La France vient de connaître l'hiver le plus doux depuis 1950 ! Et les suivants risquent de l'être tout autant. Car avec le réchauffement global, les siasons sont désormais profondément perturbées. Et pas seulement côté températures... Une nouvelle donne saisonnière à laquelle faune et flore, mais aussi l'homme, vont devoir s'adapter.
Hivers sans gel, printemps précoces, étés longs et caniculaires... Chiffres à l'appui, des études le confirment : sous l'effet du réchauffement global, les saisons connaissent un véritable dérèglement. Et ce ne serait qu'un début... En France, et plus généralement dans toute l'Europe, c'est une période caniculaire qui, dès fin juin/début juillet 2006, a ouvert le bal, suivie d'un mois d'août "pourri", puis d'un automne d'une tiédeur exceptionnelle et, enfin, d'un hiver incroyablement doux et très peu enneigé. Simple caprice climatique lié au hasard ? Sachant que sous nos latitudes, les climats peuvent varier beaucoup : les étés canicillaires de 1976 et 2003, aussi exceptionnels furent-ils, n'eurent rien d'anormal. Ou bien réel dérèglement des saisons, derrière lequel se cacherait un fautif tout désigné : le réchauffement climatique, dont le dernier rapport du Giec à confirmé la réalité ? Eh bien, un nombre croissant d'études apporte d'ores et déjà des réponses : oui, le profil des saisons est en train de changer. Et oui, cette mutation est liée au réchaufrement. Encore faut-il s'accorder sur ce qu'est une saison. Car si chacun en a l'intuition au gré du temps qu'il fait, les choses sont plus compliquées sur le plan scientifique. Parce que les saisons ne sont pas du tout les mêmes selon que l'on est astronome, météorologue ou biologiste.
Prenons l'astronome. Pour lui, les saisons sont calées sur le mouvement des astres et c'est l'exposition aux rayons plus ou moins directs du Soleil qui les régit. De là le solstice dit d'été, par exemple, qui correspond au jour le plus long (le 21 ou 22 juin), c'est-à-dire au moment où notre hémisphère reçoit le maximum d'intensité solaire. Or, la lumière reçue du Soleil et l'inclinaison de la Terre étant quasi constantes, les saisons sont astronomiquement immuables et, réchauffement climatique ou pas, elles ne risquent pas de changer. HIVERS PLUVIEUX, ÉTÉS FÉROCES Et justement, ces statistiques sont sans appel. "Entre 1950 et 2000, en France, les étés sont devenus de plus en plus chauds, alors qu'il y avait de moins en moins de jours de gel en hiver, résumait déjà dans un rapport de 2003, Jean- Marc Moisselin, chercheur à la Direction de la climatologie de Météo France (Toulouse). LA VÉGÉTATION PARLE ELLE AUSSI Si les météorologues n'ont pas encore tranché le sort des intersaisons, les biologistes, eux, peuvent déjà l'affirmer : le printemps est - et sera - de plus en plus précoce, tandis que l'automne sera de plus en plus tardif. C'est que les agriculteurs, puis les botanistes, sont les véritables "inventeurs" des quatre saisons, qu'ils "lisent" dans la végétation à feuillage caduc si typique de nos climats, et dans un certain nombre de caractères objectifs qu'étudie une discipline appelée "phénologie". Ainsi le printemps correspond-il à la période qui va du débourrement (ouverture des bourgeons) à la floraison. Quant à l'automne, c'est l'arrêt de la photosynthèse, la fin de la maturation des fruits et l'arrêt de circulation de la sève déterminant le jaunissement et la chute des feuilles. Or, ces caractères étudiés et consignés depuis des siècles livrent aujourd'hui un constat sans appel. De fait, Annette Menzel, de l'université technique de Munich (Allemagne), a publié l'été dernier les conclusions d'une synthèse rassemblant une quantité impressionnante de données : pas moins de 125.000 observations portant sur 342 plantes et 19 animaux répartis sur 21 pays d'Europe et couvrant la période 1971-2000. Le résultat est spectaculaire : "Dans 78 % des cas, les événements associés au printemps et à l'été, comme la feuillaison, la floraison ou la fructification, surviennent de plus en plus tôt dans l'année, révèle la chercheuse. En moyenne, on constate une avancée en Europe de l'ordre de deux jours et demi par décennie depuis 30 ans. Soit plus d'une semaine sur cette période ! A contrario, un retard du printemps n'est observé que dans 3 % des cas". Parallèlement à cette avancée généralisée du printemps, les observations plaident aussi, dans la moitié des cas, pour un retard de l'automne, conduisant à l'allongement de la période de croissance. LE CYCLE NATUREL SE DÉRÈGLE La cause ? Tout simplement la hausse des températures : "Il y a une corrélation significative entre la date de l'événement et la température moyenne du mois précédent cet événement. Pour la première fois, nous démontrons que la phénologie reflète quantitativement le réchauffement : au sein de l'Europe, les pays qui se sont le plus réchauffés (Allemagne, Belgique, Espagne...) présentent ainsi une avancée du printemps plus marquée que les autres", poursuit Annette Menzel. La cause est donc entendue : le réchauffement global est bien en train de modifier la nature et la durée des saisons. On pounait s'en réjouir : qui regrettera les -30°C enregistrés en France en février 1956, ou l'hiver sans fin de 1962-1963 ? Sauf que le froid, malgré ses méfaits, fait partie du cycle naturel de nos latitudes : en décalant l'horloge des saisons et en modifiant leur profil, c'est donc l'horloge du vivant que bouleverse le réchauffement. Sans que personne ne sache quand les pendules se remettront à l'heure.
Avec le dérèglement des saisons, c'est toute la chaîne duun vivant qui est bouleversée. Au risque de la disparition d'espèces, tant la faune et la flore peinent à s'adapter. "Le chêne, la chenille et la mésange". Tel pourrait être le titre de la fable que les biologistes se racontent aujourd'hui. Et dont la morale serait : à saisons déréglées, faune et flore déboussolées. L'histoire ? Elle est très simple. Au départ, lien unit étroitement l'apparition des feuilles du chêne, l'éclosion de la chenille de la phalène brumeuse et la naissance de l'oisillon de la mésange charbonnière. Tous ces phénomènes se produisent donc dans une même fenêtre temporelle - en l'occurrence le début du printemps. Une synchronie des comportements qui, au final, assure à chacun les moyens de sa survie. LA PERTE DE LA SYNCHRONICITÉ Par quel prodige ? Parce qu'une "horloge interne" relie les organismes au temps qu'il fait. Horloge dont les biologistes savent qu'elle dépend d'indices environnementaux qui, en agissant comme des signaux sur l'organisme, lui permettent de se repérer dans le temps sur l'année. À commencer par la lumière du jour, perçue comme un marqueur temporel majeur. Et pour cause, c'est un signal particulièrement stable puisque, pour des raisons astronomiques, la durée du jour évolue de manière invariable d'une année sur l'autre. Résultat : "Si cette durée croît ou décroît, les organismes en déduisent la période de l'année où ils se situent et la saison vers laquelle ils se dirigent, détaille Florent Revel, neurobiologiste à l'université de Strasbourg. Cela leur permet d'anticiper les conditions environnementales à venir". Concrètement, ce sont des photorécepteurs nichés dans la rétine qui, chez les mammifères, enregistrent les variations de la durée du jour et règlent directement la production de mélatonine, hormone dont la synthèse n'a lieu que la nuit et dont la production dépend de la durée de celle-ci. Jour après jour, l'organisme décode les changements de durée de sécrétion et ajuste la réponse des différents systèmes physiologiques. UN EFFET DIRECT... OU INDIRECT Quels facteurs ? Il s'agit essentiellement de la température ambiante. Car elle n'affecte pas de la même manière tous les organismes. Chez les végétaux ou les insectes, elle a un effet direct sur le metabolisme, alors que les oiseaux et les mammifères, eux, régulent leur - temperature corporelle selon les conditions extérieures. Et cela change tout, une fois ce facteur corrélé au mécanisme de photopériode. "Chez les végétaux, la durée du jour agit comme un feu rouge qui passe au vert, résume Pierre Bricage, chronobiologiste à l'université de Pau. Mais ensuite, la température agit comme un accélérateur sur le déroulement des processus. Ainsi, les plantes qui fleurissent au printemps, quand le jour est plus long, peuvent fleurir précocement si la température s'élêve plus tôt". De même, les insectes sortent de leur léthargie hivernale plus tôt si le printemps est plus chaud, et se développent aussi plus rapidement. En revanche, pour les oiseaux ou les mammifères, l'effet direct de la température ambiante apparaît minime - et devient même indirect lorsqu'il agit sur l'abondance de nourriture. Lorsque l'hiver est doux, les mammifères qui, normalement, hibernent à cette époque peuvent s'attarder dehors car la nourriture ne manque pas... Ce qui explique le décalage entre le bourgeonnement du chêne, l'éclosion de la chenille et l'arrivée de la mésange. DIFFICILE DE PRÉDIRE L'AVENIR Ce qui est sûr, c'est que le changement des saisons va bouleverser les équilibres naturels. "Les écosystèmes vont changer en termes de fonctionnement et de biodiversité, estime Manuel Massot, écologiste à l'université Paris VI. Les espèces n'ayant pas toutes la même capacité à s'adapter ou à se disperser, il faut s'attendre à des déséquilibres dans leurs relations. Nous sommes probablement partis pour une très longue période de régime instable. Mais vue la complexité des écosystèmes, il est difficile de prédire l'avenir. Même s'il est à craindre que de nombreuses espèces disparaissent". Une crainte que Pierre Bricage relativise : "Il y a eu plusieurs extinctions massives au cours des temps géologiques. Et pour l'une, près de 98 % des espèces ont même disparu. Mais à chaque fois, le nombre d'espèces apparues ensuite était supérieur au nombre des disparues !" Ce qui ne fait pas l'affaire de la mésange et de la chenille. Car pour elles, il est urgent de resynchroniser leurs rythmes... ou de changer de partenaires.
Avec des hivers plus doux et des étés torrides, c'est aussi la mort qui va changer de saison : à l'avenir, le risque de tomber malade va quitter le froid et s'inviter au soleil. Ce qui ne signifie pas qu'on mourra plus. Fortement saisonnier, le paysage sanitaire français l'est évidemment. L'expression populaire "Il ne passera pas l'hiver" n'est pas née de rien : depuis la nuit des temps, le pic de mortalité en France est nettement hivernal. La raison en est assez simple : lorsqu'il fait froid (aux alentours du zéro), divers phénomènes physiologiques - élévation de la viscosité du sang, dépense supérieure d'énergie, contraction des vaisseaux sanguins, formation de bouchons graisseux... - se combinent pour fatiguer l'organisme et imposer un effort supplémentaire à la pompe cardiaque. Ce qui fait de l'hiver la saison des maladies cardiovasculaires : à elle seule, la thrombose coronaire (formation d'un bouchon de l'artère coronaire, cause de l'infarctus) est responsable pour moitié de la surmortalité hivernale, selon un rapport rédigé en 2005 par l'Institut national de veille sanitaire. Circonstances aggravantes, encore pas totalement élucidées : le froid, en refroidissant la surface des muqueuses exposées, inhiberait les résistances immunitaires, tandis que la concentration de population dans des lieux chauffés et mal ventilés favorise l'exposition aux microbes. Ce qui expliquerait pourquoi rhume et grippe frappent de préférence en période de froid. PAS D'HÉCATOMBE À PRÉVOIR Phénomène aggravé encore par le fait que les personnes âgées perdent la sensation de soif et se déshydratent facilement. Un scénario d'autant plus inquiétant qu'en 2050, il y aura 4,5 millions de Français âgés de 85 ans et plus, contre 1,2 million lors de la canicule de 2003. Mais attention, pas d'hécatombe à prévoir : on ne mourra pas plus, mais on le fera plutôt en été qu'en hiver.
|