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Le Trou Noir de la Voie Lactée : Sagittarius A*

Le Centre de la Galaxie Bouillonne d'Énergie

S.R. - SCIENCES ET AVENIR N°901 > Mars > 2022

Des Astronomes ont vu le Bord d'un Trou Noir

B.R. - SCIENCE & VIE N°1216 > Janvier > 2019

Que le Spectacle Commence

Du jamais Vu ! Cet été, le trou noir supermassif qui trône au cour de notre galaxie va commencer à dévorer un immense nuage gazeux passant à proximité. Un festin cosmique inouï, que les télescopes vont observer en direct pour la première fois.

FAITS & CHIFFRES : Sagittarius A*, situé à 26.000 années-lumière du Soleil, a été repéré en 1974 comme une région de la constellation du Sagittaire émettant des ondes radio, avant d'être reconnu comme le trou noir central galactique. Très peu actif aujourd'hui, son horizon mesure environ 44 millions de kilomètres, soit le diamètre de l'orbite de Mercure autour du Soleil, pour une masse d'environ 4,3 millions de fois celle du Soleil.

Cela s'est passé il y a près de 26.000 ans ; mais, pour nous autres Terriens, c'est maintenant, au beau milieu de cet été 2013, que le spectacle va véritablement commencer. Une grande première : là-haut, dans le ciel, dans la direction de la constellation du Sagittaire, pendant environ un an, le trou noir de notre galaxie va pouvoir être observé en plein festin ! Trônant au centre de la Voie lactée à 26.000 années-lumière d'ici, Sagittarius A* - notre trou noir d'une masse insensée : 4,3 millions de fois celle du Soleil - va en effet dévorer un nuage de gaz lourd comme 3 fois la Terre (soit 18.000 milliards de milliards de tonnes). Une rencontre cosmique dont nul ne connait exactement l'issue, mais que l'homme va pouvoir suivre en direct ! "C'est un événement tout à fait unique, confirme Stefan Gillesen, de l'Institut Max-Planck pour la physique extraterrestre, dont l'équipe fut la première à prédire l'événement. Nous n'avons jamais observé quelque chose comme cela auparavant".

LE RÉVEIL DE SAGITTARIUS A*

C'est à la toute fin de 2011 que cet astronome et ses collègues de l'European Southern Observatory (ESO) ont réalisé ce qui allait arriver : grâce au Very Large Telescope (VLT ->), ils ont repéré une petite boule de gaz, baptisée "G2", dont l'orbite semblait la diriger tout droit sur le monstrueux trou noir supermassif du centre de notre galaxie. Et dès le début de l'année 2012, ils annonçaient les résultats de leurs calculs : au courant de l'été 2013, l'orbite de ce nuage s'approcherait probablement assez de Sagittarius A* pour se faire absorber, du moins en partie. Depuis, les premières observations ont été confirmées, des modèles prévisionnels ont été oonstruits, des simulations ont été lancées. Celle considérée comme la plus fiable, au point de servir de guide au programme d'observation mis en place, est un film en 3D simulant, sur une période allant de 2000 à 2020, cette rencontre au sommet (images ci-dessus), réalisé fin 2012 par Chris Fragile du département de physique et d'astronomie du College of Charleston et son collegue Peter Anninos, astrophysicien et informaticien du Laboratoire national de Lawrence Livermore (université de Californie). Et ce film établit que le spectacle devrait être au rendez-vous. "Entre le milieu 2013 et le tout début 2014, le nuage G2 arrive à son point le plus proche de Sagittarius A*, à quelque 40 milliards de kilomètres du centre, détaille Chris Fragile. D'après nos calculs, cela est suffisant pour qu'une partie du nuage chute dans le trou noir, ce qui devrait le faire entrer dans une relative frénésie alimentaire". L'événement est rarissime. Parce que notre trou noir galactique est particulièrement peu actif. "Le taux d'accrétion de Sagittarius A*, c'est-à-dire le taux d'absorption de la matière de son environnement, est inférieur à celui de n'importe quel autre trou noir connue", souligne Chris Fragile. Combien de temps faudrait-il attendre, en moyenne, pour qu'un tel phénomène se représente ? "Difficile à dire, répond l'astronome. J'ai vu des chiffres allant de 1000 ans à 1.000.000 d'années". La seule chose que l'on peut dire avec certitude est que c'est la première fois que nous voyons quelque chose comme ça en 10 ans d'observations à haute résolution tranche Stefan Gillesen.
En quoi consistera réellement ce spectacle inédit ? Ne risque-t-il pas d'être décevant puisque, par définition, toute matière qui pénètre à travers l'horizon d'un trou noir - la limite sphérique au-delà de laquelle il n'y a plus de ticket retour - s'échappe à jamais de nos yeux, et que la seule trace visible sera finalement l'augmentation mécanique de la masse du monstre, ici totalement marginale ? Eh bien, non ! Le spectacle promet, au contraire, d'être grandiose. Pas au point d'être visible à l'oil nu par les vacanciers - car beaucoup trop lointain et peu prolixe en lumière visible -, mais néanmoins flamboyant. Car avant de se perdre définitivement dans les abysses, la matière va produire un véritable feu d'artifice, illuminant tel un phare tout l'espace extérieur. Les premiers rayonnements envoyés par le nuage en perdition vont venir de sa plongée en spirale à travers le disque d'accrétion qui orbite auteur de Sagittarius A*. "Nous devrions d'abord voir le choc provoqué par la collision du nuage avec le disque d'accrétion, détaille Chris Fragile : celui-ci devrait s'éclairer progressivement à partir du milieu de l'année 2013, par simple effet thermique, d'abord dans des longueurs d'onde radio en infrarouge. Puis, quand la matière du nuage sera intégrée dans le disque, ce dernier devrait devenir bien plus brillant, dans le domaine des rayons X. Et le spectacle va aller crescendo : en tournoyant ainsi de plus en plus vite autour du trou noir, les particules du nuage de gaz, ionisées par le disque d'accrétion, vont subir une extraordinaire accélération, laquelle induit l'émission d'ondes électromagnétiques, majoritairement des rayons X - c'est l'effet synchrotron. De quoi jeter une lumière radicalement nouvelle sur quelques sombres mystères cosmiques.

La simulation en 3D de la chute du nuage de gaz (en rouge, les régions le plus chaudes) vers Sagittarius A*, le trou noir supermassif de la Voie lactée (en gris), permet de se faire une idée de l'événement qui se joue. En ce mois d'août, après de longs mois de voyage, le nuage, lourd comme 3 fois la Terre, commence à s'enrouler autour du trou noir. Le nuage devrait ensuite se disloquer, une partie seulement de sa matière disparaissant dans le trou noir, le reste y restant en orbite. Pour se donner une idée de l'échelle de ces événements, il faut imaginer que la Terre est à 25.000 km de la petite sphère grise.

TELESCOPES DÉJÀ BRAQUÉS

"C'est la première fois que nous allons pouvoir observer directement le comportement de la matière alors qu'elle est aspirée par le champ gravitationnel d'un trou noir, s'enthousiasme Jorge Cuadra, du département d'astronomie et d'astrophysique de l'université catholique du Chili, cosignataire de la découverte. D'un point de vue général, cela va être très utile pour comprendre comment les trous noirs grossissent par accrétion de masse". Plus spécifiquement, l'événement va permettre aussi d'explorer cette région centrale de la Galaxie qui reste encore pour les astronomes une terra incognito. Il faut souligner que, vue la très faible activité habituelle de Sagittarius A*, les conditions géographiques ne sont en effet guère favorables à l'observation : la Voie lactée se présentant à nous par la tranche, la lumière émanant du centre doit traverser un milieu empli de nuages de poussière et de gaz avant de nous parvenir, 26.000 ans plus tard, ce qui obscurcit presque totalement notre vision. Autant dire que les astronomes ont encore tout à découvrir de cette sombre région : pourquoi le trou noir est-il si peu actif ? Quelles sont les caractéristiques (densité, température, matière) de son disque d'accrétion? Quels sont les astres et la matière galactique qui, suffisamment éloignés du disque d'accrétion, sont en orbite stable autour de ce méga-soleil noir, à la manière des planètes du système solaire ? Quelle est la taille réelle de son horizon ? La chute de G2 devrait engendrer suffisamment de rayonnements pour que les astronomes puissent commencer à répondre à ces questions...
Avec toutes ces inconnues, et malgé la précision affichée par les simulations, les détails de la chute demeurent donc en partie imprévisibles. "Nos prévisions du phénomène se basent sur un modèle simplifié, reconnaît Chris Fragile. Car outre notre méconnaissance de l'environnement du trou noir central, nous n'avons pas beaucoup de détails sur les propriétés du nuage G2 lui-même". Et l'on comprend mieux l'excitation actuelle de la communauté des astronomes alors que se rapproche l'événement. Pour le couvrir, ils ont réquisitionné les télescopes spatiaux à rayons X Chandra et XMM, et à rayons gamma INTEGRAL, Swift et Fermi, ainsi que les 27 antennes paraboliques du Very Large Array, au Nouveau-Mexique pour les ondes radio, et les télescopes "généralistes" VLT et Keck, à Hawaï. Tout est donc prêt pour apprécier le spectacle. "Nous ne savons pas encore tout ce que nous allons pouvoir en apprendre, conclut Stefan Gillesen. Mais, si vous voulez mon avis, on a tout intérêt à garder l'oil bien ouvert !

A-T-IL FORGÉ NOTRE MONDE ?

Sagittarius A* est-il l'astre qui, dans l'ombre, a donné naissance de toutes les étoiles de la Voie lactée ? La question se pose depuis qu'un trou noir supermassif nommé HE0450-2958 a été pris par le VLT au Chili en flagrant délit de fabrication d'étoiles. Ainsi, si "anémique" et "calme" soit-il aujourd'hui, notre trou noir supermassif pourrait avoir été très actif dans le passé. Et à force d'éructer de puissants jets de matière, il aurait pu comprimer les gaz alentours et déclencher la formation de toutes les étoiles de la Voie lactée, en quelques millions d'années seulement ! "De nombreuses observations montrent que plus l'accrétion d'un trou noir est intense, plus il se fomre d'étoiles dans une galaxie", détaille David Elbaz, astrophysicien au CEA, l'un des porteurs de cette hypothèse. Mais selon d'autres modèles, les trous noirs centraux auraient, au contraire, tendance à ralentir, voire à stopper la production d'étoiles des galaxies en les vidant de leur gaz interstellaire. Tueur ou créateur ? Le mystère, pour l'instant, reste entier.

ROMAN IKONICOFF - SCIENCE & VIE > Août > 2013
 

   
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