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Éruption du Volcan Islandais Eyjafjoll

Le 14 avril, le réveil du volcan Eyjafjoll a engendré un tel panache de fumée que, plusieurs jours durant, le traffic aérien a été interrompu au-dessus de l'Europe. Pourquoi ? Comment ? Retour sur un évènement qui a pris tout le monde de court.

Comment s'est déclenchée l'éruption ?

L'éruption est liée à la spécificité géologique de l'Islande. Cette île est en effet située sur la dorsale Atlantique, une structure sous-marine ou les remontées d'un magma peu profond permettent l'expansion du plancher océanique. Mais elle se trouve aussi sur un point chaud où du magma remonte, localement et en quantité, des profondeurs du manteau terrestre (jusqu'à près de 3000 km).

Ces deux types de volcanisme engendrent une profusion de matériaux d'où l'Islande a émergé. En l'occurence, c'est surtout le point chaud qui a provoqué l'éruption du volcan, qui s'est d'abord manifestée par des séismes. La composition du magma a rendu la première éruption peu explosive. Refroidi par la roche, ce magma se cristallisé et à obstruer la cheminée. Il a ensuite emprunté la cheminée creusée lors de la dernière éruption en 1821, qui le mène droit au contact de la glace. De ce mariage explosif est né un panache dense de fumée. M.-C.M.

Était-ce prévisible ?

Si les données historiques ne permettaient pas de prévoir l'éruption, de nombreux signes précurseurs avaient été repérés depuis avril 2009 : séismes et bombement du sol témoignaient du retour imminent de l'activité du volcan. Cependant, les scientifiques n'avaient que des probabilités pour évaluer le moment de l'explosion : un expert islandais travaillant sur ce volcan depuis près de dix-huit ans était même parti à l'étranger quelques jours avant l'éruption, se retrouvant bloqué à Paris, faute d'avions... Les géophysiciens ont établi un lien entre la fonte des glaciers couvrant les volcans et la production de magma en profondeur (->). S.A.

Cela risque-t-il de durer longtemps ?

Tout dépend de quoi l'on parle. Si c'est du nuage de fumée, la réponse est non : la glace finira par fondre au point de ne plus être en contact avec le magma, ce qui fera disparaître le panache. Quant à l'éruption elle-même, difficile d'être précis. Les épanchements de lave, de bas débit, peuvent durer quelques semaines tout au plus. Quoi qu'il en soit, tant que des séismes sont enregistrés sur le site, le risque que l'éruption reprenne à l'Eyjafjoll ou à proximité n'est pas écarté. D'autant que cette activité pourrait réveiller les volcans voisins. M.-C.M.

L'éruption peut-elle réveiller les volcans voisins ?

C'est l'un des points qui inquiètent les spécialistes. Car les trois éruptions de l'Eyjafjoll depuis mille ans (920, 1612 et 1821-1822) ont toutes été suivies de l'entrée en activité du Katla, réputé plus violent, qui se trouve à 20 km. "Nous n'avons évidemment pas de mesures géophysiques sur ces trois éruptions, regrette Aline Peltier, volcanologue à l'Institut de physique du globe de Paris. D'ailleurs, les Islandais se précipitent pour installer des instruments, notamment des GPS, car le réseau de surveillance était insuffisant". Une connexion entre les réservoirs magmatiques à faible profondeur des deux volcans est difficile à démontrer. D'ailleurs, le Katla a connu depuis mille ans une vingtaine d'éruptions, indépendamment de l'Eyjafjoll. "L'Islande comporte 130 volcans qui sont tous connectés sur le même point chaud de la dorsale océanique, ajoute Aline Peltier. Et on peut penser qu'il existe bien une ramification entre les sources superficielles de magma". Quant à une éventuelle éruption du Katla : "Il a fallu un an pour qu'il entre en activité, en 1823, à la suite de l'Eyjafjoll", précise Aline Peltier. Ce qui laisserait le temps aux volcanologues d'installer leurs instruments et de détecter le réveil de son activité sismique. D.D.

Est-ce lié au réchauffement ?

La question se pose, car le lien entre le réchauffement et l'activité du volcan sous glacier a pu être établi dans le passé. Il y a 10.000 ans, lorsque la calotte glaciaire qui recouvrait entièrement l'Islande a fondu au cours d'un réchauffement climatique, l'activité volcanique a été multipliée par 30 sur l'île ! Explication : avec une calotte épaisse de 2 km qui s'étendait sur 100.000 km², le volume de glace était considérable, et sa disposition a donc été un important poids en moins sur la croûte terrestre. Ce qui a favorisé la fusion des roches en profondeur, et donc la production de magma. En comparaison, le glacier qui coiffe aujourd'hui le volcan de l'Eyjafjoll s'étend sur moins de 80 km², et son épaisseur varie entre 100 et 300 m. "Vu sa taille, il est très improbable qu'il y ait une relation entre l'amincissement du glacier et l'éruption du volcan qui surplombe, estime Carolina Pagli, géophysicien de l'université de Leeds, en Grande-Bretagne. Mais ce n'est pas le cas de tous les glaciers distants" ! Le plus grand d'entre eux, le Vatnajokull, plus à l'est (voir carte), et s'étendant sur 8000 km², est surveillé avec attention. Carolina Pagli a estimé que le retrait partiel de ce glacier, qui a perdu 10 % de sa masse depuis 1890, s'était accompagnée en profondeur de la production des 1,4 km³ de magma. Une quantité qui vient s'ajouter aux 17 km³ de magma déjà produit sous l'Islande au cours du siècle, du fait de son contexte géologique très particulier. Les conséquences de ce supplément de magma lié au retrait du glacier ne sont pas bien connues. "Cela peut signifier des éruptions volcaniques avec des volumes de magma émis plus importants, ou bien des éruptions plus fréquentes, explique la chercheuse. Tout dépend de la pression que les roches peuvent supporter avant de se fracturer et laisser passer le magma". B.B.

Pourquoi tant de fumée ?

L'énorme quantité de fumée produite par l'éruption est principalement due au choc thermique engendré par la rencontre de la lave à plus de 1000°C et de la glace à 0°C. Mais aussi, dans une moindre mesure, à l'explosion des bulles de gaz magmatique lorsqu'elles arrivent à la surface. M.-C.M.

Pourquoi ce nuage voyage aussi loin ?

Des flancs de l'Eyjafjoll jusqu'à Paris, le nuage de cendres a parcouru 2213 km. Et il ne s'est pas arrêté là. On l'a détecté vers l'est, du nord de l'Italie à la Scandinavie et, à l'ouest, vers les côtes canadiennes. Le signe d'une éruption gigantesque ? Pas le moins du monde. Comparée à l'éruption du Pinatubo en 1991, aux Philippines, dont le panache était monté à plus de 30 km et avait fait plusieurs fois le tour de la planète, l'éruption islandaise et plusieurs centaines de fois plus petite. Et si les cendres ont fait un si long voyage, c'est un peu la faute à pas de chance, résume Gérard Ancellet, directeur de recherche au Laboratoire atmosphère, milieux, observations spatiales (Latmos) de l'institut Pierre-Simon-Laplace. Le volcan a libéré l'essentiel des particules à un moment où on avait un régime de blocage anticyclonique sur l'Europe, entraînant ses cendres à plus basse latitude que 60°, précisément de la Mouly a les couloirs aériens. Voilà le vrai coupable des perturbations aéronautiques désigné : la météo ! Un anticyclone, dans l'hémisphère Nord, est une zone de haute pression atmosphérique de plusieurs milliers de kilomètres de diamètre, entraînant les masses d'air dans le sens des aiguilles d'une montre. Or, durant les deux phases les plus importantes de l'éruption, "nous avions 2 anticyclones. L'un, positionnée depuis Terre-Neuve jusqu'à l'Islande, s'est soudé avec un autre, localisé sur la France et l'Europe centrale", détaille Guy Lachaud, ingénieur divisionnaire, responsable de l'information sur le site de Toulouse de Météo France. Or les vents produits par les anticyclones sont relativement modestes, est pauvre en précipitation. Résultat : le panache a pu s'élever, et les cendres, très légère, ont échappé à un lessivage par la pluie, qui les aurait ramenées au sol. La majeure partie du nuage a atteint 8 km de hauteur, avec des poussières plus légères montants encore de quelques kilomètres. Pas au point d'entrer massivement dans la stratosphère, à partir de 12 km, où il aurait pu s'installer pour de longues semaines. Mais assez pour suivre les masses d'air s'enroulant autour de l'anticyclone, et s'écouler naturellement jusqu'à l'Europe continentale. F.L.

Comment peut-on suivre un panache de fumée ?

La tâche est délicate. La première solution consiste à prendre la température du nuage avec un satellite doté de capteurs mesurant le rayonnement infrarouge transmis par l'atmosphère, tels les satellites Terra, Aqua ou Meteosat 8 et 9. Les particules émises par les volcans changent en effet la "brillance" de ce rayonnement, ce qui renseigne sur la température du nuage. Pour connaître sa hauteur, il ne reste qu'à comparer la température mesurée par le satellite à celle de l'atmosphère, celle-ci étant déjà connue pour chaque altitude. "La cendre prend la température du milieu ambiant", explique Mathieu Gouhier, chercheur du service de surveillance HotVolc à l'Observatoire de physique du globe de Clermont-Ferrand. Sauf que la méthode devient imprécise lorsque le panache est irrégulier - cas fréquent - ou étalé au sein d'une masse d'air de température variable.
L'autre solution est de sonder le nuage en pointant sur lui un faisceau laser, puis en récoltant, avec un télescope, la part du faisceau réfléchi. Ce dispositif, appelé Lidar (Light Detection and Ranging), peut être embarqué à bord d'avions, de satellites ou placé au sol. "Selon le temps que prend l'onde lumineuse à être rétrodiffusée par les particules, on connaît la distance du panache, tandis que son intensité donne une mesure de la densité du panache", poursuit Mathieu Gouhier. Problème : les Lidars utilisent pour calculer la concentration des particules des caractéristiques physiques de celles-ci, notamment leur géométrie. Or tant que celle-ci est méconnue, faute de prélèvements assez nombreux, les indications de densité restent approximatives. F.L.

Que va devenir toute cette poussière ?

Les particules les plus fines du nuage ont été observées entre 11 et 13 kilomètres d'altitude. Soit à la limite de la troposphère, couche la plus basse de l'atmosphère, et de la stratosphère, qui s'élève jusqu'à une cinquantaine de kilomètres. Ces particules qui rejoignent durablement la stratosphère pourraient y rester pendant des mois, comme ce fut le cas pour le panache de l'éruption du Pinatubo en 1991 : la frontière entre ces deux couches, par ses caractéristiques thermiques, agit comme un véritable "sas", et la stratosphère étant peu dense, les particules y subissent moins de chocs... et donc moins d'impulsions susceptibles de les faire redescendre. L'essentiel des cendres de l'Eyjafjoll a cependant circulé dans la troposphère entre 2000 et 8000 mètres d'altitude. Ces cendres ont donc été soumises aux phénomènes météorologiques que nous connaissons au sol : anticyclones et dépressions, vents et pluies. Elles ont peu à peu rejoint les couches basses de la troposphère, pour se fondre dans la masse des polluants urbains et industriels. Les pluies et vents auraient cependant pu les "lessiver" en quelques heures. "Tout dépend des régimes de précipitations, qui sont ce qui est le plus efficace pour éliminer les cendres, observe Gérard Ancellet, directeur de recherche au Latmos de l'Institut Pierre-Simon-Laplace. Mais même sans précipitations, leur poids suffit à les faire tomber au sol en une semaine". F.L.

Est-ce dangereux pour la santé ?

Sur ce plan, les experts avouent leur ignorance : dans la poignée d'études disponibles sur l'impact sanitaire d'une éruption, le nombre de personnes suivies est trop faible pour entirer des conclusions pertinentes. Selon les estimations de l'historien Emmanuel Garnier (CEA-CNRS), l'éruption d'un autre volcan islandais, le Laki, en 1783, aurait causé 160.000 décès en Europe. Une situation toutefois différente de celle de l'Eyjafjoll. "Aujourd'hui, le brouillard de cendres se déplace à plus de 5000 mètres d'altitude, tandis que le Laki était resté actif trois mois durant lesquels le nuage s'était maintenu à hauteur de nez dans l'Europe entière", rassure l'historien. Et si le nuage actuel venait à descendre, le scénario serait celui d'une pollution de l'air par des particules dont les effets néfastes sur la santé sont connus. "Inférieures à la micromètres, les particules fines pénètrent dans les poumons et sont responsables d'une surmortalité par maladies respiratoires et cardiovasculaires", explique le docteur Carlos Dora, coordinateur du département Santé publique et environnement de l'OMS. Selon lui, la toxicité des poussières issues du volcan serait équivalente, voire inférieure, à celle des panticules engendrées par la combustion du pétrole ou du charbon. L'OMS a tout de même accru son réseau de surveillance avec une vigilance panticulière concernant la concentration des panticules qui tomberont au sol. Deux échappatoires néanmoins : les poussières pourraient retomber dans une zone inhabitée ou bien être piégées par la pluie, empêchant dès lors leur inhalation.

... Et pour l'environnement ?

C'est le fluor, élément toxique pour la faune et la flore, que les autorités sanitaires islandaises craignent le plus. Présent dans les gaz sous forme de fluorure d'hydrogène, il retombe avec les cendres sur le sol. Mais l'Agence pour l'environnement d'Islande reste sereine : le fluor sera lessivé dès les premières pluies. Il ne faut pas non plus redouter une pollution côtière due à la présence de cet élément dans les eaux de ruissellement : l'eau de mer en contient naturellement de faibles quantités. Quant au soufre rejeté en abondance dans l'atmosphère, "il reste bien en deçà des pollutions humaines habituelles", selon Joël Savarino, chercheur au laboratoire de glaciologie de l'université de Grenoble. R.S.

Un tel dégagement de cendres a-t-il déjà eu lieu ?

Oui et dans des proportions plus élevées ! Par exemple, l'éruption du Pinatubo, en 1991 aux Philippines, avait dégagé un nuage de cendres monté à 30 kilomètres d'altitude, provoquant de nombreux accidents aériens, et abaissant les températures mondiales de 0,6°C. Un peu plus loin dans l'histoire, en 1783, le Laki, en Islande, relâcha d'énormes quantités de dioxyde de soufre, sous la forme d'un panache de fumée volcanique qui perdura huit mois. Le nuage recouvrit toute l'Europe, entraînant une diminution des récoltes, des famines et un abaissement de 1°C de la température dans l'hémisphère Nord.
En remontant dans les temps géologiques, l'éruption du Toba, sur l'île de Sumatra (Indonésie), il y a 74.000 ans, dégagea plus de 1000 km² de cendres riches en sulfure. Ce gaz toxique aurait causé une déforestation complète en Asie du Sud-Est et un effondrement des populations humaine et animale. Et le nuage provoqua une telle chute des températures qu'il y eut un âge glaciaire instantané sur la Terre !
Toujours plus loin dans le passé, l'Inde a connu, il y a 65 millions d'années, une activité volcanique si longue et intense que les poussières et les gaz rejetés constituent l'une des hypothèses (avec la chute d'une météorite), pour expliquer le déclenchement de la crise crétacé-tertiaire, qui vit disparaître 65 % des espèces, dont les dinosaures. S.A.

Faut-il s'attendre à un impact sur le climat ?

Cette question est naturelle si l'on se souvient que l'éruption du Pinatubo, en 1991, provoqua un refroidissement mondial durant deux ans. Mais la situation pour l'Eyjafjoll diffère. Plus que les cendres et poussières, c'est le soufre rejeté qui est responsable d'un éventuel refroidissement : montant jusqu'à la stratosphère, ce gaz peut couvrir une grande surface, y stagner durant de longs mois et bloquer les rayons du soleil. C'est ce qui s'est passé avec le Pinatubo et ses 10 milliards de kilogrammes de soufre expulsés. Or, estime Joel Savarino, chercheur au laboratoire de glaciologie de l'université de Grenoble, "les quantités de soufre rejetées en Islande sont cent fois moindres. D'autre part, l'éruption était moins violente et la plus grande partie du panache de l'Eyjafjoll n'a pas dépassé les 10 km. Il n'y a donc pas de comparaison possible. "L'arrêt de l'aviation civile pourrait-il, lui, impacter le climat ? Si les "contrails", traînées de condensation laissées par les avions de ligne, sont connus pour provoquer la formation de cirrus, rien n'indique que leur absence ait une influence. Frédéric Parol, directeur du Laboratoire d'optique atmosphérique de Lille, est plus que circonspect : "Les contrails ne représentent qu'une petite partie des cirrus. Pour estimer avec précision l'impact de leur absence, il faudrait prendre en compte les variations naturelles de nébulosité, ce qui est difficile sur de si courtes périodes. Mais cela n'impacte pas le climat." R. Sanchez

SCIENCE & VIE > Juin > 2010
 

   
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