Les Dinosaures Perdent du Poids

Les Dinosaures Perdent du Poids

Les dinosaures étaient-ils aussi “lourdauds” qu'on les représente ? Une étude menée par des biologistes britanniques montre en tout cas que les brachiosaures, placides colosses de la fin du Jurassique, auraient été entre 2 et 4 fois moins lourds qu'on ne le pensait.

William Sellers (université de Manchester) et ses collègues ont eu recours à une nouvelle méthode : la reconstitution en 3D d'un organisme en scannant son squelette grâce à un laser. À partir de là, ils ont estimé la quantité de chair correspondante, et calculé sa masse totale en se basant sur la densité du cheval (893,3 kg/m³), l'animal le plus gros dont on connaisse précisémenl la densité. Après avoir validé la technique sur des squelettes d'ours polaire, de girafe ou d'éléphant, ils l'ont transposée au cas du brachiosaure conservé au Muséum de Berlin (Giraffatitan Brancai, ->). Résultat : il pesait “seulement” 23,2 tonnes, contre 80 pour les estimations les plus élevées. Emilie Lang, paléontologue au Muséum de Genève, estime que cette technique de modélisation est prometteuse, mais qu'elle doit être sur des reptiles contemporains, plus proches des dinosaures. En attendant, William Sellers l'applique à d'autres dinosaures, avec plus ou moins de succès selon l'état de conservation des squelettes. Jusqu'à présent, la tendance se confirme : ces colosses étaient plus légers, plus agiles et plus dynamiques qu'estimé.

B.R. - SCIENCE & VIE > Octobre > 2012

Dinosaures : Ils n'étaient sans doute Pas si Gros

À partir du grand boom des découvertes de squelettes de dinosaures au XIXè siècle, les paléontologues ont mis au point des techniques pour calculer leur masse et reconstituer leur morphologie. Un exercice de haute voltige, d'autant que la faune actuelle ne permet aucune comparaison avec ces géants du passé. Des études menées par des spécialistes en mécanique et en physiologie leur viennent aujourd'hui en renfort...

Avec 220 tonnes sur la balance, soit le poids de quarante éléphants d'Afrique, on se demande vraiment comment Bruhathkayosaurus (->), géant parmi les dinosaures géants, faisait pour se déplacer, pour assurer ses immenses besoins quotidiens en nourriture et même pour tenir debout et supporter sa propre masse. La réponse est simple : selon toute vraisemblance, il était beaucoup moins gros... à moins qu'il n'ait même pas existé ! Les estimations les plus spectaculaires, en particulier celles que l'on trouve à la pelle sur Internet et dans certains ouvrages spécialisés, ont en effet un point commun: elles sont toutes plus ou moins surévaluées. De fait, après plus d'un siècle de course au gigantisme, de récents travaux impliquant diverses méthodes montrent que les proportions d'un grand nombre d'espèces disparues doivent être revues, souvent à la baisse.

taillesUNE LOGIQUE DE SURENCHÈRE

C'est qu'il faut distinguer taille et masse. Certes, les squelettes complets dont disposent les scientifiques depuis le XIXè siècle, grande époque des découvertes spectaculaires, apportent la preuve irréfutable que certains dinosaures mesuraient plusieurs dizaines de mètres de long. En revanche, calculer la masse de ces gigantesques animaux n'est pas si évident. Qu'on en juge : pour Brachiosaurus (->), les estimations varient, selon les chercheurs, entre 30 tonnes et près de 90 tonnes. Soit une fourchette grosse comme un troupeau d'éléphants !
diploEt que dire du diplodocus ? Alors qu'il s'agit de l'un des géants les mieux connus, le poids de Diplodocus carnegiei (<-) varie cette fois plus que du simple au triple : de 5 à 19 tonnes.
Pourquoi ces différences ? Autant le dire tout de suite, certains paléontologues sont depuis toujours enclins à la surenchère, notamment chez les amateurs... mais pas seulement. "Souvent, les scientifiques qui découvrent une espèce ont tendance à exagérer ses dimensions, ce qui ne déplaît pas aux médias. De ce fait, les premières estimations sont fréquemment un peu surestimées, note le paléontologue français Eric Buffetaut. C'est donc souvent à la baisse qu'ont lieu les révisions..." Mais ce sensationnalisme ne fait pas tout. La raison principale des écarts gigantesques constatés entre les estimations tient surtout à l'imperfection des méthodes d'estimation.
Il faut dire que la reconstruction d'un animal à partir de son seul squelette laisse une place à l'interprétation. L'une des méthodes utilisées consiste à fabriquer une maquette ou à faire une reconstitution virtuelle par ordinateur de l'animal, dont on détermine ensuite le volume. Or, l'évaluation de l'épaisseur des muscles et des chairs, qui se fait par comparaison avec des animaux connus alors qu'elle peut même varier d'un individu à l'alltre, est forcément discutable. "Ainsi les estimations de poids du tyrannosaure varient entre 4,5 et plus de 7 t. Celles qui aboutissent aux chiffres les plus élevés correspondent à des reconstitutions où ils sont vraiment très massifs, presque obèses", souligne Eric Buffetaut.
Autre écueil : une fois le volume déterminé, l'évaluation de la masse se fait par analogie avec la densité moyenne du corps des vertébrés. Or, celle-ci, considérée comme proche de celle de l'eau (le composant majoritaire des vertébrés - constituant par exemple 65 % de l'homme), pourrait avoir été jusqu'ici surestimée pour les dinosaures, puisqu'une bonne partie de leur corps était en réalité constituée... d'air ! "Comme les oiseaux, les dinosaures avaient des sacs aériens : des poches remplies d'air liées au système respiratoire. Outre les poumons, ces structures occupaient vraisemblablement une partie du thorax et de l'abdomen et comprenaient des diverticules logés dans les os, comme en témoignent les vertèbres des sauropodes, qui ne sont pas pleines", explique le paléontologue Ronan Allain. Or, le volume de ces sacs aériens fait débat. Mais pour Marcus Clauss, de l'université de Zurich, cette "pneumatisation des os" plaide en tout cas pour "une certaine 'réduction' des estimations de masse". Robert McNeill Alexander, de l'université de Leeds, au Royaume-Uni, a pour sa part estimé récemment que les hypothèses erronées sur les sacs aériens pourraient être responsables d'erreurs de plus de 10 % dans l'estimation de la masse des dinosaures. Déjà compliquée quand les squelettes sont complets, la spéculation devient de la haute voltige quand les restes sont parcellaires. La plupart des espèces fossiles sont en effet décrites à partir d'une poignée de vertèbres, d'une dent, de fragments de crâne...
C'est non seulement la masse, mais aussi la taille qui est alors incertaine... La technique utilisée dans ces conditions par les paléontologues s'appelle l'allométrie. Elle consiste à établir, chez des animaux actuels aussi proches que possible de l'espèce étudiée, une corrélation entre une mesure (la longueur ou la largeur du crâne, ou encore la taille des dents...) et le poids. Cette méthode ne fournit pas plus que les précédentes une estimation au kilogramme près, loin de là. "Toutes ces techniques ont une marge d'erreur de 25 % au moins, ou plus vraisemblablement de près de 50 %", tranche le spécialiste John Hutchinson, de l'université de Londres.

DES VARIATIONS INTERESPÈCES

Dans bien des cas, la première limite tient à la description d'une espèce à partir d'un individu souvent unique et pour lequel est donnée une estimation de taille moyenne. Or, les variations interespèces sont parfois spectaculaires. Sachant que les os plus gros et plus lourds se dispersent moins et se conservent mieux, il y a là un biais possible à ne pas négliger... Deuxième écueil, dans le cas de l'allométrie : toute particularité anatomique qui "fausse" les proportions de l'espèce trouvée par rapport à ses proches cousins constitue un facteur d'incertitude, comme l'ont encore récemment constaté à leurs dépens Andrés Rinderknecht et Ernesto Blanco.
En janvier 2008, ces spécialistes uruguayens des mammifères disparus, décrivent en effet le fossile gigantesque d'un rongeur sud-américain éteint et jusqu'alors inconnu, qu'ils baptisent Josephoartigasia monesi. Les chercheurs n'ont que son crâne, mais celui-ci ne leur laisse aucun doute : long de plus de 50 cm, il est plus grand que celui de toutes les autres espèces de rongeurs connues, vivantes ou fossiles. Et évoque donc un très gros animal. Oui, mais gros comment, au juste ? Enorme, répondent les chercheurs : entre 716 et 2250 kg. Sauf que ce résultat va être contesté en mai par une scientifique de l'université McGill au Canada, Virginie Millien. Ses propres évaluations ? Entre 272 et 1535 kg. Autrement dit, la valeur haute des Uruguayens est 8,3 fois plus grande que la plus basse estimation de la Canadienne ! Pourquoi un tel écart ? Il provient non seulement du détail des calculs et du fait que Virginie Millien a utilisé un plus large spectre d'espèces de rongeurs à titre de comparaison, mais aussi d'une particularité anatomique de Josephoartigasia : un crâne très long par rapport à la taille de ses dents. Cela étant, les trois chercheurs tombent au moins d'accord sur un point : aucun rongeur actuel ne pesant plus de 40 kg, l'extrapolation s'avère de toute façon plus qu'hasardeuse.
Dans ces conditions, on imagine toute la difficulté qu'il y a à évaluer la masse des dinosaures géants alors qu'il n'en reste plus aucun exemple proche dans les faunes actuelles. Ici, les chercheurs n'ont d'autre choix que de se rabattre sur un échantillon aussi large que possible de quadrupèdes, voire les... estimations de dinosaures les mieux connus. Mais avec, au final, des résultats aussi spectaculaires que discutables.

amphiDES INDICES UN PEU MINCES
En bonne logique, plus les restes d'une espèce sont parcellaires, plus les estimations varient... laissant placeaux interprétations les plus grandioses
. Ainsi, les dinosaures pour lesquels les évaluations de taille et de poids les plus imposantes ont été avancées sont souvent ceux dont on ne connaît aucun squelette complet. L'exemple le plus emblématique est sans doute celui d'Amphicolias fragillimus (->).De cet imposant dinosaure découvert dans le Colorado à la fin du XIXè siècle, il ne reste... rien, sinon la description par le paléontologue américain Edward Drinker Cope d'un fragment de vertèbre aujourd'hui perdu. Une description que la plupart des scientifiques, en l'absence de fossiles, préfèrent ignorer, mais à partir de laquelle Kenneth Carpenter, du muséum de Denver, croit pouvoir estimer la taille du monstre : 58 m (avec une queue de 32 m) et son poids : plus de 120 tonnes. À condition, précise le chercheur, que l'animal soit un simple "agrandissement" du diplodocus (dont l'estimation de masse varie du simple au triple). Autant dire qu'en réalité, déterminer la taille de ce "fantôme", s'il a seulement existé, est mission impossible. Bruhathkayosaurus lui-même, le "champion" des poids lourds, avec des estimations flirtant les 220 tonnes, souffre du même syndrome : ses restes parcellaires ne sont connus qu'à travers une unique description, aux conclusions discutées. Il se pourrait en effet que les os décrits aient finalement été... des troncs d'arbres fossilisés. À partir de ce dessin de vertèbre, comment raisonnablement estimer la masse d'un animal ? Cela a pourtant été fait...

LES VRAIS GÉANTS SONT MARINS

Face aux difficultés d'interprétation des fossiles, certains paléontologues s'essayent à chercher des approches indirectes. Par exemple, en s'intéressant aux facteurs susceptibles de poser des limites à la taille d'un animal, comme la quantité de nourriture dont il a besoin. "Quand on songe à ce que Josephoartigasia devait manger, cela fait rêver, glisse ainsi Gilles Escarguel, qui se consacre notamment à l'étude de l'évolution de la taille des mammifères. Un éléphant mange de 50 à 60 kg d'herbe par jour et se nourrir lui prend 12 heures ! Or, le métabolisme des éléphants est nettement plus économe que celui des rongeurs, qui grandissent vite et dépensent énormément d'énergie pour se reproduire. Avec un tel niveau de dépenses énergétiques, on voit mal comment ils auraient pu atteindre des masses de plus de quelques centaines de kilos".
Evidemment, la question de l'équilibre métabolique se pose aussi pour les plus grands des dinosaures. Comment se nourrissaient-ils ? Quelle influence sur leur poids ? D'après Martin Sander de l'université de Bonn et Marcus Clauss, c'est l'absence d'appareil masticatoire - la digestion ayant intégralement lieu dans l'estomac, de grande taille - qui a permis aux sauropodes de conserver des têtes relativement petites, une condition pour pouvoir développer un cou de plusieurs mètres. Au contraire, "pour les groupes d'animaux dans le lignage taxonomique desquels on trouve la mastication (comme les mammifères), la taille du corps des espèces ne dépassera pas un certain niveau", affirme Marcus Clauss.
Complémentaire des travaux sur le métabolisme, la biomécanique donne des indications intéressantes : "Certains modes de vie posent des limites au poids du corps. Si vous savez qu'un animal est un bon coureur - et on peut le savoir grâce aux empreintes - et que vous connaissez la force des os des jambes, vous pouvez estimer la masse corporelle maximale évitant une cassure des os des jambes lorsqu'il court à une certaine vitesse", explique Ernesto Blanco.
Toutefois, les chercheurs qui adoptent ce genre d'approche tiennent à rester prudents : au lieu de fixer une limite théorique au gigantisme - qui risquerait fort d'être invalidée par de nouvelles découvertes -, les scientifiques cherchent avant tout à comprendre quelles adaptations ont permis aux animaux les plus imposants de survivre. "Jusqu'à l'orée des années 1960, on imaginait que les dinosaures, trop lourds, étaient incapables de marcher et ne pouvaient vivre qu'immergés", rappelle le paléantologue Jean-Michel Mazin. Une théorie battue en brèche aujourd'hui. "Au lieu de se dire 'il n'est pas possible que ces animaux aient vécu sur terre', on cherche désarmais à expliquer comment ils vivaient".
Pour approcher la morphologie des espèces disparues, Jean-Michel Mazin a lui-même recours à une approche prometteuse : l'étude des empreintes, nettement plus nombreuses que les fossiles. Explication du chercheur : "Lorsqu'on a une piste, on peut calculer la distance entre l'articulation de l'épaule et celle de la hanche de l'animal, ce qui donne des informations sur la longueur du corps (sans queue ni cou)." Plus récemment, le scientifique a par ailleurs entrepris d'exploiter une information plus directe : la profondeur des traces de pas. À l'aide de reconstitutions en trois dimensions de champs d'empreintes obtenus par imagerie, le chercheur essaye d'évaluer le volume de matériau déplacé, lequel donne une information sur la pression exercée sur le sol. Couplées à l'évaluation de la plasticité du sol, ces données pourraient renseigner sur la masse du marcheur. "Nous venons de commencer des travaux en ce sens : nous avons fait marcher des crocodiles sur des sols de plasticité variée pour établir des équations reliant la profondeur des empreintes à la pression exercée". Une piste à suivre, même si elle reste limitée aux animaux terrestres... Dommage, car les vrais géants peuplent plutôt les mers : jusqu'à preuve du contraire, c'est à la baleine bleue (25 m et 110 t en moyenne) que revient le titre incontestable de plus gros animal de tous les temps.

Muriel de Véricourt - SCIENCE & VIE > Février > 2009
 

   
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