Une Bactérie fait Souffrir pour mieux Infecter |
NEURO-IMMUNOLOGIE |
On croyait que lors d'une infection, la douleur était déclenchée par l'activation de nos défenses immunitaires, notamment l'inflammation.
Mais Isaac Chiu, chercheur en neuro-immunologie à la faculté de médecine de Harvard (États-Unis), révèle que les bactéries peuvent induire directement la sensation de douleur à l'aide de leurs toxines... et que cette action faciliterait le développement de l'infection. Grâce à une expérience menée sur des souris infectées par le staphylocoque doré, le chercheur a découvert que certaines toxines de la bactérie stimulent les neurones à l'origine de la douleur.
Plus étonnant encore, une fois actives, ces neurones diminuent la réponse immunitaire. Autrement dit, en faisant mal, la bactérie endort le système de défense chargé de combattre les pathogènes. Et le staphylocoque doré ne serait pas la seule bactérie à utiliser cette parade. "Nos découvertes pourraient être valables pour d'autres types d'infections douloureuses, comme les infections urinaires ou les abcès dentaires", suggère Isaac Chiu. Or, la plupart des antidouleurs prescrits lors d'une infection visent le système immunitaire. "En ciblant certains des mécanismes que nous avons découverts, nous pourrions non seulement mieux traiter la douleur, mais aussi restaurer l'efficacité du système immunitaire affaibli par le message douloureux", propose le chercheur.
V.E. - SCIENCE & VIE > Octobre > 2013 |
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Le Staphylocoque doré se Répand via les Eaux Usées |
Le staphylocoque doré résistant à la méticilline est l'une des bactéries les plus redoutées dans les hôpitaux : il est responsable de près de 20 % des infections nosocomiales en France.
Or, il pourrait s'échapper dans la nature grâce aux eaux usées. En effet, après avoir analysé l'eau issue de stations d'épuration à différents stades de traitement, l'équipe d'Amy Sapkota (université du Maryland, États-Unis) a découvert que la bactérie résistante était présente dans presque tous les échantillons d'eau prélevés à l'entrée des stations. À la sortie, ce n'était plus le cas que pour 8 % des effuents des stations d'épuration, ceux-là mêmes qui n'avaient pas subi de traitement tertiaire au chlore.
Rassurant... mais les chercheurs mettent toutefois en garde : "Les eaux usées sont de plus en plus souvent réutilisées, pour l'irrigation des cultures notamment ; elles peuvent constituer une potentielle source d'exposition à ces bactéries multirésistantes", écrivent-ils.
C.H. - SCIENCE & VIE > Novembre > 2007 |
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Staphylocoque doré : Percé à Jour |
L'énigme a peut-être sa solution : si les infections à staphylocoque doré sont à répétition, c'est que ce fléau se dissimule... dans nos cellules ! Une découverte cruciale.
Ils ont beau porter un joli nom, les staphylocoques dorés n'en sont pas moins un véritable fléau. En effet, ces redoutables bactéries sont non seulement responsables d'infections nosocomiales, qui font tache dans les services hospitaliers (voir ci-dessous), mais elles sont passées maîtresses dans l'art de résister aux antibiotiques et, plus largement, de déjouer toute entreprise de guérison définitive : nombreux sont en effet les malades qui, en dépit d'un traitement adéquat, souffrent d'infections récurrentes, réapparaissant inlassablement à quelques mois ou quelques années d'intervalle. Autant dire que se débarrasser de ces staphylocoques dorés ressemble à une gageure... Or, une équipe d'une douzaine de chercheurs de l'université de Genève a peut-être résolu l'énigme de ces infections à répétition, enlevant le voile sur l'un des secrets les mieux gardés du staphylocoque doré (ou Staphylococcus aureus). Ainsi, pour échapper aux antibiotiques et tromper la vigilance du système immunitaire, celui-ci trouverait un refuge idéal à l'intérieur même de nos cellules, où il se fait très discret ! Une stratégie imparable pour passer inaperçu avant de se manifester de nouveau. Cette découverte de première importance ouvre la voie à des pistes inédites pour déloger la bactérie de sa cachette et envisager de remédier à un problème de santé devenu majeur.
ENJEUX - À l'échelle mondiale, 95 % des patients atteints d'infections à staphylocoque doré ne répondent plus aux antibiotiques classiques. De plus, S. aureus, source de maladies nosocomiales, est aussi le premier accusé pour furoncles, panaris ou surinfections de plaies mal soignées. Plus grave : il peut viser poumons, cour et os, voire envahir le sang et provoquer une infection généralisée (septicémie). Enfin, S. aureus est très agressif chez les personnes âgées, immunodéprimées ou victime de cancers et de maladies chroniques. Et peut survivre des semaines entières dans la poussière ou sur un objet. |
L'HYGIÈNE PREMIER REMÈDE CONTRE LES MALADIES NOSOCOMIALES
En France, environ 800.000 personnes par an contractent une infection à l'hopital,soit de 5 à 12 % des personnes hospitalisées. Et plus de 4000 d'entre elles en meurent... Les principaux coupables ? Les bactèries Escherichia coli et staphylococcus aureus. D'après l'institut de veille sanitaire, un tiers de ces décès serait évité si les règles d'hygiène élémentaires étaient respectées. Ainsi, seuls 53 % des personnels soignants se lavent les mains avant un acte de soin. Dans les services à haut risque (réanimation), près d'une personne sur cinq n'applique pas les consignes. Et médecins et chirurgiens sont parmi les moins consciencieux ! Or, associées à une restriction de l'utilisation des antibiotiques, ces règles d'hygiène ont permis de passer de plus de 85 % de souches hospitalières multirésistantes en 1994 à environ 30 % aujourd'hui. Mais ces souches sévissent désormais chez des jeunes en bonne santé n'ayant jamais été hospitalisés... La bataille est donc un acte de soin loin d'être gagnée. |
UN ESPION INFILTRÉ ET DORMANT
Les chercheurs suisses se sont ainsi penchés sur l'un des "talents" les plus spectaculaires de S. aureus, sa capacité à jouer les espions infiltrés et "dormants". C'est ainsi qu'un ancien combattant de la Seconde Guerre mondiale a pu développer, au milieu des années 1980, un abcès à staphylocoques exactement au même endroit (la cheville) que lors d'une précédente infection contractée 40 ans plus tôt ! La souche responsable était exactement la même que celle ayant sévi pendant la guerre : une bactérie d'un autre âge encore sensible à la pénicilline. Comment a-t-elle pu tromper si longtemps la vigilance de l'organisme ? Où se cachait-elle exactement ? Pourquoi a-t-elle ressurgi soudain ? C'est en cherchant à répondre à ces questions que l'équipe genevoise, emmenée par Jacques Schrenzel, a mis en évidence un aspect totalement insoupçonné des staphylocoques dorés.
Car jusqu'à récemment, les médecins pensaient que si la bactérie ne disparaît jamais vraiment, c'est parce qu'elle vit naturellement sur la peau et les muqueuses, sans pour autant causer d'infection - on parle alors de "bactérie commensale". Ainsi, 30 % de la population hébergent en permanence dans les fosses nasales, ou dans les zones humides comme les aisselles et le périnée, des staphylocoques "silencieux". Il suffirait ensuite qu'une petite coupure survienne à un moment où le système immunitaire est affaibli pour ouvrir la voie à la prolifération de la bactérie toxique (ou pathogène). Oui, mais la présence constante de S. aureus dans notre nez ne suffit pas à expliquer la résurgence d'infections, surtout quand un traitement antibiotique local a vidé le réservoir de bactéries nasales... En réalité, celles-ci ne sont éliminées qu'en apparence : en effet, l'équipe de Jacques Schrenzel a débusqué des staphylocoques tapis à l'intérieur des cellules, pas uniquement à leur surface, et ce, même entre les infections !
LES BACTÉRIES SE FONT OUBLIER
Une étude, menée en 2005, avait montré que des patients sujets à des épisodes de rhinosinusite récurrents portaient des staphylocoques dorés dans les cellules de leur muqueuse nasale. Pour la première fois, il était démontré que cette bactérie pouvait pénétrer et surtout persister à l'intérieur de cellules, comme le laissaient penser des expériences menées in vitro, sur des cellules en culture. "Restait toutefois à déterminer l'état des bactéries dans les cellules", précise Jacques Schrenzel, qui tenait à vérifier qu'elles étaient bien vivantes. Et Patrice François, un des chercheurs à l'origine de l'étude, d'ajouter : "Nous voulions savoir comment les staphylocoques s'adaptent à la composition du milieu intracellulaire pour y survivre". D'où l'idée d'étudier en laboratoire leur comportement dès leur entrée dans des cellules de l'hôte.
Résultat : "Les bactéries intemalisées se mettent en "hibernation", explique Patrice François. Puis elles réactivent rapidement les mécanismes permettant leur survie". Ainsi, en pénétrant dans les cellules, les bactéries bloquent presque entièrement leur métabolisme, interdisant à leurs gènes de fabriquer les toxines et autres substances qui pourraient endommager leur refuge et trahir leur présence : Elles se font oublier, se contentant de prélever discrètement dans la cellule les éléments indispensables à leur respiration et à leur nutrition comme du fer, des ions, des acides aminés... Le temps de se mettre à l'abri des antibiotiques et du système immunitaire, avant de déclencher une nouvelle infection.
Ce scénario est totalement inédit. Car jusqu'à présent, seules deux stratégies de pénétration cellulaire étaient connues chez S. aureus. La première s'accompagne de la destruction pure et simple des cellules, et n'a donc pas de rapport avec la réapparition des infections... La deuxième stratégie est beaucoup moins offensive et ne se déclenche qu'en présence d'antibiotiques. Certains staphylocoques mutent et se transforment en "variants petite colonie", ou SCV (pour "small colony variants"), soit des mutants de S. aureus, plus petits, qui persistent dans les cellules sans les détruire. Mais cette stratégie a un prix : "La mutation touche un gène impliqué dans la production d'énergie des bactéries. Celles-ci ont donc une faible vitesse de croissance, mais aussi moins de facteurs de virulence, certaines toxines ne pouvant plus être produites", explique Patrice François. Conséquence : les SCV sont généralement considérés comme moins agressifs que les souches dites sauvages. Difficile d'expliquer alors toutes les réapparitions d'infections avec cette seule stratégie.
UNE STRATÉGIE ACTIVE DE SURVIE
Désormais, les résurgences intempestives devront donc être étudiées à la lumière de la troisième stratégie décrite par les biologistes suisses : la souche sauvage semble capable d'adopter "volontairement" un profil la faisant ressembler à un SCV, mais sans renoncer à sa toxicité. Ce qui signifie que l'invasion cellulaire est une stratégie active de survie, qui ne se fait pas uniquement sous la contrainte antibiotique.
Le fait que la cachette intracellulaire du staphylocoque doré joue un rôle dans les infections récurrentes semble donc plus probable que jamais. Ce qui change la donne en matière de lutte thérapeutique. Les médicaments destinés à guérir les infections associées à S. aureus doivent non seulement inhiber la pénétration de la bactérie dans les cellules du patient, mais aussi la déloger si elle réussit à y entrer malgré tout. Or, avant d'envahir les cellules, les bactéries s'y fixent grâce à de véritables harpons leur permettant de s'ancrer à la surface des cellules : des molécules appelées fibronectin-binding proteins (FnBP). Un chercheur de l'Institut d'hygiène et de microbiologie de Wurzburg (Allemagne), Bhanu Sinha, y a tout de suite vu une piste intéressante. "Plutôt que de cibler la bactérie, on pourrait neutraliser ces FnBP, afin de priver les bactéries de leur capacité d'invasion. "Ici, l'idée est d'imaginer un vaccin qui pousserait l'organisme à développer des anticorps dirigés contre les FnBP. Privés de harpons, les staphylocoques ne pourraient plus se réfugier dans nos cellules.
En attendant un tel vaccin, d'ores et déjà à l'étude chez la souris, la découverte des chercheurs genevois ouvre une autre piste pour tuer les bactéries tapies au cour des cellules. Car les armoires à pharmacie renferment déjà des antibiotiques dirigés contre les bactéries bien connues pour "parasiter" les cellules humaines, comme le bacille de la tuberculose, les chlamydiae ou les salmonelles. S'ils n'ont pas encore été employés contre S. aureus, c'est tout simplement parce que, aujourd'hui, "les prescriptions ne prennent pas en compte la possibilité que le staphylocoque doré soit intracellulaire", déplore Patrice François. Ces antibiotiques sont seulement utilisés dans le cas d'infections de l'os particulièrement tenaces (ostéomyélites) dues à l'invasion des cellules osseuses par des SCV. Or, il devrait être possible d'éviter les infections récidivantes en associant des antibiotiques agissant à la fois à l'extérieur et à l'intérieur des cellules. "Parfois utilisés contre des infections très sévères, ils ne le sont jamais pour protéger le patient d'une éventuelle récidive", ajoute Patrice François, dont l'étude devrait contribuer à changer les recommandations thérapeutiques. "Sans cela, impossible de lutter", avertit le chercheur...
M.C. - SCIENCE & VIE > Novembre > 2007 |
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