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Mais que Cache le Centre de la Terre ?

Pour le savoir, un projet fou compte envoyer une sonde jusqu'au noyau de notre planète. Car faute d'avoir jamais été observé de près, celui-ci suscite toujours bien des hypothèses. Dont celle d'un "géoréacteur"...

Envoyer une sonde dans les entrailles de la Terre : tel est le projet insensé, aux allures de science-fiction, que propose David Stevenson, du California Institute of Technology, à Pasadena (États-Unis). Calculs à l'appui, le planétologue a imaginé créer une faille profoncle dans le sol, injecter dans cette fissure une énorme goutte de fer en fusion d'au moins 100.000 tonnes, avant d'y placer une soncle grosse comme un pamplemousse. Le tout s'enfoncerait par gravité dans le sol en fracturant les roches environnantes et atteindrait le cour de notre planète en une semaine. Une mission démesurément ambitieuse. Et pour cause, si elle devenait réalité, elle concrétiserait un vieux rêve de géologue : savoir précisément ce que cache le centre de la Terre. Car pour l'heure, cette région reste extrêmement mystérieuse. À tel point qu'aucune hypothèse ne peut être exclue. Même les plus audacieuses.

Surpris ? Il y a de quoi : les livres de géologie ne donnent-ils pas depuis longtemps une description bien arrêtée du centre de la Terre ? Selon eux, le cour de la planète est un noyau de fer solide (comportant aussi des traces de nickel, de carbone, de soufre ou d'oxygène...) de 2400 km de diamètre. Représentant près de 2 % de la masse du globe, cette graine, ou noyau interne, est nichée à plus de 5100 km de profondeur. Là règnent des températures atteignant les 5000°C ! Et la pression - 330 mégapascals (Mpa), soit plus de 3300 fois celle de la surface du globe - est telle qu'elle déforme même l'élément le plus dur, le diamant. "Depuis sa découverte en 1936 par la sismologue danoise Inge Lehmann, la présence de ce cour de fer solide a été confirmée par toutes nos données", souligne Stéphane Labrosse, spécialiste du noyau terrestre à l'Institut de physique du globe de Paris.

UNE CÉCITÉ QUI OUVRE LA VOIE À DE SURPRENANTES THÉORIES

Mais voilà, les observations du centre de la Terre sont peu nombreuses. Et surtout, toutes sont indirectes : les géologues les obtiennent via l'étude de séismes (Enjeux), de modèles numériques, ou encore d'expériences en laboratoire à hautes températures et pressions. Autrement dit, ils étudient un phénomène qu'ils ne voient pas. Recueillir quelques échantillons du centre de la Terre par forage ? Réalisé à la fin des années 80 par des Russes dans la péninsule Kola (dans le Nord-Ouest de la Russie), pour tenter d'atteindre la couche du globe située juste sous la région la plus superficielle, le "manteau", le record à ce jour en dissuade vite : il ne dépasse guère 12 km. Soit seulement 0,2 % de la distance qui nous sépare du cour de la planète ! Cette cécité laisse la porte ouverte à des théories parfois surprenantes.

Enjeux : Savoir ce que renferme le centre de la Terre permettrait de mieux s'expliquer la formation et l'évolution de la planète, ainsi que le processus engendrant le champ magnétique, qui protège la planète des rayons cosmiques et des flots de particules chargées provenant du Soleil, les vents solaires. Aujourd'hui, les géophysiciens travaillent sur des modèles numériques qui simulent les mouvements de particules de fer dans l'énorme masse liquide entourant le "noyau externe". Mais le processus conduisant aux changements de direction du champ magnétique est encore énigmatique. Or, mieux l'appréhender permettrait de l'anticiper et de limiter ses répercussions sur les satellites. En effet, les inversions s'accompagnent d'un affaiblissement du champ magnétique, ce qui provoque une augmentation du rayonnement cosmique, dont les satellites risquent de pâtir.

Comme celle défendue par Marvin Herndon, géophysicien à San Diego, aux États-Unis, qui vient de publier une synthèse de ses travaux. Ce qu'il postule au juste ? Que nous sommes assis sur un énorme... réacteur nucléaire ! Au vrai, le chercheur américain ne remet pas en cause la présence d'une "graine" au centre de la Terre, mais clame qu'elle renferme un siège de réactions de fission en chaîne, plus précisément une boule d'uranium radioactif de 8 km de diamètre.

Champ magnétique : produite dans le centre de la Terre, cette force protège la planète des rayons cosmiques et des vents solaires.
Fission : division d'un noyau atomique lourd provoquant une libération d'énergie.
Ondes sismiques : vibrations produites par les séismes, voyageant entre 3 et 15 km/s : les ondes primaires (P) et secondaires (S), les P se déplaçant plus vite.

Cette hypothèse est née de plusieurs observations troublantes. Tout d'abord, la découverte, en 1972, par des chercheurs du Commissariat à l'énergie atomique (CEA) menés par Francis Perrin, d'un ancien réacteur nucléaire naturel dans une mine d'uranium à Oklo, au Gabon. Là, les chercheurs décelèrent les traces chimiques (du samarium et du néodyme produits par fission) d'un "géoréacteur" qui aurait fonctionné pendant 200 millions d'années avant de s'éteindre il y a quelque deux milliards d'années.
Autre observation : le rapport 3He/4He (deux fomles du gaz rare hélium) anormalement élevé dans des roches volcaniques noires, compactes et très dures, appelées basaltes, trouvées à Hawaï. Or, l'élément 3He est un sous-produit de fission nucléaire. Et en 2001, dans le laboratoire national d'Oak Ridge (Tennessee), aux États-Unis, la simulation numérique d'un réacteur au centre de la Terre a révélé que les valeurs du rapport 3He/4He obtenues étaient similaires à celles mesurées dans les basaltes d'Hawaï. Un bon argument en faveur de sa thèse, estime Marvin Herndon. "L'existence d'un réacteur nucléaire au centre de la Terre permettrait de comprendre les changements de direction du champ magnétique terrestre", explique-t-il.
En effet, au cours de l'histoire de la planète, le nord magnétique correspondait tantôt au pôle Nord géographique, comme aujourd'hui, tantôt au pôle Sud, comme il ya 780.000 ans. Or, le mécanisme de ces inversions n'est pas encore très bien compris. "Le géoréacteur aurait une activité variable, s'assoupissant à certains moments, et redoublant d'intensité à d'autres, poursuit Marvin Herndon. Et c'est au cours de ces reprises d'activité que les changements de direction du champ magnétique se produiraient." Selon Hatten Yoder, directeur émérite du laboratoire de géophysique au Carnegie Institution de Washington, "l'hypothèse d'un géoréacteur à l'intérieur de la Terre va certainement avoir un grand impact en géophysique. Elle a le mérite de fournir une explication plausible aux inversions magnétiques."

Ce qui fait sursauter les partisans de la théorie du cour de fer solide. Car eux ont déjà une autre théorie pour expliquer ces inversions. À savoir : le champ magnétique est engendré par de gigantesques courants de fer liquide circulant dans la masse d'acier liquide (constituée de fer, mais aussi de nickel, de silicium...) entourant la graine, le "noyau exteme" : les mouvements de convection et les inversions du champ magnétique sont dues à des instabilités, d'ordre thermique notamment, survenant dans ces mouvements de convection.

L'HYPOTHÈSE DU "GÉORÉACTEUR" DIVISE LES CHERCHEURS

Plus concrètement, ces instabilités affaiblissent le champ magnétique qui meurt et repart dans l'autre direction. "Cette explication a été confirmée par nos modèles numériques", rappelle Stéphane Labrosse. Philippe Cardin, spécialiste de la modélisation du champ magnétique à l'Observatoire de Grenoble, juge aussi l'hypothèse du géoréacteur contestable. Mais il fait remarquer que les inversions du champ magnétique ne sont peut-être pas dues à des instabilités. "Bien sûr, fait-il observer, nos outils numériques sont parvenus à les reproduire. Mais si ces modèles sont d'une fiabilité totale d'un point de vue scientifique, personne ne peut dire si leurs simulations représentent vraiment la réalité... Et pour cause : pour construire leurs modèles, les géophysiciens ne se sont pas laissés guider par les phénomènes naturels, trop extrêmes pour leurs ordinateurs - personne, par exemple, n'a encore réussi à recréer l'épouvantable pression régnant à 2900 km de profondeur (quelques centaines de mégapascals : presque 1500 fois la pression de la surface). Ils ont fait simple dans un premier temps en mettant au point des modèles qui simulent des scénarios possibles... "Reste que la thèse du géoréacteur est une spéculation qui n'a encore reçu ni la confinnation de l'expérimentation, ni celle de l'observation", enchaîne Francis Albarede, géochimisteà l'Ecole normale supérieure de Lyon. Mais que penser alors de l'histoire du géoréacteur d'Oklo ? "À l'époque de ce réacteur, rappelle le géochimiste, 3 % de l'uranium sur Terre était de l'uranium 235. Or, la quantité de cet élément diminue de moitié tous les 700 millions d'années. Et aujourd'hui il en subsiste seulement 0,7%. Ce qui est insuffisant pour induire une réaction en chaîne. De plus, ce géoréacteur se trouvait dans la couche la plus superficielle du globe, la croûte. Pas dans le noyau...

UNE FOULE D'INTERROGATIONS

Et le rapport 3He/4He anormalement élevé dans les basaltes d'Hawaï ? "On l'explique par une autre hypothèse : la persistance d'hélium produit lors de la formation de notre planète et stocké dans le manteau, entre 700 et 3000 km de profondeur". Selon le géochimiste, une preuve réelle serait de démontrer la présence dans les laves provenant de l'intérieur de la Terre de xénon (un autre gaz rare) fissiogénique, autrement dit de xénon résultant de réactions nucléaires de fission de l'uranium.
À l'Ecole normale supérieure de Paris, le géophysicien Christophe Vigny pense aussi que, pour imposer sa thèse, Marvin Herndon doit présenter des données non expliquées par la théorie actuellement dominante. Pourtant, le chercheur français reconnaît qu'en l'état des connaissances actuelles, il est difficile d'exclure complètement la présence d'un géoréacteur sous nos pieds. Et pour cause : l'imagerie sismologique ne permet pas aujourd'hui de contredire cette hypothèse - en montrant qu'il n'existe pas de structure au sein de la graine. La raison ? "Si elle est très précise, cette technique nous fournit une image encore brouillée des objets localisés très profondément et 'masqués' par les structures plus superficielles, explique Annie Souriau, sismologue à l'Observatoire Midi-Pyrénées de Toulouse. Il faudrait développer de nouvelles méthodes pour distinguer d'éventuelles structures de petites tailles, c'est-à-dire de quelques dizaines de kilomètres." En résumé : à ce jour, rien ne démontre l'existence d'un géoréacteur au centre de la Terre. Mais paradoxalement, rien ne prouve non plus son absence...
Marvin Herndon n'est pas le seul à émettre l'hypothèse d'un autre centre à l'intérieur du cour de fer solide. Bizarrement en décembre dernier, Adam Dziewonski, sismologue de renommée internationale de l'université Harvard, aux États-Unis, annonçait avoir découvert une structure inconnue de 600 km de diamètre dans le centre de fer solide. Ceci après avoir analysé patiemment des centaines de milliers d'enregistrements sismologiques recueillis au cours des trente dernières années. Certes, il ne s'agit pas ici du géoréacteur de 8 km de diamètre. Mais comme la théorie du géoréacteur, il interpelle la théorie dominante.
Selon Philippe Cardin, la thèse de Marvin Herndon peut s'inscrire dans un débat plus large qui, aujourd'hui, agite le monde de la géologie : celui relatif à la présence d'éléments radioactifs dans le noyau. Plus précisément, certains postulent que le centre de la Terre renferme des éléments radioactifs, pas en assez grande quantité pour former un réacteur nucléaire, mais suffisamment pour produire de la chaleur engendrant le champ magnétique. L'un des partisans de cette dernière théorie est Rama Murthy, géophysicien à l'université du Minnesota. Depuis 1971, il clame que le noyau de la Terre renferme du potassium radioactif 40. Mais pendant longtemps, les expérimentations en laboratoire ne parvenaient pas à obtenir des données en adéquation avec sa thèse. Dans une étude publiée en mai dernier, le géophysicien a remis les pendules à l'heure. Non pas en démontrant sa thèse... mais en expliquant comment le protocole des expériences menées jusqu'alors faussait les résultats ! De quoi donner le tournis : si en plus de présenter des limites les méthodes d'analyses indirectes sont aussi sources d'erreurs, comment savoir alors de façon définitive ce que renferme le noyau terrestre ?
La solution viendra-t-elle du projet fou de David Stevenson d'envoyer une sonde au centre de la Terre ? Encore faut-il qu'il soit réalisable. Or, si ce projet ne soulève pas d'objections théoriques, sa faisabilité suscite une foule d'interrogations. En particulier : peut-on construire une sonde apte à résister aux hautes températures et pressions régnant dans le cour de la Terre ? Ou encore : aucun matériau existant n'étant capable d'endurer les conditions extrêmes qui régneraient au sein de la goutte de fer en fusion, comment assurer la communication entre la sonde et la surface ? Sans parler de l'aspect financier... À l'évidence, le centre de la Terre risque de garder son secret enfoui encore un moment.

LA SISMOLOGIE N'A PAS DIT SON DERNIER MOT
"En attendant d'envoyer une sonde dans le cour de la planète, pour mieux appréhender ce qu'il renferme, il faut compter sur le développement de l'imagerie sismologique", commente Christophe vigny, géophysicien à l'Ecole normale supérieure de Paris. Cette technique, qui a permis de détecter, en 1936, le cour de fer solide, consiste à analyser la propagation d'ondes sismiques traversant le centre de la Terre. Ces ondes sont réfléchies ou réfractées à l'interface entre deux couches de nature différente. Conséquence : le changement de leur direction et de leur vitesse permet de repérer les diverses couches géologiques. La sismologie a connu des progrès spectaculaires ces vingt dernières années. La mesure du temps de propagation des ondes se fait aujourd'hui à la milliseconde près ! Cependant, poursuit Christophe vigny, "l'idéal serait d'avoir une meilleure répartition des stations sismologiques." Les séismes se produisent principalement au niveau des limites des "plaques continentales". Et nombre de ces limites se trouvent au fond des mers. Il faudrait donc pouvoiir construire des stations qui résistent à la pression régnant au fond des océans, sous près de 4000 m d'eau.

Kheira Bettayeb - SCIENCE & VIE > Aout > 2003
 

   
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