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Hasard : Troublantes Coïncidences

D'étranges coïncidences laissent à penser que ce n'est pas le hasard qui a fixé les positions des planètes. Intrigués, les astronomes se sont enfoncés dans une traque vertigineuse.

Mercure, Vénus, la Terre, Mars, Jupiter, Uranus, Saturne, Neptune et Pluton. Les orbites des neuf planètes qui tournent autour du Soleil se succèdent, de plus en plus éloignées du Soleil, en un ballet immuable depuis des millions d'années. Mais, depuis plus de quatre cents ans, les scientifiques sont hantés par une question : les positions de ces 9 orbites sont-elles aléatoires ou il existe une loi naturelle qui les a ainsi déterminées ?

La traque d'une telle loi n'a évidemment commencé qu'au milieu du XVIè siècle, lorsque les travaux de l'astronome polonais Nicolas Copernic sont enfin publiés et que l'on comprend que c'est le Soleil, et non la Terre, qui est au centre de notre systeme. Mais depuis, que d'efforts pour traquer le hasard dans la distribution des planètes ! La première loi sur leur position est énoncée en 1596 par un jeune et talentueux astronome allemand de 25 ans. Johannes Kepler, à l'origine destiné à une carrière de pasteur, refuse en effet de croire que Dieu ait pu disposer au hasard les six planètes connues à l'époque. Le jeune scientifique mystique pense que leurs orbites sont des cercles que l'on obtient en intercalant entre eux les cinq polyèdre réguliers de Platon : le cube entre Mercure et Vénus, puis un tétraèdre, un dodécaèdre, un icosaèdre et un octaèdre pour les autres planètes.

Cependant, quelques années plus tard, Kepler lui-même démontre que les orbites des planètes ne sont pas des cercles, mais des ellipses et détruit donc cette merveilleuse harmonie platonicienne. En 1766, c'est sur la merveilleuse harmonie des nombres entiers que l'astronome prussien Johann Titius élabore une nouvelle loi.

AJOUTEZ 4, DIVISEZ PAR 10...

Il part de la suite de nombres 0, 3, 6, 12... où chaque terme est deux fois plus grand que le précédent.Il ajoute 4 à chacun de ces nombres, puis divise par 10. Et là, miracle ! Si l'on considère que la distance entre la Terre et le Soleil (cette distance correspond à la moitié de la longueur du grand axe de l'ellipse) vaut une unité astronomique (UA), alors le premier terme de la suite de Titius (<-) (égal à 0,4) correspond à peu de chose prés à la distance entre Mercure et le Soleil (0,39 UA), le second, le troisième et le quatrième correspondant aux positions de Vénus, de la Terre et de Mars. Le cinquième, lui, ne correspond à aucune planète, mais les sixième et septième termes de la suite donnent de nouveau une bonne approximation des positions de Jupiter et de Saturne. Troublante coïncidence, non ? Mais ce n'est peut-être qu'un hasard...
La découverte en 1781 d'Uranus, au-delà de Saturne, conforte cependant cette correspondance entre numérologie et astronomie : le huitième terme de la suite de Titius est 19,6 et Uranus est mesurée à 19,2 UA du Soleil. Impressionné, l'astronome allemand Johann Bode (->) convainc en 1796 ses collègues de rechercher la planète qui semble manquer entre Mars et Jupiter. Et cinq ans plus tard, nouveau miracle ! Un astéroïde de 1000 kilomètres de diamètre, baptisé Cérès, est découvert exactement là où la loi de Titius-Bode l'avait prévu ! L'orbite semblait bien vouée à recevoir une planète : d'autres astéroïdes sont trouvés à cette même distance, mais la présence massive de Jupiter dans son giron aura sans doute empêché toute matière de s'agréger. Difficile de croire maintenant au hasard...

LA FAUTE À NEPTUNE

Mais en 1846, premier coup dur : Neptune est découverte située à 30,1 UA, au lieu de 38,8 comme prévu. Et en 1930, coup de gràce : Pluton est découverte à 40 UA du Soleil, alors qu'on l'attendait à 70... La loi de Titius-Bode est décrédibilisée.
Certains astronomes proposent cependant d'adapter la loi aux nouvelles découvertes. Si on met de côté l'addition et la division finale, les nombres de Titius sont générés en multipliant par 2 le terme qui les précède, le choix de ce nombre entier par Titius résultant probablement d'un mysticisme comparable à celui de Kepler avec ses formes platoniciennes. Mais si l'on remplace le nombre "2" par un nombre non entier, on peut alors reproduire avec une bien meilleure approximation l'ensemble des positions de nos planètes. Ainsi, en partant de la valeur 0,228 et en multipliant de terme en terme par le nombre 1,73 (le énième terme est alors de la forme 0,228x1,73n), on obtient une bien meilleure approximation des positions successives des neuf planètes et de la ceinture d'astéroïdes. Le plus troublant, c'est qu'il existe plus d'une dizaine d'autres lois "à la Titius-Bode" pour notre système solaire ! Selon que l'on accepte ou non, dans la suite des trous, ou la lointaine Pluton, ou l'astéroïde Chiron découvert en 1977, ou la ceinture d'astéroïdes Hilda juste avant Saturne, voire même d'incertains corps transneptuniens situés à plus de 30.000 UA, on peut en effet trouver d'autres très bonnes lois qui ont la même forme que celle de Titius-Bode (de la forme "K exposant n"), mais dont les coefficients sont différents...

ET AU-DELÀ DE LA LOI ?

Et ce n'est pas tout. De nombreux astronomes considèrent que la dynamique de notre Système est en fait séparée en deux parties bien distinctes : les planètes telluriques, de Mercure à Mars, et les autres, à partir de Saturne. On peut alors trouver deux lois "en n au carré" - la position de la énième planète est de la forme (a + bn)² - qui décrivent avec une excellente approximation les positions des neuf planètes de notre système.

Que penser de tout ce capharnaüm ? Vu le petit nombre de planètes à prendre en compte, il n'est peut-être pas si étonnant de trouver une relation... Comment savoir si les régularités apparemment observées ne sont que coïncidences ou si un tel ordre émerge naturellement ?

La solution serait d'étudier les mécanismes de formation des systèmes planétaires pour en déduire une loi qui ne soit plus empirique, mais dérivée de principes physiques fondamentaux. Les astronomes considèrent généralement que les planètes se sont formées par accrétion de petits corps, mais les mécanismes physiques déterminant cette accrétion leur sont encore largement inconnus. Instabilité gravitationnelle, turbulence, forces électromagnétiques, ondes de pression, collision... de nombreux phénomènes sont invoqués. Souvent incompatibles.
Même si aucun n'est pour l'instant validé, il est toutefois intéressant de voir quelle disposition ces modèles prévoient pour les planètes. Et là, nouvelle surprise : de nombreux modèles prévoient une loi à la Titius-Bode ! Il y en a même tellement que les grandes revues d'astronomie refusent maintenant de publier de tels travaux. "Nous en avons dénombré plus de quinze", soulignent François Graner de l'Ecole normale supérieure, à Paris, et Bérengère Dubrulle de l'observatoire Midi-Pyrénnées, à Toulouse, qui se sont penchés, il y a quelques années, sur cette étrange affaire. "Cette facilité à produire une loi de Titius-Bode à partir de modèles aussi distincts nous a semblé encore plus étonnante que la loi elle-même."
Après enquête, les deux chercheurs français remarquent que tous ces modèles théoriques de formation des systèmes planétaires qui induisent l'existence d'une loi de Titius-Bode ont en commun deux hypothèses : la première est l'invariance de rotation du système (à l'origine, il n'y a aucune direction privilégiée dans la distribution de la matière), la seconde est l'invariance d'échelle (les modifications physiques entre un point et un autre situé deux fois plus loin du Soleil sont invariantes quelle que soit la position du point). Bérengère Dubrulle et François Graner démontrent que ces deux hypothèses suffisent pour qu'apparaisse la fameuse loi : il est donc facile de "cuisiner sa propre loi de Titius-Bode" enjouant sur différents paramètres physiques...
Attention ! Cela ne veut pas dire qu'il n'existe pas une loi de Titius-Bode dans notre système solaire. Cela veut juste dire qu'il ne faut pas espérer valider un modèle de formation des planètes sous prétexte qu'il induit l'existence de la fameuse loi apparemment observée.

LE CHAOS SIMPLIFICATEUR

Pour compliquer l'affaire, il existe d'autres modèles qui ne sont pas basés sur ces hypothèses de symétrie. Laurent Nottale, de l'observatoire de Paris-Meudon, développe ainsi depuis de nombreuses années une nouvelle physique complexe, audacieuse, et critiquée la théorie de la relativité d'échelle, qui généralise la théorie de la relativité d'Einstein. En 1996, en combinant cette relativité d'échelle et les lois de la gravitation, il réussit à construire un modèle de formation des systèmes planétaires qui prévoit, lui, que les planètes se disposent suivant une loi en "n au carré" déjà rencontrée... Selon cette théorie, tous les systèmes planétaires suivent la même loi de disposition, à la masse de l'étoile près. La traque du hasard des planètes devient décidément de plus en embrouillée. Beaucoup de modèles théoriques de formation des planètes affirment qu'il y a une loi qui régit leur position. Mais, premièrement, aucun de ces modèles n'est validé ; deuxièmement, les lois produites sont différentes ; et troisièmement, ces lois sont pourtant en accord avec les observations... En résumé, on n'est sur de rien.
L'année dernière, Jacques Laskar a cependant imaginé un nouveau moyen pour essayer de dissiper les brumes de ce hasard : "On peut peut-être déduire l'organisation des systèmes planétaires à partir de concepts physiques simples qui ne prennent pas en compte les mécanismes par lesquels la matière s'agrège", propose le directeur de recherche au Bureau des Longitudes de Paris. Et ce "concept physique simple", c'est le chaos. En prolongeant les travaux astronomiques de Laplace, Le Verrier et Poincaré, Jacques Laskar a en effet lui-mème démontré au début des années 90 que les mouvements des planètes sont chaotiques. Si on prend en compte les petites attractions entre planètes, en plus de celle, beaucoup plus importante, du Soleil, les planètes n'ont plus une orbite parfaitement elliptique mais balayent toute une zone autour de leur orbite moyenne.

PROCHE DE L'ÉTAT FINAL

En intégrant ces petites fluctuations gravitationnelles dans un énorme système d'équations de 800 pages (dont la résolution est confiée à un ordinateur), Jacques Laskar a démontré que toute erreur sur la mesure des positions des planètes est multipliée par dix tous les dix millions d'années. Soit par dix milliards au bout de cent millions d'années... Il nous est donc impossible avec nos mesures approximatives de prévoir à long terme la position des planètes... Elles évoluent au hasard dans l'espace, en tout cas au sens de Solomonoff-Kolmogorov-Chaitin.

N'est-ce pas alors paradoxal de chercher une loi dans les positions de ces planètes qui errent au hasard ? Non. Il suffit de regarder notre système solaire. "Toutes les orbites sont chaotiques, explique Jacques Laskar. Mais, mis à part Mercure, qui pourrait encore entrer en collision avec Vénus et à moins bien sûr qu'un événement extérieur à notre système le perturbe, les planètes ne peuvent plus se rencontrer. Les zones balayées par les planètes ne se coupent plus. Notre système a donc presque atteint son état final." L'équilibre a émergé du chaos.
Pour connaître les caractéristiques de cet état final, l'astronome français a analysé l'année dernière l'évolution de 10.000 petits blocs de matière répartis sur un disque tournant autour de l'étoile centrale en se cognant aléatoirement. "À chaque collision, les corps s'agrègent et grossissent, explique le chercheur. Et plus ils sont gros, moins ils bougent. L'évolution du système tend alors vers un état où leurs trajectoires, bien que chaotiques, ne pourront plus se rencontrer." À coup de calculs théoriques et de simulations informatiques, Jacques Laskar a alors montré que cet état final est structuré par une loi de disposition des planètes. Les planètes ne seraient donc pas disposées par hasard. Plus précisément, c'est parce qu'elles évoluent au hasard que leurs positions se stabilisent suivant une loi.

EXOPLANÈTES EN RENFORT

Quelle est donc cette loi, née du chaos, que l'on traque depuis si longtemps ? Il y en a en fait plusieurs, tout dépend de la distribution initiale de matière. Elles sont presque toutes de la forme "n au carré" (notre système étant séparé en planètes intérieures jusqu'à Mars et extérieures au-delà). Mais, comble de malice, il existe une distribution initiale très particulière qui produit une loi de la forme "K exposant n"... c'est-à-dire une loi "à la Titius-Bode" Nous ne pouvons donc toujours pas savoir quelle est la loi de nos planètes puisque nous ne connaissons pas la distribution initiale de matière dans notre système... La traque donne le tournis. Il est de plus en plus probable que les neuf planètes soient disposées autour du Soleil suivant une loi en "n au carré", mais il est aussi possible qu'elles suivent une loi en "K exposant n", voire pas de loi du tout, les travaux de Jacques Laskar n'étant qu'un premier pas vers des simulations numériques encore plus réalistes... La réponse définitive ne va cependant plus tarder. Depuis quelques années, la chasse aux exoplanètes s'est en effet ouverte, et l'on peut observer de plus en plus précisément leur position par rapport à leur étoile. Il y a quelques mois, Laurent Nottale a ainsi étudié la distribution des 50 exoplanètes jusqu'alors découvertes. "En recalibrant les distances en fonction de la masse de l'étoile, cette distribution est en très bon accord avec la loi en n2", note le chercheur.


Régulières ou pas ? Selon Laurent Nottale, la probabilité de présénce d'une planète est régie par une loi qui ne dépend que de la distance par rapport à l'étoile (à sa masse près). Cette théorie semble en accord avec les positions des 50 premières exoplanètes connues. Mais il est trop tôt pour conclure...

Mais patientons encore un peu. Demain, c'est par milliers que nous compterons les nouvelles exoplanètes. Après quatre cents ans d'incertitude, nous aurons enfin les moyens statistiques de savoir s'il existe une loi qui régit la position de nos neuf planètes, de Mercure à Pluton. Mais à peine cette longue traque du hasard terminée, une autre commencera. Cette loi de position, si elle existe, nous permettra en effet de trouver des exoplanètes situées à une distance de leur étoile comparable à la notre et donc propice au développement de la vie. Nous chercherons alors à savoir si c'est par hasard que la vie est apparue sur Terre...

Hasard ou Pas Hasard ?
Le Code de la Bible

Les assassinats de John Kennedy et d'Yitzhak Rabin ont-ils été prévus par la Bible ?

En choisissant une lettre de départ dans le texte hébreux original et en sautant un certain nombre de lettres à chaque fois, le chercheur américain Michael Drosnin a réussi à trouver des phrases qui y font explicitement allusion. Mais de telles coïncidences ne sont pas étonnantes : avec la même méthode, l'Australienne Brendan McKay a trouvé dans Moby Dick des indices sur l'assassinat de Trotsky et de Gandhi...
Maudite Tartine beurrée
Peste que ce hasard qui fait systématiquement atterrir du côté beurré la tartine malencontreusement poussée du coude. Hasard ? Répétez plusieurs fois l'expérience avec un livre : il tombera systématiquement au sol sur la face opposée... "Etant donné la hauteur des tables, a répondu il y a quelques années le physicien Robert Matthews, la rotation induite par la gravité au moment ou le livre - ou la tartine beurrée - tombe du bord de la table n'est pas suffisante pour faire un tour complet". Or, la hauteur des tables est déterminée par notre propre taille, qui, elle-même, a été sélectionnée en fonction de la gravité terrestre et des forces électromagnétiques liant les atomes de notre crâne (une chute de plus de trois mètres pourrait en effet le briser...). Point donc ici de hasard : condamnée au demi tour, la tartine s'écrasera côté beurre...
Ampoules en Séries



Est-ce par hasard que les ampoules du lustre ont tendance a griller à des intervalles de temps très courts ? Un calcul probabiliste montre que non : si chaque ampoule a une probabilité constante de griller sur une année, il y a en moyenne quatre mois qui se déroulent entre la mort de deux ampoules, seulement trois mois pour trois ampoules, et plus il y a d'ampoules, plus ce temps rétrécit. De plus, ce phénomène s'aggrave si on prend en compte le vieillissement simultané des ampoules. La fameuse loi des séries n'est donc pas si aléatoire...
L'éclipse Parfaite
Est-ce un hasard si, comme on le constate lors des éclipses, le diamètre de la Lune est le même, vu de la Terre, que celui du Soleil ? Guillermo Gonzalez, astronome à l'université de Washington, croit que ce n'est pas une coïncidence. Il remarque tout d'abord que la Lune est le satellite qui fait les plus parfaites éclipses de notre système solaire. Il considère que la Lune, qui s'est peu a peu éloignée de la Terre, occupe depuis 150 millions d'années une position qui stabilise les conditions de vie sur Terre et permet le développement de formes de vies évoluées. Or une telle position produit de parfaites éclipses. Pour trouver une vie extraterrestre, il faudrait alors chercher l'éclipse parfaite... Le raisonnement n'est pas totalement convaincant, mais il permet de donner une bonne lecon : il faut se méfier du hasard, certaines coïncidences cachent des causes essentielles.

SCIENCE & VIE > Avril > 2001
 

   
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