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Formation des Minéraux

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Minéraux : Sans la vie, il n'en Existerait Pas Autant

Les minéralogistes savent depuis longtemps que la formation de certains minéraux nécessite l'action d'organismes vivants. Mais jusqu'à présent, aucun n'avait tenté d'établir dans le détail l'ampleur de l'influence de la vie sur la diversité minérale de notre planète. C'est aujourd'hui chose faite, grâce à des chercheurs américains qui ont retracé 4,5 milliards d'années de co-évolution de la vie et des minéraux sur Terre.

Au commencement, ils n'étaient pas plus d'une douzaine. Aujourd'hui, on en dénombre au moins 4300 espèces différentes sur notre planète, tandis qu'une cinquantaine de plus est décrite chaque année. Ils ? Ce sont les minéraux, ces briques essentielles des roches dont le nombre a explosé au fil des milliards d'années - par comparaison, on en compte actuellement presque autant que d'espèces de mammifères ! Cependant, pas de quoi s'émouvoir que le monde minéral soit si riche et divers : ces purs produits de combinaisons chimiques doivent leur diversité aux conditions physiques - pression, température... -, qui les ont façonnés au cour de la Terre. Sauf qu'il faut se méfier des évidences ! C'est ce que viennent de rappeler le géophysicien Robert Hazen et ses collègues dans une étude publiée en novembre 2008 et intitulée Mineral Evolution. Issu de la prestigieuse Carnegie Institution de Washington, ce chercheur est parvenu à retracer pour la première fois 4,5 milliards d'années d'histoire des minéraux : de la petite douzaine de minéraux primordiaux présents dans la nébuleuse solaire jusqu'au foisonnement observé de nos jours. Et, surprise : alors que l'on croyait la diversité des minéraux sur Terre due aux processus géologiques, c'est essentiellement à l'apparition et à l'évolution de la vie sur notre planète" qu'ils la devraient. Essentiellement car, à suivre cette étude, ce sont les deux tiers de ces matériaux purs et rigoureusement inertes qui n'existeraient pas sans la vie !
Les minéraux sous l'égide de la vie ? L'idée a quelque chose de baroque. C'est que "jusqu'ici, les minéralogistes ne réfléchissaient qu'en termes de structure cristalline, formule chimique, dureté, couleur : tout ce qu'on peut mesurer sur les minéraux qu'on a dans la main, mais sans penser en termes d'histoire, répond Robert Hazen. Ce que je propose, c'est une nouvelle façon de penser un très vieux sujet". Une approche quasi généalogique qui vaut au géophysicien américain le coup de chapeau de ses collègues : "Se pencher sur l'évolution du nombre d'espèces de minéraux au cours des temps géologiques, comme on le fait classiquement pour les espèces animales ou végétales, est une approche originale et intéressante, applaudit François Guyot, professeur de minéralogie à l'université Denis-Diderot (Paris-VII). De plus, le résultat obtenu constitue une mise en ordre de la minéralogie très didactique dotée d'une forte puissance évocatrice."

UNE SIMPLE RÉACTION CHIMIQUE : À la base de cette nouvelle théorie, une idée clé : "La vie a créé de nouveaux environnements chimiques sur Terre qui ont permis la formation de minéraux inédits", résume Robert Hazen. Environnements chimiques dont les dimensions s'échelonnent de la simple cellule jusqu'à l'ensemble de l'atmosphère planétaire ! Ainsi, la production d'oxygène par les bactéries photosynthétiques (dites cyanobactéries ->), dont l'origine pourrait remonter à 3,8 milliards d'années, a conduit à la modification la plus remarquable des conditions chimiques à la surface de notre planète. Et, partant, a joué un rôle déterminant dans la diversification des minéraux : lorsque l'oxygène produit dans les océans s'est accumulé dans l'atmosphère, il y a environ 2,3 milliards d'années, il a oxydé les minéraux des roches qui affleuraient à la surface du globe. En gros, ils ont rouillé ! Comme le fer qui, mis en présence d'eau et d'oxygène, est sujet à une réaction d'oxydoréduction aboutissant à laformation d'oxydes et d'hydroxydes de fer. Aussi banal qu'il puisse paraître, ce processus de corrosion représente une page centrale de l'histoire du règne minéral. "C'est l'évènement le plus important en ce qui concerne la diversité minérale sur Terre, s'enthousiste Robert Hazen, car d'après nos estimations, il aurait ajouté environ 3000 nouvelles espèces de minéraux qui n'auraient jamais pu exister sur notre planète autrement ! Des minéraux qui avec certitude n'existent pas sur la Lune, Mercure, Mars ou Vénus". Car il n'y a pas que les minéraux à base de fer dont l'altération, sous l'effet combiné de l'oxygène et de l'eau, s'est accompagné de l'émergence de nouveaux minéraux : des centaines de nouvelles espèces à base de nickel, de manganèse, de cobalt, de cuivre ou encore d'uranium sont ainsi apparues à cette époque, selon le décompte effectué par Hazen et son équipe... "Leurs noms sont rarement connus du grand public, ajoute le géologue. Mais, ces minéraux, issus de l'oxydation, sont faciles à reconnaître, car ce sont les plus colorés et les plus brillants que l'on peut apercevoir dans les collections de turquoiseminéralogie !" Turquoise, azurite et malachite et autres spécimens éclatants doivent donc leur existence à la machinerie photosynthétique des cyanobactéries qui pullulent dans les océans.
Et l'évolution des minéraux avec la vie n'est pas seulement une affaire de bouleversement de l'atmosphère terrestre. "De nombreux organismes vivants ont la capacité de prélever des éléments chimiques dans leur environnement et de faire croître des minéraux avec, explique Patricia Dove, géochimiste au Virginia Tech (États-Unis), spécialiste de la bio-minéralisation. Les minéraux ainsi produits ont des formes, des tailles et des propriétés physiques qui leur permettent de remplir des fonctions biologiques très diverses : soutien structurel, filtration, vision, guidage magnétique. "Il suffit de penser aux coquilles en carbonate de calcium sécrétées par les mollusques, ou aux os et aux dents des vertébrés, pour avoir un aperçu de la composante minérale de bien des animaux.
Certes, le nombre d'espèces minérales que la vie sait produire directement n'est pas très élevé :"On en recense une soixantaine, dont certains n'existeraient pas autrement, détaille Robert Hazen. Ces minéraux peuvent être formés lors de processus intra, inter ou extracellulaires, que ce soit par des microbes, des plantes, des invertébrés, ou des vertébrés, dont deux douzaines d'espèces chez l'homme". Une soixantaine, cela peut sembler mince comparé aux plus de 4300 espèces minérales existantes... Oui, mais cette capacité du vivant à générer des minéraux a eu des répercussions gigantesques sur la morphologie de notre planète : le dépôt et l'accumulation au fond des océans des organismes et micro-organismes à coquille ou squelette carbonatés sont ainsi à l'origine des imposants massifs calcaires que l'on retrouve aux quatre coins du monde ! En France, les falaises d'Étretat, les gorges du Verdon, ou encore le plateau du Larzac signent ainsi les vestiges d'animaux et d'algues microscopiques. Autant dire que, sans la vie, la Terre minérale serait bien différente.

LA VIE... À L'AUNE DU MINÉRAL : Et sans le minéral, c'est la vie elle-même qui n'existerait peut-être pas ! "Les minéraux ont très probablement joué un rôle clé dans l'apparition de la vie sur Terre, explique Robert Hazen. Car la surface des cristaux est le lieu parfait pour concentrer, sélectionner, organiser de grosses chaînes de molécules organiques. C'est donc fascinant de penser au couple que forment les minéraux et la vie !" Fascinant... et instructif ! Car un autre grand bénéfice de la théorie de Robert Hazen, c'est qu'en replaçant les minéraux dans une perspective d'interaction évolutive, elle permet de tester avec une efficacité inédite certaines hypothèses sur l'origine de la vie. "Un jour, un collègue travaillant sur cette question m'a demandé s'il y avait des argiles à l'Hadéen, l'ère géologique qui précède l'apparition de la vie (de -4,6 à -3,8 milliards d'années), raconte Robert Hazen. Je ne m'étais jamais posé la question... J'ai cherché, et il y en avait bien, mais pas toute la palette actuelle, qui doit beaucoup à l'action des plantes lors de la formation des sols. Ce qui veut dire que certaines argiles n'étaient pas présentes à l'Hadéen. Elles ne pouvaient donc pas servir de support aux molécules prébiotiques"... Ou comment s'interroger sur l'histoire des minéraux permet, chemin faisant, d'éliminer toute hypothèse sur l'apparition de la vie qui serait bâtie sur des minéraux n'existant pas encore...
"Donner un cadre historique à la minéralogie ouvre aussi des nouvelles voies de recherches, poursuit le géologue, car cela soulève des questions qu'on ne s'était jamais posées avant". Par exemple ? "Après la lecture de l'article de Robert Hazen, on a naturellement envie de se poser des questions telles que 'Qu'est-ce qui détermine le nombre d'espèces minérales dans un milieu donné ?' 'Y a-t-il des événements aux cours desquels le nombre de minéraux a diminué ?', ou encore, 'Le changement climatique peut-il faire apparaître des nouvelles espèces minérales sur Terre ?", imagine François Guyot. Autant de questions auxquelles les chercheurs vont désormais s'atteler. Sans oublier la cerise sur le gâteau : ce nouveau regard porté sur l'évolution de la diversité minérale et l'implication de la vie sur Terre pourrait aussi permettre de mieux comprendre la minéralogie des autres planètes du système solaire. Voire de faire une découverte majeure : au lieu de chercher la vie, les astronomes devraient peut-être tout simplement chercher sa descendance minérale...

L'ACTIVITÉ GÉOLOGIQUE COMPTE AUSSI
La formation de la croûte terrestre (ici, un granite ->) a enrichi la diversité minérale.

La diversité minérale ne doit pas tout à la vie. Un tiers des espèces de minéraux présents à la surface de la Terre sont ainsi à mettre sur le compte de processus purement géologiques à l'ouvre depuis la formation du système solaire. Robert Hazen en distingue deux types. En premier lieu, les processus de séparation et de concentration des éléments chimiques. Par exemple, lors de la différenciation planétaire, il y a 4,5 milliards d'années, certains éléments se sont concentrés dans le manteau lithosphérique et d'autres dans le noyau métallique. "En séparant et concentrant des éléments chimiques, ces processus ont permis de passer de la composition homogène initiale de la nébuleuse présolaire à un large spectre de compositions chimiques à partir desquelles cristallisent des minéraux différents", explique Robert Hazen. Le second type de processus concerne l'apparition d'une nouvelle palette de conditions de pression et de température, liée au phénomène de la tectonique des plaques.

B.B. - SCIENCE & VIE > Mars > 2009
 

   
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