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Apaisée, la Terre Gronde Encore

Paisible, la planète bleue ? L'image tranquille qu'elle dégage de l'espace est trompeuse. Car son enfance tourmentée a laissé d'indélébiles traces.

Ainsi, sous sa croûte épaisse remonte toujours le magma brûlant, qui jaillit en boutons volcaniques purulents. Sa peau de basalte ou de granit, lézardée de crevasses qui s'ouvrent à peine l'une cicatrisée, subit toujours d'incessants séismes. Tandis que son atmosphère, balayée par des vents toujours puissants, se gorge d'eau sous les océans tropicaux pour la relâcher brusquement à la faveur d'un relief ou d'un coup de froid. Alors à quand sa prochaine colère ?

ELLE CACHE EN ELLE UNE CHALEUR IMMENSE

Une boule d'énergie ! L'image colle à merveille à notre planète, tant elle cache en elle une chaleur immense, accumulée au gré des collisions d'astéroïdes, et qui est la clé de son caractère colérique. Le cour brûlant dans unespace glacé, la planète bleue, réchauffée de face par le Soleil, mais réfrigérée de dos par l'obscurité froide de la nuit, et soumise aux variations cycliques. des saisons, encaisse les contrastes et peine à garder son équilibre. Alors volcans et séismes, ouragans, tempêtes et pluies diluviennes sont autant de moyens, pour elle, d'évacuer ces trop-pleins d'énergie qui s'accumulent. En particulier, depuis que l'océan de magma, qui couvrait initialement sa surface, s'est cristallisé en croûte rocailleuse. Car depuis, coincée dans ce couvercle de roche qui l'enserre et l'isole, la Terre ne peut plus irradier à sa guise sa chaleur dans l'espace. Or, son cour est resté très chaud : de l'ordre de 4000°C à la surface du noyau externe.
Très chaude en dessous, froide au-dessus, la Terre souffre donc, depuis des milliards d'années, comme une casserole laissée sur le feu. Ou plutôt, comme un gratin dans un four à micro-ondes, car les éléments radioactifs qu'elle contient, comme l'uranium ou le thorium, la surchauffent de l'intérieur dans toute l'épaisseur du manteau.
Que pouvait-elle faire de toute cette chaleur ? La laisser diffuser lentement vers l'extérieur ? Ce n'était guère efficace et la physique avait mieux à proposer : pour l'évacuer plus vite, c'est l'ensemble de la matière qui s'est mise à circuler. Les morceaux les plus "froids" du manteau, plus denses, ont commencé à plonger vers le cour et à se réchauffer, tandis que des morceaux chauds, pour compenser, sont remontés vers la surface d'où ils diffusent plus rapidement leur énergie. Un grand ballet d'ascenseurs thermiques s'est ainsi mis en place, lentement, très lentement. Et pour cause : le manteau, dans lequel s'organisent ces mouvements, est soumis à des pressions telles qu'il est... solide.
Comment une boule solide peut-elle organiser, en elle-même, de grands courants de matière ? La notion de solide, en mécanique, est tout à fait relative et dépend beaucoup de l'échelle de temps que l'on considère. En témoignent les glaciers alpins qui, bien que solides, "coulent" imperceptiblement dans les vallées, entraînant parfois sur des kilomètres le corps d'un malheureux tombé dans une crevasse. Le manteau terrestre fait de même : il a beau être rocheux, dès lors qu'on l'observe sur des périodes suffisamment longues, on peut le voir couler comme un corps pâteux, décrivant de grands mouvements de convection, à des vitesses de quelques... millimètres par an.

LES BLOCS S'ENTRECHOQUENT

Ces mouvements de convection sont diablement efficaces pour transporter la chaleur. Sauf que la surface - ou lithosphère -, recouverte d'une croûte rocailleuse océanique ou continentale, empêche obstinément les échanges d'énergie vers l'extérieur. La chaleur qui circule à l'intérieur reste donc bloquée sous les derniers kilomètres.
Alors, ce qui devait arriver un jour arriva : ce couvercle se cassa. Quand et comment ? Nul ne le sait. Peut-être très tôt, lorsque la Terre n'avait, tout au plus, qu'une centaine de millions d'années. Des "bulles" de matière chaude se sont accumulées d'un côté, des blocs de croûte froide très denses de l'autre. Bref, les contraintes sont devenues si fortes que la chape s'est fendue. Et un gros bloc de croûte océanique s'est mis à sombrer dans le manteau. D'autres ont peut-être suivi, avant que la croûte se reforme... et casse à nouveau.
La Terre a organisé plus finement ces cassures le long d'une multitude de plaques. Comme un ballon de football, sa surface s'est transformée en un patchwork croûteux de plaques rigides, abritant aussi bien des océans que des continents, capables de se déplacer lentement les unes par rapport aux autres sur un manteau un peu plus "mou".
Qu'est-ce qui fait bouger ces lourdes plaques ? La gravité, justement. La lithosphère océanique, en surface, s'épaissit au fur et à mesure qu'elle refroidit. Elle devient donc de plus en plus lourde. Et finit par s'enfoncer, emportée par son propre poids, dans les profondeurs du manteau. D'autant que les transformations chimiques qui accompagnent sa descente la rendent encore plus lourde. Cette chute de matière froide fait remonter, par effet de balancier, à plusieurs centaines de kilomètres de là, de la matière chaude, qui ramollit la croûte. Tirée vers le bas d'un côté, fragilisée par la chaleur ou par une usure particulière de l'autre, cette croûte finit par se rompre en rifts béants.
La Terre, dès lors, arbore deux types de cicatrices : des zones de subduction d'un côté, sous les océans, où la matière froide et lourde plonge dans le manteau ; des rides, rifts ou dorsales de l'autre, où du manteau solide remonte, au contraire, des profondeurs, se liquéfiant en magma à l'approche de la surface, et évacuant ainsi la chaleur venue des profondeurs. Magma qui, en se refroidissant, forme de nouveaux morceaux de croûte, entraînés à leur tour vers la zone de subduction comme sur une nappe que l'on tire (voir infographie ->).
Ces mouvements, hélas, ne vont pas sans heurts. Plaque contre plaque, continent contre continent, les blocs s'entrechoquent. Des tensions s'accumulent et se libèrent en autant de séismes. Faire apparaître ces plaques sur un planisphère est d'ailleurs un jeu d'enfant : il suffit de reporter sur une mappemonde l'ensemble des séismes qui secouent régulièrement la planète. Les lignes qu'ils finissent par dessiner marquent, comme par enchantement, leurs différentes frontières.
Quand la Terre joue des coudes, le sol se braque... En particulier autour des fosses de subduction, là où une plaque plonge sous une autre. Les réactions y sont les plus violentes. L'océan Pacifique, qui abrite la plupart des zones de subduction, paie donc, en toute logique, un lourd tribut aux colères internes de la Terre.

TERRE DE CONTRASTES

Ces colères lui permettent-elles réellement d'évacuer son trop-plein d'énergie ? Reconnaissons que le bilan est plutôt faible : la Terre ne perd que l'équivalent de 40 térawatts (un térawatt équivaut à un térajoule par seconde), soit, en moyenne, de l'ordre de 80 milliwatts par mètre carré, pas même de quoi alimenter une petite ampoule. Sans compter que sa radioactivité interne lui fait gagner 20 térawatts. Résultat : la Terre, en 4,5 milliards d'années, ne s'est refroidie que de 400°C environ, la température à la base des plaques océaniques étant d'environ 1300°C actuellement, contre près de 1700°C au moment où sa surface a cristallisé. Elle n'en a donc pas fini de sitôt avec les séismes et le volcanisme.
D'autant que le Soleil, de son côté, persiste à la réchauffer. Ses rayons injectent en moyenne 342 watts/m². Terre et atmosphère en renvoient illico 30 % dans l'espace (infographie). Mais le reste est absorbé, avant d'être émis à nouveau sous d'autres formes. Problème : ce réchauffement supplémentaire est tout sauf uniforme. Jour contre nuit, hémisphère Sud contre hémisphère Nord, équateur contre pôles : les contrastes s'accumulent, que la Terre équilibre, là encore, comme elle le peut. Cette fois-ci par des mouvements d'air et de mer, incomparablement plus rapides, mais qui sont à l'origine d'autant de colères supplémentaires. Vents violents qui se déchaînent entre régions froides et chaudes, évaporation d'un océan surchauffé, qui retombe en déluge lorsque cette vapeur, gagnant les hauteurs froides, se recondense en pluie ou en neige. De ces déséquilibres permanents naissent d'incessants mouvements d'humeur dont l'homme, bien malgré lui, fait les frais. Mais cela vaut sans doute mieux qu'une planète morte.

E.M. - SCIENCE & VIE Hors Série > Mars > 2011
 

   
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