Younger Dryas - Variabilité Climatique dans le Pacifique Tropical
La Preuve par le Corail (-12.850 à -11.650 ans, Durée = 1200 Ans)

Dans un article paru dans Nature, des spécialistes de l'IRD révèlent que l'épisode de refroidissement connu dans l'hémisphère Nord sous le nom de Younger Dryas (12.000 ans avant notre ère) a été marqué dans le Pacifique par l'absence de la Zone de convergence Sud Pacifique et le rapprochement des eaux tropicales de l'équateur.

Ce constat montre les liens existant entre basses et hautes latitudes et fournit des contraintes pour l'établissement de modèles climatiques océan-atmosphère. Grâce aux analyses géochimiques (rapport strontium/calcium et isotopes de l'oxygène) réalisées sur une carotte d'un corail de Vanuatu appartenant à l'espèce Diploastrea heliopora, l'évolution des températures et des salinités de surface de la mer ainsi que le régime des précipitations sur cette période ont pu être reconstitués.

La période du Younger Dryas, il y a environ 12.000 ans, a été marquée par un refroidissement climatique majeur avec une baisse de température de 2 à 10°C dans l'hémisphère nord, tandis qu'un réchauffement était observé dans l'antarctique est. Jusqu'à présent, trop peu de données étaient disponibles ou concluantes pour permettre aux paléoclimatologues de retracer cet événement climatique dans les latitudes tempérées du sud et les tropiques. Des chercheurs de l'IRD ont prélevé au cours d'un forage sur l'île d'Espiritu Santo, au Vanuatu, une carotte de 2 m dans un corail fossile géant de l'espèce Diploastrea heliopora, encore préservé en condition de croissance. L'âge de ce spécimen a été évalué entre 12.449 et 11.719 ans calendaires, ce qui signifie qu'il couvre pratiquement toute la période du Younger Dryas. Grâce à ce fossile unique, la signature tropicale de ce refroidissement climatique majeur a pu être précisément mise en évidence.

Avec les coraux, dont le squelette minéral croît régulièrement à raison de plusieurs millimètres par an durant des siècles, les chercheurs disposent d'un témoin des conditions environnementales les plus anciennes. En particulier, leurs teneurs en éléments chimiques comme le strontium ou en isotopes de l'oxygène dépend de la température de l'eau de mer au moment de leur vie. Les coraux du genre Porites qui grossissent d'environ un centimètre par an sont les plus usités comme paléothermomètres, mais les Diploastrea utilisés dans cette étude présentent l'avantage de croître plus lentement. De plus, il n'existe qu'une seule espèce de ce marqueur, Diploastrea heliopora, ce qui élimine les variations inter-spécifiques, sources d'incertitudes.

Les chercheurs de l'IRD, associés à des collègues australiens et américains (1), ont d'abord comparé les données de températures de surface de l'océan, issues des analyses du taux de Sr/Ca chez les Diploastrea et les Poritesmodernes issus respectivement de Nouvelle-Calédonie et d'Indonésie. La similitude des résultats a permis aux spécialistes de valider d'une part l'utilisation des Diploastrea comme paléothermomètre et, d'autre part, de calibrer les données obtenues par ce corail dans les temps modernes, avant de l'utiliser comme marqueur paléoclimatique sur des formes fossiles de Vanuatu.

Les courbes de température reconstituées à partir du Diploastrea fossile montrent que durant la période du Younger Dryas, la température des eaux océaniques de surface au Vanuatu était en moyenne inférieure d'environ 4,5°C comparée à nos jours (2). Par ailleurs, les données indiquent des variations interdécennales importantes. Les périodes au cours desquelles les températures des eaux océaniques de surface étaient relativement chaudes coincident avec des amplitudes annuelles d'environ 3°C, similaires à celles actuellement observées au Vanuatu. En revanche, les périodes relativement froides étaient marquées par des amplitudes annuelles plus fortes, d'environ 5 à 6°C, comme celles observées de nos jours en Nouvelle-Calédonie, 7 à 10° de latitude plus au sud que le Vanuatu. Ces données indiquent une remontée de la thermocline (3) et suggèrent que le refroidissement du Younger Dryas résulte du resserrement des eaux tropicales du Pacifique sud vers l'équateur.

De plus, l'analyse couplée des rapports Sr/Ca et d'isotopes 180 de l'oxygène aux échelles de temps bi-annuelle et mensuelle a fourni des informations sur les échanges océan-atmosphère au cours de cette période, et notamment sur le rapport évaporation/précipitation.
En effet, la teneur en 18O contenu dans les coraux dépend de la température et de la salinité des eaux de surface. Elle affiche des variations saisonnières liées aux précipitations, appauvries en 180 par rapport à l'eau de mer. De nos jours au Vanuatu, la concentration en 180 et la salinité des eaux de surface diminuent lorsque la température augmente, en raison de l'activité intense, pendant l'été austral, de la zone de convergence des Alizés du Pacifique sud (ZCPS) qui amène de fortes pluies. À l'inverse, dans la région subtropicale du Pacifique sud-ouest, qui n'est pas affectée par les précipitations venant de la ZCPS, la température et la salinité des eaux océaniques de surface sont positivement corrélées. C'est pourquoi dans les environnements océaniques subtropicaux où l'évaporation dépasse largement la précipitation, la salinité et la concentration en 180 augmentent avec la température des eaux de surface. Cette situation est similaire à celle observée au Vanuatu pendant la période du Younger Dryas, mais opposée à celle qui y existe aujourd'hui. Les données tirées du Diploastrea suggèrent donc fortement que la zone de convergence du Pacifique sud n'existait pas durant la période du Younger Dryas. Ce scénario climatique ressemble au phénomène observé de nos jours lors d'un événement El Nino, au cours duquel la masse d'eau chaude du Pacifique ouest se contracte vers l'équateur, la ZCPS se déplaçant alors vers le nord pour fusionner avec la zone de convergence intertropicale. Ces résultats devraient aussi permettrent en particulier d'améliorer les modèles utilisés en climatologie et de mieux comprendre les échanges océan-atmosphère et les processus influençant l'activité des zones de convergences.

Rédaction : DIC - Mina Vilayleck, Marie Guillaume (coordinatrice)
Notes : (1) UR055 Paléotropique de l'IRD, Research School of Earth Sciences, Australian National University, Canberra, Australie et NSF Arizona AMS Facility, Université d'Arizona, Tucson, USA
(2) Cet écart est similaire à celui observé dans des études antérieures à partir de carottes de Porites du Vanuatu, mais supérieur au refroidissement calculé pour les zones du Pacifique tropical plus proches de l'équateur.
(3) thermocline : zone de fort gradient de température au sein de la couche d'eau océanique qui marque le passage entre les eaux chaudes de surface et les eaux profondes plus froides.

Courriel : lissalde@paris.ird.fr ou cavanna@paris.ird.fr

Documentaire - YOUNGER DRYAS > France 5 > 2006
 

   
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