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V É N U S

Pourquoi est-elle si Différente de la Terre ?


POUR LA SCIENCE N°498 > Avril > 2019

Histoire d'une Terre qui a Mal Tourné

Dans le Système Solaire, il n'existe pas deux planètes aux caractéristiques si proches. La Terre et Vénus croisent dans la même région, elles ont la même masse et la même taille. Pourtant, l'une est un havre pour la vie, l'autre le pire des enfers. La sonde Venus Express, qui fête ce mois-ci ses quatre ans autour de Vénus, nous aide à comprendre ce qui a mal tourné sur notre plus proche voisine.

Que s'est-il donc passé depuis quarante ans, les astronomes qui se penchent sur l'histoire de Venus restent perplexes. Comment une planète si proche de la Terre est-elle devenue un tel enfer ? Venus est une planète morte, constellée de plus d'un millier de volcans, où la pression dépasse 90 fois celle de la Terre et la température moyenne de 460°C suffirait à faire fondre du plomb. Pour seul décor, un désert de roches basaltiques érodées par les vapeurs acides. Il y a bien des lits de rivière qui courent à la surface. Mais seuls la lave et les métaux liquides y ont jadis coulé. Outre les cratères d'éruption, les uniques reliefs sont des hauts plateaux de la taille de continents - à l'instar d'Ishtar Terra, grand comme l'Australie, dominé en son centre par les monts Maxwell (11 km d'altitude <-). Les plaines forment sinon l'essentiel de la géographie vénusienne. L'atmosphère n'est pas plus tendre. Dans ses couches basses, une fine pellicule de vapeur d'eau est vite recouverte à 40 km d'altitude par un voile de monoxyde de carbone. Plus haut, entre 45 et 75 km d'altitude, dans la haute atmosphère, les nuages sont chargés d'acide sulfurique. C'est d'ailleurs à cette richesse en soufre que Vénus doit son éclat, ces particules renvoyant jusqu'à 80 % du rayonnement solaire. On comprend dès lors pourquoi "l'Étoile du berger" brille si intensément dans le crépuscule. Au XIXè siècle nait le fantasme d'une planète au climat tropical, peuplé d'une faune aussi luxuriante qu'exotique. Hélas, en 1962, la sonde américaine Mariner 2 vaporise définitivement les rêves de vie vénusienne, en révélant un monde totalement inhospitalier.
"Pourtant, Vénus est une jumelle de la Terre, souligne Eric Chassefire, du Latmos. Rayon, masse, densité... Par beaucoup d'aspects, Vénus est plus proche de la Terre que Mars, et les modèles de formation montrent que les deux planètes sont nées de la même manière". Pourquoi alors sont-elles si différentes aujourd'hui ? Nombre de chercheurs pensent que l'atmosphère de Vénus ressemble à celle de la jeune Terre, quand celle-ci n'avait que quelques centaines de millions d'années. Mais sur notre planète, le gaz carbonique (CO2) a été piégé par les océans, où il s'est déposé sous forme de carbonates. Or, si l'eau abonde sur Terre, formant une couche d'une épaisseur moyenne de 2,8 km sur la croûte planétaire, toute l'eau de Vénus ne ferait qu'une mince pellicule de 14 mm ! Notre voisine a visiblement reçu moins d'eau à la naissance. Et si jamais elle a possédé un océan global, celui-ci n'a fait que 30 à 100 m de profondeur. Mais où a-t-il disparu ? Depuis les mesures de la sonde américaine Pioneer-Venus, en 1979, les chercheurs soupçonnent que l'eau de Vénus s'est échappée dans l'espace. Témoin de cette fuite, le deutérium, un isotope de l'hydrogène. Alors que sur Terre le deutérium ne compte que pour 0.015 % de l'hydrogène présent dans l'océan, celui-ci est 120 fois plus abondant dans l'atmosphère de Vénus. La raison ? Les atomes d'hydrogène auraient été arrachés à l'atmosphère, tandis que le deutérium, plus lourd, serait resté captif du champ gravitationnel de Vénus. Une théorie renforcée par les données de Venus Express (encadré). Depuis avril 2006, la mission européenne analyse l'atmosphère et la surface de la planète : profil thermique, composition de l'atmosphère, dynamique des vents et des nuages...

UNE MISSION EXPRESS QUI DURE : Comme son nom l'indique, Venus Express a été conçue et lancée très rapidement, en seulement 3 ans, à partir d'une plate-forme imaginée pour la sonde Mars Express. Partie le 9 novembre 2005, la sonde européenne est arrivée autour de Vénus en avril 2006. À son bord, six instruments de mesure : 3 spectromètres (PFS, Virtis et Spicav/Soir), un analyseur d'atomes énergétiques (Aspera), un magnétomètre (MAG) et une caméra grand-angle opérant dans le visible, l'ultraviolet et le proche infrarouge (VMC). Prévue à l'origine pour durer 508 jours terrestres (deux jours sur Vénus), la mission a été prolongée jusqu'en décembre 2012.

La sonde alterne étude détaillée et vue globale grâce à une orbite elliptique qui lui permet d'effectuer des mesures fines à 250 km d'altitude, puis d'observer l'hémisphère Sud de Vénus à quelque 66.000 km de distance. C'est ainsi que son Analyseur de plasma spatial et d'atomes énergétiques (Aspera) a confirmé l'échappement des atomes d'oxygène et d'hydrogène depuis le côté nocturne de la planète. Mais si les chercheurs savent que les ultraviolets (UV) brisent et ionisent ces atomes, ils ignorent en revanche comment ceux-ci sont arrachés à la planète. À ce jour, le vent solaire est le principal suspect. Avec les mesures d'Aspera, c'est tout un scenario de l'échappement catastrophique de l'eau de Vénus qui s'affirme.

UN SCÉNARIO POUR LA FUITE DE L'EAU

Au tout début du Système solaire, Vénus avait beaucoup moins d'eau que la Terre. Et elle l'aurait perdue à mesure que le jeune Soleil s'échauffait (->).

Il y a 4,5 milliards d'années, le Soleil était 30 % moins brillant. À cette époque, Vénus bénéficie d'un ensoleillement clément, qui autorise la présence d'eau liquide à sa surface. Mais avec l'augmentation progressive du rayonnement solaire, la planète commence à se réchauffer. C'est la début d'un effet de serre : l'océan primordial s'évapore peu à peu, et la vapeur augmente la température ambiante, accélérant l'évaporation. Cet emballement du climat est aggravé par la rotation extrêmement lente de la planète : un jour sur Vénus dure 243 jours terrestres !
Une fois dans l'atmosphère, l'hydrogène de l'eau s'échappe dans l'espace sous l'action du vent solaire (contre lequel Vénus est peu protégée par son faible champ magnétique). L'oxygène, lui, s'associe au soufre craché par les volcans et forme des nuages d'acide sulfurique. Ironie de l'histoire, ce sont ces mêmes nuages de soufre qui ont maintenu la surface de Vénus à une moyenne de 460°C, en stoppant la plus grande partie du rayonnement solaire. Sinon, la température grimpait encore !
Responsable de l'instrument Virtis sur Venus Express et directeur adjoint du Lesia, Pierre Drossart préfre néanmoins rester prudent, soulignant que, si plausible soit-il, "ce scénario ne nous dit pas si l'eau s'est échappée voici plusieurs milliards d'années, quand Vénus était encore jeune, ou plus récemment, lors d'un épisode de volcanisme actif il y a 500 millions d'années". Une hypothèse alternative que le chercheur n'exclut pas totalement : "Ce que nous voyons de la surface pourrait être lié à la disparition de l'océan du fait d'un volcanisme actif". Virtis a ainsi complété la cartographie établie par la sonde Magellan, en révélant des zones d'anomalie thermique à la surface. "On voit bien que le sol de Vénus n'est pas uniforme", explique Pierre Drossart. Un constat qui appuie l'hypothèse d'un volcanisme récent à la surface de Vénus. En effet, si celle-ci subit une érosion chimique due a l'interaction avec l'atmosphère, les surfaces jeunes (renouvellées par des coulées volcaniques) présentent un aspect différent de celui des zones plus anciennes.
Venus Express à certes permis "de mettre des chiffres là où nous n'avions que des ordres de grandeur", comme l'indique Pierre Drossart, mais ses observations ne répondent pas forcement à toutes les questions. Ainsi, difficile de savoir s'il existe encore un volcanisme actif sur Vénus. "Si une source volcanique importante existait, nous aurions mesuré une plus forte proportion de dioxyde de soufre, note Pierre Drossan. Or, ce n'est pas le cas". Pas de conclusion hâtive toutefois : "Peut-être n'avons-nous pas regardé au bon endroit, au bon moment."
En revanche, les nuages d'acide sulfurique ont réservé une surprise à l'équipe de Venus Express : des éclairs (->) ! Avec la Terre, Saturne et Jupiter, Vénus devient donc la quatrime planète du Système solaire à connaître des orages. Détectés par le magnétomètre de la sonde, ces éclairs prouvent que la foudre ne nait pas seulement dans des nuages d'eau en suspension. Ils intéressent d'autant plus les chercheurs que la foudre, en cassant l'agencement des atomes, permet souvent leur recombinaison d'une manière inédite, créant ainsi de nouvelles molécules.
Un instrument de Venus Express, en revanche, ne servira jamais. Conçu pour mesurer la composition chimique de la basse atmosphère, sa température, ainsi que celle de la surface, le Planetary Fourier Spectrometer (PFS) a été gelé par le froid spatial et rendu incapable de bouger pour viser Vénus. Une défection que regrette Pierre Drossart : "Le PFS nous a beaucoup manqué car nous aurions aimé connaître la variation en température de l'atmosphère selon l'altitude. Mais heureusement, nous avons pu compenser en partie avec Virtis".
Outre le passé de Vénus, certains phénomènes actuels intriguent les astronomes. Ainsi, la super-rotation de l'atmosphère : les nuages font le tour de la planète en seulement 4 jours. À une soixantaine de kilomtres d'altitude, ils filent à 360 km/h, soit trois fois plus vite que les cyclones terrestres... À une altitude inférieure, dans la basse atmosphère (<-), Venus Express à relevé des vents soufflant à 210 km/h. Les scientifiques se sentent un peu dépassés par ce curieux phénomène : "Nos modles de circulation générale n'arrivent pas à reproduire la super-rotation et nous ne comprenons pas pourquoi", commente Eric Chassefière. Pour y parvenir, il faudrait aller sur place pour mesurer le vent, ainsi que le rayonnement solaire et la chaleur émise par le sol qui jouent un rôle dans la dynamique des vents, indique le chercheur. Une fois n'est pas coutume, la mesure de la dynamique des vents a reçu une aide inattendue d'un mystérieux composé chimique présent dans la haute atmosphère. En observant les régions nuageuses les plus sombres, les chercheurs ont détecté un gaz qui absorbe une partie du rayonnement UV du Soleil. Bien que sa nature soit encore inconnue, cet invité-surprise pourrait être un gaz de soufre, acheminé depuis la basse atmosphère à l'équateur jusqu'au sommet des nuages.

UN ÉNORME VORTEX AU PÔLE SUD

Un composé atmosphérique inconnu apparait sombre sur les images en ultraviolet (->) de Venus Express. Il a permis de suivre le déplacement des nuages.

Mais tout mystérieux qu'il soit, "l'absorbant UV" a permis de marquer les nuages, et donc de prèciser leur vitesse et leur déplacement. Il est ainsi apparu que la super-rotation donnait une forme originale aux masses d'air sur Vènus. Sur Terre, les nuages se forment à l'équateur et se déplacent ensuite horizontalement vers les pôles, où ils perdent de l'altitude en se refroidissant. Il en va de même sur Vénus, avec cette différence que la super-rotation imprime aux masses d'air une forme de spirale, qui les fait s'enrouler autour du pôle en un énorme vortex. Cet oil monstrueux, d'un diamètre de 2500 km, tourne autour du pôle Sud en seulement deux jours et demi. La vaste structure, qui se dédouble parfois pour rapidement fusionner à nouveau, a été observée par la caméra VMC de la sonde avec un luxe de détails.
Venus Express à fourni une profusion d'informations qui, loin de répondre à toutes les questions, en pose même de nouvelles. Cependant, Pierre Drossart s'estime satisfait de la mission : "La sonde a bien rempli son objectif, et nous avons obtenu des résultats originaux". Eric Chassefire est plus partagé : "Grâce à Venus Express, nous en savons davantage sur la physique et la chimie de la haute atmosphère. Toutefois, la mission n'a pas révolutionné notre connaissance de Vénus". Le chercheur du Latmos regrette en particulier que les données recueillies n'aient pas permis de mieux reconstituer l'histoire de la planète. La mesure des gaz rares, par exemple, a été laissée de côté, alors qu'elle aurait aidé à comprendre comment notre jumelle s'est formée. Mais, si leur avis sur Venus Express diffère, les deux scientifiques s'accordent pour reconnaitre que les prochaines missions vénusiennes devront utiliser des ballons pour plonger dans l'atmosphère et récolter des données in situ.


S.C. - CIEL & ESPACE > Avril > 2010
 

   
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