Index des SCIENCES -> CHIMIE 
   
 
Les Installations Classées Seveso 2

Catastrophe de Lubrizol


SCIENCE & VIE N°1227 > Décembre > 2019

Incendie de Lubrizol, le Défi Sanitaire

F.D. et R.M. avec L.C. - SCIENCES ET AVENIR N°873 > Novembre > 2019

Des Bombes au Cœur des Villes

La France compte 648 installations classées "Seveso 2 seuil haut". Soi-disant surveillés pour éviter les risques d'explosions ou d'émissions toxiques, ces sites ne cesse de connaître des incidents... à nos portes !

Le 21 septembre 2001, l'usine AZF de Toulouse (appartenant à la Société Grande Paroisse, une filiale de Total) explose, soufflant de nombreux bâtiments et causant la mort de 30 personnes et des milliers de blessés. "Depuis ce jour terrible, tout le monde a pris brutalement conscience des risques industriels.

Des maires et des habitants des communes concernées jusqu'aux industriels qui sont devenus plus humbles", explique Jean-Paul Lecocq, puté-maire PC de Gonfreville-l'Orcher, une petite commune de l'agglomération du Havre de près de 10.000 habitants qui abrite neuf sites considérés comme sensibles.
Gonfreville vit avec ces risques inouÏs depuis des années, à l'instar de centaines d'autres villes qui acceuillent ou sont situées à proximité des 648 installations industrielles classées "Seveso 2 seuil haut" que compte la France.

Depuis la catastrophes de 2001, le législateur a certes mis en place les plans de prévention des risques technologiques, les PPRT (encadré ci-dessous), mais les accidents et incidents n'ont jamais cessé.

SEULEMENT 4 PLANS DE PRÉVENTION SIGNÉS POUR 420 PRÉVUS
Le 30 juillet 2003, deux ans après la catastrophes d'AZF, la loi "Bachelot", dite loi "risques", met en place un ensemble de mesures de prévention des risques technologiques et naturels et organise la réparation des dommages pour les victimes de catastrophes. Elle crée les fameux PPRT, plans de prévention des risques technologiques, qui combinent réduction des risques à la source, réglementation de l'urbanisation et des constructions et mesures foncières pouvant aller jusqu'à l'expropriation. Au total, 420 PPRT doivent être réalisés, concernant 622 établissements industriels et plus de 900 communes. Si 200 PPRT ont déjà été lancés, seuls 80 sont en cours et seulement 4 approuvés ! "L'état et les préfets n'ont jamais mis les moyens de réunir les CLIC, les Comités locaux d'information et de concertation, qui réunissent élus et riverains et qui doivent participer à l'élaboration des PPRT aux côtés des industriels, regrette Christine Gilloire, de France nature environnement (FNE). 0n n'ose penser qu'il faudrait une nouvelle catastrophe pour rebooster tout le monde". Même crainte chez Marc Sénant, chargé de mission à la FNE, pour lequel "la charge qui pèse sur les industriels n'est pas suffisante".

À ce jour, la base ARIA (Analyse, recherche et information sur les accidents) du ministère de l'écologie, de l'énergie, du Développement durable et de l'Aménagement du territoire recense plus de 32.000 accidents ou incidents survenus en France ou à l'étranger, dont plus de 1300 pour la seule année 2007 (encadré ci-dessous). D'où l'urgence de la mise en place des PPRT...

DEPUIS AZF, DES ACCIDENTS EN CASCADE
À Pont-de-Claix, dans l'Isère, 18 incidents ont été répertoriés sur la plateforme chimique de la ville entre 2001 et 2007
. Fuite de toluène diamine (un blessé léger), fuite de phosgène (évacuation du personnel), rejet d'ammoniac (confinement du personnel), explosion d'une cellule d'électrolyse (deux blessés légers), etc. Dans le même département, à Roussillon, en juin 2007, un départ de feu est détecté dans une usine chimique. En avril 2007, à Huningue, dans le Haut-Rhin, un feu se déclare dans le laboratoire de recherche appliquée d'une usine de production de colorants et de pigments classée Seveso. En août 2005, à Chauny, dans l'Aisne, lors du dépotage d'une barge sur un site chimique classé Seveso seuil haut, 60 m³ d'orthoxylène se déversent sur la berge pendant 45 minutes et polluent l'Oise. La liste est encore longue et consultable sur internet : www.aria.developpement-durable.gouv.fr

Le premier PPRT a été établi dans le Pas-de-Calais, en juin 2006, sur la commune de Mazingarbe : il concerne la plate-forme chimique de la Société artésienne de Vinyle-Grande Paroisse. Ce PPRT pilote délimite, comme l'a prévu la loi de 2003, des périmètres d'exposition aux risques. Dans certaines zones, la construction d'ouvrages, de bâtiments ou d'habitations est désormais interdite. Le PPRT fixe également d'autres zones, où le niveau de risque pour la vie humaine est très fort. "Si on avait voulu appliquer strictement les textes, dénonce Christine Gilloire de France nature environnement (FNE), il aurait fallu exproprier 80 % de la commune ! En théorie, le financement des expropriations doit être partagé entre les industriels, l'état et les collectivités locales. En pratique, tout le monde se refile la patate chaude car personne ne veut payer. Résultat : on contourne le problème". Gonfreville-l'Orcher de son côté, attend avec impatience son propre PPRT, bien plus compliqué à installer que celui de Mazingarbe.
Charles Leroy, un habitant à la retraite après trente-trois ans à la raffinerie Total, se souvient du terrible incendie de septembre 2000, qui a duré plus de 18 heures, éclairant la zone comme en "plein jour", sans faire heureusement de victime : "La flamme était haute de 40 métres, visible à des kilomètres à la ronde". Son voisin, Jean-Pierre Boudin, opérateur à l'époque à la raffinerie : "J'étais à 30 mètres de l'explosion et j'ai senti la chaleur sur mon dos". Les retraités ne veulent pourtant pas quitter leur pavillon. Le maire est très conscient des dangers. "Les élus participent à des simulations d'accidents avec pompiers, gendarmes et industriels. Même en maternelle, les plus petits font des exercices", explique-t-il. Sa botte secrète : la fibre optique. Bientôt, la totalité des foyers de Gonfreville seront reliés au PC de la mairie et posséderont une "Alertbox", un boîtier qui les avertira, en temps réel, dans des délais beaucoup plus courts qu'aujourd'hui. De son côté, le responsable du service Risques majeurs de la communie, Christian Chicot, a suivi une formation, comme quelques administrés, pour devenir un "nez" spécialisé dans les produits chimiques, comme il y a des "nez" en parfumerie ou en onologie. "On est à même de détecter les odeurs suspectes", commente-t-il.
Plus au sud, près de Lyon, dans le fameux couloir de la chimie, d'autres "citoyens-nez" effectuent le même travail de détection. "À Feyzin, raconte Alain Chabrolle, administrateur de la FRAPNA (Fédération régionale de la protection de la nature, membre de FNE), des odeurs de solvants ont pu être détectées alors qu'elles ne l'avaient pas été avant. Et des fuites non repérées ont pu être colmatées". Pourtant, la situation de la première région chimique de France reste préoccupante : 13 sites Seveso 2 AS (seuil haut) sur une dizaine de kilomètres, 15.000 salariés, 400.000 habitants concernés...
Ici, on n'oublie pas Feyzin 1966 et l'incendie de sa raffinerie : dix-huit morts, des centaines de blessés. Aujourd'hui, la FRAPNA considère que la DRIRE (Direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement n'est pas en mesure de faire son travail de vigilance. Alain Chabrolle estime insuffisant le nombre d'agents de l'état pou effectuer des visites régulières et inopinées. Pour Marc Sênant, de FNE, "le manque de gendarmes de l'industrie (les inspecteurs des installations classées, ndlr) ne permet pas de répondre à une vraie mission de prévention des risques. 0n dénombre autour de 500.000 installations polluantes ou «à risque» en France pour seulement 1200 inspecteurs chargés de les surveiller" ! Non loin de là, à Pont-de-Claix, dans l'Isère, la filière du chlore est en crise. Sur les trois sites que compte la ville, ce sont 2 fois moins d'emplois directs en 20 ans. "Des usines peu rentables, ce sont des investissements en moins. Moins d'investissements, c'est moins de sécurité", pense son président, Laurent Manivel.
La loi Bachelot prévoyait bien la mise en place d'un comité d'hygiène global pour les sites Seveso mais à Pont-de-Claix, ce comité est resté lettre morte. La participation des citoyens au débat sur les risques des sites s'est résumée à deux réunions en deux ans. Ce qui n'est pas la meilleure des nouvelles pour une cité de 12.000 personnes dont les plus proches habitations se situent à 500 mètres des ateliers dangereux de la plateforme chimique. Ce n'est pas de bon augure non plus lorsque l'on sait que Pont-de-Claix est le dernier lieu en France à produire du phosgène, un ancien gaz de combat à l'odeur de foin très discrète.
Près de Marseille, à Fos-sur-Mer, le port autonome accueille dix sites classés Seveso 2 et attend la construction d'un onzième, un terminal méthanier GDF. C'est beaucoup pour une population de 17.000 habitants. Une quarantaine de pipelines traversent la ville dans son sous-sol. Rien que sous le trottoir de la grande plage, il en passe au moins cinq. Le projet de construction d'un nouvel incinérateur fait grandir le mécontentement des citoyens, et les relations se tendent entre les industriels et les élus locaux...
Dans le Nord-Pas-de-Calais, "il y a 47 établissements Seveso 2 AS, rouspète Jean-Marc Sename, président de l'Adelfa (Assemblée pour la défense de l'environnement du littoral Flandres-Artois, membre de FNE). Sans compter les centrales nucléaires de Gravelines". Chez Polymérie Europa, une usine d'hydrocarbures et de propylène, les accidents ont tendance à se répéter. À Saint-Paul-sur-Mer, les dépôts pétroliers sont construits juste à côté des habitations. Même son de cloche dans l'est de la France : "Les villes de Saint-Avold et de L'Hôpital sont assises sur une bombe", dénonce Michel Kaspar, président de l'ADELP (Association pour la défense de l'environnement et de la lutte contre la pollution, membre de FNE) de Saint-Avold, en Moselle. "À côté, Toulouse-AZF, ce n'est rien, poursuit-il. Nous sommes 15.000 habitants en contact direct avec des complexes industriels. C'est un melting-pot d'usines et d'habitations. Il y a des risques d'explosion, d'incendies et de nuages de poussières toxiques. Dans la rivière du Merle, il a plus de poissons, que des algues mutantes".
Le procès AZF, lui, s'ouvrira le 23 février prochain à Toulouse. Au terme d'une longue instruction, le juge Thierry Perriquet a conclu à une cause chimique et accidentelle : le mélange de deux produits incompatibles fabriqués sur le site.

F.R. (avec E.C. et O.D.) - CHOC N°113 > Novembre > 2008
 

   
 C.S. - Maréva Inc. © 2000 
 charlyjo@laposte.net