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Volcans et Rayons Cosmiques

Volcans : Percés à jour par les Rayons Cosmiques

A la Guadeloupe, des géophysiciens recueillent le flux de muons - les particules issues des rayons cosmiques - qui traverse le massif de la Soufrière, via un curieux télescope. Objectif : radiographier la structure interne du volcan avec une précision inégalée, et déterminer ainsi son potentiel explosif.

Massif de la Soufrière, sud de la Guadeloupe, novembre 2012. Casques sur la tête, tenues de randonnée et sacs bourrés de matériel sur les épaules, des scientifiques s'affairent au pied du dôme volcanique de la Soufrière. La "Vieille Dame" a l'habitude de se parer d'une brume épaisse et d'un manteau de nuages, mais aujourd'hui, elle découvre son majestueux sommet, qui culmine à 1467 m. Là-haut, la végétation luxuriante de ses flancs disparaît au profit d'un paysage minéral. Un panorama lunaire, chaotique, ponctué de gouffres d'acide et de bouches aux couleurs improbables, crachant des fumées opaques et corrosives. Ce matin, les géophysiciens ne monteront pas au sommet. Ils effectuent les derniers réglages du curieux appareil qu'ils ont conçu et installé au pied du dôme : un télescope à muons, fruit d'une collaboration entre géophysiciens et physiciens des particules. Vous avez bien lu, l'engin est un télescope : il capte les rayons cosmiques qui traversent le volcan, fournissant ainsi des images de sa structure interne. Pour faire simple, la Vieille Dame est en train de passer l'équivalent d'un scanner médical. À la différence près que les rayons X sont ici remplacés par des particules cosmiques : les "muons". Deux radiographies sont disponibles, la troisième est en cours.
Issus des gerbes cosmiques produites en haute atmosphère, à 20 km d'altitude, par la collision des rayons cosmiques primaires et des atomes de l'atmosphère, les muons arrosent en permanence la surface de la Terre. Sans danger pour les êtres vivants, ils traversent des kilomètres de roche, perdant toutefois de l'énergie au contact de la matière. Leur flux est donc d'autant plus atténué que le volume de roche rencontré est important et dense. D'où l'idée de comparer les flux de muons ayant traversé le volcan et les flux à ciel ouvert afin d'obtenir, par comparaison, une cartographie de la densité. Et à l'instar du scanner qui effectue une rotation autour du patient, le détecteur de particules cosmiques est déplacé tout autour du dôme afin de multiplier les angles de vue. Dans un premier temps, tous les 90°, puis tous les 60°. Objectif final, réaliser une tomographie 3D du dôme volcanique afin de mieux appréhender les risques : volumes occupés par des matériaux altérés et susceptibles de s'effondrer, confinement des chambres pouvant augmenter dangereusement la pression, potentiel explosif... Car la Vieille Dame est capricieuse. Elle peut s'emporter soudain et cracher furieusement ses entrailles. C'est un fait : la Soufrière a connu et connaitra encore des éruptions.
La dernière éruption magmatique a eu lieu vers 1530 et a vu naître le fameux dôme. Quant à la dernière éruption phréatique (l'expulsion violente de vapeur d'eau, de cendres et de gaz), elle s'est produite en 1976, provoquant l'évacuation de 74.000 personnes. Aujourd'hui, pas moins de 90.000 personnes seraient touchées en cas de forte reprise d'activité.

"DÉSTABILISATION DE FLANC"

"Le réseau de surveillance mis en place (mesures de déformation de l'édifice, enregistrement de la sismicité, analyses de la chimie des gaz et des sources thermales...) peut anticiper une éruption des mois avant et permettre d'évacuer la population, assure le volcanologue Georges Boudon, ancien directeur des Observatoires volcanologiques des Antilles et de la Réunion. Mais ce qu'on ne sait pas prédire, c'est le type d'éruption. Éruption phréatique ou magmatique avec des écoulements pyroclastiques comme celle de la montagne Pelée en 1902 (30.000 morts) ? Une éruption de quelques mois, ou qui dure depuis plus de quinze ans comme celle de la Soufrière Hills de Montserrat ? Évolution, violence, zones concernées... autant d'incertitudes pour les experts lors d'une crise éruptive.

FAITS & CHIFFRES
1902
: éruption de la montagne Pelée, en Martinique, causant 30.000 morts. 1936 : découverte des muons. 1955 : premiers essais de radiographie cosmique dans des mines australiennes. 1980 : l'éruption du mont Saint-Helens (États-Unis) provoque l'essor de la volcanologie d'observatoire (surveillance constante du volcan).

D'où la nécessité de développer de nouveaux outils tels le télescope à muons. Diverses techniques ont déjà donné des images de la structure interne d'un volcan : imagerie sismique, électrique... mais les signaux obtenus prêtent à interprétation. Si elles sont complémentaires, celle du télescope à muons tire avantage de la trajectoire rectiligne de ces particules : des "sondes" qui avancent en ligne droite quelle que soit la matière traversée. L'image obtenue est celle de la densité moyenne le long des lignes de visées. C'est donc une méthode plus directe. Pour l'heure, le volcan ne présente pas de signes inquiétants. Une légère odeur soufrée, habituelle, dans l'air. Les chercheurs ont déplacé leur engin pour réaliser la troisième radiographie du dôme. En chemin, Dominique Gibert, le géophysicien qui dirige le projet, détaille : "La Soufrière est la siège d'une convection de fluides acides, issus de la percolation des gaz magmatiques à travers les aquifères abondamment chargés en eau par les pluies tropicales. Or cette intense circulation hydrothermale affaiblit la résistance mécanique du dôme de lave". Le risque ? Une "déstabilisation de l'effondrernent d'une partie du volcan en cas de reprise d'activité. Cela s'est déjà produit une dizaine de fois au cours des 12.000 dernières années.
Ces radiographies aideront à mieux repérer les zones de faiblesses, les volumes des matériaux altérés et instables afin d'estimer les parties susceptibles de s'effondrer. La seconde image met en évidence, pour la première fois, la structure en dent creuse du dôme avec des zones centrales peu denses. "Une image complète du dôme sera déjà un grand pas, notamment pour affiner nos modèles de déstabilisation de flancs", affirme Georges Boudon.

LA TECHNIQUE PASSIONNE...

Après une marche à travers la végétation dense, voilà enfin l'appareil. On a un peu de mal à voir dans cet assemblage rudimentaire un summum de raffinement technologique. Il n'empêche qu'il recèle la même électronique que celle utilisée pour la célébre expérience OPERA de Gran Sasso (Italie) destinée à déterminer la masse des neutrinos. Ses panneaux jaunes sont des matrices de photo-scintillateurs qui détectent précisément le nombre et la trajectoire des muons qui les traversent (infographie ->). Conçu pour le terrain, l'appareil résiste aux pluies des tropiques et aux changements météorologiques brutaux de la Soufrière. "D'un point de vue de la physique des particules, cette expérience n'a rien de révolutionnaire, fait remarquer Jacques marteau, le physicien des particules de l'IPNL associé au projet. Capter des muons, on sait le faire depuis 50 ans. Nous les utilisons notamment pour étalonner nos instruments. Leur flux a l'avantage d'être disponible en permanence. En revanche, l'application à la géophysique est, elle, tout à fait innovante". Question : si on sait capter des muons depuis cinquante ans, pourquoi a-t-il fallu attendre si longtemps pour voir les premières applications à la géophysique ? "Il fallait attendre le développement d'une électronique qui puisse être transportée, et qui soit également peu gourmande en énergie", répond Dominique Gibert. L'idée de recourir aux muons lui vient des travaux du prix Nobel de physique Luis Walter Alvarez et des géophysiciens japonais. En 1970, Alvarez avait entrepris de faire une radiogaphie par muons de la pyramide de Khephren, en Egypte, dans l'espoir d'y découvrir une chambre funéraire cachée. Un échec. La chambre ne fut pas trouvée. Il faut alors attendre le travail de l'équipe japonaise. "Nous avons obtenu les premières radiographies en 2006, raconte le géophysicien Hiroyuki Tanaka. Actuellement, nous appliquons la technique à l'étude du volcan Asama, à 100 km de Tokyo".
Encouragées par les premiers résultats d'Hiroyuki Tanaka et de Dominique Gibert, d'autres équipes (italienne, française, américaine) commencent à s'intéresser de près à la tomographie par muons cosmiques. Et du côté de l'équipe de la Soufrière, les prototypes, qui font leurs preuves, commencent à s'exporter. Ayant l'avantage de faire des images à une distance suffisante pour mettre les chercheurs en sécurité, ils sont appelés sur des volcans en éruption. Après des travaux réalisés sur l'Etna (2010 et 2012), l'équipe doit effectuer, en 2013, une tomographie de la Hills de Montserrat. Objectif : déterminer son potentiel explosif, mais aussi, avoir une image interne du dôme de lave le plus jeune de la planète. Autre destination, les Philippines, pour réaliser la tomographie du conduit d'alimentation et de la colonne éruptive du Mayon, le volcan le plus actif du pays à l'origine de l'évacuation de 50.000 personnes fin 2009. Mais le vrai challenge du télescope à muons serait d'évaluer la densité d'un panache éruptif. On se souvient de l'éruption de l'Eyjafjoll et des problèmes rencontrés par les météorologues pour réaliser des modèles fiables de dispersion des particules. Une variable essentielle leur manquait : la densité réelle des fumées, ce que pourrait apporter le télescope à muons. Contrairement à la tomographie complète d'un édifice comme le dôme de la Soufrière, qui demande plusieurs mois, les radiographies d'éléments précis et peu volumineux, comme le panache au niveau de la bouche éruptive, pourraient être réalisées en quelques heures avec un traitement des données en temps réel. Au-delà de la volcanologie, les scientifiques imaginent même des applications dans l'industrie : pour la prospection minière, pour les catastrophes industrielles ou en archéologie... la radiographie par rayons cosmiques a de l'avenir.

UNE AUTRE VOIE : L'ÉCOUTE DU BRUIT DE FOND SISMIQUE
En mars 2011, nous vous présentions un procédé innovant pour affiner la prédiction des éruptions volcaniques : l'écoute du bruit de fond sismique
. Cela consiste à dépouiller, en particulier, les enregistrements des sismomètres qui ne sont pas dus à l'activité du volcan. Car en traversant un édifice, ce "bruit de fond", renseigne sur sa structure interne. L'idée : déceler la variation spécifique du signal qui indique un changement de structure du volcan, tel une montée de magma. Un succès, puisque ce travail avait participé à la prédiction de l'éruption du Piton de la Fournaise en octobre 2010. "Ce procédé a été développée dans le cadre d'un projet plus vaste sur les signaux précurseurs d'une éruption, indique le géophysicien Florent Brenguier, coordinateur du projet. Opérationnelle à la Réunion, la technique a également été testée à la Soufrière, dans le même cadre que le télescope à muons, mais aussi en Martinique et à Montserrat. Elle devrait encore s'exporter sur d'autres volcans".

E.C. - SCIENCE & VIE > Janvier > 2013
 

   
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