercheur espère que ce premier essai fructueux ralliera d'autres astronomes à sa cause. Et cela semble en bonne voie. Ainsi, Samuel Boissier, spécialiste de l'évolution des galaxies à l'observateire de Marseille, à qui nous avons détaillé ces résultats, se montre déjà intéressé : "Il faut encore que cela fasse ses preuves, mais l'intérêt paraît évident. La découverte de paramètres qui, parmi la profusion de données, prédominent dans l'évolution des galaxies pourrait orienter le travail des observateurs, notamment vis-à-vis des galaxies lointaines, pour lesquelles il est difficile d'obtenir beaucoup de détails".
En biologie, la cladistique a chamboulé toute notre vision du vivant en dévoilant ses véritables ramifications. "L'astro-cladistique" est promise au même destin : à peine née, elle rend déjà caduques les spirales, elliptiques, irrégulières, lenticulaires. Son fondateur, lui, en a terminé avec le doute. Persuadé que le destin de toutes les galaxies est entre ses mains.

M.F. - SCIENCE & VIE > Juillet > 2012
 

   
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