P L A N È T E  G A Ï A 
 
   
   
Index MICROBIOLOGIE -> VIROLOGIE -> ÉPIDÉMIOLOGIE
   
 
Hépatite E - La Nouvelle Menace

Jusque-là absent des pays développés, ce virus mal connu et mortel progresse dangereusement en Europe... via les élevages porcins. Pour éviter l'épidémie, les hépatologues se mobilisent.

L'alerte est venue d'un épidémiologiste néerlandais à l'occasion du dernier congrès de la Société générale de microbiologie en septembre dernier : l'hépatite E circule en Europe, alors qu'elle ne concernait a priori que l'Asie et une partie du continent africain. "Du Danemark à l'Espagne, tous les pays sont concernés", a annoncé Erwin Duizer. Or, l'hépatite E est une maladie parfois mortelle, mal connue, contre laquelle il n'existe aucun traitement. D'où l'inquiétude des autorités sanitaires européennes... et une forte mobilisation de la communauté scientifique pour mieux connaître ce virus. Ce que l'on sait sur l'hépatite E ? Qu'il s'agit au départ d'une maladie bénigne ; que jaunisse, nausées, diarrhées et douleurs abdominales sont le lot courant de ses victimes ; et qu'elle guérit souvent spontanément. Oui, mais son virus (VHE, en rose, est un virus non enveloppé, et donc résistant dans l'environnement ->), découvert et différencié des autres virus hépatiques en 1980, peut provoquer des infections aiguës du foie.

LA FAMILLE "HÉPATITES" S'AGRANDIT
A, B, C, D, E ! Depuis les premières descriptions cliniques en 1947, la liste des hépatites n'en finit pas de s'allonger. L'hépatite A à transmission oro-fécale, dont le virus a été identifié en 1972, est généralement bénigne. Il existe un vaccin efficace. Elle est à nouveau surveillée en France (déclaration obligatoire) depuis décembre 2005. L'hépatite B, dont le virus a été identifié en 1968, à transmission sexuelle et sanguine, provoque parfois des hépatites aiguës (dont la déclaration est obligatoire). Elle touche 280.000 personnes en France. Il existe un vaccin efficace, mais la surmédiatisation d'éventuels effets secondaires (non démontrés dans les études de suivi) a entraîné la suspension de la recommandation de vaccination des préadolescents en France. L'hépatite C, à transmission sanguine, provoque des hépatites chroniques. Découverte en 1989 seulement, elle a connu en France une explosion épidémique. On estime à 400.000 le nombre de personnes infectées ; 2600 en meurent chaque année. Un tiers des personnes ignorent qu'elles sont contaminées. Les hépatites B et C font l'objet régulier de campagnes de dépistage. Le virus de l'hépatite D (ou delta) est incomplet et ne se développe qu'en présence du virus de l'hépatite B, provoquant des complications graves. Le virus de l'hépatite E n'a été isolé qu'en 1983, et sa structure moléculaire identifiée qu'en 1991. En 2005, une famille a été spécialement "créée" pour lui, les Hepevirus.

UN GÉNOTYPE PROPRE À L'EUROPE

Fulminantes, ces hépatites mettent en jeu le pronostic vital, la seule issue étant alors la greffe d'organe. Résultat : le taux de mortalité de l'hépatite E dans le monde peut atteindre 4 %, là ou celui de l'hépatite A, maladie proche bien connue dans nos régions, est inférieur à 0,02 %. Pour des raisons encore inconnues, la mortalité dépasse même 20 % chez les femmes enceintes, notamment pendant le dernier trimestre de la grossesse. Dans 1 cas sur 3 surviennent des avortements spontanés et des décès néonataux.
Mais la maladie inquiète aussi les cliniciens pour sa propension à se prolonger, voire à devenir chronique chez les plus de 50 ans. Tout comme chez les personnes vivant avec le VIH, celles sous immunodépresseurs, ou présentant une autre pathologie du foie. Jusqu'à présent, les seules zones de circulation intense du virus ou même d'épidémies signalées auprès de l'Organisation mondiale de la santé étaient l'Asie centrale, l'Asie du Sud-Est, l'Afrique du Nord et de l'Ouest, ainsi que le Mexique. Et les rares cas observés en Europe étaient importés, c'est-à-dire contractés lors de séjours à l'étranger. En général, les virus qui infectent ces malades présentent des signatures génétiques déjà connues dans les pays touchés par des épidémies, dit de types 1 et 2. Mais depuis quelques années, la situation a changé en Europe. L'Hexagone n'étant pas épargné : "On recense de plus en plus de cas autochtones, contractés sur le territoire français. Ils sont toujours causés par un autre génotype, le type 3", explique Elisabeth Nicand, directrice du Centre national de référence des hépatites A et E, à l'hôpital du Val-de-Grâce.
Pour Jean-Pierre Zarski, hépatologue au CHU de Grenoble et président de la Fédération nationale des pôles de références et réseaux hépatite, il n'y a pas de doute : l'incidence de la maladie est en augmentation. Mais pour Elisabeth Nicand, les choses ne sont pas si nettes. "Certes, de 12 cas autochtones en 2002, on est passé à 40, 50 cas en 2007. Mais, dans le même temps, les demandes de recherche du virus ont triplé, passant de 250 à 750", nuance-t-elle. Jusqu'à très récemment, en effet, l'hépatite E n'était évoquée que si la personne avait fait un séjour à l'étranger. "On l'a donc longtemps confondue avec l'hépatite A ou d'autres hépatites aiguës, explique Jean-Marie Péron, hépatologue au CHU de Toulouse. En systématisant son diagnostic, nous avons constaté que l'hépatite E était en fait la cause d'hépatite aiguë la plus fréquente." Que s'est-il alors réellement passé ? Erwin Duizer, qui a tiré la sonnette d'alarme lors du congrès de microbiologie, livre enfin une première explication : "Ce sont d'abord les élevages porcins qui sont en cause". En effet, ces animaux constituent l'un des réservoirs majeurs de la maladie. "De 30 à 55 % des porcs d'élevage ont été en contact avec le virus de type 3, identique à celui retrouvé chez les Européens infectés", note Marc Eloit, de l'Ecole nationale vétérinaire de Maisons-Alfort.

VIANDE MAL CUITE ET CRUSTACÉS

Mais d'où provient ce génotype 3 ? "Comme pour le VIH, les différents génotypes de l'hépatite E proviennent certainement, à l'échelle des millénaires, d'un ancêtre commun", explique encore Marc Eloit. Mais désormais, chaque génotype vit sa vie ; et le type 3 ne provient pas d'une fusion ou d'une mutation du 1 ou du 2, qui n'existent pas en Europe. Alors quoi ? Eh bien, les conditions d'élevages intensifs (la promiscuité) semblent favoriser son développement. De là, le VHE 3 se retrouve ensuite dans la nature, et notamment dans les cours d'eau. Or comme tout virus non enveloppé, le VHE est relativement résistant dans l'environnement : sa présence est attestée dans 20 % des rivières néerlandaises.
Et en France ? "Sans doute moins, car la densité de porcs est plus faible", nuance Marc Eloit. Des études sont toutefois en cours. Seule certitude : le virus circule massivement autour de Toulouse, et entre Marseille et Cannes. Mais, bizarrement, pas en Bretagne, pourtant forte zone d'élevage. Ici, l'explication pourrait venir des propriétés filtrantes du sous-sol en granit, mais cela reste à vérifier. "Heureusement, il n'y a aucun risque de voir se développer des épidémies liées à l'eau de boisson, touchant de 30.000 à 40.000 personnes, comme en Inde", rassure Jean-Marie Péron. Car les pays européens disposent de réseaux d'assainissement des eaux, ce qui prévient toute contamination massive par l'eau potable, en dehors des points de captage privés.
Reste la possibilité d'une transmission oro-fécale, par les poignées de portes... ou de mains, par exemple, comme c'est le cas pour le rotavirus, responsable d'épidémies de gastro-entérites. Mais les spécialistes sont rassurants. "La quantité de VHE dans les selles est faible, alors que la quantité nécessaire pour être contaminé est relativement élevée", explique Elisabeth Nicand. Pas d'épidémies au sens strict donc. Mais une circulation accrue du virus. "Et dès lors, il faut s'attendre à de plus en plus de cas sporadiques", prévient Jean-Pierre Zarski. Les causes seront variées. D'abord, bien sûr, l'utilisation d'eau non potable (source, rivière). Mais aussi la consommation de viande mal cuite, notamment de gibier (cerf, sanglier), et de fruits de mer. L'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer) développe d'ailleurs actuellement des techniques susceptibles d'évaluer la contamination de ces derniers. En 2007, l'Angleterre a connu au moins 21 cas causés par la consommation de porc. Et le VHE a été retrouvé dans du foie commercialisé aux États-Unis. Mais pour l'instant, on ne sait pas si seul le foie est contaminant, ou aussi le muscle. De plus, si le virus est détruit lorsque la viande est bien cuite, rien n'indique que la salaison ou le fumage l'inactivent. Les contacts rapprochés avec des animaux infectés (et donc potentiellement avec leurs excréments) sont aussi potentiellement contaminants.

UN OBSERVATOIRE DU VHE ?

La maladie touche souvent des personnes âgées en milieu rural, vivant dans des fermes. À Hyères, un homme a été infecté par... son cochon de compagnie ! Les analyses ont montré que tous deux portaient le même virus. Quid de vaccins éventuels ? Pour l'instant, il n'en existe pas. Mais un candidat contre le génotype 1 est en cours de développement par le laboratoire GlaxoSmithKline et le Walter Reed Army Institute of Research. "Les essais de phase III, menés chez 2000 personnes au Népal, sont encourageants, mais certains points restent à étudier", précise Elisabeth Nicand. Le vaccin diminue-t-il seulement les symptômes, ou empêche-t-il aussi l'infection ? Sera-t-il également efficace contre le génotype 3 ? Rien n'est encore tranché. Alors, maladie réellement émergente ou longtemps sous-estimée ? Avec quels modes de transmission et risques pour la santé publique ? Difficile d'y voir clair pour l'instant ! Les médecins espèrent la création rapide d'un Observatoire national des hépatites E, qui centralisera toutes les informations éparpillées sur le territoire. L'inscription de l'hépatite E sur la liste des maladies à déclaration obligatoire - ces pathologies surveillées par les autorités sanitaires - doit être étudiée. Tout professionnel de santé rencontrant un cas devrait alors le notifier à l'Institut de veille sanitaire. Face au réveil inattendu de ce virus, les réseaux d'hépatologues se tiennent en tout cas en alerte. Le VHE n'a pas fini de faire parler de lui.

R.P. - SCIENCE & VIE > Avril > 2008
 

   
 C.S. - Maréva Inc. © 2000 
 charlyjo@laposte.net