Ils nous Racontent 50.000 ans d'Histoire (Pléistocène -2,5 Ma à -12.000 Ans)

Vieux Lionceau des Cavernes (Panthera spelaea)

SCIENCE & VIE DÉCOUVERTES N°275 > Novembre > 2021

Le Bestiaire du Permafrost (Ours des Cavernes : Ursus spelaus)

E.P. - HISTORIA N°887 > Novembre > 2020

La Licorne de Sibérie

T.C.-F. - SCIENCE & VIE QUESTIONS N°38 > Septembre-Novembre > 2020

La Licorne de Sibérie

T.C.-F. - SCIENCE & VIE N°1218 > Mars > 2019

Un Nouveau Lionceau sort des Glaces de Sibérie

R.M. - SCIENCES ET AVENIR N°850 > Décembre > 2017

Le Fabuleux Bestiaire sorti des Glaces

Peau, poils, sabots, entrailles : tout est là ! Incroyablement préservé par le froid. Cheval, bison, rhinocéros... leurs fossiles ressurgissent des profondeurs du pergélisol sibérien. L'analyse de ces frogiles témoins de 50.000 ans d'évolution va permettre de réécrire plus précisément l'histoire de la faune de notre continent. Un formidable voyage dans le temps...

Les terres gelées de Sibérie, au plus profond de la lointaine Yakoutie, conservent des trésors que les scientifiques placent au-dessus de ceux des Romanov : les corps congelés des animaux qui vivaient il y a des milliers d'années dans cet immense territoire, grand comme 10 fois la France, préservés par le froid dans le sol gelé (pergélisol). "C'est un véritable voyage dans le temps et l'espace qu'ils nous offrent, raconte Bernard Buigues, responsable du programme qu'il a créé il y a 15 ans et qui regroupe et protège les précieuses dépouilles. Nous montons de 5.000 à 50.000 ans d'histoire à travers les couches de pergérisol accessibles. Peut-être accéderons-nous bientôt à des couches encore plus profondes, et donc à des périodes plus anciennes encore, allant jusqu 150.000 ans"...
Aujourd'hui, dans l'impressionnant conservatoire creusé à 30 m de profondeur dans le sol glacé du village de Khatanga, où la température ne monte jamais au-dessus de -13°C, ce sont quelque 2.200 pièces qui ont été référencées et décrites, du fragment d'os aux emblématiques mammouths presque entiers, bébés ou adultes, sans compter les bisons, boufs musqués, chevaux, élans, rennes, rhinocéros laineux et petits mammifères, mais aussi les très nombreux végétaux. Des équipes scientifiques du monde entier (généticiens, paléobotanistes, microbiologistes, etc.) suivent donc avec intérêt la moindre des découvertes annoncées, et des échantillons visitent les laboratoires les plus prestigieux pour qu'en soit tiré un maximum d'informations. Faune et flore commencent ainsi peu à peu à raconter aux chercheurs le monde qui était le leur, son évolution au fil des millénaires, et comment elles s'y sont adaptées...
Comment a-t-on mis au jour ce patrimoine scientifique unique et fascinant ? Le plus souvent par hasard : sur ce territoire gigantesque, près de 99 % des découvertes sont le fait des chasseurs et pêcheurs locaux, dont l'oil entrainé repère rapidement la moindre perturbation dans ce vaste paysage de taïga qu'ils connaissent parfaitement. Malheureusement, la majorité des corps relâchés par le pergélisol reste ignorée de tous, quand d'autres sont conservés par leurs inventeurs comme souvenirs, ou bien vendus. Quelques-uns gagnent, malgré tout, les 800 m² du conservatoire de Khatanga où de véritables enquêtes policières et médico-légales révèleront comment et quand ils ont trouvé la mort... C'est à la fois peu et beaucoup, reconnaît Bernard Buigues : "On a toujours perdu des fossiles, mais au moins, aujourd'hui, nous avons les moyens d'étudier ceux dont on dispose, et les technologies pour le faire ont progressé ! Nous allons donc pouvoir écrire une histoire toujours plus précise de ces 50.000 dernières années, d'autant que depuis 10 ans les découvertes s'accélèrent.

UNE COURSE CONTRE LE RÉCHAUFFEMENT

En effet, à l'important travail explicatif mené auprès des populations locales, celles-ci n'hésitent plus, désormais, à apporter au chercheur leurs découvertes que de les vendre à des collectionneurs privés sans scrupule. Sans compter les effets du réchauffement climatique ! "Depuis une dizaine d'années, il va en s'amplifiant, raconte Bernard Buigues. Dans le Nord, depuis 2000, les étés rallongent, les hivers deviennent moins froids"... Avec pour conséquence, un sol qui dégèle peu à peu et libère plus rapidement les mammouths et autres pollens qu'il protégeait jusque-là. "Ma préoccupation est de préserver un maximum de spécimens, pour les étudier aujourd'hui, mais aussi demain, car ils sont une ressource très limitée et épuisable s'inquiète celui qui n'hésite pas à se définir comme un "chasseur de mammouths". Quand la couche de pergélisol dans laquelle ils se trouvent aura fondu, nous n'aurons plus accès aux informations qu'elle contenait et tous ces animaux mythiques seront définitivement perdus"... Dans 10 ans à peine, il sera peut-être trop tard...

1/ L'effondrement du sol, suite au creusement d'une carrière sur le site de Batagaï, libère chaque été des restes spectaculaires d'animaux disparus...
2 & 3/ comme cette bisonne exhumée par les chercheurs eux-mêmes en 2011, qui ont ainsi pu collecter de précieuses informations sur le terrain.
4 & 5/ Bernard Buigues, responsable du programme "Mammuthus", dispose de spécimens inestimables : Cherskyi, un rhinocéros laineux, le plus complet jamais retrouvé ; et Khroma, la plus vieux bébé mammouth mis au jour (plus de 45.000 ans).

 

RHINOCÉROS LAINEUX, FEMELLE

Ce qu'on sait déjà de lui : Ce rhinocéros laineux baptisé Cherskyi porte le nom de la région de Sibérie d'où il a été sorti des glaces en 2007. Il vivait il y a 39.000 ans (ses congénères ont, disparu il y a quelque 10.000 ans).
Sa carcasse est presque complète et en bon état, contrairement à ses entrailles, en partie dévorées par les charognards.

Ce qu'il pourrait nous apprendre : Ce spécimen entier fournit des traceurs biologiques qui vont permettre d'établir une comparaison avec les rhinocéros d'aujourd'hui et de mieux comprendre l'évolution de ces espèces.
L'analyse de ses molaires renseignera sur sa nourriture et son environnement.

 

ÉLAN, BÉBÉ

Ce qu'on sait déjà de lui : Ce petit élan, encore couvert de poils, est resté près de neuf mille ans dans le pergélisol avant d'être découvert, par hasard, en 2010, par une famille d'éleveurs de rennes habitués à parcourir le nord de la Yakoutie.
Ses congénères parcourent toujours aujourd'hui les grandes étendues du nord de la Sibérie.

Ce qu'il pourrait nous apprendre : Les études comparatives de ce spécimen et des élans d'aujourd'hui montrent une grande stabilité morphologique à travers les millénaires.
Son intestin et son estomac contiennent encore du lait maternel : l'examen de sa composition renseignera sur son environnement (faune, flore) et sur celui de sa mère.

 

BISON, FEMELLE

Ce qu'on sait déjà de lui : Cette bisonne parcourait les steppes du nord de la Sibérie il y a sans doute 20.000 ans, mais cette date reste à confirmer.
Découverte en 2011 et parfaitement conservée par le pergélisol, elle pourrait appartenir à la même espèce que les bisons vivant actuellement en Amérique du Nord et qui ont été réintroduits en Sibérie.

Ce qu'il pourrait nous apprendre : Les quatre poches stomacales de cette bisonne renseignent sur la nature de ses derniers repas.
Dans les premières, les aliments sont à peine digérés, et donc facilement identifiables : herbes, parasites, insectes.
Cet échantillon alimentaire va fournir de précieux indices concernant le paysage dans lequel vivait l'animal.

 

CHEVAL

Ce qu'on sait déjà de lui : Cet équidé vivait il y a 14.000 ans. Seule la parti postérieure de son corps a été retrouvée en 2009, sa tête gît peut-être encore dans le pergélisol de Batagaï.
Sa morphologie rappelle celle des chevaux de Przewalski, les derniers chevaux sauvages, réintroduits notamment en Mongolie et en France depuis les années 1990.

Ce qu'il pourrait nous apprendre : Ce cheval a pu être domestiqué (puis éventuellement redevenir sauvage).
Si les analyses génétiques et de biologie moléculaire le confirment, il sera possible de mieux comprendre les origines de cette interaction privilégiée entre l'homme et l'animal, et de mieux cerner le passage du "chasseur-cueilleur" à "l'éleveur".

 

MAMMOUTH, BÉBÉ

Ce qu'on sait déjà de lui : Âgée de 1 mois, Lyuba, cette femelle mammouth découverte en 2007, a péri noyée dans la boue, au bord de la rivière Yuribei, il y a 42.000 ans.
Sa carcasse est très bien préservée. L'espèce emblématique à laquelle elle appartenait s'est éteinte il y a 10.000 ans. Seuls subsistent ses cousins, les éléphants d'Asie et d'Afrique.

Ce qu'il pourrait nous apprendre : Des techniques d'imagerie réalisées aux États-Unis, en France et au Japon permettent une analyse complète des bronches et de l'intestin de ce bébé mammouth.
Parce qu'elle était allaitée, il sera possible de connaître les secrets de sa mère, et ce d'autant plus que les mammouths ingéraient les déjections de leur génitrice.

E.R. et M.S., Photos : F.L. - SCIENCE & VIE > Septembre > 2013
 

   
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