Les récits de marins regorgent de vagues monstrueuses, surgies d'on ne sait où, parfois dans une mer calme.

Les scientifiques ne s'attardaient pas là-dessus jusqu'à ce que le 1er Janvier 1995, les instruments de mesure d'une plateforme pétrolière en mer du Nord n'enregistrent une vague de 20 m de haut. Depuis, des centaines de vagues scélérates - deux fois plus hautes que les plus hautes vagues autour - ont été recensées.
Elles causeraient des dizaines de morts chaque année. Les physiciens ont tenté de comprendre leur formation. Ils ont réussi à les faire apparaître dans les équations modélisant la propagation des ondes. Quand un train de vagues se propage, les vagues de tête ralentissent peu à peu : elles sont "dispersives". Du coup, les suivantes, plus rapides, les rattrapent. Un peu comme si, sur une route chargée, une voiture freinait. Derrière, c'est le carambolage. En mer, des vagues s'empilent et créent une vague géante, qui tire son énergie de ses voisines. Mais ces simulations ne prévoient, pour un endroit donné, qu'une vague scélérate tous les 10.000 ans - bien en deçà des observations ! Car les modèles théoriques sont trop simples. Dans la réalité, chaque vague est différente. Le vent qui les fait naître et les pousse varie, les courants les modifient, les reliefs des fonds marins les contrarie. Leur propagation est un système très instable, qui ne peut être décrit que par des équations complexes, dites non linéaires.
Dans certaines conditions, ces équations font apparaître des ondes exceptionnelles : des "solitons de Peregrine". En 2010, des chercheurs français ont observé ces "solitons" dans la réalité. Pas en mer, mais dans des fibres optiques ou circulaient des ondes lumineuses, dont le comportement s'apparente à celui des vagues. Ils ont produit des solitons en faisant circuler des ondes lumineuses de vitesses variées.
Les vagues scélérates seraient-elles des solitons de Peregrine elles aussi ? Pour le vérifier, il faudrait pouvoir en observer une grande quantité en milieu naturel. Hélas, elles sont trop rares et trop imprévisibles pour cela.