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D'où Viennent les Maths ?

Calvaires pour les uns, facilité pour les autres... les maths n'en sont pas moins à la portée de tous ! Car de récents travaux en neurobiologie le montrent : notre cerveau à naturellement le sens du nombre. Un sens que nos ancêtres possédaient aussi. Mais alors, les maths, qui décrivent si bien la réalité, ne sont-elles qu'une invention de notre esprit ?

 Le Sens des Maths serait Inné

Inégaux face aux mathématiques ? les neurobiologistes ont mis à mal cette idée reçue, en découvrant que nous disposerions tous d'un sens du nombre...

Qui n'a jamais blêmi face à un inextricable problème de mathématiques ? Quelques cracks, sans doute, qui, dans chaque classe, font figure d'extraterrestres. Extraterrestres aussi les mathématiciens professionnels, dont la pratique est inaccessible à la plupart d'entre nous. Certes, nous n'avons pas tous la même affinité pour l'exploration des monstruosités qui composent l'univers mathématique : endomorphisme, algèbre différentielle, groupes non commutatifs, nombres complexes, théorème d'incomplétude...

UNE BOUSSOLE MATHÉMATIQUE

Pourtant, comme Monsieur Jourdain fait de la prose sans le savoir, nous faisons tous des mathématiques lorsque nous manipulons ces objets d'apparence familière que sont les nombres. Mieux : d'après les chercheurs, la source de toutes les mathématiques que l'homme est capable de produire se trouve dans un "sens" du nombre, directement encodé dans notre cerveau, sans liaison à un quelconque apprentissage ! Un sens solidement ancré en nous dès la naissance.

Les psychologues Camilla Gilmore, de l'université de Nottingham, Shannon McCarthy et Elizabeth Spelke, de l'université Harvard, viennent de le démontrer en observant les performances d'enfants de 5 et 6 ans (un âge charnière où les jeunes écoliers savent déjà compter mais ne maîtrisent pas encore le calcul), devant des opérations approximatives relativement complexes sous forme de petits scénarios : "Si tu as 24 images et que je t'en donne 27 de plus, auras-tu plus ou moins de 35 images ?" ou encore "Sarah a 64 bonbons. Elle en distribue 13. John a 34 bonbons. Qui en a le plus ? "Les résultats sont étonnants. Alors qu'ils sont encore incapables de réaliser une addition précise (a fortiori sur des nombres aussi grands), les écoliers répondent correctement à la question, à la surprise de leurs enseignants ! D'après les chercheuses, les enfants utilisent naturellement les symboles fraîchement acquis (les nombres), selon des règles de l'arithmétique approximative déjà encodées dans leur cerveau ! Cette "boussole" mathématique, on avait déjà cru la déceler à travers les travaux réalisés depuis une dizaine d'années par Karen Wynn, de l'université Yale, et Elisabeth Spelke sur des bébés de quelques mois. En effet, ceux-ci se revélaient apparemment capables d'effectuer mentalement des opérations arithmétiques simples : les chercheuses avaient observé que lorsque l'on cache cinq objets dans une boîte, puis cinq autres, puis qu'on ouvre la boîte et la leur montre, les nourrissons la regardent plus longuement si elle ne montre que cinq objets au lieu des dix attendus. Comment sont-ils avertis d'une incohérence ? Répondre à cette question, c'est tout l'enjeu des études menées depuis pour prouver qu'il existe chez l'homme un sens "universel" du nombre, indépendant de tout langage et de toute représentation symbolique.

TESTER LES MUNDURUCUS

Les sujets effectuent un dénombrement précis pour des nuages de un à trois points. Au delà, plus aucun consensus n'est observé, et une série de mots approchants désigne aussi bien 5 que 15. De même, les Mundurucus échouent d'autant plus à faire une soustraction dont le résultat est compris entre 1 et 3 que les deux nombres de départ sont grands, donc impossibles à nommer dans leur langue. Jusqu'ici, pas de véritable surprise. Mais ce qui a particulièrement intéressé les scientifiques, ce sont les résultats de tests d'arithmétique dite "approximative". Il s'agit par exemple de comparer deux nuages de points, et d'indiquer celui qui contient le plus d'éléments. Ou encore de les additionner ou les soustraire.

UN NOYAU CULTUREL COMMUN

Les Mundurucus sont tout à fait capables d'effectuer des calculs approximatifs. "Lorsque les tests ne font pas appel au langage, mais présentent de grands nombres sous forme d'ensembles d'objets, les participants comprennent instantanément ce qu'est une addition, une soustraction, ou une comparaison approximatives. Ils ne savent pas compter, mais ils savent que le nombre d'éléments d'un ensemble change dès qu'on y ajoute ou retranche un objet. Le concept de nombre précède donc le nombre", conclut Stanislas Dehaene. Mêmes performances pour des sujets européens ayant "appris" les maths et soumis à la même expérience par Manuela Piazza, aujourd'hui chercheuse à l'université de Trente (Italie) et Stanislas Dehaene.
Pour Pierre Pica, la conclusion s'impose donc : "L'arithmétique approximative fait partie d'un noyau culturel commun à l'espèce humaine." Ceci est d'autant plus probant lorsqu'on regarde les tests dans le détail : les deux types de sujets (Européens ou Mundurucus) éprouvent d'autant plus de difficulté à comparer les nombres de points de deux nuages que ceux-ci sont globalement grands, ou que l'écart entre eux est faible. Autrement dit, tout le monde compare plus facilement 12 à 64 que 32 à 35 (à l'écart plus petit), et plus facilement aussi 10 à 13, que 1024 à 1027 (à l'écart pourtant identique).
L'arithmétique approximative est donc universelle !

LE SENS DES NOMBRES : INDISPENSABLE À LA SURVIE DES ANIMAUX

Loin d'être une spécificité humaine, le sens des nombres a été observé chez de nombreuses espèces. Dès les années 50, des chercheurs ont montré que des rats correctement entraînés sont capables de développer une affinité avec les nombres. Par exemple, si, pour obtenir de la nourriture, le rongeur doit d'abord appuyer un nombre déterminé de fois sur un premier levier, puis une fois sur un second, on constate une capacité d'adaptation de son comportement. Les scientifiques se sont néanmoins interrogés : un cerveau animal code-t-il réellement pour le nombre ? Dans le cas des rats par exemple, le paramètre important ne serait-il pas plutôt le temps passé a appuyer ou la quantité d'énergie à dépenser ? Et que dire de la nécessité d'un apprentissage ? Aujourd'hui, des études de mieux en mieux contrôlées, intégrant tous les biais possible, attestent que c'est bien le nombre qui détermine le choix de l'animal. Par exemple, en 2005, Asif Ghazanfar, à l'université de Princeton, a présenté à des singes des vidéos montrant les visages de deux ou trois congénères en train de crier. Dans le même temps, une bande sonore diffusait les cris de deux ou trois primates. Résultat : le cobaye est systématiquement plus intéressé par un film ou le nombre de cris est cohérent avec le nombre de visages. Pour Stanislas Dehaene, "cette expérience démontre la capacité de l'animal à détecter la correspondance numérique entre des ensembles présentés dans des modalités différentes (visuelle et sonore). Elle illustre donc le degré d'abstraction de la représentation mentale du nombre chez le singe". Par ailleurs, selon des observations fines réalisées en milieu sauvage par Marc Hauser, à Harvard, des chimpanzés, avant d'agresser un adversaire, évaluent si leur coalition est suffisamment nombreuse, un comportement également observé chez les dauphins et les lions. Pour Stanislas Dehaene, "si l'intuition approximative du nombre est répandue dans le monde animal, c'est sans doute parce qu'elle est essentielle à la survie".

Manuela Piazza en conclut que c'est en effet sur cette capacité universelle, ce sens des maths, que quelque chose de plus complexe se met ensuite en place au moment de l'apprentissage du calcul symbolique. Probablement par connexion des populations de neurones qui codent pour les symboles (chiffres arabes, par exemple) avec cette population préexistante qui code déjà pour la quantité. Et c'est sans doute pour cette raison que le symbole acquiert le sens de quantité". Bref, la prochaine fois que vous serez en proie à la panique face à un problème de mathématiques, faites donc confiance à votre sens du nombre. C'est lui le guide !

 Depuis Quand Compte-t-on ?

Si l'homme dispose d'un sens inné, ancestral, du nombre, les mathémafiques sont pourtant une activité récente à l'échelle de l'humanité... qui pourrait tout de même remonter à plusieurs dizaines de milliers d'années.

Les neurobiologistes en sont désormais persuadés : les mathématiques trouvent leur origine dans une sorte de sens inné des nombres. Une capacité ancestrale dont disposeraient également certains animaux. Pour autant, les singes ne font pas de mathématiques. Ils ne résolvent pas d'équation différentielle, ne connaissent pas les règles de l'arithmétique et, d'une façon générale, n'ont aucune idée du traitement symbolique des quantités. Mais alors... jusqu'à quand nos ancêtres se sont-ils eux aussi contentés de leur simple sens des maths" ? À partir de quand ont-ils développé une activité mathématique complexe ?

DES TRACES ARCHÉOLOGIQUES

La référence en la mafière, ce sont les tablettes d'Uruk : des tablettes d'argile retrouvées dans le temple d'une cité au sud de Bagdad, sur lesquelles sont consignés des registres de comptes (sacs de blé, têtes de bétail...). Elles permettent de dater l'apparition de la notion abstraite de nombre au quatrième millénaire avant notre ère, âge où se seraient développées des pratiques comptables écrites régulant les échanges de biens. Ces vestiges signent le début de l'histoire officielle des mathématiques. Mais difficile d'imaginer les mathématiques apparues ex nihilo sous le soleil de Mésopotamie ! Leur plus ancienne trace attestée ne serait-elle pas plutôt la partie émergée d'une pratique se perdant dans la nuit des temps ? Peut-on étudier cette préhistoire des mathématiques ? Et jusqu'où ? Quels hommes ont, pour la première fois, utilisé des symboles abstraits de nombres, mettant l'espèce humaine sur la voie de l'abstraction mathématique ? Répondre précisément à la question serait aussi difficile que dater la première parole intelligible, ou identifier la personne qui, pour la première fois, a recommandé ses morts à un au-delà.

Pour autant, plusieurs indices permettent de s'approcher d'une réponse. Et le premier réflexe des chercheurs est de se tourner pour ce faire vers les traces archéologiques. Ainsi, d'après certains spécialistes, l'origine des mathématiques s'incarnerait dans deux petits os incisés datant de plus de 20.000 ans, retrouvés à Ishango, au bord du lac Edouard, en République démocratique du Congo, lors d'une campagne de fouilles dirigées par le géologue Jean de Heinzelin, en 1950 et 1959. Si le premier os d'Ishango est depuis longtemps exposé à l'Institut royal des sciences naturelles de Belgique, le second dormait encore il y a quelques mois dans les collections du musée, et n'a été présenté au public que très récemment. Ce qui excite la curiosité des chercheurs, ce sont leurs encoches transversales, regroupées en série. Jusqu'à aujourd'hui, elles ont fait l'objet d'interprétations subtiles, plus fascinantes les unes que les autres, laissant penser que les deux bâtons étaient associés à des pratiques de calcul (voir plus bas). Si ces interprétations sont avérées, elles prouveraient que l'invention des mathématiques remonte à au moins quinze millénaires avant l'apparition de la numération dans le Croissant fertile ! Autrement dit, il n'est pas impossible que l'homme ait fait des mathématiques il y a 20.000 ans.

UNE ÉTONNANTE PROXIMITÉ

La bonne question serait donc : de quand date la modernité cognitive chez l'homme ? D'ailleurs, pour Jean-Jacques Hublin, directeur du Département d'évolution humaine de l'Institut Max-Planck à Leipzig, "le plus important, avec les os d'Ishango c'est qu'il s'agit d'une forme de communication symbolique à travers le temps et l'espace. À partir du moment ou l'homme dispose d'une telle capacité, ses possibilités sont énormes". De ce point de vue, l'une des plus célèbres découvertes de ces dernières années concerne des petits coquillages percés et des morceaux d'ocre rouges présentant des motifs géométriques, datant de 75.000 ans, exhumés dans la grotte de Blombos, en Afrique du Sud, par Christopher Henshilwood, de l'université de Bergen, en Norvège. On ne connaîtra sans doute jamais leur signification, mais les scientifiques ont aujourd'hui la certitude que les morceaux d'ocre ont été gravés avec une pointe, et que les coquillages, ouvragés intentionnellement, ont été portés comme objets de parure, saus aucune fonction utilitaire, ce qui est le signe d'une capacité d'abstraction. Mieux : en juin 2006, Marian Vanhaeren du Laboratoire d'archéologie et sciences de l'antiquité à Nanterre, et Francesco d'Errico, de l'Institut de préhistoire et de géologie du quaternaire à Bordeaux, ont analysé d'autres coquillages percés, provenant des sites archéologiques de Skhul, en lsraêl, etde Oued Djebbana, en Algérie. En se basant sur les squelettes retrouvés au même endroit et sur les sédiments collés aux coquillages, ils ont pu conclure que les vestiges de Oued Djebbana seraient vieux de 90.000 ans, et ceux de Skhul de 100.000 ans ! Pour Francesco d'Errico, cela ne fait aucun doute, "de telles pièces sont la preuve d'un climat cognitif semblable au nôtre, permettant des représentations symboliques, un système de notation, voire, si les contingences le permettent, l'émergence de systèmes numériques". Un "climat" qui aurait donc vraisemblablement permis à nos ancêtres de compter il y a 100.000 ans... Il y a 160.000 ans, Homo sapiens était déjà doué d'une pensée symbolique.

LES OS D'ISHANGO : MATHÉMATIQUES OU PAS ?

Le premier os mesure une dizaine de centimètres. Légèrement arqué, doté d'un éclat de quartz enchâssé à l'une de ses extrémités, il provient probablement d'un os pénien de lion. Les strates géologiques dans lesquelles il a été conservé, au milieu de coquillages et de harpons, laisse penser qu'il pourrait avoir jusqu'à 22.000 ans. Il aurait été façonné par un peuple de pêcheurs. Le second os est un peu plus grand, 14 cm. Il est d'origine humaine. Provenant d'une couche sédimentaire plus profonde, il aurait entre 20.000 et 25.000 ans.
Sur les deux vestiges, on observe des encoches regroupées en séries. Certes, comme l'indique Olivier Keller spécialiste de l'histoire des mathématiques. "lls pourraient très bien n'avoir été que des manches d'outils, striés de manière à ne pas glisser des mains de leurs utiilsateurs". Mais pour certains spécialistes, ils constitueraient le signe flagrant d'une activité mathématique.
Car si l'on convertit les stries en nombres, on distingue sur le premier os : 11, 21, 19 et 9, puis 11, 13, 17 et 19, et enfin 3, 6, 4, 8, 10, 5, 5 et7. Jean de Heinzelin, découvreur de l'objet, crut très vite y reconnaître de subtiles compositions arithmétiques. Il remarqua que le premier groupe suit la règle 10+1, 20+1, 20-1, 10-1.
Le deuxième groupe formerait la suite des nombres premiers compris entre 10 et 20. Enfin, le dernier contiendrait les couples 3-6, 4-8, 5-10.
Dans les années 70, Alexander Marshack, un journaliste américain converti à l'archéologie des mathématiques, émit l'idée que l'os était un calendrier lunaire. Enfin, d'après une étude réalisée en 1999 par Vladimir Pletzer et Dirk Huylebrouck, l'os d'lshango aurait pu être une règle à calcul utilisant conjointement les bases 10 et 12. Une thèse étayée par une subtile analyse mathématique, et confortée par le fait que des populations d'Afrique utilisent encore des systèmes de calcul en base 12. Quant au second os, dont l'analyse récente n'a pas encore été publiée, on y distingue six rangées d'entailles longues et courtes qui plaideraient également pour un système de conversion entre les bases 10 et 6 (ou 12). L'interprétation des nombres premiers laisse sceptiques la plupart des observateurs : on ne voit pas bien à quoi ils auraient servi aux hommes d'Ishango. Même chose pour le calendrier lunaire. En revanche, une table à calcul ou table de conversion est envisageable. Pour Patrick Semal, anthropologue et responsable des collections d'lshango, "l'ethnographie a très bien montré que certains peuples actuels utilisent ce type de bâtons à compter et ce type de numération. Ce n'est évidemment pas une démonstration que les os d'lshango sont ce type d'outils, mais l'hypothèse est tout à fait plausible.
Pour en apprendre davantage, Francesco d'Errico et Marian Vanhaeren étudient les objets en se focalisant sur des questions auxquelles ils peuvent répondre : les incisions ont-elles été faites avec un seul outil ? Par une ou plusieurs mains ? Dans un laps de temps bref ou sur une longue période ? Car, comme l'explique Francesco d'Errîco, "si les stries ont été réalisées par des outils différents, peut-être l'ont-elles été à des moments différents. On peut alors supposer que la fonction de l'objet est basée sur l'accumulation d'informations au cours du temps. Peut-être une façon de compter les animaux tués, comme un cow-boy entaille la crosse de son revolver a chaque nouvelle victime. Dans le cas inverse, l'hypothèse d'un calendrier ou d'une règle à calcul est plausible, méme si l'on ne peut pas rejeter celle d'un simple décor symbolique". Actuellement en cours, l'analyse semble révéler que la plupart des groupes de stries ont été réalisés avec le même outil... À suivre !

BIEN AVANT LES MÉSOPOTAMIENS

Et s'il y a près de 200.000 ans le cerveau de nos ancêtres disposait des mêmes capacités que le nôtre, il n'est pas complètement déraisonnable d'imaginer qu'à la faveur de contextes culturels, sociaux ou démographiques particuliers, des hommes ont développé, bien avant les Mésopotamiens, voire les anciens habitants d'Ishango, une activité s'apparentant aux mathématiques.

 Les Maths : Réalité ou Pure Construction Mentale ?

Les mathématiques existent-elles indépendamment de l'homme ou sont-elles la création de son esprit ? Leur nature est de toute évidence difficile à cerner. Éclairages...

C'est donc un fait : les mathématiques sont inscrites en nous dès la naissance, et nos ancêtres s'en servaient probablement déjà il y a 100.000 ans. Mais que sont-elles exactement ? L'homme les a-t-il inventées ? Où les a-t-il découvertes ? Autrement dit, les mathématiques ont-elles une réalité en dehors de nous ? Où sont-elles une construction issue du cerveau humain ? La question peut paraître naïve... mais plonge celui qui la pose dans les vertiges de la métaphysique !

Les mathématiciens, dans leur pratique quotidienne, ont plutôt l'impression de découvrir des vérités quand ils progressent dans leur discipline. C'est d'ailleurs la vision qu'en avait déjà Platon : pour le philosophe, les objets mathématiques constituent un univers tellement cohérent qu'ils renvoient à une réalité parfaite, pure, indépendante de l'homme. Une impression largement amplifiée par la fécondité, jamais démentie, des mathématiques : tous les phénomènes physiques, de la simple chute des corps aux plus effrayantes abstractions quantiques, de la ronde des astres à l'électromagnétisme, tous se plient aux lois mathématiques. Ce sont les mathématiques qui permettent de prédire l'effet précis des lois physiques, que l'observation vient confirmer. De quoi clouer le bec aux plus sceptiques. Et que dire de l'universalité remarquable des mathématiques ? D'une civilisation à l'autre, qu'elles aient été développées pour compter, mesurer, commercer ou jouer, elles ont pris les formes les plus variées. Or celles-ci se font écho l'une à l'autre, pour peu qu'on sache faire ouvre de traduction ! Pour toutes les civilisations, deux plus deux font quatre... Cette universalité n'est-elle pas la preuve de l'existence intrinsèque des mathématiques ? Pourtant cette interprétation "platonicienne" d'une réalité des mathématiques commença à s'émousser dès la fin du XIXè siècle. Car les mathématiciens découvrirent alors qu'il est possible "d'inventer" des réalités mathématiques totalement différentes de celles dont ils avaient l'habitude, en modifiant le cinquième postulat d'Euclide. Celui-ci indique que par un point, il ne passe qu'une seule droite parallèle à une autre droite. En postulant le contraire, les mathématiciens levèrent le voile sur des mondes abstraits contraires à l'intuition, mais parfaitement cohérents. Comment soutenir alors que les propriétés des objets mathématiques puissent être intrinsèques, si elles dépendent de règles arbitraires que l'on choisit a priori ? Seule solution : les objets mathématiques n'ont pas d'existence propre. Ils n'ont de réalité que dans la tête de ceux qui les manipulent.
D'aucuns objectèrent que ces univers contraires à l'intuition étaient moins "réels" que celui issu du postulat d'Euclide. Mais ils durent se raviser lorsque l'on découvrit que ces abstractions s'incarnaient elles aussi dans une réalité physique, puisqu'elles servaient de fondement à la relativité générale, qui décrit la force de gravitation !

Les objets mathématiques ne seraient donc ni de purs concepts évoluant dans un monde hors du nôtre, ni de simples inventions. Et la question de leur statut trouve difficilement une réponse claire. Qu'en dire, alors ? Les lois de l'Univers sont-elles écrites en langage mathématique ? Ou leurs étranges pouvoirs ne sont-ils qu'illusion ?

M.G. - SCIENCE & VIE > Septembre > 2007
 

   
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