De Plus en Plus de Catastrophes Naturelles ?

Le Nombre Croissant de Catastrophes Naturelles est-il Lié au Réchauffement ?

Bien qu'un tel lien soit souvent suspecté, il n'est pas clairement établi. 90 % des 950 catastrophes naturelles survenues en 2010 ont été d'origine météorologique (tempêtes, inondations, canicules).

Pourtant, si 2010 a été l'année la plus chaude jamais enregistrée, elle fut aussi l'une des plus catastrophiques. Séismes en Haïti et au Chili, canicule en Russie, inondations au Pakistan et en Chine... Et 2011 ne s'annonce pas sous de meilleurs auspices avec, déjà, des glissements de terrain au Brésil et des inondations exceptionnelles en Australie. Alors, simple coïncidence ?

Première certitude : le nombre de catastrophes naturelles et les pertes économiques qu'elles engendrent ont considérablement augmenté dans le monde au fil des décennies. Selon la compagnie de réassurance allemande Munich Re, qui détient la base de données la plus complète sur le sujet depuis les années 1950, le monde a connu, ces dix dernières années, 785 catastrophes naturelles par an en moyenne (950 pour la seule année 2010), contre 646 au cours de la période allant de 1990 à 1999, et seulement 407 entre 1980 et 1989. Soit près de deux fois plus en l'espace de trente ans.

PLUSIEURS FACTEURS À PRENDRE EN COMPTE

Seconde certitude : 90 % des catastrophes naturelles survenues en 2010 sont dues à une météo déchaînée (pluies diluviennes, canicules, tempêtes). Sachant que le réchauffement climatique est synchrone de cette augmentation du nombre des catastrophes naturelles, la conclusion semble s'imposer... Mais ce n'est pas si sûr. Car deux facteurs sont à prendre en compte. D'abord, la croissance ininterrompue de la population mondiale et des richesses. En 1980, nous n'étions que 4,4 milliards sur Terre, alors que nous serons 7 milliards cette année. Une explosion démographique accompagnée d'une urbanisation effrénée qui aboutit à la concentration des hommes dans des zones particulièrement touchées par les aléas climatiques.

Deuxième facteur à considérer : la variabilité naturelle du climat. Par exemple, la fréquénce annuelle des cyclones varie selon des cycles plus ou moins longs, rendant plus difficile la mise en évidence d'un dérèglement lié aux activités humaines. "Une fois pris en compte ces deux facteurs, il est très difficile de voir d'autres signaux, comme les efforts de réduction des risques qui pourraient faire baisser la courbe des désastres, ou le changement climatique qui pourrait la faire monter", explique Laurens Bouwer, de l'Institut de recherche sur l'environnement à Amsterdam (Pays-Bas). Sa conclusion : "Le changement climatique n'a jusqu'à présent pas eu d'impact détectable sur les catastrophes naturelles. "Pour l'instant, en effet, la responsabilité de l'homme n'a pu être établie que pour l'intensification des fortes pluies et la multiplication des sécheresses, pas encore pour les catastrophes naturelles qui pourraient en découler.
Une idée que certains contestent. Ainsi, Peter Happe, directeur du Centre de recherche sur les risques naturels de Munich Re, estime-t-il que "bien que l'augmentation des catastrophes soit principalement attribuable à des facteurs socio-économiques, le nombre de catastrophes liées à la météorologie ne peut très probablement pas s'expliquer complètement sans tenir compte des changements climatiques". Son argument est le suivant : depuis 1980, le nombre de désastres météorologiques a été multiplié par deux quand, dans le même temps, la fréquence des catastrophes d'origine géologique (tremblements de terre, éruptions volcaniques) est restée relativement inchangée. "Or, si les facteurs économiques étaient uniquement en jeu, les taux de croissance des catastrophes d'origines géologique et météorologique devraient évoluer de façon similaire". Pour Laurens Bouwer, cet argument est irrecevable.

DES POPULATIONS PLUS EXPOSÉES

Le chercheur rappelle que l'exposition des populations à ces désastres n'a pas évolué de la même manière ces dernières décennies. Selon lui, "les hommes se sont délibérément installés dans les zones côtières ou les plaines, accroissant leur exposition aux inondations et aux tempêtes, alors qu'ils évitent les zones à risque sismique". Ce qui expliquerait que ces deux types de catastrophes n'aient pas suivi la même tendance, et invaliderait le lien avec le climat.
Si la marque du changement climatique n'apparaît pas encore clairement dans les archives des catastrophes naturelles, elle devrait devenir plus visible à mesure que les dérèglements envisagés par les climatologues se réaliseront. Reposez-nous la question dans quelques décennies...

OURAGANS : l'influence du climat ne sera pas connue avant 60 ans.
Il faudra patienter au moins 60 ans avant de voir émerger dans les séries de donner le signal irréfutable qu'un accroissement de la fréquence des ouragans les plus violents seraient dû aux émissions de gaz à effet de serre, estime Maurice Bender, climatologue à Princeton (États-Unis). Et si, entre 1970 et 2009,8 des 10 catastrophes d'origine météorologiques les plus coûteuses ont été causées par des ouragans, il faudra entre 120 et 550 ans, selon Ryan Crompton de l'université Macquarie (Australie), pour étudier le lien entre réchauffement et hausse du coût économique des ouragans aux États-Unis.

B.B. - SCIENCE & VIE > Avril > 2011

Toujours Plus de Catastrophes ?

En scrutant les cernes de croissance des arbres, des chercheurs ont réussi à remonter 2500 ans dans le passé climatique européen. Surprise : les intempéries ne sont pas plus violentes qu'hier. Mais leur impact sur nos vies s'est bel et bien amplifié.

Quand il s'agit de savoir quelle influence les colères des cieux ont sur l'histoire humaine, les arbres sont parfois plus loquaces que la mémoire des hommes. Pour preuve, la reconstitution de 2500 ans de climat européen par une équipe de climatologues, historiens et géographes européens et américains, présentée en janvier dernier dans la revue Science. Comme nul enregistrement scientifique de températures ou de précipitations n'existe au-delà de 150 ans, les chercheurs se sont fiés aux cernes de croissance inscrits dans le tronc de chênes et de pins ayant poussé dans les forêts tempérées de France, d'Autriche et d'Allemagne. Fossiles, éléments de charpente, arbres sur pied... la quête du passé climatique européen a fait feu de tout bois. Au total, les chercheurs ont étudié environ 8000 échantillons. En comparant l'épaisseur des cernes des chênes datant des cent dernières années avec les emegistrements de températures et de précipitations de la même période, ils ont établi une correspondance entre taille des cernes et climat. Et c'est sur cette base que les arbres plus anciens ont pu livrer le niveau de précipitations des mois d'avril à juin, et la température des mois d'été, de juin à août, jusqu'à 2500 ans dans le passé.

Première leçon de cette machine à remonter le temps climatique : le climat européen a connu des phases d'instabilité (températures extrêmes, pluies intenses) importantes, dont certaines, comme l'observent les chercheurs, "ont pu excéder en intensité et en durée les variations contemporaines".
Deuxième leçon : ces phases d'instabilité correspondent à des périodes historiques troublées. L'exemple le plus frappant est assurément celui des invasions barbares, cette transition entre haute Antiquité et Moyen Age, qui coïncide avec de longues sécheresses, et voit chuter l'empire romain. Les chercheurs donnent d'ailleurs à cette coïncidence vieille de plusieurs siècles une portée on ne peut plus actuelle, observant que "le niveau des changements de températures et de précipitations à l'époque des grandes invasions (entre le IIIè et le Vè siècle) peut être vu comme un analogue des projections du changement climatique anthropique". Autrement dit : le changement climatique dont nous sommes les plus efficaces agents nous placerait à l'aube de bouleversements économiques et politiques profonds.
Mais ce n'est pas cette mise en garde, déjà formulée par ailleurs par nombre d'organisations internationales, Onu en tête, qui frappe le plus dans cette reconstitution pluricentenaire du climat européen. Ni la preuve, flagrante, que les températures moyennes se sont envolées dans les cent dernières années. C'est du côté des précipitations que se situe la surprise. Car, à bie nregarder la tendance issue des cernes d'arbres, la période contemporaine n'est pas, par rapport aux siècles passés, la plus arrosée, loin s'en faut. Voilà qui contrebalance le sentiment diffus, nourri par les tempêtes françaises de décembre 1999 (Lothar et Martin), de janvier 2009 (Klaus) et de février 2010 (Xynthia), qu'en ce début de XXIè siècle l'heure du déluge aurait sonné à nouveau.

UNE QUESTION DE FOCALE

Cette remise en perspective est d'ailleurs complétée par d'autres travaux récents, qui montrent que le caractère exceptionnel de certaines catastrophes s'efface lorsque l'on considère attentivement le passé. Fin février 2010, le Premier ministre français qualifiait la tempête Xynthia - qui a fait 53 victimes en Vendée et Charente-Maritime-de "tempête exceptionnelle". Était-ce vraiment le cas ? L'historien du climat Emmanuel Garnier, de l'Institut universitaire de France (université de Caen) et rapporteur d'une étude' remise à la commission d'enquête parlementaire et sénatoriale sur Xynthia, n'en est pas si sûr. "Après le désastre de Xynthia, j'étais sous le coup des déclarations tonitruantes de nos élus, qui expliquaient qu'on avait affaire à un événement inédit et que, par définition, il n'était pas prévisible, explique-t-il ! Nous avons constitué un groupe de travail et nous nous sommes plongés dans les archives". Les chercheurs ont ainsi dépouillé registres paroissiaux, "livres de raison" (comptabilité tenue par les notables de l'Ancien Régime), archives des juridictions forestières et des amirautés, etc.
Patiemment recoupées et analysées, ces différentes sources livrent une statistique inédite pour la France septentrionale : le nombre de tempêtes et de submersions (inondations des côtes) entre 1500 et nos jours. Surprise, là aussi : la France a connu par le passé des tempêtes tout aussi violentes qu'aujourd'hui. "On peut affirmer avec ce travail qu'on a eu une recrudescence des tempêtes continentales au début du XVIIIè siècle, et une reprise très forte entre 1950 et 2000, en particulier, à l'échelle de l'Europe, au toumant des années 1980 ; ce qui accrédite ce qui est dit aujourd'hui par les climatologues", détaille Emmanuel Garnier. Qui ajoute "qu'a contrario, les submersions sont devenues totalement marginales depuis les années 1940 sur l'ensemble des littoraux français. Mais c'est une question de focale. Car on observe aussi, par exemple, que le nombre total des tempêtes du XVIIIè siècle est supérieur au total obtenu pour le XXè siècle". C'est donc un fait établi : les tempêtes récentes n'ont rien d'inédit.

Mais ce qui vaut pour la France et l'Europe ne vaut pas nécessairement pour le monde entier. Et à l'instar de Xynthia pour l'Hexagone, les inondations de la fin 2010 en Australie, au Pakistan et au Sri Lanka peuvent inciter à penser, pour l'échelle mondiale, que l'heure est bel et bien aux déluges à répétition. Qu'en est-il vraiment ? Autant le reconnaître d'emblée : la question de l'augmentation globale de la fréquence des événements climatiques extrêmes, et de son lien éventuel avec le réchauffement climatique, n'est pas encore tranchée. Faute, essentiellement, de statistiques suffisamment solides. Mais le nombre de catastrophes attribuées à des événements extrêmes est, lui, bel et bien en hausse.

UNE RÉALITÉ HUMAINE, NON GÉOPHYSIQUE

Ainsi, les statistiques produites par le Centre de recherche sur l'épidémiologie des catastrophes (Cred), partenaire de l'Organisation mondiale de la santé, montrent que le nombre d'événements liés à des inondations et à des tempêtes a crû nettement depuis les années 1960-1970. On serait ainsi passé de 7 à 191 inondations par an, et de 24 à 73 tempêtes par an, tous pays confondus, entre 1960 et 2010. Oui, mais voilà : ce que recouvrent ces chiffres est avant tout une réalité humaine, et non géophysique. Car le Cred, comme la plupart des organismes - Onu, entreprises de réassurance - qui établissent des bilans réguliers des catastrophes naturelles dans le monde, se basent avant tout sur leur impact. Pour qu'une catastrophe naturelle - inondation, tempête, mais aussi tremblement de terre, éruption volcanique, glissement de terrain, sécheresse, vague de chaleur... - soit répertoriée dans les bases lie données du Cred, par exemple, il faut qu'elle réponde à certains critères. Au "minimum", elle doit avoir entraîné la mort de dix personnes, ou affecter cent personnes (les forçant à évacuer leur habitation) ; ou bien l'état d'urgence doit avoir été déclaré, ou encore, le pays touché doit avoir fait appel à l'aide internationale. Conséquence de cet enregistrement des catastrophes naturelles selon leur impact : leur nombre ne cesse de grandir. À en croire les statistiques du Cred, elles seraient passées de quelques dizaines au début du XXè siècle à plus de 400 au tournant des années 2000. En cause, l'augmentation de la population mondiale, qui est passée de moins de 2 milliards en 1900 à plus de 6 milliards dans les années 2000. Mais pas seulement. La croissance économique, parce qu'elle rend globalement l'humanité plus riche, expose à des dégâts plus importants lorsque survient un ouragan, une inondation, un séisme... Sans grande surprise, 8 des 10 catastrophes naturelles ayant engendré les plus grandes pertes économiques entre 1900 et 2009, toujours d'après les statistiques du Cred, ont eu lieu à partir de 1990. Et les deux catastrophes manquant à ce palmarès ont marqué 1981 et 1989. S'ajoute à ces tendances "mécaniques" le fait que nous vivons sur une planète de plus en plus connectée. Comme l'observe le météorologue américain Jeff Masters, "à l'évidence, l'augmentation de la population fait croître le nombre de personnes affectées par les événements naturels extrêmes. Mais le recensement officiel des catastrophes se fait, aussi, via ce que rapportent les médias. La croissance des catastrophes répertoriées jusqu'aux années 1990, et leur relative stabilisation dans les années 2000, qui apparaît dans les statistiques du Cred, peut donc s'expliquer par le fait que les médias tendent à atteindre leur maximum de pénétration. Globalement, il n 'y a presque plus de catastrophe naturelle qui ne soit pas rapportée". Autre paramètre à prendre en, compte, l'importance que joue le secteur de l'assurance. "On peut considérer que la prise en charge des personnes affectées est plus importante à partir des années 1970, ce qui expliquerait qu'on ait des effectifs notablement plus importants à partir de ce moment, souligne ainsi Emmanuel Garnier. Le "nombre de personnes affectées" est essentiellement issu des données des assurances. Or ce domaine entre de plain-pied dans la vie quotidienne au tournant des années 1970. On surdimensionne sûrement le phénomène". En bref : parce que nous sommes à la fois plus riches et plus informés, nous sommes plus sensibles que jamais aux colères de la Terre. Mais que la planète soit d'une humeur plus menaçante, voilà qui n'est pas prouvé.

F.L. - SCIENCE & VIE Hors Série > Mars > 2011
 

   
 C.S. - Maréva Inc. © 2000 
 charlyjo@laposte.net