Faudrait-il s'arrêter de respirer ? À lire l'enquête, que nous publions en exclusivité aujourd'hui les Français ont vraiment de quoi s'inquiéter : les risques encourus par la population de l'agglomération parisienne seraient complètement sous-évalués. Pendant huit mois, un bureau d'études indépendant (Horizons) missionné par l'association Ecologie sans frontière (ESF) a planché sur la pollution atmosphérique en Ile-de-France en passant notamment au crible des milliers de données existantes. Édifiant. POLLUANTS NON SURVEILLÉS Comme le rappelle ESF, 54 % des Français ne font pas confiance à l'information délivrée par les pouvoirs publics sur la qualité de l'air. Gageons qu'ils seront encore moins nombreux. Car, d'après l'étude, "l'air ambiant de l'agglomération parisienne est pollué par une mixture de substances qui ne font pas toute l'objet d'une réglementation. Certains polluants sont insuffisamment, voire pas du tout surveillés", détaille Franck Laval, le président de l'association. Mis sur la sellette, Airparif, l'association qui mesure la qualité de l'air francilien (avec l'indice Atmo) prétend pourtant le contraire : "Tous les polluants que les normes françaises et européennes exigent de surveiller le sont. Nous allons même au-delà de la réglementation en étudiant les dioxines, les suies ou les pesticides", se défend Karine Léger, porte-parole d'Airparif. Mais, pour ESF, le problème vient d'un inventaire obsolète des polluants. "Il est trop ancien et incomplet. Il ignore certains phénomènes, comme les polluants secondaires, formés par la combinaison de substances émises dans l'atmosphère", poursuit ESF, qui prédit une "multiplication des pics de pollution dans les prochaines années". LE DIOXYDE DE CARBONE BAISSE, L'OZONE EXPLOSE Récemment, la mairie de Paris a annoncé triomphalement que la pollution au C02, le dioxyde de carbone, a baissé de 9 % ces dernières années. Et c'est vrai : certains polluants sont en voie de diminution (le dioxyde d'azote, grâce à l'amélioration des pots d'échappement) ou de disparition (le soufre, grâce à la mise aux normes des sites industriels). De même, les grosses particules, émises par les moteurs Diesel antiques, se sont nettement estompées. En revanche, ESF tire le signal d'alarme au sujet de polluants, dopés par la croissance du trafic aérien et routier : les composés organiques volatils, les métaux lourds (nickel, arsenic, mercure) crachés par les incinérateurs... Pire encore, l'ozone, qui résulte de la combinaison de plusieurs polluants et de la chaleur, aurait vu ses niveaux augmenter de 64 % depuis 1996... "Avec le réchauffement climatique, l'ozone va devenir un vrai problème de santé publique. Avec des seuils d'alerte plus conformes à la réalité, nous aurions eu des pics à l'ozone quinze jours en mars et autant en avril. Ce sera sans doute aussi le cas aujourd'hui et vendredi", note Franck Laval. Selon la Commission européenne, "l'ozone causerait quelque 21.000 décès prématurés en 2020". DES SEUILS D'ALERTE TROP ÉLEVÉS Mais l'attaque la plus saillante concerne les seuils d'alerte "beaucoup trop élevés pour être crédibles". ESF pointe notamment l'absence "navrante" de surveillance de l'air dans les sites très fréquentés par le trafic automobile ou aérien, où vivent des centaines de milliers de Franciliens. Airparif le reconnaît d'ailleurs à demi-mots, mais promet d'y remédier, comme l'y incite un projet européen qui associe une vingtaine de métropoles. Autre critique majeure : les particules fines, émises par les moteurs Diesel, qui représentent 55 % du parc automobile français, ne font l'objet d'aucune réglementation. "Les pouvoirs publics, influencés par le lobby automobile, affirment que le diesel poilue moins grâce aux améliorations technologiques, mais c'est faux : les particules sont de plus en plus fines et s'infiltrent dans nos alvéoles. Ce sont les plus nocives", poursuit Franck Laval, qui demande l'interdiction des véhicules diesels en ville. Son association a lancé sur son site (www.ecologiesansfrontiere.org) une pétition qui a recueilli 10.000 signatures, et qui pèsera lors du Grenelle de l'environnement qui réunira en octobre le gouvernement et les principales associations écologistes. CHARLES DE SAINT SAUVEUR (AVEC MICHEL VALENTIN) À ALÉSIA, ON BAT DES RECORDS AÉROPORTS : LE NIVEAU D'AZOTE DÉCOLLE MÉTRO, C'EST TROP ! ÉCHANGES DE PARTICULES À ROLAND-GARROS "Un probléme sous-estimé". Yann Arthus-Bertrand, signataire de la pétition d'ESF PHOTOGRAPHE réputé et converti récent à l'écologie, Yann Arthus-Bemand est également président de Goodplanet.org, une association de promotion du développement durable. Yann Arthus-Bertrand. Paris, c'est ma ville. J'ai longtemps habité sur une péniche mais, tous les jours, des particules noires se déposaient dessus. Depuis, je me suis installé en forêt de Rambouillet loin des bouchons de la capitale. Une chose est sûre, moi qui fais un jogging quotidien, je me sens bien mieux quand je cours là-bas que sur les bords de Seine. Je n'aimerais pas habiter au premier étage d'un immeuble parisien. Mais le plus dingue dans tout ça, c'est que l'air, à Rambouillet est aussi pollué qu'à Paris, à cause des nuages d'ozone qui viennent stationner au-dessus de la forêt. Je n'aime pas les discours moralisateurs ou schématiques. Arrêtons de dire qu'il y a les gentilles victimes d'un côté, les méchants pollueurs de l'autre. En revanche, je pense que Bertrand Delanoé, le maire de Paris, a raison à 100 % d'embêter les voitures, car il faut bien admettre que, moins il y en aura, mieux ce sera, surtout dans une ville aussi dense que Paris. Je ne suis pas un ayatollah. Il ne faut pas enlever le plaisir, alors les 4 x 4, pourquoi pas, mais alors à 4 dedans ! Je pense qu'il faut d'abord tenter de convaincre l'opinion publique avant de prendre des décisions impopulaires. Que chacun se prenne individuellement en charge et ce sera déjà beaucoup mieux. Je rêve à Paris de transports en commun complètement gratuits, quitte à ce que les impôts locaux augmentent. Qu'attendez-vous du Grenelle de l'environnement ? Beaucoup de transparence et de bon sens sur tous les sujets écologiques, notamment la pollution de l'air, qui est un problème sous-estimé, comme tous ceux qui ne se voient pas. Arrêtons de cacher aux Français des vérités qui finiront forcément par se savoir. Disons fort que les avions de Roissy et d'Orly consomment la moitié du carburant francilien et on commencera peut-être à réfléchir différemment.
|