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Les Feux de Charbon

Les Incendies de la Terre

Chaque année, des millions de tonnes de charbon sont brûlées dans des incendies souterrains incontrôlés, dans le monde entier.

Nulle part, la situation n'est plus dramatique qu'ici, à Jharia, dans l'état su Jharkhand en Inde, où les feux brûlent depuis près d'un siècle ! Des dizaines de feux sont encore actifs dans cette région minière, exposant les habitants à une pollution constante composée de méthane, de soufre et de mercure. Autre danger, le sol en surface risque de s'effondrer - emportant avec lui maisons et routes.

La Chine, premier producteur mondial de charbon, connaît aussi de vastes feux souterrains. Entre 0,5 et 10 % de ses réserves pourraient être en cours de combustion selon une étude publiée en 2009 par le US Geological Survey. Et il y a peut être également des centaines de feux aux États-Unis et en Europe. Les émissions de carbone ont des conséquentes locales, mais qu'en est-il du climat ? Les chercheurs suggèrent qu'elles representent une petite fraction seulement de ce que nous brûlons dans nos usines et centrales énergétiques.

M.R. - LE MONDE DES SCIENCES N°4 > Août-Septembre > 2012

Alerte aux Feux de Charbon

Ils sont en train d'embraser la planète... Au contact de l'air, le charbon s'enflamme spontanément et brûle tant qu'il peut s'alimenter lui-même. Un phénomène bien connu... Qui est en train de prendre des proportions considérables aux quatre coins du globe. Car dans d'innombrables mines abandonnées ou mal obturées, des feux de charbon échappent à tout contrôle, menaçant désormais villes, populations et environnement. Et le pire, c'est que nul ne sait vraiment comment les éteindre. Pourtant, il va bien falloir...

Un nuage menaçant d'émissions toxiques, des villes laissées à l'abandon pour des décennies, des bataillons de pompiers envoyés au cour de l'enfer, des ingénieurs désemparés... Tchernobyl ? Fukushima ? Non. Ce tableau est celui d'un autre drame de la course à l'énergie qui, pour être largement moins médiatisé qu'une catastrophe nucléaire, sévit pourtant en ce moment même aux quatre coins de la planète. À savoir qu'aujourd'hui, des centaines de mines de charbon sont en feu ! Dis comme cela, on imagine mal l'ampleur du problème. Alors, imaginez que ces feux souterrains s'enfoncent jusqu'à 100 mètres de profondeur, qu'ils brûlent parfois depuis plusieurs décennies sur des kilomètres de galeries, que personne ne les contrôle... Et, à force de se propager, qu'ils en viennent à menacer les populations et les villes alentour, sans parler de l'environnement. Or, voilà bien le drame : des pays aussi puissants que les États-Unis, la Chine ou l'Inde se montrent pour l'instant incapables d'éteindre ces charbons ardents qui rongent leur territoire...
Comment en est-on arrivé là ? La faute en revient à plus d'un siècle d'extraction frénétique et souvent sans précautions. Pourtant, tout mineur le sait : le charbon est un matériau foncièrement dangereux ! Pas seulement à cause de ses fameux "coups de grisou" dus à l'explosion du méthane contenu dans le charbon, mais parce qu'il est également prompt à s'enflammer pour un rien. En effet, dès qu'il se retrouve exposé à l'air, ce véritable concentré de carbone enfoui depuis des temps géologiques réagit vigoureusement avec l'oxygène et s'échauffe. Or, s'il ne parvient pas à évacuer cette chaleur - rôle qui incombe d'habitude au système de ventilation sophistiqué d'une mine -, le charbon peut entrer spontanément en combustion. Et quelquefois dès 40°C de température ambiante...

DES MINES À LA MERCI D'UNE ÉTINCELLE

Certes, ce genre d'accident se produit dans la nature depuis la nuit des temps. Mais voilà, l'activité minière humaine a fait exploser le nombre de ces foyers. Non pas tant à cause des mines officielles en activité, où le moindre départ de feu est traité sur le champ, mais plutôt dans ce que l'appétit de charbon a de plus déraisonnable : ces mines abandonnées pour aller extraire ailleurs un charbon plus facile, et qui n'ont jamais été obturées (États-Unis), cette exploitation "sauvage" et sans contrôle des filons qui affleurent en surface (Chine, Inde, Indonésie, Pologne...). Comme le raconte Maohua Zhong, spécialiste chinois des feux de charbon, "l'extraction 'non réglementée' a ouvert des veines de charbon à l'air libre, tandis que les galeries creusées ensuite clandestinement ont fourni un passage idéal à l'oxygène". D'autant que ces mines plus ou moins abandonnées, non refermées et non surveillées, sont à la merci de la moindre étincelle... qu'elle soit provoquée par un feu de forêt ou d'ordures, du matériel d'extraction obsolète ou toute autre négligence.
L'ennui, c'est que ces brasiers des profondeurs n'ont rien de commun avec les classiques et assez bien maîtrisés feux de forêt. "Les feux de charbon brûlent sans flamme, selon le mode de combustion le plus persistant qu'il existe sur Terre : songez qu'en Australie, un filon se consume ainsi depuis 6000 ans, s'exclame Guillermo Rein, chercheur en sécurité incendie à l'université d'Edimbourg (Ecosse). Cette extraordinaire ténacité est liée au fait que la chaleur entretenant l'incendie provient du combustible lui-même, quand une flamme classique est alimentée par les seuls gaz de combustion". Pour ne rien arranger, les vides laissés par le charbon consumé entraînent des affaissements de terrain qui génèrent des fissures jusqu'à la surface, assurant ainsi de nouveaux apports en oxygène...
Combustible à volonté, chaleur intense, oxygène renouvelé : ce trio infernal transforme n'importe quelle mine de charbon en un irréductible dragon fumant ! En Chine, ces monstres couvrent 720 km² ; les États-Unis comptent à ce jour officiellement 188 veines de charbon en feu (surtout des mines abandonnées depuis les années 1950) ; l'Inde et l'Indonésie semblent dépassées... Quand bien même ces feux couvent" plus qu'ils ne flambent spectaculairement, et même s'ils ne parcourent pas plus de 100 mètres par an, "ces fléaux sont beaucoup plus difficiles à éteindre que le plus virulent des feux de forêts", gronde Maohua Zhong.
Il n'y a pourtant parfois plus d'autre choix que de les affronter ! C'est que, des États-Unis à l'Inde en passant par la Chine, leurs effets peuvent devenir ingérables. Par exemple, "dans la mesure où ces zones sont victimes d'effondrements de terrain, on assiste à la destruction progressive des bâtiments, des routes, des canalisations", déplore Alfred Whitehouse, de l'agence fédérale américaine des mines, qui a traité le cas de la ville de Centralia, en Pennsylvanie. En proie à un feu de charbon, cette bourgade de 1100 âmes a dû être totalement évacuée en 1984. Aujourd'hui, il n'en reste qu'une cité fantôme, avec une seule maison encore debout (voir ci-dessous)...

À CAUSE DES FEUX DE CHARBON... LA SANTÉ DES POPULATIONS MENACÉE EN INDE
À 200 km de Calcutta, la ville de Jharia donne une idée assez juste de l'enfer. La soixantaine de feux de charbon qui y sévit, certains depuis 1913, engendre un brouillard toxique continuel à l'origine des maladies respiratoires les plus variées, et bloque 15 % de la lumière du soleil. Dans le même temps, l'agglomération part en morceaux au gré des affaissements de terrain : routes, voies ferrées, ponts, lignes électriques, canalisations... Sans parler de l'odeur de soufre insoutenable ou des 17 km² de sols agricoles rendus stériles. Entre 300.000 et 400.000 personnes devraient être évacuées incessamment de la région...

À CAUSE DES FEUX DE CHARBON... UNE VILLE RAYÉE DE LA CARTE AUX ÉTATS-UNIS
Située à trois heures de route de New York, Centralia est aujourd'hui une cité fantôme. La mine sur laquelle elle a été bâtie s'est enflammée en mai 1962, à la suite d'un banal feu d'ordures. Depuis, les ingénieurs américains ont entrepris 8 opérations, plus ou moins bien préparées, d'extinction de ce feu de charbon... En vain ! Gaz mortels, effondrements de terrain, routes éventrées (ci-dessus)... En 1984, l'Administration n'a plus eu le choix : elle a fait évacuer ses 1100 habitants. Il ne reste presque plus rien des 522 logements de cette localité désormais digne d'un film d'épouvante (ci-dessous). Et en 2011, le charbon de Centralia continue de brûler, défiant les villes voisines...

À CAUSE DES FEUX DE CHARBON...UN ÉNQRME MANQUE À GAGNER ÉNERGÉTIQUE EN CHINE
Les feux de charbon qui ravagent depuis 1978 le gisement de Wuda (Mongolie intérieure) représentent un immense gâchis. Chaque année, en Chine, ce fléau brûle en pure perte 13,6 millions de tonnes de charbon. Qui plus est, ces brasiers rendent inexploitables 200 millions de tonnes de charbon voisin, soit la production annuelle d'un pays comme la Russie. Leur extinction est devenue une priorité.

ET EN FRANCE ?
L'Hexagone est épargné par les feux de charbon. Pour une raison simple : nos veines de charbon sont assez profondément enfouies pour être inaccessibles aux mineurs "amateurs" et à l'air libre, gage de combustion. Même si, reconnaît Marc Nicolas, un ancien des mines de Lorraine, "certaines galeries ant dû être évacuées puis obturées à la suite de feux non maîtrisés".

UNE MENACE CONCRÈTE POUR LA PLANÈTE

Mais la fragilité des sols n'est pas la seule calamité : ces combustions étouffent aussi les régions voisines de leurs émanations toxiques. Outre le mortel monoxyde de carbone, "j'ai relevé un cocktail d'émissions de mercure, d'arsenic, de gaz acides tel le dioxyde de soufre, de composés organiques volatils cancérigènes, comme le benzène, mais aussi de particules fines", expose Alan Kolker, géochimiste à l'Institut d'études géologiques des États-Unis. Sans parler de la pollution des sols et des eaux souterraines. Selon certains chercheurs, le CO2 émis par ces combustions aurait un impact sur le climat. À démontrer. Toujours est-il, insiste Glenn Stratcher, expert américain en feux de charbon à l'East Georgia College, que "ces phénomènes, beaucoup plus fréquents et durables qu'une marée noire ou un accident nucléaire, ont des méfaits cumulés supérieurs à ceux de la plupart de ces catastrophes environnementales". Pourtant, constate Alfred Whitehouse, "les autorités les ont laissés prospérer jusqu'à ce qu'ils deviennent une menace concrète".
Aujourd'hui, un peu partout dans le monde, l'heure est au combat. Maohua Zhong se félicite que "le gouvernement chinois attache une grande importance aux feux de charbon, dont l'extinction a été inscrite au très officiel agenda du XXIè siècle de la Chine". Pour des raisons environnementales, et aussi parce que toutes ces réserves sont brûlées en pure perte... Depuis dix ans, des chercheurs allemands leur prêtent main-forte afin "d'étudier cet objet très complexe qui mêle physique, thermodynamique, hydraulique et chimie", soulève Thomas Wundrich, spécialiste de la lutte contre les feux de charbon à l'université de Wuppertal (Allemagne). Plusieurs provinces chinoises ont ainsi récemment formé des brigades de pompiers spécialisées... Mais tout spécialistes qu'ils soient, chaque foyer leur demandera dans le meilleur des cas trois ou quatre années d'une lutte acharnée !
Au vrai, la situation de ces pompiers n'est pas beaucoup plus enviable que celle dés "kamikazes de Fukushima"... "Ces interventions peuvent être très dangereuses avec les effondrements de terrain, la menace du monoxyde de carbone, la chaleur insupportable des entrailles portées à 800°C...", admire Glenn Stratcher. Sans compter, poursuit-il, "qu'au milieu des kilomètres de tunnels souterrains, il est parfois impossible de localiser le front de l'incendie". Une seule chose est sûre : pour en venir à bout, il faut éliminer un élément du trio infernal combustible-chaleur-oxygène. L'idéal serait bien sûr de pouvoir extraire, à l'aide d'une noria de bulldozers, le volume de charbon concerné par le feu. Seulement voilà, rétorque Maohua Zhong, "cette opération est très risquée et il faut pouvoir forer et retirer le charbon en allant plus vite que l'incendie". A moins de consacrer environ un milliard de dollars pour chaque foyer imposant, et de mobiliser l'armée américaine ou chinoise, personne ne croit à cette idée radicale... Sinon pour des feux dérisoires à moins de 20 mètres de profondeur. Une autre manouvre paraît plus rationnelle : il s'agit tout simplement d'injecter de l'eau dans les entrailles du monstre.
Objectif ? Evacuer la chaleur de l'incendie pour faire redescendre la température de la mine sous les 40 à 50°C fatidiques. Oui, mais là encore, plus facile à dire qu'à faire ! Il faut que la veine soit très bien préservée, sans circonvolutions inaccessibles à l'eau. Selon Guillermo Rein, "cette stratégie ne pourrait pas être utilisée à Centralia, où le réseau de galeries est très intriqué et rongé par le feu depuis trop longtemps". Avant d'ajouter que, même lorsque cette thérapie promet d'être efficace, "les quantités d'eau requises sont considérables : d'après nos travaux en laboratoires, il faut de 1 à 2 litres d'eau par kilo de charbon". Une opération longue et non dénuée de risques, avertit Thomas Wundrich : "L'injection d'eau dans ce gouffre brûlant peut déclencher une explosion de vapeur transformant votre puits en geyser !" Hélas, une mine de charbon refroidie n'épuise pas tous les risques d'un nouveau départ de feu... Le charbon reste capable de s'oxyder et de s'échauffer à nouveau. Il faut donc débarrasser l'atmosphère de la mine de son oxygène. Comment ? Les ingénieurs américains ont tout expérimenté, y compris insuffler, à l'aide d'un moteur d'avion, de grandes quantités d'azote (un gaz inerte) des jours durant... Sans grand résultat. Et pour cause : le secret de l'étouffement définitif réside dans l'obturation de la moindre arrivée d'air. Maohua Zhong a sa technique : "Je fais couler lentement une boue spéciale dans toutes les fissures et interstices menant à la mine. Puis je recouvre le tout, en surface, d'une couche de terre de 1 à 2 mètres - ni trop fine pour interdire le passage de l'oxygène, ni trop épaisse pour continuer d'évacuer la chaleur résiduelle".

ENTRE CAPITULER ET SE MOBILISER

Hourra ? Pas si vite : ce dispositif réclame encore au moins trois ans de surveillance, compte tenu de la menace des affaissements de terrain et de la déformation des matériaux sous l'effet de la chaleur. Au risque de voir l'incendie repartir de plus belle... De fait, quelques beaux succès annoncés en grande pompe par les autorités chinoises ont vite été démentis. Ainsi, en 2004, tout le monde s'était réjoui de l'extinction de la mine de Liu Huangou, qui empoisonnait depuis vingt ans la ville d'Urumqi et ses 2,3 millions d'habitants : Mais voilà, reconnaît dépité Maohua Zhong, "dès 2005, de nouveaux dégagements de fumées sont apparus et l'incendie est reparti. A priori, nos travaux de recouvrement ont redistribué les contraintes dans le sol et créé de nouveaux chemins pour l'oxygène. Mais des opérations illégales d'extraction du charbon peuvent aussi avoir réactivé ce feu !" Devant un phénomène aussi diabolique, la tentation de capituler n'est jamais loin. Pour preuve, l'Administration américaine ne parle plus d'éteindre le feu de Centralia, qui fait rage depuis 1962. Il s'agit plutôt de contrôler sa progression en creusant d'immenses tranchées. Mais l'ingénieur Michael Kuhns, qui a lutté des années contre cet incendie, n'en démord pas : "Si on ne tente plus rien, d'après mes calculs, ce feu sévira encore au moins un siècle et touchera d'autres villes". D'ailleurs, malgré cinquante années de vains combats à Centralia, les propositions continuent d'affluer. À l'image d'une mousse très sophistiquée dont un pompier texan, Mark Cummins, propose de remplir la mine. L'optimisme est de mise, renchérit Guillermo Rein : "Le nombre croissant de publications scientifiques et l'arrivée de nouveaux outils de lutte issus de l'industrie pétrolière me rendent confiant. "Surtout, la volonté se fait enfin jour de régler ce problème ! Jusqu'à présent, observe Thomas Wundrich, "les gouvemements en avaient peu parlé, sans doute pour des raisons d'image de marque ; dans la plupart des cas, ces feux sont la conséquence d'activités minières irrespectueuses des règles". Dans le même temps, revendique Guillermo Rein, "ce fléau à long terme, sans territoire propre, souterrain, invisible a peu capté l'attention des médias, attirés par des menaces plus immédiates".
C'est en train de changer. "Les Chinois ne cachent plus que ces feux constituent l'un des plus grands risques géologiques du siècle à venir", confie Thomas Wundrich. Un discours que l'industrie nucléaire n'est toujours pas prête à tenir concemant l'énergie de l'atome...

LA TOURBE, L'AUTRE FEU QUI COUVE
Quand elle n'est pas assez humide, la tourbe brûle exactement comme le charbon ! "De tels incendies ont enfumé Moscou en 2010 et perturbent régulièrement le trafic aérien et maritime autour de l'Indonésie", raconte Guillermo Rein de l'université d'édimbourg. L'Indonésie réussit l'exploit de réussir dans un même espace feux de tourbe et de charbon - l'un pouvant déclencher l'autre. Or, ces incendies de tourbières laisses derrière eux des sols ravagés, à l'épaisseur réduite de 90 %. Et leurs émissions de CO2 atteindraient des sommets : selon Guillermo Rein, "elles pourraient représenter 10 à 30 % des émissions humaines". Voilà qui mériterait l'attention des chercheurs...

V.N. - SCIENCE & VIE > Décembre > 2011
 

   
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