Les chercheurs trouvent des vertus insoupçonnées aux microbes. Maçons, nettoyeurs, médecins, ces ouvriers microscopiques nous seront bientôt indispensables. Le yaourt, le vinaigre, le pain, la choucroute... doivent leur existence à une bactérie. Mais ces micro-organismes ont bien plus à nous offrir que la fermentation des aliments. Saupoudrez l'eau du robinet de quelques Pseudomonas putida, elles la débarrasseront des résidus de caféine qui s'y trouvent. Oubliez quelques déinocoques au milieu des déchets végétaux, elles les transformeront en biodiesel. Injectez des Wolbachia pipientis dans le corps d'un moustique porteur du virus de la dengue, l'insecte deviendra incapable de transmettre la maladie à l'homme. Utilisées à bon escient, manipulées génétiquement ou non, les bactéries ont d'étonnantes propriétés. Y compris celles d'un antibiotique ! ELLES NOUS PROTÈGENT DES SÉISMES Une bactérie qui barbote dans vos toilettes peut vous sauver la vie. Sporosarcina pasteurii, injectée par milliards dans le sol, peut empêcher des immeubles de s'effondrer lors d'un séisme. Sous l'effet des ondes sismiques, certains sols se liquéfient : la pression de l'eau souterraine augmente brutalement, désolidarisant les grains de sable. Le sol perd sa cohésion et ne supporte plus le poids des bâtiments : ils sécroulent. Une société française a eu l'idée de creuser de fins forages de quelques dizaines de mètres de profondeur sous les immeubles : "On y injecte les bactéries Sporosarcina pasteurii diluées dans de l'eau, et on ajoute une solution d'urée et de calcium quelques heures plus tard", explique Annette Esnault Filet, chef du projet pour Soletanche-Bachy. "En 48 h, le sol sablonneux devient aussi dur que du béton". Les bactéries, tels de microscopiques maçons, ont fabriqué un biociment, en profondeur. Naturellement présentes dans le sol, elles sont sans danger pour l'environnement ou pour la santé. La réaction qui se produit est la même que celle qui forme le tartre dans nos toilettes : pour se procurer de l'énergie, les bactéries dégradent l'urée en ammonium et en ions carbonate. Ajoutez des ions calcium (dans l'eau), et il se formera un précipité de carbonate de calcium. Une plaie dans les toilettes (le tartre), une aubaine sous terre : il forme des ponts entre les grains de sable. Ce dernier est comme cimenté. Tout risque de liquéfaction est ainsi écarté. ELLES FABRIQUENT DE L'ÉLECTRICITÉ Pour survivre, les bactéries font de la gonflette. Elles produisent des spores, des formes très résistantes qui se "ratatinent" comme un grain de raisin sec quand l'air devient très sec. Au contraire, quand l'air se charge d'humidité, ces spores absorbent l'eau et se regonflent à bloc, comme un grain de raisin frais ! Le diamètre d'une spore peut ainsi varier de 12 %. Des biologistes américains ont donc organisé une séance de stretching géante pour quelques milliards de spores : ils les ont déposées sur une feuille de latex souple et ont fait varier le taux d'humidité. Quand l'air est devenu sec, les spores se sont contractées en chour, entraînant avec elles la feuille de latex qui s'est repliée pour former un U. Quand l'air est devenu humide, les spores se sont relâchées, la feuille a repris sa forme initiale. Flexion/extension, flexion/extension... "Grâce à ce système, 1 kg de nos bactéries produisent 1000 fois plus d'énergie que 1 kg de muscle humain", s'enthousiasme le Pr Ozgur Sahin, auteur de l'étude à l'université de Columbia. Comme la feuille de latex est reliée à un aimant placé à l'intérieur d'une bobine, cette série de flexions/extensions fait tourner l'aimant, ce qui génère un courant électrique dans la bobine. Un peu comme la dynamo d'un vélo. "Pour allumer une ampoule de 60 W, il faut faire travailler 250 kg de bactéries. Ça parait beaucoup, mais n'oubliez pas qu'il vous faudrait 200 kg de panneaux photovoltaïques pour fournir la même quantité d'énergie", ajoute le biologiste. En améliorant le rendement de son dispositif, il compte atteindre le même résultat avec seulement 30 g de bactéries. Produire des bactéries ne coûte rien et ne pollue pas, les variations d'humidité dues à l'évaporation sont un phénomène naturel. L'exploiter efficacement pourrait créer une nouvelle source d'énergie inépuisable ! ELLES NOUS DÉBARASSENT DES (AUTRES) BACTÉRIES Cette bactérie est une machine à tuer. En manipulant son génome, les biologistes ont réussi a la programmer pour attaquer ses semblables. Son nom : Escherichia coli. Sa cible : Pseudomonas aeruginosa, une bactérie responsable de 10 % des infections nosocomiales en France. Sa mission : trouver où se cache la colonie dans le corps du malade et l'anéantir. Pour cela, les biologistes l'ont dotée d'un arsenal de pointe. Cette E.coli mercenaire intercepte les signaux chimiques qu'utilisent les Pseudomonas pour "communiquer". En suivant ce signal dans le corps du patient, Ecoli se dirige droit sur elle. Une fois sur place, la bactérie tueuse dégaine une enzyme qui casse le biofilm (la couche visqueuse de sucres et de protéines qui protège la colonie). Enfin, E. coli porte le coup de grâce en déversant un poison, la microsine S, peptide mortel pour les Pseudomonas. Une sorte de frappe chirurgicale : "D'habitude, pour soigner une infection, on inonde le corps d'antibiotiques en espérant qu'il en parviendra assez à l'endroit que l'on veut traiter", analyse le Pr Antoine Andremont, responsable du service de bactériologie à l'hôpital Bichat. "On tue au passage toutes les autres bactéries, pathogènes ou non. Ici, on libère le bactéricide uniquement à l'endroit désiré. C'est une idée brillante". Chez les souris ayant ingéré cette bactérie tueuse, le nombre de Pseudomonas présents dans les selles chute en quelques heures. Les biologistes imaginent déjà utiliser ces superbactéries comme traitement préventif placées en embuscade dans l'organisme, elles attendraient que l'ennemi se montre pour l'anéantir. ELLES DÉGOMMENT NOS TUMEURS Lors de la guerre de Troie, les Grecs se cachèrent dans un cheval en bois pour attaquer de l'intérieur la ville ennemie. Dans la guerre contre le cancer du pancréas, le cheval de Troie est microscopique mais aussi efficace : il s'appelle Listeria monocytogenes, la bactérie responsable de la listériose. La firme américaine Aduro BioTech la choisie car elle peut pénêtrer dans les cellules dendritiques, ces cellules qui présentent les intrus à notre système immunitaire afin qu'il sonne l'alerte. Selon le principe de l'immunosurveillance, notre système immunitaire est capable de repérer et éliminer les cellules cancéreuses. Quand il est affaibli ou quand les cellules mutées sont trop nombreuses, elles échappent à sa vigilance, et le cancer s'installe. Il suffirait donc de réveiller notre système immunitaire pour qu'il réagisse face à l'invasion. ELLES RENDENT LEUR JEUNESSE AUX OUVRES D'ART Plus besoin de frotter ! Pseudomonas stutzeri décape les dépôts qui encrassent les sculptures et les fresques et laisse leur surface propre. Cette bactérie n'a pas son pareil pour supprimer les efflorescences de nitrates, ces dépôts blancs qui apparaissent à la surface des fresques à cause de la pollution ou des déjections de pigeons. Dans la nature, la bactérie Pseudomonas stutzeri se nourrit des nitrates du sol. La biologiste espagnole Pilar Bosch propose cette recette : appliquez au pinceau une couche de bactéries sur la fresque à nettoyer. Laissez agir 1h30 et rincez à l'eau claire : 92 % des dépôts ont disparu. Les bactéries ont transformé le nitrate en azote, qui s'est évaporé. En détournant le métabolisme d'une bactérie, la biologiste a mis au point une méthode douce et non polluante qui ne s'attaque pas à la peinture, contrairement aux méthodes classiques (décapants chimiques ou mécaniques). L'aigle peint sur les murs de l'église San Juanes, à Valence (Espagne), lui doit don éclat. "Dans la nature, il existe une multitude de bactéries qui se nourrissent de presque tout et n'importe quoi, raconte Pilar Bosch. Nous sommes convaincus que nous pourrons éliminer d'autres substances. Il suffit de sélectionner les bonnes espèces". Les croûtes noires de sulfates dues à la pollution ne résistent pas à la bactérie Desulfovibrio vulgaris. En deux jours, elles ont nettoyé 98 % des marbres de la cathédrale de Milan. D'autres bactéries attaquent les lichens et toutes sortes de produits étalés au fil des siècles sur les fresques pour les restaurer : colle, caséine, huile de lin, résine. Ces micro-organismes ont fait leurs preuves sur le marbre, le grès, le calcaire, la brique et le béton. Les résultats se voient sur la cathédrale de Popoli (Italie), le théâtre d'Epidaure (Grèce), la Pietà Rondanini de Michel-Ange à Milan (Italie). Actuellement, les chercheurs vérifient si cette technique ne présente aucun risque pour la toile d'un tableau, le bois d'une statue ou les ossements. Avant de badigeonner les ouvres de micro-organismes, il faudra convaincre les conservateurs que l'art et les bactéries font bon ménage.
Les bactéries contenues dans cette pâte sécrètent du calcaire au contact du béton, réparant ainsi les fissures. En modifiant le patrimoine génétique d'une bactérie, une équipe d'étudiants en biochimie de l'université britannique de Newcastle, dirigés par la chercheuse Jennifer Hallinan, est parvenue à concevoir le BaciliaFilla, une pâte réparatrice capable de ressouder les fissures apparues dans le béton. Infiltrée dans les plus fines anfractuosités, la colle sèche en agglomérant les filaments des bactéries et le carbonate de calcium (le principal composant du calcaire, de la craie et des coquilles animales) sécrété par les microbes. Elle redonne ainsi, assurent ses concepteurs, une solidité comparable à celle d'un édifice neuf. Au risque de contaminer l'environnement qu'ils sont censés préserver ? Non : les étudiants ont pensé à tout. Les bactéries ne s'activent qu'en fonction du pH très précis associé au béton. Si ces conditions ne sont pas requises, un gène d'autodestruction engendre la mort immédiate des microbes. Ces derniers meurent, en outre, une fois leur tâche de maçon accomplie. Les jeunes inventeurs, vainqueurs d'un concours international, visent, à l'avenir, le marché de la rénovation d'immeubles ainsi que la réparation des dégâts commis par les séismes.
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