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L'Antarctique en Voie d'Exploitation ?

Pétrole, gaz, minerais précieux... l'Antarctique cache potentiellement dans son sous-sol d'immenses richesses qui commencent à attiser les convoitises. Au point que l'interdiction de procéder à des forages pourrait ne pas durer. Restera alors à relever le défi technique.

"Nul doute que l'on y trouvera du bois, des minéraux, des diamants, des rubis, des pierres précieuses et du marbre". Telles sont les richesses que l'explorateur Yves de Kerguelen de Trémarec, en 1772, pensait trouver sur les îles qui portent aujourd'hui son nom et qu'il avait, par erreur, prises pour l'Antarctique. C'est dire combien les ressources du continent blanc font fantasmer les explorateurs depuis longtemps. Mais qu'en est-il vraiment ? À l'heure où, au Nord, l'Arctique fait l'objet d'une véritable ruée vers l'or noir, la question de son pendant austral se pose de façon plus pressante que jamais : son sous-sol recèle-t-il, lui aussi, d'importantes ressources minérales ? De la réponse à cette question dépendra en grande partie l'avenir du dernier continent vierge de la planète. La présence de grandes quantités de pétrole ou de minerais rares ou précieux pourrait en effet, dans un contexte de raréfaction programmée des matières premières, attiser les convoitises et faire naître dans la région de nouveaux enjeux économiques et géopolitiques mondiaux. Il semble même que ce soit déjà le cas... "Il y a deux ans, je vous aurais dit qu'il n'y avait aucune menace concernant l'exploitation des ressources minérales en Antarctique. Aujourd'hui, et c'est un fait nouveau, on sent chez certains pays la volonté de poser la question", estime Yves Frénot, directeur de l'institut polaire français (Ipev) et président du Comité pour la protection de l'environnement du traité sur l'Antarctique.

UN INCROYABLE INVENTAIRE DE MINERAIS

Même si les espoirs de Kerguelen ont d'abord été déçus, on sait aujourd'hui que l'Antarctique n'est pas vierge de ressources. Car si, dès 1908, des traces de charbon étaient identifiées près du glacier Beardmore, par l'expédition Nimrod d'Ernest Shackleton, les explorations menées depuis ont peu à peu révélé la présence de bien d'autres minerais... Au point que, désormais, leur inventaire n'apparaît pas si éloigné des rêves dorés du XVIIIè siècle : fer, cuivre, zinc, manganèse, cobalt, molybdène, et même de l'or et de l'argent. Ces "indices de minéralisation", comme les appellent les géologues, ont été découverts à la périphérie du continent et au sommet des montagnes, sur les 3 % de surface à l'air libre. Les 97 % restants sont en effet recouverts d'une épaisse couche de glace - de 2 kilomètres d'épaisseur en moyenne - qui a, jusqu'à présent, refroidi les ardeurs des géologues. "Les conditions qui règnent sur le continent rendent l'exploration géologique très difficile, ce qui explique que l'on ait aussi peu d'informations précises sur les ressources minières de l'Antarctique", explique René-Pierre Ménot, ex-responsable des missions géologiques en Antarctique de l'institut polaire français.
À défaut de creuser, les scientifiques sont toutefois parvenus à une meilleure connaissance du sous-sol austral grâce aux déductions des paléogéologues, qui se sont fondés sur l'histoire de la formation du continent. Ainsi, il y a 250 millions d'années, l'Antarctique faisait partie du Gondwana, ce supercontinent primordial dans lequel il côtoyait ce qui allait devenir l'Amérique du Sud, l'Afrique, l'Inde et l'Australie, avant que la dérive des continents ne fasse progressivement éclater cet ensemble (carte ->). Ce passé commun incite logiquement les géologues à penser que le sous-sol de l'Antarctique présente d'importantes similitudes avec ceux, bien connus, de ses anciens voisins. Et à déduire de cette hypothèse qu'il contiendrait les mêmes minerais. 1'Antarctique occidental recèlerait ainsi des roches mésozoïques sédimentaires et volcaniques semblables à celles de l'Amérique du Sud, réputées pour leur richesse en cuivre, en or, en argent et en platine ; plus au centre, la chaîne de montagnes Trans-antarctique dissimulerait les mêmes platinoïdes et diamants que sa cousine géologique, l'Afrique du Sud ; enfin, l'Antarctique oriental serait formé de roches plutoniques et métamorphiques qu'on retrouve en Inde et en Australie et qui contiennent de l'or, des diamants, des phosphates et de l'uranium !
Même constat du côté des hydrocarbures. "Quand le Gondwana a éclaté, une sédimentation importante a eu lieu ; d'immenses bassins de plusieurs milliers de mètres d'épaisseur, riches en matière organique, se sont formés", explique René-Pierre Ménot. Ces bassins sont les premiers indicateurs de la présence potentielle d'hydrocarbures. Et de fait, des traces de gaz et de pétrole ont été identifiées dans la mer de Ross, en 1973, par le programme international de forages scientifiques Deep Sea Drilling Project. "On sait qu'il y a du pétrole et du charbon. Mais faute de forage complémentaire, ces gisements sont absolument inquantifiables", détaille Yves Mathieu, géologue et ancien expert "réserves et ressources mondiales en hydrocarbures" à l'Institut français du pétrole. Selon une étude publiée en août dernier par le Lowy Institute, un think tank australien, les estimations les plus optimistes font état de 203 milliards , de barils... ce qui élèverait l'Antarctique rien de moins qu'au troisième rang des réserves mondiales, juste derrière l'Arabie saoudite et le Venezuela !
Les ressources potentielles de l'Antarctique ne font donc aujourd'hui aucun doute. Mais pour en savoir plus sur leur localisation et sur leur intérêt réel, tant en quantité qu'en qualité, il faudrait désormais forer à travers le continent. Or, la zone est protégée depuis 1959 par le traité international qui l'administre collégialement et la préserve de toute mainmise militaire ou économique. C'est dans cet esprit que son complément relatif à la protection de l'environnement, le protocole de Madrid, adopté en 1991 et entré en vigueur en 1998 pour une durée de cinquante ans, interdit la prospection et l'exploitation des minéraux et des hydrocarbures. Son article 7 est on ne peut plus clair : "Toute activité relative aux ressources minérales, autre que la recherche scientifique, est interdite". Du moins jusqu'en 2048, date d'expiration du protocole...

P.-Y.B. - SCIENCE & VIE Hors Série > Décembre > 2011
 

   
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