Vents Mauvais : Ils Sèment des Maladies par-delà les Océans |
Soufflant du Japon, des vents ont transporté un microbe jusqu'aux États-Unis, où il sevit désormais. Or, nul ne croyait possible qu'une maladie traverse toute seule les mers. Inquiétant.
Respirer à pleins poumons un air pur venu de la mer... sans savoir que les vents du large sont peut-être porteurs d'agents infectieux directement importés d'un autre continent ! Sans vouloir gâcher le plaisir des amateurs de bords de mer le spectre de vents mauvais capables de faire des victimes des deux côtés d'un océan vient d'un seul coup de prendre forme, bousculant le petit monde des microbiologistes et des épidémiologistes. Car, pour la première fois, des chercheurs ont de sérieuses raisons de penser qu'une maladie puisse frapper en n'importe quel point de la planète en se laissant simplement porter par des courants aériens.
Une hypothèse inquiétante avancée par Jane Burns, directrice d'un centre de recherche médicale à l'université de Californie, à San Diego, et Xavier Rodó, chercheur à l'Institut catalan des sciences du climat de Barcelone. De fait, le croisement de leurs données météorologiques et épidémiologiques laisse apparaître une corrélation parfaite entre le sens et la force des vents d'une part, et l'augmentation du nombre de cas de la maladie de Kawasaki d'autre part (<- courbes). Cette étrange affection touche chaque année, entre novembre et mars, des milliers d'enfants au japon et sur la côte ouest des États-Unis. Entre ces deux pays, rien de moins que l'étendue de l'océan Pacifique, soit plus de 9000 kilomètres franchis grâce aux vents. Du jamais vu !
Car même s'il est admis depuis plusieurs décennies qu'un agent infectieux peut faire des victimes après un voyage au-dessus des eaux, la distance qui sépare l'Asie des côtes américaines paraissait jusqu'ici infranchissable pour une maladie. En effet, pendant un tel périple, l'oxydation, la dessiccation ou l'irradiation par les ultraviolets sont autant de forces destructrices qui réduisent drastiquement le nombre et les capacités infectieuses des agents pathogènes. Certes, certains virus peuvent braver ces épreuves... quelque temps. En 1981, Alex Donaldson, alors directeur du laboratoire de Pirbright de l'Institut de la santé animale (Angleterre), avait ainsi démontré que des fermes de l'île de Wight, sur la côte sud de l'Angleterre, avaient été contaminées par le virus de la fièvre aphteuse émis par des porcs malades et porté par les vents depuis la Bretagne ; mais ce voyage n'avait alors pas excèdé 150 kilomètres.
Plus récemment, des vents - ayant tous la particularité d'être chargés de particules de sable - ont fait l'objet d'observations intéressantes. Des scientifiques taïwanais ont en effet montré que lorsque leur île est soumise aux tempêtes de sable en provenance d'Asie centrale, le virus de la grippe est présent dans l'air dans des quantités 21 à 31 fois plus importantes. Dale Griffin, microbiologiste à l'US Geological Survey (Floride), a quant à lui étudié les vents chargés de poussières sahariennes au-dessus de l'Atlantique. Dans ses prélèvements effectués au printemps 2003, il a identifié pas moins de 17 espèces de bactéries (dont Pseudomonas aeruginosa, qui prolifère dans les poumons des malades de la mucovisciduse) et 28 espèces de champignons.
UNE MYSTÉRIEUSE INFECTION
Pourtant, jamais des données n'avaient encore permis de relier nettement le passage de ces vents et les flambées d'infections. Or, c'est là l'une des grandes singularités des vents mauvais et de la maladie de Kawasaki : année après année, la courbe de mesure des vents et celle des pics épidémiques semblent se confondre. Chaque hiver, lorsque les vents du nord-ouest en provenance d'Asie centrale balayent le Japon, le nombre de malades monte en flèche. Et lorsqu'ils faiblissent, ou même changent de sens, la maladie disparaît. Mieux, les années où ces vents sont particulièrement forts, en raison des basses pressions concentrées sur le nord du Japon, sont aussi les années où l'on compte le plus de cas. Et ce n'est pas tout. L'arrivée de ces vents, qui traversent l'océan Pacifique, sur le continent américain est également concomitante avec l'augmentation saisonnière du nombre de cas à Hawaï et sur la côte ouest des États-Unis.
Une surprenante corrélation, qui serait passée inaperçue sans la mise en commun des travaux de Jane Burns et Xavier Rodó. Quand la pédiatre et le climatologue se rencontrent lors d'un colloque, en 2007, celui-ci vient de mettre au point un logiciel capable d'établir des corrélations entre un grand nombre de variables météorologiques (hygrométrie, pression atmosphérique, températures...) et l'apparition de maladies infectieuses. Intriguée, Jane Burns lui demande alors d'appliquer ses travaux à la maladie de Kawasaki, qui fait l'objet de recherches infructueuses depuis des années. Et pour la première fois, ce croisement inattendu de donnees donne une piste pour expliquer la propagation de cette grave infection d'une région du globe à l'autre.
Il faut dire que la maladie de Kawasaki est un mystère à bien des égards. Décrite depuis les années 1960, elle provoque de fortes fièvres et des éruptions cutanées, se doublant parfois de lourdes complications cardiaques. Environ 1 % des jeunes patients décèdent. Or, les rouages de ce mal échappent toujours aux chercheurs. L'agent infectieux demeure inconnu, de même que le vecteur de la maladie. S'agit-il d'un virus, d'une bactérie, d'un champignon ? Et comment arrive-t-il jusqu'aux malades : par les aliments, un contact direct entre personnes atteintes ou avec un animal, la piqûre d'un insecte ? Tous les scénarios proposés ont été écartés les uns après les autres, faute d'indices concordants.
Et voilà que les vents relancent les recherches. Quels terribles secrets dissimulent-ils ? Pour en avoir le cour net, pas d'autre solutien que de plonger dans ces gigantesques masses d'air. En mars 2011 - avant la catastrophe nucléaire de Fukushima -, les deux chercheurs décident donc d'organiser une campagne inédite au Japon. Sur un tarmac des environs de Tokyo, un petit avion à hélice bardé de filtres à air s'élance dans les vents au-dessus de la principale île de l'archipel, Honshu, pour collecter le plus possible de particules en suspension. "Pour confirmer définitivement le fait que l'agent pathogène de la maladie voyage dans l'atmosphère, il nous faut maintenant l'identifier dans les échantillons d'air que nous avons récoltés", explique Xavier Rodó.
DES MILLIONS DE PARTICULES
Il s'agit là d'une tâche bien plus complexe que de retrouver une aiguille dans une botte de foin, puisque des millions de particules flottent dans chaque mètre cube d'air ! Et la moindre particule doit être passée aux cribles des analyses microbiologiques et génétiques, afin d'y déceler un matériel biologique capable de transmettre une infection. Tous les échantillons ont été transmis à l'un des meilleurs laboratoires au monde, où un travail de fourmi a commencé. "Il faudra encore des mois avant d'avoir les résultats définitifs précise Xavier Rodó". Qui ne doute pas que le nom du coupable sorte finalement de cette fastidieuse phase de tri. Confirmant ainsi l'hypothèse... et bousculant les données sur la résistance des agents biologiques au transport aérien. Car les caractéristiques de ce superagent infectieux pourraient transformer notre vision de la fragilité des microbes dans l'air et, peut-être modifier les mesures de précaution actuellement prises pour s'en prémunir.
PLUS RÉSISTANT AUX UV
En effet, les poussières ne sont pas légion dans les vents qui traversent l'océan Pacifique à cet endroit. Et selon Dale Griffin, spécialiste américain qui a débusqué les agents pathogènes au-dessus de l'Atlantique en 2003, cela constitue une particularité très intéressante : "Contrairement aux agents véhiculés par les tempêtes de sable sur des distances similaires, celui-ci pourrait ne pas être protégé par les particules de poussière, et serait donc plus tolérant à l'exposition aux ultraviolets. Une caractéristique qui pourrait potentiellement être utilisée pour l'identifier". Serait-ce l'épilogue d'une longue enquête pour les médecins qui cherchent à prévenir les cas de maladie de Kawasaki ? Plus un début, en réalité... "Même si nous identifions l'agent responsable, d'autres études seront nécessaires pour comprendre la diffusion de la maladie, afin d'identifier l'origine exacte de ces vents et localiser un éventuel foyer épidémique", explique Jane Burns. Un propos renforcé par la pédiatre Isabelle Koné-Paut (hôpital Bicêtre, Paris), responsable du réseau national de surveillance de cette maladie qui touche des centaines d'enfants chaque année en France : "La maladie est multifactorielle. Même si une corrélation entre vents et incidence existe, il faudra expliquer pourquoi seuls les enfants et même, seuls certains enfants - sont touchés ; certains gènes de susceptibilité semblent jouer. Il faudra voir aussi si l'on observe la même corrélation dans le monde, en Europe, en Afrique ou en Amérique du Sud, où la maladie est très mal connue".
Malfaisants. Invisibles. Annonciateurs de fièvres et infections... Les vents ont souvent servi à justifier la transmission de maladies d'une région à l'autre. Malaria ne signifie-t-il pas "mauvais air" en italien ? Jusqu'au XXè siècle, la crainte d'un air vicié responsable d'épidémies s'est longtemps nourrie de l'ignorance du monde microbien et des lois biologiques qui président aux infections. Avant que la profusion de découvertes n'écarte cette vision des choses, démasquant bactéries, virus, parasites, et élucidant leurs modes de transmission à l'homme. Mais la science a ceci de fascinant que les connaissances forment parfois des boucles. Et c'est par le truchement de l'une d'elles que le souffle des vents mauvais semble aujourd'hui refaire surface.
QUAND SOUFFLE L'HARMATTAN
En Afrique soudano-sahélienne, les épidémies de méningite à méningocoques coïncident avec l'arrivée d'un vent chaud, sec et chargé de poussières venant du nord, l'harmattan.
La maladie touche chaque année entre 25.000 et 200.000 personnes. C'est en 2005 que des chercheurs français de l'Institut de recherche pour le développement ont mis en évidence cette coïncidence. "La bactérie ne survit que quelques heures à l'air libre, précise Jean-François Guégan. Il semble qu'elle soit présente dans la cavité buccale et que, lorsque les vents se lèvent, les poussières qu'ils transportent fragilisent, par micro-abrasion, les muqueuses de l'appareil respiratoire, favorisant le passage de la bactérie dans le sang". Ici, c'est donc l'action mécanique du vent qui favorise les épidémies. |
C.H. - SCIENCE & VIE > Juillet > 2012 |
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