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L'Élement 117

Les Élement 113, 115, 117 et 118 ont un Nom

A.D. - SCIENCE & VIE N°1193 > Février > 2017

L'Élement 117 met Fin au Mythe

En réussissant à synthétiser l'ultime élément qui manquait au célèbre tableau, les physiciens l'ont vraiment achevé ! Car avec les noyaux lourds, il devient faillible.

REPÈRE : Le tableau périodique, ou tableau de Mendeleïev en hommage au chimiste russe qui l'inventa au XIXe siècle, recense tous les éléments de la matière, du plus léger, l'hydrogène, aux plus lourds, tel le plutonium. Constitué de 7 lignes et 18 colonnes, il présentait des cases vides qui se sont remplies avec la découverte de nouveaux éléments. Il n'en restait plus qu'une a combler : la 117.

Son numéro : 117. Son nom (provisoire) : ununseptium. Découvert une première fois en 2010, il vient de voir son existence confirmée par une seconde observation. Les experts de l'Union internationale de chimie pure et appliquée n'ont plus qu'à le reconnaître officiellement. Simple formalité. En attendant, la science a pris acte : ces deux découvertes indépendantes signifient qu'il existe.
Il ? Le dernier élément qui manquait au tableau proposé en 1869 par Dmitri Mendeleïev. L'ultime case vide - l'avant-derniére - ne l'est plus. Le fameux tableau accroché dans toutes les classes de science est complet pour la première fois. Moment de grâce scientifique qui, à 145 années de distance, voit l'intuition du chimiste russe confirmée de manière éclatante. Lui qui avait laissé vacantes plusieurs cases de sa classification pour des éléments inconnus à son époque. Car le tableau de Mendeleïev est plus qu'une simple liste de constituants de la matière, classés du plus léger au plus lourd, à laquelle s'ajouterait chaque nouvel atome découvert. Il permet de prédire les propriétés physiques et chimiques des éléments. C'est l'idée toute simple d'un génie : au milieu du XIXè siècle, alors qu'il recense les 63 éléments connus à l'époque, Mendeleïev décide de les classer par masse atomique croissante. Il observe alors une périodicité dans leurs propriétés : à mesure que l'on avance vers les grandes masses, la couleur, l'aspect et la réactivité chimique des éléments redeviennent similaires à intervalles réguliers.

UNE GÉNIALE CLASSIFICATION

Ainsi, le fluor, de masse 19, réagit fortement avec les métaux, comme le chlore (masse 35) et le brome (masse 80) : le calcium, de masse 40, reste solide à haute température, comme le baryum (masse 137)... Mendeleïev en tire une loi générale, appelée principe périodique, qu'il applique en dressant un tableau dans lequel il fait figurer dans une même colonne les éléments aux propriétés similaires.
Au début du XXe siècle, ce principe trouve son explication fondamentale grâce à la mécanique quantique, qui décrit la façon dont les électrons s'organisent en couches successives autour du noyau des atomes. On comprend alors que les propriétés chimiques d'un élément résultent du nombre d'électrons présents sur la dernière couche, dite couche de valence : celle-ci est la même pour tous les éléments situés dans une méme colonne... qui possèdent, par conséquent, des propriétés semblables.

À L'INFINI... EN THÉORIE

Ainsi se forme mécaniquement un tableau de 118 cases, disposées en 18 colonnes et 7 lignes, qui s'impose comme le grand-livre de la nature. Un livre prolongeable à l'infini, puisque de nouveaux éléments s'y ajoutent à mesure qu'ils sont découverts... Et les chimistes ont rapidement bouché les cases vides : le gallium en 1875 (un noyau atomique à 31 protons, comme prédit par le tableau), puis le scandium en 1879, le germanium en 1886, etc. Ils ont fini par épuiser les atomes assez stables pour exister naturellement et ont dû poursuivre leur panorama de la matière avec des réacteurs nucléaires et des accélérateurs de particules.
Ce n'est que dans les années 1940 qu'ils ont réussi à synthétiser le premier élément au-delà de l'uranium (n°92) : la neptunium, un amas de 93 protons. Suivi du plutonium, de l'américium et du curium... jusqu'au 118, en 2006. Le n°117 demeurait l'unique case vide. Et pour cause, la synthèse de ce qui allait être nommé ununseptium relève de l'exploit. Christoph Dullmann (université Johannes-Gutenberg de Mayence, Allemagne) et ses 72 collaborateurs ont d'abord fabriquer 13 milligrammes de berkélium. Un élément particulièrement instable, obtenu après 18 mois d'irradiation d'un échantillon d'américium et un complexe procédé de purification au laboratoire d'Oak Ridge (États-Unis). Le précieux échantillon hautement radioactif a ensuite rejoint Mayence, il a été modelé en une cible capable de résister au faisceau de l'accélérateur du Centre Helmholtz de recherche sur les ions lourds, à Darmstadt (Allemagne). Là, il a subi pendant plusieurs mois un intense bombardement d'ions calcium, à l'issue duquel les spécialistes sont parvenus à identifier la trace de quelques noyaux d'atome de 117 dans le fouillis des débris issus des multiples réactions nucléaires impliquées dans l'expérience. À peine quelques grains de matière, mais dont la mise au monde constitue "un tour de force extrêmement impressionnant, à la limite des techniques expérimentales", selon Araceli Lopez, spécialiste des noyaux superlourds (plus de 92 protons) au Centre de sciences nucléaires et de sciences de la matière, à Orsay. Ajoutés aux quelques autres mis en évidence en 2010 à l'Institut de recherches nucléaires, à Doubna (Russie), ces rares noyaux d'atomes font du 117 une réalité tangible, capable de combler le dernier trou de la dernière ligne de la classification périodique des éléments.

DES FAILLES DANS LE TABLEAU

Mais par une étrange ironie de l'histoire, alors que la découverte d'éléments toujours plus lourds n'a fait que confirmer le génie de Mendeleïev, elle n'a eu également de cesse de saper peu à peu les fondements mêmes de son ouvre. Comme le résume Antoine Drouart, de l'Institut de recherche sur les lois fondamentales de l'Univers (Saclay) : "Avec les éléments superlourds, on atteint la limite de la classification périodique". Pour ces éléments, "le tableau de Mendeleïev pourrait bien ne plus avoir de sens", confirme son collègue Christophe Theisen. Aujourd'hui, en effet, à mesure que les accélérateurs produisent des éléments toujours plus lourds, le principe périodique se révèle de plus en plus fragile, voire inopérant. Les anomalies qui semblent montrer que les cases ne sont pas au bon endroit se multiplient.
Les physiciens en avaient déjà repéré quelques-unes parmi les éléments légers. Ainsi, l'or est jaune tandis que l'argent, situé juste au-dessus dans le tableau, est gris-blanc ; le mercure est liquide à température ambiante, quand tous les autres métaux sont solides ; la structure des cristaux de polonium prend une forme cubique alors que le tellure, juste au-dessus, s'organise de manière hexagonale... Ces entorses au principe périodique ont un seul et même responsable : la relativité restreinte d'Einstein. Celle-là même qui entremêle les notions de longueur et de durée au sein d'un espace-temps qui défie notre bon sens. Les physiciens ont remarqué que plus on avance dans le tableau, plus le nombre de protons augmente, plus la charge du noyau s'intensifie et plus les électrons proches du cour se déplacent vite... jusqu'à atteindre, pour les noyaux constitués d'une centaine de protons, une fraction significative de la vitesse de la lumière. Les électrons se retrouvent alors soumis aux étranges lois d'Einstein, et voient en particulier leur masse augmenter jusqu'à contrarier l'agencement de l'ensemble de leur cortège. Dans les années 1990, Ken Czerwinski (université de Californie, à Berkeley) a ainsi montré qu'en solution, le n°104, le rutherfordium, réagit comme le plutonium, alors que 10 colonnes séparent ces 2 éléments dans la classification !

ET LES NOYAUX SUPERLOURDS ?

Quant au n°105, la dubnium, certaines de ses propriétés s'apparentent à celles du protactinium, pourtant distant de 14 colonnes ! Conclusion de Matthias Schadel, au Centre de recherche scientifique avancée, à Tokai (Japon): "Il est impossible de déduire les propriétés chimiques de ces 2 éléments par simple extrapolation de celles d'éléments situés plus haut dans la même colonne, comme devait le permettre le principe périodique". Des expériences menées au début des années 2000 avaient ainsi montré que le n°106, le seaborgium, satisfaisait, lui, au principe périodique... mais de nouvelles études semblent mettre en évidence un écart entre sa chimie et celle de ses voisins de colonne, le molybdène et le tungstène. Comme pour le n°112, la copernicium, qui, d'après certaines expériences et conformément aux calculs relativistes, ne se comporte pas comme un métal, mais comme les gaz inertes situés six colonnes plus loin... L'équipe suisse a même observé que le n°114, le flérovium, présente un comportement relativiste encore plus marqué que ce que prévoyait la théorie. "C'était tout à fait inattendu, relate Robert Eichler, de l'Institut Paul-Scherrer (Suisse). Et en partie en contradiction avec les résultats obtenus à Darmstadt. De nouvelles expériences seront nécessaires pour trancher"...
Les spécialistes des noyaux superlourds n'en sont qu'au début de leur exploration... mais, déjà, il est devenu impossible de déduire les propriétés des gros atomes à partir de leur position dans le tableau de Mendeleïev. Il faut désormais s'atteler à d'inextricables calculs relativistes... Voilà le tableau dépossédé de son pouvoir. Cependant, la classification demeure : elle continuera d'organiser les éléments chimiques suivant la structure de leur cortège d'électrons. "Cela reste le schéma d'organisation le plus fondamental des éléments chimiques", rappelle Matthias Schadel. Mais avec la découverte du n°117, le grand projet de Mendeleïev - réunir toute la diversité de la matière dans une unique table - a trouvé ses limites. Le mythique tableau avait une fin. C'est aujourd'hui.

EXISTE-T-IL UNE LIMITE À LA TAILLE DES ÉLÉMENTS ?
Tous les calculs l'indiquent : au-delà d'un certain nombre de protons, plus aucun noyau n'est capable de se former, ne serait-ce que durant une infime fraction de seconde.
Mais les modèles diffèrent sur la limite en question. Selon certains, elle se situe autour des éléments 172 ou 173 ; d'autres évoquent l'élément 137. Pour tester ces speculations, les physiciens nucléaires préparent les expériences qui donneront naissance à l'élément 119, puis 120, etc. Et ce avec d'autant plus d'enthousiasme que la théorie prévoit qu'ils atteindront bientôt un îlot dit "de stabilité". Dans cette zone de la classification, les noyaux superlourds (plus de 92 protons) devraient être moins instables et capables de survivre quelques minutes contre quelques secondes pour les plus lourds synthétisés à ce jour.

M.G. - SCIENCE & VIE N°1163 > Août > 2014
 

   
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