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T I T A N

3 Découvertes sur Titan

B.R. - SCIENCE & VIE N°1236 > Septembre > 2020

Les Lacs de Titan Retracent son Histoire

Le plus gros satellite de Saturne connaît des ères géologiques, comme notre planète, et pour la même raison : une orbite qui oscille lentement au fil des millénaires. Une équipe américaine vient de découvrir que l'alternance de ces ères était le moteur par lequel les lacs de Titan se remplissent et se vident. Voyage au cour d'un monde glacé qui imite le nôtre.

Un beau jour de 2022, sur Titan, non loin du pôle du gros satellite de Saturne... Un bateau en forme de soucoupe vogue sur Ligeia Mare, une petite mer d'hydrocarbures aussi vaste que le lac Michigan (Etats-Unis) et que des vaguelettes agitent. À bord, instruments météo, sonar et caméras s'activent pour analyser l'étendue liquide dans les moindres détails. Cette croisière extraterrestre, c'est celle que compte réaliser Ellen Stofan. Avec son équipe de la société Proxemy Research, cette géologue américaine planche sur la mission Time (Titan Mare Explorer). Leur projet pourrait s'envoler vers Titan en 2017.
Car ce monde éloigné d'un milliard de kilomètres, littéralement congelé par une température de -180°C (100°C de moins que le record de froid enregistré en Antarctique), mérite le détour. Loin d'être figé par ce froid extrême, il partage avec la Terre un rare privilège dans le Système solaire celui d'une activité perpétuelle. La manifestation la plus évidente de ce dynamisme réside dans ces étendues liquides repérées à sa surface par la sonde Cassini - les seules connues hors de notre planète (Sur Titan, les lacs d'hydrocarbures (<-) se remplissent et se vident au rythme des ères climaliques du satellite. Le projet Time envisage d'étudier ces mystérieuses étendues liquides au moyen d'un petit vaisseau (bateau)).

Mais ces milliers de lacs, qui constellent les régions polaires, ne contiennent pas une goutte d'eau. Sous les rigueurs climatiques de Titan, celle-ci subsiste sous la forme d'une glace aussi dure que la pierre, qui constitue le sol et le rivage des lacs. Sur Titan, le liquide, c'est principalement de l'éthane et du méthane. En six ans de périple dans le système de Saturne, Cassini a établi, grâce à son radar, une cartographie quasi complète de ces lacs polaires. Ceux-ci intriguent les astronomes au plus haut point. Notamment à cause d'une bizarrerie : ils sont 25 fois plus nombreux au pôle Nord qu'au pôle Sud (->) ! Cette étonnante dissymétrie est-elle due aux saisons ? C'est d'abord ce qu'on a cru. Car, tout comme la Terre, Titan connait des saisons du fait de l'inclinaison de son équateur par rapport à l'écliptique (de 26° pour Titan, 23° pour la Terre).
Saturne - et Titan avec elle - boucle une révolution autour du Soleil en presque 30 ans. Chaque saison de cette "année" dure donc un peu plus de 7 ans. Jusqu'alors plongé dans l'été, l'hémisphère austral de Titan aurait été davantage ensoleillé. Voilà pourquoi ses lacs se seraient asséchés.

LES LACS D'ÉTHANE S'ÉVAPORENT PEU

Mais un élément contrarie ce scénario. "Dans les conditions atmosphériques de Titan, l'éthane liquide s'évapore très peu ou pas du tout. Quant au méthane, il s'évapore de 1 à 10 m par an, explique Sébastien Rodriguez, du CEA. Extrapolé sur une saison, cela donne 70 m au maximum. Or, les bassins font plusieurs centaines de mètres de profondeur. Conclusion : en une saison, ils n'ont pas du tout le temps de se vider". Ces calculs semblent confirmés par les observations de Cassini, qui montrent que le rivage d'Ontario Lacus, le plus vaste lac de l'hémisphère Sud, n'a que légèrement reculé entre 2005 et 2009.
Quelque chose d'autre ne colle pas. Si la cause de cette dissymétrie était saisonnière, les bassins devraient être répartis équitablement entre les deux hémisphères, et se remplir puis s'assécher au fil des saisons. Or, ce n'est pas le cas : des bassins (asséchés on non) sont bien plus nombreux au nord qu'au sud. Et la topographie n'y est pour rien. Aucune observation ne montre par exemple que le sol austral est plus poreux, de nature à laisser le liquide s'infiltrer dans le sous-sol. Et si un mécanisme de bien plus grande ampleur, au rythme beaucoup plus lent, expliquait cette dissymétrie ? C'est ce que propose l'équipe d'Oded Aharonson, du Caltech (Californie). Selon elle, il existe sur Titan un phénomène semblable à celui qui, sur Terre, provoque la succession des ères glaciaires. Il dépend des très lentes variations de l'orbite de Saturne (schéma ci-dessous), dont la forme elliptique et l'inclinaison fluctuent selon un cycle global de 45.000 ans.

LENTES FLUCTUATIONS ORBITALES

"Saturne navigue sur une orbite légèrement elliptique", explique Oded Aharonson. Du coup, sa distance au Soleil varie au cours de sa révolution. Il en résulte des saisons inégales. Et pour qui accompagne fidèlement sa planète, c'est la même chose.
Actuellement, quand Titan est au plus près du Soleil (périhélie), c'est l'été dans l'hémisphère Sud. Un été plus court que celui de l'hémisphère Nord car, suivant les lois de Kepler, Saturne accélère lors de ce passage au périhélie. Mais aussi un été plus intense, car l'hémisphère austral reçoit alors 24 % de lumière solaire en plus que l'hémisphère boréal en été. À l'inverse, les hivers sont plus froids au nord qu'au sud. "Cette configuration dure depuis 30.000 ans", indique le chercheur américain.
Au fil de ces étés "arides", les lacs australs se sont peu à peu évaporés et les bassins résultants se sont érodés. Au nord, au contraire, les hivers plus froids favorisent la stabilité des liquides, et les lacs se sont remplis. "C'est une idée astucieuse, commente Sébastien Rodriguez. Elle explique le déséquilibre de lacs entre le nord et le sud, tout en permettant de reconstituer le passé climatique de Titan et de prédire son avenir". Car la situation n'est pas figée. En effet, l'excentricité et l'inclinaison de l'orbite de Saturne variant au cours du temps. D'ici 15.000 à 20.000 ans, les cartes seront redistribuées. Quand Titan sera au périhélie, ce sera l'été dans l'hémisphère Nord. Les étés y seront alors plus courts et plus intenses qu'au sud. Et tous les lacs boréaux pourraient bien "migrer" progressivement dans l'hémisphère austral, moins aride.
Voilà pour les grandes ères climatiques à venir. Mais pour la météo à plus courte échéance, ce sont bel et bien les saisons qui gouvernent. Et elles viennent justement de changer : en 2009, Saturne a passé l'équinoxe. C'est le début du printemps dans l'hémisphère Nord de Titan et dans 7 ans ce sera l'été. "Même si les saisons sont très longues, on s'attend à observer assez vite des changements, explique Sébastien Rodriguez. C'est le moment idéal pour tester les modèles concurrents sur la circulation nuageuse".

CUMULUS DE MÉTHANE

Car Titan est convert de nuages ! Jusqu'à présent, Cassini donnait la carte météo suivante : dans l'hémisphère d'été (au sud), cumulus sporadiques au pôle et à 40°S. Dans l'hémisphère d'hiver (au nord) : énorme maelstrom diffus et tenace au pôle. Averses intermittentes ? Faibles au sud.
Les cumulus sont formés lorsque le méthane de surface s'évapore, s'élève et se condense en rencontrant des couches froides. À 40°N, les conditions de pression et de température sont telles que les gouttes de méthane, pourtant gigantesques (1 cm contre 6 mm pour les gouttes de pluie sur Terre), s'évaporent avant d'avoir atteint le sol. Mais au pôle, le liquide subsiste un peu mieux. Dans l'hémisphère Nord, pluies un peu plus soutenues. Le maelstrom polaire s'établit quand de l'éthane, présent dans la haute atmosphère, descend et se condense en traversant des couches plus froidcs. Or. l'éthane est plus stable, même si les gouttelettes sont si fines qu'une partie reste en suspension dans l'air. La pluie est également due à de petits cumulus de méthane, emprisonnés dans le tourbillon. Maintenant que Saturne et Titan ont passé l'équinoxe, les scientifiques ont une foule de questions en tête : les cumulus vont-ils migrer vers le nord et le maelstrom, vers le sud ? Là-bas, la pluie va-t-elle creuser de nouveaux lacs amenés à s'évaporer par la sécheresse de l'été suivant ? Plusieurs modèles prévoient une inversion de la tendance nuageuse, mais les équipes ne sont pas tout à fait d'accord sur la rapidité de cette inversion. Pour Jonathan Mitchell, de l'université de Princeton, les nuées à 40°S vont peu à peu se décaler vers le nord à mesure que l'hémisphère boréal va se tourner vers le Soleil. Pascal Rannou envisage, lui, un scénario bien plus radical : "Notre modèle montre que l'activité nuageuse à 40°S et aux pôles va s'éteindre avant de complètement s'inverser autour de 2014", explique le chercheur de l'université de Reims.
"Grâce aux observations de Cassini, nous enregistrons une baisse de l'activité nuageuse aux pôles depuis fin 2007, note Sébastien Rodriguez. Ce qui plaide en faveur du modèle de Pascal Rannou. Mais il nous faut davantage de données pour le confirmer". Pour les 5 à 15 ans à venir, le bulletin météo prévoit donc (avec un indice de confiance assez faible) de la pluie d'éthane et de méthane au pôle Sud de Titan. Et si Ellen Stophan parvient à convaincre la Nasa, c'est sous des cumulus que son bateau naviguera sur Ligeia Mare plusieurs semaines durant.

E.M. - CIEL & ESPACE > Juin > 2010
 

   
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