Que font les Aiguilleurs de l'Espace ? |
Si la collision de deux satellites en orbite basse le 10 février est une première, elle aurait pu être évitée. Mais pour le système de contrôle du trafic spatial, le vrai danger ce sont les millions de débris qui gravitent autour de la Terre... Les radars et télescopes du Norad surveillent de près une multitude de satellites et de débris (à dr., modélisation de ceux circulant en orbite basse).
Ce mardi 10 février, en fin d'après-midi, Iridium 33, un satellite de télécommunications américain, survole la Sibérie à 27 000 km/h, direction plein nord. Au même moment, Kosmos 2251, ancien satellite militaire russe hors d'usage, vient de passer dans le ciel de la Scandinavie et file à une vitesse comparable au-dessus de la côte arctique russe. Ces deux minuscules poussières perdues dans l'immensité de l'espace circumterrestre, et lancées sur des trajectoires perpendiculaires, n'ont, a priori, aucun risque de se rencontrer. Et pourtant, à 16 h 56 GMT, l'impensable se produit. A la verticale de la péninsule de Taïmyr, dans le nord de la Sibérie, les deux satellites se percutent. Le choc est d'une violence inimaginable. L'énergie cinétique combinée est équivalente à celle qu'auraient deux rames de TGV lancées face à face à 900 km/h, concentrée dans un volume de la taille de deux grosses voitures ! Une collision comme on n'en a jamais connu sur Terre. "Il s'agit d'une collision hypervéloce, où la vitesse d'impact dépassait la vitesse du son à l'intérieur des matériaux, qui est de l'ordre de 5 km/s, explique Christophe Bonnal, spécialiste des débris spatiaux au Centre national d'études spatiales (Cnes). Lorsque la matière est soumise à un tel choc supersonique, il n'y a même plus de déformation mécanique." Résultat : les deux satellites ont été instantanément pulvérisés, projetant dans l'espace une multitude de débris. Quelques heures après la collision, on répertoriait déjà 600 fragments de plus de 10 cm. "Ce qui laisse imaginer qu'il doit y en avoir environ dix fois plus de l'ordre du centimètre, et cent fois plus de l'ordre du millimètre", avance l'expert français. Et ce n'est pas rien ! "A ces altitudes, une bille de 1 mm de diamètre peut causer autant de dégâts qu'une boule de pétanque lancée à 100 km/h !" Dans toute l'histoire de la conquête spatiale, c'est la première fois qu'un tel accident se produit. S'il est déjà arrivé qu'un satellite soit percuté par un débris, il s'agit de la première collision recensée entre deux satellites. Une première qui aurait dû être évitée, car leur trajectoire était connue.

Iridium 33 était un satellite américain d'environ 600 kg et 5 m d'envergure faisant partie d'une constellation de téléphonie mobile. Lancé en 1997, il circulait sur une orbite circulaire entre 776 et779 km d'altitude, avec une inclinaison à 86.4° par rapport à l'équateur, ce qui l'amenait à survoler le pôle Nord toutesles 100 minutes. Bien qu'ayant dépassé sa durée de vie prévue, il était toujours opérationnel.
Kosmos 2251 était un satellite russe de plus de 800 kg doté d'un mât de stabilisation télescopique de 17 m. Lancé en 1995, ce satellite de télécommunications militaires gravitait sur une orbite circulaire entre 767 et 803 km, incliné de 74,04° par rapport à l'équateur. Conçu pour durer trois ans, il était tombé en panne en 1997 et était devenu une épave.
FAITS & CHIFFRES : L'US Space Command, système de surveillance américain, tient à jour un catalogue de 18 000 objets dont 3250 satellites (parmi lesquels 900 opérationnels). Le reste étant composé de débris divers. Il publie quotidiennement des éphémérides pour 12 000 objets (sauf satellites militaires classifiés), donnant ainsi la position de l'objet sur son orbite. Grâce à des logiciels, on peut alors pointer un satellite avec une précision de 1 à 10 km - une marge imposée par les Etats-Unis pour empêcher l'utilisation de ces données à des fins hostiles. |
DES MILLIONS DE DÉBRIS VOLANTS !
Ce sont les militaires américains qui renseignent sur les objets gravitant autour de la Terre, grâce aux radars et télescopes optiques du Norad (North American Aerospace Defense Command), le réseau de surveillance américano-canadien hérité de la guerre froide. Certes, la Russie dispose elle aussi de son propre système de surveillance de l'espace, qui utilise les radars et télescopes du réseau d'alerte antimissile russe, mais elle ne publie aucune information. L'US Space Command, pour sa part, tient à jour un catalogue de quelque 18 000 objets volants (chiffre émis avant la collision du 10 février), pour la plupart des débris. Ce catalogue comporte des objets d'à peine 5 à 10 cm en orbite basse (800 km), et de l'ordre de 50 cm en orbite géostationnaire (36 000 km). Il est possible de détecter des objets dix fois plus petits, mais pas de les suivre régulièrement pour déterminer et mettre à jour leur orbite. Du coup, ce catalogue est bien loin de recenser tout ce qui tourne au-dessus de nos têtes : selon la Nasa, il y aurait plus de 100 000 objets de plus de 1 cm en orbite autour de la Terre, allant de la goupille échappée d'un système de déploiement de panneaux solaires au fragment de boulon détaché d'un vaisseau, en passant bien sûr par les débris d'explosions accidentelles. Au total, le nombre d'objets de plus de 1 mm dépasserait... les 35 millions !
A partir des données fournies par le système de surveillance de l'US Space Command, les agences spatiales et les opérateurs qui exploitent des satellites effectuent - ou font effectuer - des simulations quotidiennes pour déterminer si un de leurs satellites risque de croiser un objet (satellite, épave ou débris) en deçà d'une distance de sécurité. En France, par exemple, le Centre opérationnel d'orbitographie du Cnes, à Toulouse, effectue ses propres calculs de propagation d'orbites pour les satellites de sa flotte (dont les satellites d'observations Spot), ainsi que pour ceux du ministère de la Défense (notamment les satellites Helios)."Compte tenu du niveau de précision fourni par l'US Space Command, le Cnes a fixé son niveau d'alerte à 10 km : si un objet risque de passer près d'un de ses satellites en deçà de cette distance, l'alerte est déclenchée. Ce qui en fait environ une par jour. Il s'agit alors d'en savoir plus sur "l'intrus". Un simple traitement informatique des données de l'US Space Command sur un mois permet de ramener la précision à 5 km.
UN SATELLITE FRANÇAIS DÉVIÉ PAR AN EN MOYENNE
Si l'alerte est maintenue, le Cnes fait alors appel à des radars extérieurs pour affiner sa connaissance de l'orbite de l'intrus, comme celui du navire de trajectographie de la Marine nationale, Le Monge, ancré en rade de Brest, ou encore le radar Graves ("Grand réseau adapté à la veille spatiale") de l'armée de l'air. C'est un radar bistatique : son émetteur est situé à Broye-lès-Pesmes, près de Dijon, et son récepteur, à Revest-du-Bion, sur le plateau d'Albion. Ce système de détection, opérationnel depuis 2005, permet de suivre les objets de plus de 10 cm survolant l'Europe en orbite basse, jusqu'à 1500 km d'altitude. En dernier recours, si l'alerte de proximité est maintenue, une manœuvre du satellite est commandée. Mais celle-ci a un coût, car elle nécessite la mobilisation de personnel, l'envoi de carburant et peut entraîner des perturbations dans la gestion des satellites. De fait, le Cnes ne procède à des manœuvres de ce type qu'une fois par an en moyenne.
Mais que s'est-il donc passé le 10 février ? Dans son communiqué officiel, l'opérateur américain Iridium, dont le satellite était le seul capable de manœuvrer pour éviter l'impact, affirme ne pas avoir été prévenu du risque de collision. Pourtant, une analyse des données fournies par l'US Space Command à la veille de l'accident montre clairement qu'un rapprochement des deux satellites à moins de 600 m était prévisible ! A partir de là, les analystes en sont réduits à spéculer. Le satellite Iridium 33 ayant dépassé sa durée de vie nominale depuis trois ans, il est possible que Boeing, qui gère la constellation pour Iridium, ait estimé que le risque de collision (une chance sur 10000 ou 100000) était trop faible pour justifier une déviation coûteuse en carburant. Et considéré qu'il valait mieux utiliser les réserves d'hydrazine restantes pour le maintenir dans sa constellation.
BIENTÔT DES RÈGLES DE BONNE CONDUITE ?
Si c'est le cas, le calcul s'est révélé désastreux, car non seulement le satellite a été perdu, mais un nuage de débris a été libéré qui met en péril les 65 autres satellites du système Iridium... et beaucoup d'autres ! En effet, chaque fragment suit désormais sa propre orbite, et le nuage ainsi créé va rapidement s'étendre autour de toute la Terre par le simple jeu de la mécanique céleste. En altitude, ces débris devraient se répartir selon une courbe gaussienne (en cloche), avec un maximum vers 780 km, qui est l'altitude de la plupart des satellites d'observation de la Terre. Conséquence : les risques de collision sont désormais démultipliés. Ces orbites avaient déjà été sinistrées il y a deux ans, lorsque la Chine avait testé un système de missile antisatellite sur son propre satellite météorologique Feng Yun 1C. Sa destruction avait dispersé 2378 fragments de plus de 5 cm qui ont pu être catalogués et suivis, ainsi qu'un nombre encore plus grand de tout petits débris, dont la propagation n'a pu être suivie mais qui peuvent s'avérer tout aussi dangereux.
Que peut-on faire aujourd'hui pour lutter contre cette pollution de l'espace circumterrestre ? "A l'heure actuelle, sur les orbites situées entre 700 et 1 400 km d'altitude, le nombre de débris a déjà commencé à augmenter de façon exponentielle", estime Christophe Bonnal. En effet, si les débris les plus bas retombent et sont brûlés dans l'atmosphère, à partir de 850 km, le frottement atmosphérique devient négligeable et la durée de vie des objets en orbite dépasse plusieurs siècles ! "Même si nous arrêtions aujourd'hui de lancer quoi que ce soit dans l'espace, le nombre de ces débris continuerait à croître. Selon les travaux effectués aux EtatsUnis sur cette question, rien que pour stabiliser le nombre de débris à son niveau actuel, il faudrait être capable de retirer chaque année au moins dix gros objets - principalement des étages supérieurs de lanceurs - pour éviter qu'ils ne se fragmentent dans de nouvelles collisions". Des solutions sont à l'étude, mais la volonté politique et le cadre légal manquent encore. Même si des règles de bonne conduite dans la conception et l'exploitation des systèmes spatiaux ont été édictées dans les années 1990 par les 11 agences spatiales réunies au sein de l'Inter Agency Space Debris Coordination Committee (IADC). Depuis, un effort a été entrepris pour imposer une norme internationale, via une résolution de l'ONU et des standards ISO. Mais selon les traités en vigueur, chaque épave est toujours sous la responsabilité de l'Etat qui l'a lancée.
S.B. - SCIENCE & VIE > Avril > 2009 |
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