"Il faut Considérer les Fossiles comme de Vrais Échantillons Biologiques"

Protéger et analyser les ossements fraîchement prélevés permet de retrouver de l'ADN. Un enjeu majeur pour la paléogénétique, qui espère éclairer ainsi tout un pan du passé.

Science & Vie : Comment avez-vous compris l'intérêt des analyses d'ADN immédiatement après les fouilles ?
Eva-Maria Geigl : Nous avons analysé plus de 250 ossements d'animaux, vieux de 600 à 50.000 ans et issus de régions très différentes. En s'attachant particulièrement à l'étude d'un aurochs de 3200 ans, et découvert en 1947. Une partie des ossements provenait de collections, l'autre d'échantillons fraîchement prélevés sur les sites de fouille. Il est apparu que les chances de retrouver de l'ADN doublent lorsque les ossements sont "frais", avec une quantité six fois plus élevée que dans les "vieux" prélèvements. Alors que les échantillons d'aurochs ne présentaient plus aucune trace d'ADN, tous ceux fraîchement déterrés avaient gardé les marques de leur identité génétique. Un terrible constat : l'homme a détruit en 60 ans de conservation autant d'ADN qu'en 2000 ans d'enfouissement naturel !

S&V : Comment expliquer une telle détérioration moléculaire des échantillons stockés dans nos musées ?
E.-M.G. : Même si la matière inorganique (minérale) remplace peu à peu la matière organique (les protéines, les lipides ou l'ADN), un fossile est loin d'être une simple pierre. Il me semble important de le considérer comme un véritable échantillon biologique. Or, les ossements sont brossés, lavés et séchés avant d'être stockés. Ces variations de température, de salinité ou de pH contribuent à détériorer leur matériel génétique.

S&V : Comment mieux protéger ce patrimoine ?
E.-M.G. : L'idéal serait de créer une banque cryogénique pour conserver les échantillons dans l'azote liquide à -180°C. Mais ce n'est pas réaliste. Pour des projets importants, on doit encourager le rapprochement des spécialistes (paléontologues, paléogénéticiens, archéologues, conservateurs) afin de mettre en place un protocole de prélèvement et de stockage répondant aux exigences de chacune des disciplines. Pour la paléogénétique, il suffit de monter un laboratoire d'analyse in situ ou d'envoyer les échantillons juste après le prélèvement.

S&V : Cette découverte ouvre-t-elle de nouveaux champs d'investigation ?
E.-M.G. : L'adaptation des conditions de prélèvement aux exigences de la paléogénétique augmente considérablement le taux de succès des études génétiques. Il y a tout un pan du passé que l'on espère étudier aujourd'hui d'un point de vue moléculaire et en particulier les fossiles des régions ou des périodes climatiques chaudes qui sont peu propices à la conservation de l'ADN. Ces spécimens, dans lesquels le matériel génétique se fait rare, peuvent nous éclairer sur l'évolution même de l'homme dans son berceau africain ou encore sur le développement de notre civilisation au Proche et au Moyen-Orient.

Propos recueillis par J.C. - SCIENCE & VIE > Avril > 2007
 

   
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