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La Graine Terrestre

La Graine Terrestre a 565 Millions d'années

A.Kh. - SCIENCES ET AVENIR N°865 > Mars > 2019

Graine de Terre Dédoublée

Des enregistrements sismiques remettent en cause la description de la graine, cette sphère solide au centre de la Terre.

Elle serait en fait formée de deux couches d'égale épaisseur : une externe où les cristaux de fer sont orientés nord-sud et une interne où ils suivent une direction est-ouest.
SOURCE : XIAODONG SONG, UNIVERSITY OF ILLINOIS, CHAMPAIGN, ETATS-UNIS.

A.Kh. - SCIENCES ET AVENIR N°817 > Mars > 2015

Le Cour de la Terre serait Plus Jeune qu'Elle

Au début du XXè siècle, les géophysiciens, armés de sismographes, auscultent la Terre et repèrent trois grandes parties : le noyau au centre, le manteau à partir de 2900 km de profondeur, et la croûte en surface. En 1960, une graine solide est perçue au cour du noyau. Mais son étude reste délicate. Deux équipes indépendantes proposent aujourd'hui une théorie qui explique les mécanismes gouvernant sa croissance.

C'est un petit cube en Plexiglas rempli d'eau salée, posé sur une banale paillasse de laboratoire en faïence. Deux tuyaux sont raccordés sous sa base, que tapisse une simple éponge absorbante. Rudimentaire, ce dispositif expérimental vient pourtant de chambouler l'idée que les géophysiciens se font... du centre de la Terre ! Un endroit totalement inaccessible, à 6000 km de profondeur, soumis à 5000°C et 3 millions de fois la pression atmosphérique, où se niche une énorme graine de fer solide entourée d'un océan de fer en fusion. Avec son bac d'eau salée, Thierry Alboussière, à l'université de Grenoble, a réussi à montrer que la graine terrestre serait en perpétuel renouvellement, se solidifiant sous le continent américain tandis qu'elle fond sous l'Asie ! Elle se serait ainsi entièrement renouvelée en seulement 100 millions d'années, alors que l'âge de la Terre dépasse les 4,5 milliards d'années. Son cour serait donc considérablement plus jeune qu'elle !
Une idée révolutionnaire. En effet, les géophysiciens pensaient jusqu'ici que cette boule de fer solide de 2500 km de diamètre qui se trouve au centre de la Terre grossit peu à peu - d'environ un millimètre par an - de manière concentrique, au milieu du fer en fusion qui l'entoure (le noyau externe), au fur et à mesure que l'ensemble se refroidit. Au-delà du noyau liquide se trouve le manteau (entre 2900 km et 30 km sous nos pieds) constitué de minéraux solides, sur lequel repose la croûte, découpée en plaques tectoniques. Cette représentation des entrailles de la planète, nous la devons aux tremblements de terre. Seules capables de faire le voyage jusqu'au centre de la Terre, les ondes sismiques la traversent en effet de part en part avant d'être enregistrées par les sismomètres.

LES TROIS ÉNIGMES DU NOYAU...

Leurs vitesses de propagation permettent de déduire la nature du milieu traversé. Schématiquement, plus le milieu est rigide, plus l'onde voyage vite. Mais si ces ondes ont permis d'observer les grandes masses de matière du sous-sol, elles ont aussi conduit à des énigmes : elles signalent par endroits des bizarreries dont les chercheurs peinent à trouver l'origine.
Premier mystère : à la base du noyau liquide, le long de la graine solide, les ondes marquent un ralentissement anormal. Cela laisse penser que sur ses 250 km les plus profonds, le noyau liquide présenterait une couche de matière plus dense... qui laisse les scientifiques perplexes. Car, comme le précise Michael Bergman, du Bard College de Simon's Rock, dans le Massachusetts, "sur le pourtour de la graine solide, le fer, en cristallisant, rejette des éléments légers qui s'échappent dans le noyau liquide. On n'a donc aucune raison d'observer des éléments plus lourds à cet endroit !"
Et lorsqu'on s'enfonce dans la graine solide, le comportement des ondes devient encore plus étrange. Car s'observe ici une anomalie connue sous le nom "d'anisotropie élastique" : les ondes voyagent plus vite dans la direction nord-sud qu'est-ouest ! Pis : cette irrégularité est plus marquée dans l'hémisphère Ouest de la graine (par convention, sa partie située sous le continent américain) que dans son hémisphère Est (sous le Japon). Mais attention, et c'est la troisième bizarrerie : dans ses 100 premiers kilomètres les plus externes, juste à la frontière avec le noyau liquide, la graine présente une couche isotrope (les vitesses des ondes sont les mêmes dans toutes les directions, nord-sud ou est-ouest) qui, curieusement, est asymétrique : dans cette couche, les ondes voyagent moins vite dans l'hémisphère Ouest que dans l'hémisphère Est !
Couche dense, anisotropie élastique, asymétrie hémisphérique : de quoi s'y perdre, même pour les spécialistes. Sauf... si une théorie globale venait résoudre ces trois énigmes et assembler les pièces du puzzle infernal. Or, avec son éponge et son eau salée, c'est bien l'amorce d'une solution que suggèrent les travaux de Thierry Alboussière avec ses collèges Renaud Deguen et Mickaël Melzani, mais aussi, menés simultanément dans un autre laboratoire, ceux de Marc Monnereau, de l'université de Toulouse, avec Marie Calvet et Ludovic Margerin, qui ont développé un modèle de propagation des ondes, et Annie Souriau, qui a recensé les données sismologiques liées aux propriétés de la graine. Sans compter que d'autres travaux en cours, tels ceux dans lesquels Michael Bergman s'est lancé à leur suite, pourraient parfaire le tableau !
"Il reste incontestablement beaucoup de travail pour parvenir à expliquer toutes les observations, prévient Annie Souriau. Mais c'est un concept tellement élégant que je suis certaine qu'il en restera quelque chose". Concept qui pourrait se résumer ainsi : au lieu de croître sagement à partir de son centre (qui fut au départ entièrement liquide), les cristaux de fer se forment en fait sous l'Amérique centrale, migrent à l'intérieur de la graine, puis fondent sous l'Asie. Et comme il fond un peu moins de cristaux qu'il ne s'en forme, le rayon de la graine grossit d'un demi-millimètre par an, comme le prévoient les modèles de refroidissement de la graine. "L'idée de translation est surprenante, car la Terre est ronde, le noyau est rond, la graine est ronde... On s'attend donc à ce que tout se passe de manière concentrique à l'intérieur de la Terre. Or, là, c'est l'axe horizontal qui gouverne ! C'est très contre-intuitif, et je n'ai pas fait spontanément le rapprochement avec l'asymétrie, bien connue, de la graine vue par les ondes sismiques", raconte Annie Souriau.

... RÉSOLUES PAR UNE THÉORIE

Mais l'intuition première vaut la peine d'être dépassée, car cette théorie de la translation de la graine pourrait rendre compte des trois grandes bizarreries qui empoisonnent les géophysiciens ! D'abord, elle peut expliquer la formation de la couche dense à la base du noyau liquide. Pour comprendre, il faut savoir que le noyau contient majoritairement du fer, mais pas seulement. On y trouve également des éléments plus légers, probablement du soufre, du silicium et de l'oxygène. Or, de la même manière que la glace qui se forme dans l'eau de mer ne contient presque pas de sel, le fer qui cristallise "rejette" les éléments minoritaires qui l'entourent. Lorsqu'ils fondent à nouveau, ces cristaux privés d'éléments légers se transforment donc en un liquide plus dense que le liquide du noyau. Ne pourrait-on donc pas y voir l'origine de la couche dense ? C'est là qu'intervient l'expérience de Thierry Alboussière (->).
À la base de son cube en Plexiglas, rempli d'eau salée à 4 %, le chercheur a fait entrer progressivement à travers une éponge, deux fluides : sur la gauche, de l'eau salée à 6 % ; sur la droite, de l'eau salée à 1,65 %. Des concentrations choisies pour simuler les rapports de densités que l'on trouve entre le fer liquide du noyau, et celui produit à l'est et l'ouest de la graine. "D'un côté l'eau peu salée simule l'ouest de la graine en train de cristalliser (et donc de rejeter des éléments légers) ; de l'autre côté, l'eau très salée, donc plus dense, simule le fer venant d'être fondu, décrit Thierry Alboussière. Or, ce que nous observons, c'est qu'en se mélangeant, une partie de l'eau la plus salée s'étale en couche dense à la base de notre cube !" Même si les conditions de pression et de températures sont très différentes au centre de la Terre, les lois de la mécanique des fluides restent les mêmes, on peut donc soutenir que le fer fondu, plus dense, se déploie en couche le long de la graine... et on retrouve la fameuse couche dense qui était inexplicable !
Et ce n'est pas tout. Car Marc Monnereau est parvenu à montrer de son côté qu'une autre des bizarreries géologiques, l'asymétrie hémisphérique, pouvait s'élucider grâce à cette idée de translation ! Pour lui, si les ondes sismiques vont plus vite sur le bord est que sur le bord ouest de la graine, c'est que les cristaux se forment à l'ouest sous forme de petits grains, qui grossissent peu à peu en migrant vers l'est. Or, "d'après les modèles réalisés par Marie Calvet et Ludovic Margerin, les ondes sont freinées par des petits grains, tandis qu'elles traversent les gros grains rapidement. Si les grains de cristaux de fer grossissent en s'assemblant les uns aux autres au cours de leur voyage vers l'est, les ondes sismiques traversent bien des petits grains à l'ouest et des gros à l'est", remarque Marc Monnereau. CQFD ! L'équipe est même parvenue à déduire que pour être parfaitement en adéquation avec les observations sismologiques, les grains mesurent probablement entre 300 et 700 mètres à l'ouest, contre 7 à 15 km à l'est.
Quant à la troisième anomalie (l'intérieur de la graine est plus anisotrope à l'ouest qu'à l'est), Michael Bergman pourrait bien apporter un éclairage précieux, avec des travaux qui restent à finaliser. "Avant de voir l'article de Marc Monnereau et celui de Thierry Alboussière, nous avions remarqué que des grains en croissance, soumis à de très fortes températures, perdent peu à peu leur anisotropie. En combinant l'idée de translation et ces résultats, on pourrait donc expliquer l'affaiblissement de l'anisotropie à l'est !", se réjouit le chercheur.

LIER À LA DYNAMO TERRESTRE

Pour résumer : la graine se solidifierait à l'ouest sous forme de cristaux de fer de quelques centaines de mètres. Ces cristaux migreraient peu à peu vers l'est en grossissant. La différence de taille des grains entre l'est et l'ouest expliquerait l'asymétrie hémisphérique, tandis que leur perte d'anisotropie dans le temps sous l'effet de la chaleur expliquerait l'anisotropie plus marquée à l'ouest qu'à l'est. Arrivés à l'ouest, les cristaux fondent, et la matière fondue reste en partie piégée à la surface de la graine, expliquant la présence de la couche dense observée. Et le grand puzzle des profondeurs s'assemble parfaitement !
Reste une question : quel phénomène est à l'origine de ce mouvement latéral de la graine ? "La seule force capable de déplacer autant la graine vers l'est, d'après nos calculs, est la gravitation", répond Thierry Alboussière. Selon lui, la graine serait légèrement plus froide à l'ouest qu'à l'est, donc aussi plus dense. Pour revenir à une position d'équilibre de sa masse, la graine aurait donc tendance à se décentrer vers l'est d'une centaine de mètres, et donc à fondre à cet endroit tout en cristallisant à l'opposé. Et le phénomène s'entretient. "La graine est instable dynamiquement. C'est-à-dire que si on la pousse un peu, elle continue son trajet et va cristalliser en permanence d'un côté pour fondre de l'autre", ajoute Marc Monnereau.
Aujourd'hui basé à Lyon, Thierry Alboussière compte bien poursuivre dans cette voie. "Je suis en contact avec des chercheurs qui réalisent des modélisations de la dynamo terrestre (le phénomène à l'origine du champ magnétique terrestre), pour voir si leurs modèles restent cohérents quand on y inclut notre hypothèse, projette le chercheur. Il reste également des problèmes à résoudre, notamment sur la rigidité de la graine. Si elle est très rigide, notre hypothèse fonctionne, mais si elle est très déformable, nous rencontrons de grosses difficultés. Or nous ne savons encore presque rien sur ce paramètre".
Pour Peter Olson, chercheur à l'université Johns Hopkins à Baltimore aux États-Unis et expert reconnu du domaine, "l'hypothèse est un peu exotique, mais elle a des atouts intéressants. Sa principale faiblesse, c'est qu'il est difficile d'imaginer comment la tester par de nouvelles observations. C'est d'ailleurs le problème de toutes les théories sur la graine terrestre !" Reste donc à inventer une autre machine à sonder le cour de la Terre. Un simple cube en Plexiglas tapissé d'une éponge a fait les premiers pas... aux géophysiciens de déployer d'autres trésors d'imagination pour rendre le voyage possible.

LE COUR DE LA TERRE BIENTÔT REPRODUIT EN LABORATOIRE
La difficulté, avec le centre de la Terre, c'est qu'on ne peut pas y prélever d'échantillon ! Ce que l'on sait, grâce à l'analyse de la composition des météorites (qui sont à l'origine de la formation de la Terre) et l'observation des ondes sismiques (qui fournissent la densité du milieu traversé), c'est que le noyau est essentiellement composé de fer. Mais sous quelle forme cristallise-t-il : cubique ou hexagonale ? Quelle est la viscosité de ce fer solide, c'est-à-dire sa capacité de résistance aux déformations ? Quelle est sa conductivité thermique ? Pas de réponses ! Un vrai handicap pour les théoriciens de la graine, qui doivent laisser tous ces paramètres "ouverts". Mais Thierry Alboussière a bon espoir : "Les expériences de laboratoire commencent à s'approcher des conditions de pression et de température qui règnent au centre de la Terre, on devrait donc avoir des indices dans les années qui viennent". Ces expériences ? Elles étudient le comportement du fer dans des enclumes à diamants. Un morceau du métal à étudier est placé entre deux diamants, dont la solidité et la transparence permettent d'exercer de très hautes pressions tout en rendant l'observation possible.

C.B. - SCIENCE & VIE > Novembre > 2010

La Forme Irrégulière de la Graine Terrestre

La forme irrégulière de la graine terrestre serait due à des vents thermiques dans le noyau d'après Julien Aubert (Institut de physique du globe de Paris).

Le noyau est constitué par une "graine" de fer solide de 1200 km de diamètre, croissant au fur et à mesure que notre planète se refroidit. Cette graine est entourée de fer liquide, dont les mouvements sont à l'origine du champ magnétique terrestre.

En étudiant les variations de ce champ au cours du temps, le chercheur a reconstitué les écoulements qui lui donnent naissance et mis au jour un cyclone de plusieurs milliers de kilomètres de diamètre, situé à l'aplomb de l'Asie. Celui-ci entraînerait du matériel plus froid vers la graine, ce qui favoriserait localement une cristallisation plus rapide du fer, et expliquerait les irrégularités.

S.F. - SCIENCE & VIE > Octobre > 2008
 

   
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